samedi, janvier 07, 2012

Les religions et la domination du monde





Les religions de l'Âge des conflits

Par Alain Daniélou

Parmi les phénomènes caractéristiques du Kali Yuga, se trouve l'apparition des fausses religions qui éloignent l'homme de son rôle dans la création et servent d'excuse à ses déprédations, à ses génocides, et finalement le mènent à son suicide collectif. Les religions de la cité prennent le pas sur la religion de la nature.

D'après les Purânas, la lutte des religions de la cité contre le dieu de la nature se développa sous une forme perverse. Il s'agissait de créer des religions illusoires qui pervertiraient la religion vraie de l'intérieur.

Dans le Shiva Purâna, la création des religions nouvelles est décrite principalement sous la forme du Jaïnisme, religion puritaine, moraliste et athée, pratiquée surtout aujourd'hui par la caste des marchands, et qui est à la base des religions modernes, car elle a profondément influencé le Bouddhisme et plus tard l'Orphisme et le Christianisme.

Selon le Shiva Purâna :

«Le dieu Vishnou, pour pouvoir détruire les Asuras, les Titans dévoués au culte de Phallus, chercha à intervenir dans leurs rites disant : Aussi longtemps qu'ils vénèrent Shiva et observent les règles de conduite shivaïtes, il est impossible de les détruire. Il faut donc détruire leur religion et qu'ils renoncent à vénérer le phallus de Shiva. Vishnou commença donc à ridiculiser les rites afin de mettre obstacle aux vertueuses activités des Asuras... Il créa une sorte de prophète qui, la tête rasée, prêchait une religion nouvelle. Ce prophète forma quatre disciples qui enseignèrent des rites hérétiques. Ils portaient une cruche à la main. Ils couvraient leur bouche d'un morceau d'étoffe. Ils parlaient peu disant seulement quelques mots tels que : « la vertu est le plus grand des biens, la vraie essence des choses », et autres banalités. Ils marchaient lentement pour ne pas faire de mal à des créatures vivantes. Ils s'établirent dans un jardin aux abords de la ville. Mais leur magie était impuissante aussi longtemps que Shiva y était vénéré.

« Le perfide brahmane Nârada alla rendre visite au roi des Asuras et lui parla : Un homme extraordinaire est arrivé ici qui possède toute la sagesse. J'ai connu beaucoup de cultes, mais je n'en ai jamais vu de comparable. Grand roi des Asuras ! Tu dois te faire initier à ce culte. Le roi se fit initier avec ses parents et les habitants des trois cités. La ville se remplit de disciples du prophète, grand expert dans l'art de l'illusion...

« Le prophète leur enseigna la non-violence : Il n'est pas d'autre vertu que la charité envers les êtres vivants... Notre devoir est de nous abstenir de tuer. La non-violence est la plus grande des vertus... Les textes qui encouragent le sacrifice des animaux ne sont pas acceptables pour un homme de bien. Comment peut-on prétendre gagner le ciel en coupant les arbres, tuant les animaux, répandant du sang et faisant brûler des graines de gingembre et du beurre. Nos ancêtres croyaient que les différentes races d'hommes étaient issues de la bouche, du bras, de la cuisse et des pieds de Brahmâ. Comment pourraient des enfants, issus du même corps, être de nature différente. Il ne faut pas considérer qu'il existe une différence entre un homme et un autre. Il critiqua ensuite le manque de vertu des femmes, prôna la continence chez les hommes, parla avec mépris des rites et du culte du phallus. Les citoyens devinrent ennemis des rites, et le mal se répandit. C'est alors que les dieux purent détruire la cité. » (Shiva Purâna, Rudra Samhitâ, y, chap. 3-4-5.)

Ce discours, avec peu de changements, pourrait être celui qu'un Chrétien adressa à l'empereur des Romains. Il rappelle aussi les enseignements de Gandhi. « Après la chute des trois cités des Asuras, les hérétiques tonsurés se présentèrent devant les dieux « Ô dieux, que devons-nous faire ? Nous avons détruit la foi des Asuras en Shiva. C'est selon votre désir que nous avons accompli cet acte abominable. Qu'adviendra-t-il de nous ? » Les dieux dirent : « Jusqu'à l'arrivée de l'Âge de Kali, restez cachés dans le désert. Lorsque viendra le Kali Yuga, vous propagerez votre religion. Les fous inconscients de l'Age des Conflits seront vos fidèles. » (Shiva Purâna, Rudra Samhitâ, V chap. I 2.)

S'appuyant sur des conceptions qui remplacent le respect des dieux et de l’œuvre divine par de prétendues vertus humaines, les rois et les cités s'opposèrent au Shivaïsme avec violence. Les anciens dieux furent dévalorisés et dépossédés. Les religions nouvelles, le Jaïnisme et le Bouddhisme, se répandirent dans l'Inde ; le Judaïsme, l'Orphisme, le Christianisme et l'Islam en Occident. Ces religions — quels qu'aient été le caractère et l'intention première de leurs fondateurs — sont devenues essentiellement des religions d'État de caractère moraliste. Elles ont permis au pouvoir centralisé d'imposer un élément d'unification à des populations très diverses par leurs croyances, leurs coutumes et leurs rites. Nous verrons partout ces religions, tout en parlant d'amour, d'égalité, de charité, servir d'excuse et d'instrument aux conquêtes culturelles et matérielles. Le bouddhisme, né dans la caste royale des Kshatriyas, permit aux empereurs indiens de se libérer de la domination de la classe sacerdotale et a été un prodigieux instrument d'expansion coloniale. Le massacre des populations shivaïtes de l'Orissa par Ashoka a laissé des traces jusqu'à nos jours. Les empereurs Maurya, Ashoka et ses successeurs imposèrent le Bouddhisme en Inde. A travers cette nouvelle religion, l'influence indienne se répandit peu à peu en Asie centrale, au Tibet, en Mongolie, en Chine, en Birmanie, en Asie du Sud-Est et jusqu'au Japon d'une part, et à un moindre degré dans le Moyen-Orient et la région méditerranéenne de l'autre.

En Occident, l'Orphisme, en s'insérant dans le Dionysisme, en dénatura le caractère. L'Orphisme était une adaptation du Dionysisme à la manière de sentir des Grecs. Il correspond aux formes du Shivaïsme incorporé dans l'Hindouisme aryen. Les sources de l'Orphisme ont été considérées comme obscures. Orphée n'est qu'un chantre merveilleux pour les anciens poètes : Pindare, Simonide, Eschyle, Euripide. Dans les textes qui se référent aux mystères dionysiaques, on ne trouve aucune référence ni à l'Orphisme ni au sacrifice du jeune dieu Zagréus déchiré par les Titans. L'Orphisme apparaît comme une sorte de réforme à l'intérieur du Dionysisme. On y sent l'influence de la pensée jaïna. Il serait erroné de le considérer comme représentatif du Dionysisme originel. L'Orphisme revendique pour Dionysos un rôle exceptionnel dans un nouvel âge du monde, mais c'est un Dionysos adapté à une autre tradition et qui s'éloigne sous beaucoup d'aspects des principes fondamentaux liés au culte du Dionysos ancien. Les milieux dionysiaques étaient en fait hostiles au mouvement orphique.

De nombreux moines indiens propageaient la philosophie jaïna dans la Grèce classique, et leurs théories avaient beaucoup d'attrait pour les Grecs. C'est d'ailleurs un sage jaïna qu'Alexandre voulut ramener de l'Inde, mais qui se suicida en route selon le rite jaïna en prédisant d'ailleurs la mort prochaine d'Alexandre. Comme le Jaïnisme, l'Orphisme met surtout l'accent sur des pratiques d'abstinence. Orphée avait appris aux hommes à éviter le meurtre, appliquant comme les Jaïnas la notion de meurtre à tout être vivant. Ses fidèles étaient strictement végétariens et portaient, comme les Jaïnas, lorsqu'ils n'étaient pas nus, des vêtements blancs. Ils refusaient l'usage de la laine parce que de provenance animale. Nous verrons plus tard les Soufis, par réaction, exiger au contraire le port de vêtements de laine. L'Orphisme fut un puissant élément d'émasculation du Dionysisme et prépara la venue du Christianisme, qu'il influença profondément.

Le culte de Mithra, qui se développa en Italie en même temps que le Christianisme, représente un effort pour revenir au shivaïsme ancien. Il a joué lui aussi un rôle dans la formation des mythes et des rites chrétiens.

Ce culte aurait été importé en Italie, selon Plutarque, en 67 av. J.-C., par des pirates ciliciens capturés par Pompée. Il connut une importante diffusion s'étendant à toute l'Europe. Il s'agissait d'une association secrète avec des rites occultes, réservés aux hommes, qui avait à l'origine, parmi ses buts, la résistance armée à l'impérialisme romain. Mithra est le dieu aryen de l'Amitié, des Contrats. Personnification de la camaraderie, il convenait à une organisation secrète de soldats assermentés. Toutefois, tous les symboles et rites d'initiation sont dérivés du Shivaïsme avec pour centre le culte et le sacrifice du taureau. Le croissant de lune, comme dans le Shivaïsme, symbolise une coupe de sperme de taureau, source de vie. Dans les sanctuaires se trouve l'image du Temps représenté par un monstre à tête de lion entouré de serpents — transposition de Kali, la « Puissance du temps », entourée de serpents et dont le lion est la personnification dans le règne animal. Le sanctuaire de Mithra est une caverne où a lieu le sacrifice du taureau. Chevauchant le taureau, Mithra, l'invincible, prend la place de Niké (la Victoire) vénérée par les légions romaines. Les rites sont précédés de banquets où sont consommés le pain et le vin ainsi que la chair de la victime divine, le taureau sacrifié. On fête le 25 décembre la naissance de Mithra, né d'une « pierre à feu », rappelant la hache de pierre symbole du labyrinthe. Ce culte guerrier, qui faillit devenir la religion de l'empire et s'opposa au Christianisme, disparut peu à peu au Ve siècle. Le Mithraïsme avait été une tentative pour recréer une société initiatique d'inspiration shivaïte dans un monde occidental. C'est une expérience qui pourrait servir un jour d'exemple.

Le monothéisme

L'illusion monothéiste est l'une des caractéristiques des religions du Kali Yuga. Les techniques et les rites qui nous permettent de prendre conscience de la présence des êtres subtils doivent tenir compte de la totalité de l'être humain et de sa place dans le cosmos. Le principe du monde est indéfinissable, mais toute existence implique la multiplicité. Le Principe est au-delà de la manifestation, au-delà du nombre, au-delà de l'unité, au-delà du créé. « Il n'est saisissable ni par l'œil, ni par la parole, ni par les autres sens, ni par l'ascèse ou les pratiques rituelles. » (Mundaka Upanishad, I, 8.)

Le divin est défini, dans la philosophie shivaïte, comme « ce en quoi les contraires coexistent ». Nous trouvons la même définition chez Héraclite. « L'union des contraires » (coincidentia oppositorum) était pour Nicolas de Cusa la définition la moins imparfaite de Dieu.

L'homme, faisant partie du créé, ne peut concevoir ou connaître que les aspects multiples de la divinité. Le monothéisme est une aberration du point de vue de l'expérience spirituelle. Issu d'une conception cosmologique qui aboutit à l'idée d'une cause première, ou d'ailleurs d'un dualisme premier, le monothéisme ne saurait s'appliquer à la réalité de l'expérience religieuse. On ne saurait communiquer avec la cause première de l'univers, au-delà des galaxies, pour recevoir des instructions personnelles d'ordre pratique. Une telle simplification fait partie de ce que les Hindous appellent « la métaphysique des imbéciles » (anadhikâri védânta).

Métaphysiquement, le nombre « 1 » n'existe pas, si ce n'est pour représenter un partiel ou une somme, car rien n'existe que par rapport à quelque chose d'autre. L'origine du monde ne peut être attribuée qu'à l'opposition de deux principes contraires et à la relation qui les unit. Le premier des nombres est donc le nombre « 3 », représenté dans la cosmologie hindoue par une trinité dont la signature se retrouve dans tous les aspects du créé, mais dont les principes composants ne sauraient être perceptibles ou concevables que dans leurs manifestations multiples. Les puissances subtiles que nous pouvons appeler des dieux ou des esprits, dont nous pouvons percevoir la présence, qui peuvent concerner le monde des vivants, sont innombrables comme les formes mêmes de la matière et de la vie auxquelles elles président.

Le principe lui-même ne peut être personnifié. « Seul, l'adepte (dhirah), par la connaissance supérieure, arrive à concevoir la présence en toutes choses de ce qui ne peut être perçu ni appréhendé, qui est sans attaches ni caractéristiques, qui n'a ni yeux, ni oreilles, ni mains, ni pieds, qui est éternel, multiforme, omniprésent, infiniment subtil et immuable, la matrice des êtres. » (Mundaka Upanishad, I, I, 6.)

La simplification monothéiste semble issue d'une conception religieuse de nomades, née chez des peuples qui cherchent à s'affirmer, à justifier leur occupation de territoires et leurs conquêtes. Le dieu est imaginé à l'image de l'homme. Il est réduit au rôle d'un guide qui accompagne la tribu dans ses migrations, donne des instructions personnelles à son chef. Il ne s'intéresse qu'à l'homme et, parmi les hommes, qu'au groupe des « élus ». Il devient une excuse facile à la conquête, au génocide, à la destruction de l'ordre naturel, comme nous pouvons l'observer tout au long de l'histoire. A l'origine, il n'exclut pas les dieux des autres tribus, les « faux dieux », mais uniquement pour les opposer, les détruire, et imposer sa domination et celle de « son peuple ». Nous pouvons suivre ce passage du polythéisme à l'exclusivisme, puis au monothéisme dans l'évolution de la religion du peuple hébreu.

Tout homme peut arriver par des pratiques extatiques à entrer en contact avec le monde mystérieux des esprits, monde dont la nature reste toujours indéfinissable et incertaine. Ce sont les soi-disant « prophètes », qui prétendent communiquer directement avec un dieu personnel et unique, édictant des règles de conduite qui ne sont en fait que des conventions sociales et n'ont rien à voir avec la religion ou le domaine spirituel, qui ont été les principaux artisans des déviations du monde moderne. Le monothéisme est contraire à l'expérience religieuse des hommes ; il n'est pas un développement naturel, mais une simplification imposée. La notion d'un dieu, qui, ayant créé le monde, attendrait quelques millions d'années pour enseigner aux hommes, avec un retard difficilement excusable, la voie du salut, est évidemment une absurdité.

Les religions monothéistes ont toujours pour point de départ la pensée, l'enseignement d'un homme, qu'il se dise ou non le messager, l'interprète d'une puissance transcendante qu'il appelle dieu. Ces religions s'expriment en dogmes, en règles concernant la vie de l'homme. Elles deviennent inévitablement politiques et forment une base idéale pour les ambitions expansionnistes de la cité. Parmi elles, le Judaïsme, le Bouddhisme, le Christianisme et l'Islam sont théistes, le Jaïnisme et le Marxisme sont athées.

Adopté par le Judaïsme — qui ne fut pas monothéiste à l'origine — le concept du « dieu unique » à figure humaine est en grande partie responsable du rôle néfaste des religions ultérieures. Moïse, influencé probablement par les idées du pharaon Akhaténon, fit croire au peuple juif en l'existence d'un chef de tribu qu'il appelait le « dieu unique » et duquel il prétendit recevoir des instructions. Mohammed devait plus tard se comporter de même. Ces imposteurs sont à la source de la perversion religieuse du monde sémitique et judéo-chrétien. Ce « dieu », dont tant d'autres après eux ont prétendu interpréter les intentions jusque dans les domaines les plus relatifs, a servi de prétexte et d'excuse à la domination du monde par divers groupes d'« élus » et à un orgueilleux isolement de l'homme par rapport à l’œuvre divine.

L'impertinence et l'orgueil avec lesquels les « croyants » attribuent à « dieu » leurs préjugés sociaux, alimentaires, sexuels, qui d'ailleurs varient d'une région à l'autre, seraient comiques s'ils n'aboutissaient pas inévitablement à des formes de tyrannie, de caractère purement temporel. L'obligation de se conformer à des croyances et des modes d'action arbitraires est un moyen d'avilir et d'asservir la personnalité de l'individu, dont toutes les tyrannies, religieuses ou politiques, de droite ou de gauche, ne savent que trop bien se servir.

Le problème chrétien

Il faut distinguer le Christianisme des autres religions monothéistes, car, bien qu'il soit devenu un exemple typique des religions de la cité, il n'est pas certain qu'il représente l'enseignement réel du Christ lui-même dont il se réclame. Le message de Jésus s'oppose à celui de Moïse et, plus tard, de Mohammed. Il semble avoir été un message de libération et de révolte contre un Judaïsme devenu monothéiste, desséché, ritualiste, puritain, pharisien, inhumain. Sous sa forme romaine, le Christianisme s'opposa d'abord à la religion officielle de l'Empire comme il s'était opposé au Judaïsme officiel, à la religion d'État. Nous ne savons pas grand-chose des sources de l'enseignement de Jésus, de son initiation, de son séjour « dans le désert » vers l'Orient. Le mythe chrétien apparaît très lié aux mythes dionysiaques. Jésus, comme Skanda ou Dionysos, est fils du Père, de Zeus. Il n'a point d'épouse. Seule la déesse mère trouve place auprès de lui. Il est entouré de ses fidèles, de ses bhaktas qui sont des gens du peuple, des pêcheurs. Son enseignement s'adresse aux humbles, aux marginaux. Il accueille les prostituées, les persécutés. Son rite est un sacrifice. C'est dans la tradition orphique que la passion et la résurrection de Dionysos occupent une place centrale. C'est à travers l'Orphisme que nombre de « miracles » de Dionysos furent attribués à Jésus. Divers aspects de la légende du Dionysos orphique se retrouvent dans la vie de Jésus. Le parallèle est évident entre la mort et la résurrection du dieu et celle du Christ.

Les mythes et les symboles liés à la naissance de Jésus — son baptême, son entourage, son entrée à Jérusalem sur un âne, la Cène (rite du banquet et du sacrifice), la Passion, la mort, la résurrection, les dates et la nature des fêtes, le pouvoir de guérir, de changer l'eau en vin — évoquent inévitablement des précédents dionysiaques.

Il semblerait donc que l'initiation de Jésus ait été une initiation orphique ou dionysiaque, et non pas essénienne comme on l'a parfois suggéré. Son message, qui représente une tentative de retour à la tolérance, à un respect de l'œuvre du Père Créateur, fut totalement dénaturé après la mort de Jésus. Le Christianisme ultérieur en est, en effet, exactement l'opposé, avec son impérialisme religieux, son rôle politique, ses guerres, ses massacres, ses tortures, ses bûchers, ses persécutions des hérétiques, sa négation du plaisir, de la sexualité, de toutes les formes d'expérience de la joie divine. Cela n'est pas apparent à ses débuts. Les Chrétiens furent accusés de sacrifices sanglants, de rites érotiques et orgiastiques. Il est difficile de savoir sur quoi ces accusations étaient fondées. Elles seront répétées en ce qui concerne les organisations de caractère mystique, initiatique, plus ou moins secrètes, qui cherchèrent à perpétuer le Christianisme originel. De telles sectes tendent toujours à reparaître dans le monde chrétien, même si, séparées de leur tradition originelle, il s'agit le plus souvent de tentatives naïves, aisément exploitées et perverties.

Nous retrouvons le symbolisme trinitaire hindou à la base de la Trinité chrétienne. Le Père, du fait même qu'il a un Fils, représente le principe générateur, Shiva, le Phallus. Le Fils est le protecteur qui s'incarne dans le monde pour le sauver comme Vishnou et ses avatâras. Le Saint-Esprit, « qui procède du Père et du Fils », est l'étincelle qui unit les deux pôles. Il est appelé Brahmâ, l'Immensité. Le Fils, comme Vishnou, est l'équivalent de Shakti, le principe féminin, la Déesse. Il est donc d'une certaine façon androgyne. Son culte se mélange à celui de la Vierge Mère. Les efforts de l’Église pour dissimuler ses sources ont abouti à l'oubli de la signification du mythe chrétien et conduit à des interprétations matérialistes pseudo-historiques dépourvues de tout sens universel.

Le Polythéisme reste toutefois sous-jacent dans le monde chrétien où l'on remplace simplement les noms des anciennes divinités par des noms de saints. Comme le Bouddhisme du Mahâyâna, le Christianisme a assimilé de nombreux rites, symboles et pratiques des anciens cultes auxquels il se substitua. Il n'existe pratiquement aucun sanctuaire chrétien qui soit dédié à « Dieu ». Tous sont sous l'égide de la Vierge Mère ou d'innombrables divinités appelées des saints. Dans un milieu polythéiste, le Christianisme se fond aisément dans la religion traditionnelle, comme on peut l'observer par exemple dans la religion de l'Inde populaire où l'on invoque tantôt la Vierge, tantôt la déesse Kali, où se confondent le culte de Skanda ou de Krishna-enfant et celui de l'enfant Jésus, où l'esprit (bhûta), qui prend possession des participants au cours des cérémonies de danse extatique, prend le nom d'un saint chrétien quelconque.

Le Christianisme n'est devenu une religion importante qu'à partir du moment où il servit d'instrument à la puissance impériale de Rome. Longtemps, le Dionysisme et ses variantes lui disputèrent la primauté. N'oublions pas que les Dionysiaques de Nonnos datent du Ve siècle de notre ère. C'est à partir du IVe siècle que Constantin décida d'utiliser l’Église comme moyen d'unification de l'Empire. L'histoire religieuse du monde et l'évolution du Christianisme lui-même auraient été tout autres si ce choix politique n'était pas tombé sur cette foi nouvelle.

Le Christianisme devint un instrument de conquête et de domination du monde comme le Bouddhisme l'avait été pour les empereurs indiens. Cette forme d'action s'est perpétuée jusqu'à nos jours, permettant d'éliminer les cultes et les dieux autochtones de l'Europe et du Moyen-Orient, et plus tard d'étendre cette action au monde entier, privant les peuples de leurs dieux, donc de leur force, de leur personnalité, les réduisant à un état de dépendance morale et rituelle, prélude de leur complète annexion et assimilation. L'Amérique « latine » en est un exemple récent. L'Islam, puis le Marxisme ont aujourd'hui pris la relève.

Les missionnaires chrétiens, souvent mandatés par des gouvernements athées, comme ce fut le cas pour la France — qui par ailleurs, sous la IIIe République, avait banni les congrégations religieuses — , ont été l'élément le plus puissant de la dépersonnalisation des peuples conquis et de leur asservissement au conquérant. L'excuse religieuse permit l'extermination des éléments réfractaires qui restaient attachés à leur culture, à leurs traditions, à leurs dieux. Le Christianisme ultérieur, « religion typique du Kali Yuga » (J. Evola, Le Yoga tantrique, p. 9), est à peu près l'antithèse de ce que nous savons des enseignements du Christ. Il représente essentiellement la religion de la cité, de caractère social et moraliste. « Si nous séparons l'Évangile de l'Église, celui-ci devient fou », écrivait Jean Daniélou dans son dernier livre, montrant à quel point l'Église s'est éloignée du message de Jésus, qu'elle ignore et rejette en fait.

L'Islam a utilisé le même monothéisme primaire et le même puritanisme agressif comme moyens de conquête et de domination. Dans l'Inde, soumise à la domination islamique, puis chrétienne, le Sikhisme d'inspiration musulmane, puis l'Arya Samâj de Dayânanda Sarasvati et le Brahmo Sardij de Dévendranath Tagore (père du poète), et enfin le Gandhisme avec ses tendances monothéistes, son puritanisme, sa sentimentalité, inspirée des missionnaires chrétiens, sont des manifestations récentes de ces mêmes tentatives d'adaptation de la religion traditionnelle en se conformant aux préjugés sociaux des conquérants afin soi-disant de mieux pouvoir les combattre. Cela toutefois devait aboutir à des tragédies culturelles et humaines. Le culte marxiste (ou le « libéralisme » du XXIe siècle, note de Bouddhanar), qui tend aujourd'hui à se substituer au Christianisme, ne s'intéresse qu'à l'homme social et empêche son épanouissement individuel. Il représente l'aboutissement de cette tendance. Il est l'antithèse absolue du Shivaïsme et du Dionysisme.

Le message de Jésus est-il récupérable ? Ce n'est pas impossible. Il faudrait pour cela un retour à un Évangile moins sélectif et la redécouverte de tout ce que l'Église a soigneusement caché et détruit de ses sources et de son histoire, y compris les textes évangéliques soi-disant apocryphes dont certains sont plus anciens que les Évangiles reconnus par l'Église. Cela permettrait de revenir à ce que l'enseignement du Christ a pu être en réalité, c'est-à-dire une adaptation pour un monde et une époque particulière de la grande tradition humaine et spirituelle, dont le Shivaïsme et le Dionysisme représentent l'héritage. Le Christianisme originel ne s'est complètement séparé de ses sources que tard. Il a longtemps abrité des sectes initiatiques et mystiques continuant les pratiques dionysiaques Il n'est pas absolument exclu qu'il puisse retrouver son sens primordial. Dépouillée des fausses valeurs dont, depuis saint Paul, on a entouré son enseignement, la personne du Christ peut éventuellement être réincorporée dans la tradition shivaïte-dionysiaque. Cela évidemment ne peut se faire qu'en dehors de ceux qui osent prétendre être les représentants de « Dieu » sur la terre et les interprètes exclusifs de « Sa » volonté. Une religion véritable ne peut être fondée que sur un humble respect de l’œuvre divine et de son mystère. Il est étrange que ce soit aujourd'hui la science athée, dans son effort pour comprendre sans préjugé la nature du monde et de l'homme, qui soit moins éloignée d'une religion véritable que le dogmatisme aberrant des Chrétiens.

« On dit que l'Occident moderne est chrétien, mais c'est là une erreur. L'esprit moderne est antichrétien parce qu'il est essentiellement antireligieux... L'Occident a été chrétien au Moyen Âge, mais ne l'est plus. » (René Guénon, La Crise du monde moderne, p. 111-112.) C'est en effet à partir des environs de l'an 1000 qu'apparaît l'idée que l'homme est capable de dominer le monde, de rectifier la création, de donner en quelque sorte un coup de main à Dieu. Cela représente une transformation profonde dans l'attitude du monde chrétien. C'est donc en dehors des églises que le Christianisme pourrait redevenir, en se rattachant à ses sources, une religion véritable, c'est-à-dire universelle, religion de l'homme tout entier, de l'homme qui retrouve sa place dans le monde naturel et rétablit ses rapports avec le monde des esprits, de la nature et des dieux. Le dernier à le comprendre dans le monde chrétien fut saint François d'Assise. Une religion est en principe une méthode, une manière de se rapprocher du divin. Une religion vraie ne peut pas être exclusive, ne peut pas prétendre détenir la seule vérité, car la réalité divine a de multiples aspects, et les voies qui mènent au divin sont innombrables.

Alain Daniélou, Shiva et Dionysos.

Alain Daniélou

Par Emmanuelle de Boysson

Toute sa vie, Alain aura été un indéfinissable, un inclassable. Indianiste, musicologue et traducteur, il n'est pas ambitieux, ne cherche pas la reconnaissance. Il est lui-même singulier, agaçant, charmeur. Il trouve dans la civilisation de l'Inde ancienne le raffinement, les rites et l'art musical qui lui correspondent. De l'Inde, Alain gardera deux préceptes philosophiques :

« Le divin est partout dans un monde qui n'est que mouvement. »

« Profite de ce que les dieux t'abandonnent et n'envie jamais ce qui appartient à d'autres. »

Son Histoire de l'Inde, bien que contestée par certains indianistes, a été couronnée par l'Académie française. Alain y donne une vision qui colle à son expérience personnelle, à la finalité de son travail : la recherche de ce qui unit les civilisations et les continents. L'histoire de l'humanité est celle de grands cycles où les civilisations se meurent comme s'éteignent les étoiles lorsqu'elles contrarient l'harmonie des dieux. L'Inde est « une sorte de musée de l'histoire où ont été préservées dans des compartiments séparés les cultures, les races, les langues qui se sont rencontrées. Rêve de mort, rêve d'immortalité, l'Inde, couronnée par l'Himalaya, mais émergeant de sa solitude, conserve un secret que nul ne saurait lui dérober ». Alain reconstitue, d'une façon plutôt didactique, le puzzle, attentif à la permanence des cultures et des traditions plus qu'au flux des événements. Au-delà des oppositions, des idées reçues, des conquêtes, se tisse une « trame secrète ». En sanskrit, le premier sens de tantra est « trame ». Alain se penche sur l'enchevêtrement secret des fils, sur une histoire liée à une vision ésotérique : « Dans l'ignorance où l'on est des origines, on fragmente trop l'histoire. » Son parti pris correspond à ses convictions. Il est impossible de rester extérieur au drame d'une Inde colonisée. Alain revendique son engagement politique, il défend les valeurs de l'Inde ancienne. Il se donne pour mission de sauver et diffuser musiques traditionnelles.

Il faut concevoir son œuvre comme une arborescence dont le but principal est de restituer, expliquer, définir la singularité des religions indiennes. L'Histoire de l'Inde s'ouvre sur l'évocation d'une civilisation brillante, une des plus évoluées et des plus raffinées du monde antique : la civilisation de l'Indus qui vécut sur le territoire du Pakistan actuel, 3 000 ans avant J.-C. La religion prédominante chez les Dravidiens est le shivaïsme. Les adorateurs de Shiva vivaient dans les trois cités du soleil. D'après les Puranas (les anciennes chroniques), c'est vers le IVe millénaire avant Jésus-Christ que le dieu Shiva se manifesta sur la terre indienne et enseigna aux hommes la religion, la philosophie, les arts et les sciences. Cette religion resta dominante jusqu'à l'arrivée des Aryens qui l'attaquèrent violemment. Pourtant, le shivaïsme survivra et restera jusqu'à nos jours la religion du peuple. La grande civilisation des Dravidiens s'est répandue jusqu'en France puisqu'un lien existe entre Dravidiens et Celtes. Des vestiges subsistent en Bretagne. Dolmens, mégalithes et lingas attestent de l'influence du shivaïsme en Occident et de croyances en certains pouvoirs des dieux de la nature.

Dans le milieu des indianistes, Alain Daniélou est très critiqué. On lui reproche, entre autres, d'avoir occulté l'influence musulmane, de minimiser le bouddhisme et surtout de s'en tenir à une vision personnelle plus qu'à une analyse historique objective. Alain, qui témoigne d'une incompréhension de toute forme de monothéisme, considère le bouddhisme comme « un instrument puissant d'influence culturelle et le principal véhicule de l'expansion coloniale en Inde ». Il ne se soucie pas plus des « trois voies » du bouddhisme que du Coran ou de la Bible. Son esprit et son cœur ne s'émeuvent et ne s'orientent que vers la multiplicité du divin et son caractère polymorphe. Selon lui, si en Inde le bouddhisme ne semble pas avoir atteint les classes populaires, il intègre au Tibet les religions antérieures dont le culte shivaite. C'est le Grand Véhicule, par opposition au bouddhisme originel, le Petit Véhicule. Traduit par Alain, Le Scandale de la vertu dépeint le haut degré de civilisation de la dynastie des Cholas (IIe siècle). Selon lui, « à partir du moment où les musulmans arrivent en Inde, l'histoire de l'Inde n'a plus aucun intérêt. C'est une longue série de meurtres, de massacres, de spoliations, de destructions... La loi coranique est la seule loi reconnue. Peine de mort, mutilations, taxes lourdes... Une grande partie de la population est réduite à l'esclavage ».

Les spécialistes de l'Inde reprochent à Alain ce qu'ils appellent son sectarisme et que, lui, aurait qualifié de respect total de l'unique tradition. Certains parlent d'amateurisme, le suspectent de ne posséder que de faibles lumières en sanskrit. Or, cette connaissance des langues indiennes (sanskrit, hindi, tamoul) explique l'amitié et la confiance que lui portait Louis Renou, un des meilleurs sanskritistes avec Pierre-Sylvain Filliozat. C'est d'abord à Alain que Renou s'adresse pour un conseil de traduction. « Daniélou ne connaît pas nos méthodes mais, quand je ne comprends pas un texte, c'est à lui que je le demande », reconnaît-il. De plus, dans la correspondance qu'Alain échange avec René Guénon de 1942 à sa mort, celui-ci ne cesse de lui demander conseil pour la traduction de mots précis. On reproche surtout à Alain de ne pas appartenir au modèle universitaire, d'avoir refusé toute affiliation au système occidental et plus particulièrement français. Il ne brigua jamais de poste et aurait sans doute partagé l'opinion de Péguy qui écrit que « si les chaires de la faculté sont si convoitées, c'est d'abord parce qu'on y est assis » !

Emanuelle de Boysson, Le cardinal et l'hindouiste.


Shiva et Dionysos



Illustration « La morale très chrétienne des conquistadores » :

Balboa a la réputation d'avoir été le plus humain des conquistadores... Indigné par la pratique de la sodomie des Indiens, il en punit quarante de ce vice abominable en les livrant à ses chiens. (Le Livre des Antipodes, Johann Ludwig Gottfried, 1630)


***



Extrême droite & shivaïsme


vendredi, janvier 06, 2012

Mondialisation & utopie




La mondialisation est-elle porteuse d'utopie ? Les débats actuels sur l'« horreur économique » n'incitent pas à répondre par l'affirmative. D'un point de vue historique, l'utopie a pourtant joué un rôle déterminant dans la formulation des thèses universalistes qui servent de caution idéologique à la mondialisation. Évocation, le plus souvent, d'une société idéale obéissant aux lois de la raison, l'utopie possède une portée universelle. N'a-t-elle pas pour ambition de permettre une prise de distance à l'égard des institutions existantes au nom d'une rationalité qui transcende les particularismes locaux ? Située nulle part, l'utopie est en même temps susceptible de s'appliquer en tout lieu.

A moins de considérer certaines sectes religieuses de la période moderne comme des utopies, il faut attendre le tournant du XVIIIe siècle pour voir l'universalité devenir une dimension explicitement revendiquée du discours utopique. Cette revendication est contemporaine d'une mutation en profondeur de l'utopie. D'un genre littéraire illustré par des auteurs comme Thomas More ou Francis Bacon, on passe à des mouvements comme le saint-simonisme, le fouriérisme ou l'owénisme qui articulent un discours prophétique avec un ensemble de pratiques sociales visant à sa réalisation. Qualifiés généralement de socialismes utopiques, ces mouvements cherchent à établir un nouvel ordre dont l'harmonie contrasterait avec l'anarchie de la société existante. Un tel ordre se veut universel. Tandis que les saint-simoniens imaginent la planète quadrillée par des voies de communication conduisant l'humanité vers l'« association universelle », les fouriéristes et les owénistes la peuplent de communautés en relation les unes avec les autres comme les nœuds d'une immense maille.

Au début des années 1830, les saint-simoniens projettent d'aménager entièrement la terre afin d'en faire la « demeure de l'homme ». C'est dans cette perspective qu'ils militent en faveur de systèmes comme les chemins de fer à l'échelle de continents entiers ou d'infrastructures à vocation internationale comme le canal de Suez. De l'interconnexion des réseaux nationaux de chemins de fer au creusement des isthmes de Suez et Panama, en passant par l'établissement des premières liaisons télégraphiques transatlantiques, l'évolution technologique de la seconde moitié du XIXe siècle semble leur donner raison. Le développement du commerce mondial va dans le même sens. L'internationalisation de pans entiers de l'économie fait figure de préambule à notre mondialisation.

L'internationalisation du siècle dernier porte la marque d'un mélange complexe d'intérêts matériels et d'idées généreuses dont certaines se sont constituées au contact des discours et des pratiques utopiques. Il n'est pas fortuit qu'un des principaux artisans du traité de libre-échange avec l'Angleterre de 1860 soit un ancien saint-simonien, Michel Chevalier. Même si les stratégies financières occupent souvent le devant de la scène, la mondialisation doit à son tour quelque chose au rêve d'une planète vivifiée par la circulation de l'information et l'hybridation des cultures. L'Internet qui constitue l'une de ses technologies emblématiques se présente comme l'héritier de réflexions développées au sein du mouvement alternatif américain dans les années 1960-1970.

Cette veine idéaliste suffit-elle pour assimiler la mondialisation, ou du moins certains des discours auxquels elles donne naissance, à une forme d'utopie ? La réponse est loin d'être évidente. Car l'utopie s'est presque toujours construite par écart avec l'existant, comme le résultat d'une prise de distance permettant d'envisager une situation radicalement différente. Or n'est-ce point la possibilité de cet écart que vient menacer une mondialisation qui abolit progressivement toutes les différences ? On peut même se demander si ce phénomène, souvent présenté comme un progrès, ne constitue pas en réalité un frein à ce même progrès. Une analogie avec le vivant vient aussitôt à l'esprit. Dans un livre intitulé l’Émergence de l'homme. Essai sur l'évolution et l'unicité humaine, l'anthropologue Jan Tattersall fait observer que le caractère global que présente depuis longtemps le peuplement humain a empêché l'Homo sapiens de donner naissance à des sous-espèces, encore moins à des races distinctes, celles-ci apparaissant uniquement lorsqu'une sous-population s'isole suffisamment longtemps pour permettre à des caractères originaux de s'affirmer. En brassant les cultures, la mondialisation pourrait bien conduire au blocage des processus de différenciation culturelle et compromettre par là même les évolutions dont ils sont porteurs.

A cette argumentation, les partisans de la mondialisation peuvent rétorquer que de nouveaux clivages se font jour en même temps que disparaissent d'anciennes divisions. Dans les sociétés développées, l'Internet constitue par exemple un outil de différenciation, même si les différences qu'il contribue à faire émerger se jouent des frontières nationales. En s'inspirant des travaux du théologien Pierre Teilhard de Chardin — une référence que mobilisent volontiers les idéologues américains de l'Internet on peut aussi présenter la mondialisation comme une nouvelle étape faisant suite à l'évolution au sens darwinien. Si l'Hommo sapiens constitue le terme de l'évolution biologique, le relais pourrait être pris par l'humanité prenant graduellement conscience de son unité par l'intermédiaire des réseaux d'information. A en croire certains auteurs, ces deux étapes devraient être replacé dans la perspective d'une expression sans cesse plus affirmée de la dimension spirituelle de l'univers. Il est étonnant de constater la facilité avec laquelle ces croyances, quelque peu New Age cohabitent avec la circulation électronique des capitaux et les délocalisations d'entreprises. La mondialisation est-elle porteuse d'utopie ? La question mérite en tout cas d'être posée.

Antoine Picon, Dictionnaire des utopies.


Dictionnaire des utopies

Les idées et les hommes qui ont voulu changer la société.

Face à ce qu’on a appelé la fin des idéologies et au millénarisme, face aux interrogations et aux inquiétudes que génère la mutation actuelle de la société, un ouvrage qui informe sur le foisonnement d’idées novatrices que recèle l’histoire.

De Âge d’or à Ville idéale, de Autogestion à Science-fiction, ce dictionnaire alphabétique présente, à travers une centaine d’articles, les principales utopies apparues au cours de l’histoire :

- les grandes œuvres des utopistes : de La République de Platon, à Utopia de Thomas More et au Meilleur des mondes de Huxley) ;

- l’utopie comme expérience vécue : des phalanstères de Fourier à la Commune de Paris et à l’école du Bauhaus ;

- les utopies architecturales, urbanistiques, scientifiques et techniques : immeubles communautaires, villes idéales, mondes virtuels…

De grands articles thématiques et synthétiques présentent par domaines de culture les différentes utopies : architecture, cinéma, éducation, musique, politique, science, voyage… 


Michèle Riot-Sarcey est professeure d'histoire contemporaine à l'Université de Paris 8. Elle a publié notamment le Réel de l'utopie (1998), l'Utopie en questions (2001). 

Thomas Bouchet est maître de conférences d'histoire contemporaine à l'université de Bourgogne. II est secrétaire de rédaction des Cahiers Charles Fourier. Il a récemment publié le Roi et les barricades (2000).

Antoine Picon est professeur à l'Université Harvard. Spécialiste des sciences et des techniques dans leurs relations avec la ville et l'utopie, il a notamment publié Raison, imaginaire et utopie. Les saint-simoniens et la société française



Illustration :

jeudi, janvier 05, 2012

L'indépendance d'esprit





Pour Georges Palante, l'individualisme relève avant tout d'une sensibilité : c'est un refus des illusions qui dépasse tous les clivages, un combat contre la société pour préserver son intégrité. 
L'auteur de « La sensibilité individualiste », propose une tactique pour échapper au conditionnement social, politique et religieux.

La sensibilité individualiste



Le mot individualisme peut désigner soit une doctrine sociale, soit une forme de sensibilité.


C'est dans le premier sens qu'il est pris par les économistes et les politiques. L'individualisme économique est la doctrine bien connue du non-interventionnisme, du laisser-faire, laisser-passer. L'individualisme politique est la doctrine qui réduit l'État à la seule fonction de défense à l'extérieur et de sécurité à l'intérieur ; ou encore celle qui préconise la décentralisation (régionalisme et fédéralisme), ou encore celle qui défend les minorités contre les majorités (libéralisme) et se trouve amenée par la logique à prendre en mains la cause de la plus petite minorité : l'individu.


Tout autre est l'individualisme psychologique. — Sans doute, il peut y avoir un lien entre l'individualisme doctrinal et l'individualisme sentimental. [...]


La sensibilité individualiste peut se définir négativement. Elle est le contraire de la sensibilité sociable. Elle est une volonté d'isolement et presque de misanthropie.


La sensibilité individualiste n'est pas du tout la même chose que l'égoïsme vulgaire. L'égoïste banal veut à tout prix se pousser dans le monde, il se satisfait par le plus plat arrivisme. Sensibilité grossière. Elle ne souffre nullement des contacts sociaux, des faussetés et des petitesses sociales. Au contraire, elle vit au milieu de cela comme un poisson dans l'eau.


La sensibilité individualiste suppose un vif besoin d'indépendance, de sincérité avec soi et avec autrui qui n'est qu'une forme de l'indépendance d'esprit ; un besoin de discrétion et de délicatesse qui procède d'un vif sentiment de la barrière qui sépare les moi, qui les rend incommunicables et intangibles ; elle suppose aussi souvent, du moins dans la jeunesse, cet enthousiasme pour l'honneur et l'héroïsme que Stendhal appelle espagnolisme, et cette élévation de sentiments qui attirait au même Stendhal ce reproche d'un de ses amis : «Vous tendez vos filets trop haut.» Ces besoins intimes, inévitablement froissés dès les premiers contacts avec la société, forcent cette sensibilité à se replier sur elle-même. C'est la sensibilité de Vigny : «Une sensibilité extrême, refoulée dès l'enfance par les maîtres et à l'armée par les officiers supérieurs, demeurée enfermée dans le coin le plus secret du cœur.» Cette sensibilité souffre de la pression que la société exerce sur ses membres : «La société, dit Benjamin Constant, est trop puissante, elle se reproduit sous trop de formes, elle mêle trop d'amertume à l'amour qu'elle n'a pas sanctionné...» Et ailleurs : «L'étonnement de la première jeunesse à l'aspect d'une société si factice et si travaillée annonce plutôt un cœur naturel qu'un esprit méchant. Cette société d'ailleurs n'a rien à en craindre. Elle pèse tellement sur nous ; son influence source est tellement puissante qu'elle ne tarde pas à nous façonner d'après le moule universel. [...]


Il semble qu'on doive considérer la sensibilité individualiste comme une sensibilité réactive au sens que Nietzsche donne à ce mot, c'est-à-dire qu'elle se détermine par réaction contre une réalité sociale à laquelle elle ne peut ou ne veut point se plier. Est-ce à dire que cette sensibilité n'est pas primesautière ? En aucune façon. Elle l'est, en ce sens qu'elle apporte avec elle un fond inné de besoins sentimentaux qui, refoulés par le milieu, se muent en une volonté d'isolement, en résignation hautaine, en renoncement dédaigneux, en ironie, en mépris, en pessimisme social et en misanthropie.


Cette misanthropie est d'une nature spéciale. Comme l'individualiste est né avec des instincts de sincérité, de délicatesse, d'enthousiasme, de générosité, et même de tendresse, la misanthropie où il se réfugie est susceptible de nuances, d'hésitations, de restrictions et comme de remords. Cette misanthropie, impitoyable pour les groupes, — hypocrites et lâches par définition, — fait grâce volontiers aux individus, à ceux du moins en qui l'individualiste espère trouver une exception, une «différence», comme dit Stendhal.


Hostile aux «choses sociales» (Vigny), fermé aux affections corporatives et solidaristes, l'individualiste reste accessible aux affections électives ; il est très capable d'amitié.
Le trait dominant de la sensibilité individualiste est en effet celui-ci : le sentiment de la «différence» humaine, de l'unicité des personnes, — L'individualiste aime cette «différence», non seulement en soi, mais chez autrui. Il est porté à la reconnaître, à en tenir compte et à s'y complaire. Cela suppose une intelligence fine et nuancée. Pascal a dit : «A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes.» La sensibilité sociable ou grégaire se complaît dans la banalité des traits ; elle aime qu'on soit «comme tout le monde». La sensibilité chrétienne, humanitaire, solidariste et démocratique, voudrait effacer les distinctions entre les moi. [...] Le chrétien dit : «Faites à autrui ce que vous voudriez qu'il vous fît.» A quoi un dramaturge moraliste, B. Shaw, réplique avec esprit : «Ne faites pas à autrui ce que vous voudriez qu'il vous fît : vous n'avez peut-être pas les mêmes goûts.» [...]
La tactique de l'individualiste contre la société


La tactique de l'individualiste contre la société sera infiniment plus complexe, plus délicate, plus riche, plus nuancée et plus variée que celle, grossière et brutale, de l'anarchisme. - Chacun ici pourra se faire son plan de vie individuelle, se composer un recueil de recettes pratiques pour louvoyer avec la société, pour lui échapper dans la mesure du possible, pour passer à travers les mailles du filet dont elle l'enserre ou, si l'on préfère, pour glisser entre les embûches sociales, en ne laissant que le moins possible de laine aux ronces du chemin.


Cette tactique peut porter sur deux points :


1° œuvre d'affranchissement extérieur de l'individu vis-à-vis des relations et influences sociales où il se trouve engagé (cercles sociaux et autorités dont il dépend) ;


2° méthode d'affranchissement intérieur ou hygiène intellectuelle et morale propre à fortifier en soi les sentiments d'indépendance et d'individualisme.


Sur le premier point, on pourrait peut-être, en s'aidant des observations et des préceptes des moralistes individualistes, dresser un petit programme qui comporterait les articles suivants :


a. Réduire au minimum les relations et les assujettissements extérieurs. Pour cela, simplifier sa vie ; ne s'engager dans aucun lien, ne s'affilier à aucun groupe (ligues, partis, groupements de tout genre), capable de retrancher quelque chose à notre liberté (Précepte de Descartes). Braver courageusement le Vae soli. Cela est souvent utile ;


b. Si le manque d'indépendance économique ou la nécessité de nous défendre contre des influences plus puissantes et plus menaçantes nous contraint de nous engager dans ces liens, ne nous lier que d'une façon absolument conditionnelle et révocable et seulement dans la mesure où notre intérêt égoïste l'ordonne ;


c. Pratiquer contre les influences et les pouvoirs la tactique défensive qui peut se formuler ainsi : Divide ut liber sis (diviser pour être libre). Mettre aux prises les influences et les pouvoirs rivaux; maintenir soigneusement leurs rivalités et empêcher leur collusion toujours dangereuse pour l'individu. S'appuyer tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre, de manière à les affaiblir et les neutraliser l'un par l'autre. Amiel reconnut les heureux effets de cette tactique. " Tous les partis, dit-il, visent également à l'absolutisme, à l'omnipotence dictatoriale. Heureusement qu'ils sont plusieurs et qu'on pourra les mettre aux prises (Amiel, Journal Intime, II, p. 88.)";


d. En vertu de ce jeu de bascule, quand un pouvoir acquiert une prépondérance par trop forte, il devient, de droit, l'ennemi. A ce point de vue, l'individualisme peut admettre parfaitement l'existence de l’État, mais d'un État faible, dont l'existence est assez précaire et menacée pour qu'il soit besoin de ménager les individus ;


e. S'accommoder en apparence de toutes les lois, de tous les usages auxquels il est impossible de se dérober. Ne pas nier ouvertement le pacte social ; biaiser avec lui quand on est le plus faible. L'individualiste, d'après M. R. de Gourmont, est celui qui " nie, c'est-à-dire détruit dans la mesure de ses forces le principe d'autorité. C'est celui qui, chaque fois qu'il le peut faire sans dommage, se dérobe sans scrupule aux lois et à toutes les obligations sociales. Il nie et détruit l'autorité en ce qui le concerne personnellement; il se rend libre autant qu'un homme peut être libre dans nos sociétés compliquées (Rémy de Gourmont, Épilogue, II, p. 308.) "


Georges Palante, La sensibilité individualiste.



La sensibilité individualiste
http://kropot.free.fr/Palante-individu.htm






mercredi, janvier 04, 2012

Pauvreté & richesse



« La pauvreté, comme la richesse, est l'expression d'une société malade. »
Guy Gilbert





Guy Gilbert, le "prêtre des loubards", assène quelques vérités bien senties.


Tant que ceux qui possèdent...

Un pauvre qui ne pense qu'à être riche est aussi puant que celui qu'il jalouse. Un riche qui ne partage pas quelque chose de la pauvreté de celui qu'il veut aider restera toujours égoïste, fermé sur lui. Quand on ne donne que son superflu, tout don n'est que de la merde.

Tant que ceux qui possèdent, qui savent et qui ont le pouvoir, décideront pour ceux qui n'ont rien, ne sont rien et n'ont aucun pouvoir, les pauvres de la terre le resteront.

Les opprimés se libéreront par eux-mêmes. Leur libération ne doit partir que d'eux. Elle ne sera efficace que si elle est conduite par les exclus eux-mêmes.

Nous ne sommes, nous, que leurs alliés possibles restant à leurs côtés pour qu'ils mènent à bien leur libération. Ce que je dis est valable pour les jeunes de la rue. Comme pour les prisonniers. De multiples gestes se font au service de ces derniers. Mais je leur répète de prison en prison, en allant les visiter : « Votre dignité, c'est vous et vous seuls qui la gagnerez. Votre liberté d'homme et de femme, à l'intérieur des prisons, c'est vous et vous seuls qui la légitimerez. Nous, dehors, on est là seulement pour vous aider. La prison sera votre lieu de libération collective ou celui de votre enchaînement individuel. »

La rue et ses valeurs

Dans la rue, j'ai découvert une immense et merveilleuse humanité. Ce sont des vivants, les jeunes de la rue. Solidaires dans leur souffrance et dans leur exclusion, ils m'ont fait découvrir des valeurs incomparables de solidarité, de coude à coude.

Ils s'aident, ils ont une force de résistance et une capacité créatrice inexploitées. Ils ont une culture, une langue, un sens aigu de l'autre, un regard très perspicace et pénétrant qui les aident, dans les situations difficiles, à trouver les réponses qui les sortiront de l'ornière.

A partir du moment où on les a fichés comme délinquants, nous pensons qu'ils ne sont rien et n'ont rien à nous apprendre. Alors qu'en réalité, en vivant avec eux, on découvre qu'ils sont, à leur manière, comme des prophètes. De façon négative, mais prophètes par leur manière de nous alerter sur l'avenir de la société. Ces jeunes la défient en allant plus loin qu'elle dans la course effrénée au fric, dans le chacun pour soi. La seule différence, c'est qu'ils ne thésaurisent pas. Ils grillent tout et jouent au riche.., l'espace d'un moment, jouissant dans la minute qui vient de tous les plaisirs que donne la puissance de l'argent... en n'oubliant pas leurs copains de misère avec qui tout est partagé. Quitte, le lendemain, à se retrouver dans la rue avec pas même vingt francs en poche pour l'achat d'un casse-croûte.

Je répète partout aux gens qui me valorisent « Ce que je suis, je le leur dois. » Leurs valeurs sont passées en moi. Je pense qu'aucun peuple auquel l’Église m'aurait confié n'aurait pu m'apporter autant. Pourquoi ? Parce qu'ils sont en France les plus pauvres parmi les plus pauvres. Et qu'ils sont MA FORCE. Depuis vingt-trois ans, je ne me suis appuyé que sur eux. Ma force, je la tiens de Jésus-Christ bien sûr, mais Jésus-Christ passant PAR EUX.

Alternative à la pauvreté :
la justice et la fraternité

La pauvreté est injuste, inhumaine. La démission des parents, la pauvreté matérielle, le chômage qui ont conduit en prison de multiples fois les jeunes avec qui nous vivons, la combinaison de tout ça, c'est l'injustice absolue.

Combien de fois, en les regardant, je me prends à rêver leur naissance dans un milieu normal, chaud et confortable ! Jamais alors ils n'auraient eu ce dégoût de la vie, cette violence qui durcit leurs traits, ce comportement difficile et cette désespérance qui me vrille le cœur.

Inhumaines, ces vies de pauvres qui, à seize ans, dans de multiples centres, avec d'innombrables éducateurs, ne désirent qu'une chose : s'accrocher à quelqu'un. Ils ne rêvent que d'être, enfin, quelqu'un pour quelqu'un. Rêve jusqu'ici irréalisable. La pauvreté, comme la richesse, est l'expression d'une société malade.

Seules la justice et la fraternité sont les deux fruits d'une société humaine et juste.
Juste si chacun peut participer à la construction d'une vie sociale plus humaine.
Juste si elle offre à chacun sa chance.
Juste si notre diversité est reconnue.
Juste si on encourage tout ce qui va vers le haut.

Guy Gilbert, Avec mon aube et mes santiags.


Avec mon aube et mes santiags





Dessin :



mardi, janvier 03, 2012

Prédateurs invisibles





Le sociologue Antonin veut comprendre une terrifiante énigme qui semble habiter le cœur d'un vaste monastère lamaïste. La mort frappe des personnes jeunes qui sont en relation avec ces ermitages tantriques.

J'allai dans ma chambre, afin d'envoyer à Tchang (Ismaël) la synthèse de mes observations, avec l'aide de mon fidèle ordinateur Powerbook dont la forme évoque un grimoire.

Cependant, une étrange sensation se produisit peu à peu dans ma poitrine, alors que je dactylographiais sur mon écran les impressions de cette journée. Une sorte d'oppression commençait à envahir le thorax, comme si j'étais en proie à une sorte de « stress » excessif. De plus quelques visages étranges de couleur noire apparurent, évanescents comme des hallucinations, lorsque je fermai les yeux. J'envoyai l'ensemble des informations, avec également mes questions à Ismaël concernant cette fugitive perception onirique, et cette sensation de poitrine serrée, si inhabituelle pour moi... [...]

(La réponse d'Ismaël Tchang)

Cher Antonin,

Merci de tes pages. Je réponds ce soir à ta question concernant ces effets indirects de ta curiosité. Il s'agit probablement de l'activation du système de protection subtil de l'institution dont tu as, sans t'en apercevoir, pénétré le champ, et outrepassé les lignes de force implicites, aujourd'hui. Ce « système » est indéfinissable. Il est nulle part et peut agir partout... Mais on le représente simplement ici sous la forme d'un « imagiShark » noir et grimaçant, agitant de la main droite un couperet et, de la gauche, un bol plein de sang. Il est montré trépignant un corps humain ou deux, de son pied aux longs ongles acérés.

Il servirait, outre à soulager les disciples de leurs peurs et de leurs conflits intérieurs, à asseoir l'autorité et les priorités qui président aux destinées du culte. Quelque chose attaque les opposants potentiels à ce dernier, en infligeant toutes sortes de sensations désagréables. Cela décourage ainsi des initiatives humaines, même valables, au moment où elles vont dans un sens qui est défavorable au système tantrique. La manière dont cela se passe est bien sûr impossible à comprendre.

Le bouddhisme et le Tibet constituent des couvertures idéales, puisqu'ils sont des symboles de non-violence. Il se peut très bien qu'en filigrane du monastère il n'y ait plus aujourd'hui de ce véritable bouddhisme ancien, sinon les peintures, les conversations et le vocabulaire de la méditation... Il m'a semblé, en effet, que les émotions hostiles et la volonté obtuse de certains disciples y sont transformées. Alors sont-elles simultanément utilisées comme « matériau » d'intimidation et de domination, en étant projetées sur d'autres à l'extérieur par un réseau invisible, complexe et incompréhensible ? Ces phénomènes peuvent même circuler, apparaître, disparaître, se jouant de l'espace. Rien de très engageant, n'est-ce pas !

Heureusement l'être humain est protégé, et le mystère de la vie nous entoure. Il y a des défenses qui peuvent nous préserver des imagiShark prédateurs, lorsque c'est nous qu'ils « attaquent ». Les psychologues appelleraient cela de la psycho-neuro-immunité (Résistance à la maladie due à des facteurs d'ordre psychologique). On devrait même parler de « socio-neuro-immunité » dans le cas où des groupes de personnes sont concernés. L'expérience en retraite me suggère que le système des « imagiShark » est assez coriace ! Il faut donc doter notre propre protection d'une résistance supplémentaire... Pour cela la méthode est aussi simple que le problème est... complexe ! Te souviens-tu de la manière effroyable, mais terriblement efficace, qu'utilisèrent les Communistes chinois sur le Toit du Monde ?

Dans les années 50, ils dominèrent sans difficulté les régions du Tibet où le lamaïsme était pourtant très puissant. Cette occupation utilisa les armes à feu et les camions de troupes, la torture et les massacres d'innocents, mais surtout et progressivement la stratégie du grand nombre. Les lamaseries étaient censées protéger le Toit du Monde des envahisseurs potentiels, avec les rituels des imagiShark. Les Chinois ont limité cette religion qui leur était hostile, en détruisant ses temples. Ils ont dilué cette culture puissante, par la foule des colons de Chine. Ayant dépassé la masse critique, l'effet de nombre a été efficace. C'était la manière aussi de neutraliser les magies de certains des cultes rendus aux imagiShark. Des disciples, acculés au désastre de leur tradition, se sont évidemment déchaînés contre le terrible envahisseur, en mettant leur courroux et leur religion au service de leur liberté humaine...

Les « imagiShark » sont des reflets, semble-t-il, d'une communauté et des personnes qui y vivent. Les effets désagréables que tu ressens puisent probablement à la passion religieuse des disciples, et surtout à l'esprit de corps qui les réunit. En somme, le nombre des fidèles est un facteur de l'efficacité de ces « effets spéciaux ». Il suffit de mobiliser, si l'on est victime, un nombre d'individus supérieur à celui qui est impliqué pour les produire. Il y a en tout cent eurolamas. Tu ajouteras les cent huit retraitants actuels. Tu additionneras à ce chiffre celui des cinq cents disciples fervents à l'extérieur. Ils vénèrent ces mêmes effigies terribles, et participent donc à ce système... Il faudra t'assurer d'un nombre plus grand d'amis et de relations ! [...]

Marc Bosche, Nirvana, le réveil des oiseaux.

L'auteur précise que son livre est un thrilleur initiatique, un récit qui fait frissonner (en anglais : « to thrill ») et révèle aussi une vérité cachée.

Les « imagiShark » sont les redoutables gardiens invisibles du lamaïsme, les dharmapalas qui auraient la mission de neutraliser, voire tuer, les ennemis des lamas.

Témoignage d'Arnagala :

"A la retraite d'Orléans, Namkhai Norbu nous parla longuement des "Gardiens". Ce sont des Bouddhas censés protéger les pratiquants. Mais s'adresser à eux est, pour diverses raisons, réputé être une tache dangereuse. Les pratiques qui leur sont consacrées sont donc longues et complexes. Après plusieurs années de réflexion sur la question, j'en vins à la conclusion que ces choses-là n'étaient pas pour moi. Certes, je sens la force des rituels, et j'apprécie de m'y plonger, mais cela reste une mise en scène symbolique, plus encore en ce qui concerne les Gardiens, les esprits et les rituels "violents" ou magiques en général. Surtout, cela me touche infiniment moins que les textes Dzogchen. Je décidais donc de ne garder qu'eux et, par respect pour Namkhai Norbu, qui nous demandais de croire que ces gardiens n'étaient pas QUE des personnifications mais aussi des personnes bien réelles, je cessais d'aller à ses retraites. "



lundi, janvier 02, 2012

Techniques du bonheur





Les chômeurs auront du travail, la dette de la France sera honorée, les populations retrouveront la foi dans le capitalisme et le docteur Roger Halfon deviendra le pape du Sohaming, la religion du bonheur.

L'éditeur de l’Évangile du bonheur (Le Sohaming, éditions Ambre, écrit par Saint Roger en personne), explique que Sa Sainteté Halfon, « a toujours considéré comme essentiel le fait de rechercher les causes de notre mal-être, afin de nous permettre de nous libérer de nos chaînes de souffrance, chaînes liées au fonctionnement de notre corps, de notre mental et de notre énergie basique nommée généralement l'âme. Il se trouve que les techniques qui s'occupent de l'esprit paraissent négliger le corps, et celles qui s'en préoccupent oublient l'esprit. Faire une synthèse de ces différents éléments a conduit ainsi le docteur Halfon au Sohaming en référence au son tibétain So-ham qui désigne le lien existant entre toute forme de vie et l'infini ».

Les propagateurs de la foi So-ham, les apôtres du bonheur, maudissent l'agnosticisme de « malheur » et ses lugubres oiseaux qui prennent leurs plumes pour contredire Roger Halfon : « So-ham vient du sanskrit (सो ऽह), donc de l'Inde pas du Tibet, et signifie littéralement « Lui je suis », expression qui identifie l’âme du pratiquant (Âtman) au Brahman. »

En revanche, les heureux bénis, ceux qui ont la foi béatifique, trouveront dans la Bible de Sa Sainteté Roger Halfon le secret du bonheur d'avoir :

Exercices de l'avoir par Roger Halfon

EXERCICE N° 1

But de l'exercice : Savoir que l'on peut avoir.

Déroulement de l'exercice :

Première étape

Regardez à l'endroit où vous vous trouvez un objet que vous pourriez posséder.

Deuxième étape

Prononcez à voix haute en désignant l'objet la phrase suivante : « Je peux avoir cet objet » (nommer alors à voix haute l'objet). Recommencez 10 fois cet exercice.

EXERCICE N° 2

But de l'exercice : Renforcez la qualité à avoir par le contact.

Déroulement de l'exercice.

Première étape. Allez toucher dans l'endroit où vous vous trouvez un objet que vous pouvez avoir.

Deuxième étape :

Comme précédemment, dites à voix haute, en touchant cet objet : « Je peux l'avoir », nommez à voix haute l'objet. Cet exercice est à pratiquer 10 fois.

Source, Le Sohaming, exercices pratiques pour la santé, le bien-être et le bonheur, pages 110 et 111.


N'est-il pas merveilleux de savoir que l'on peut avoir un objet que l'on possède déjà ?





So-ham, mantra « tibétain » pour gens heureux



La photo de la vidéo est une représentation du mantra AUM ou OM (de l'hindouisme.


Le Sohaming
Exercices pratiques pour la santé, le bien-être et le bonheur




Dessin : 
Imbécile heureux.

dimanche, janvier 01, 2012

Notre avenir




Tant que l'on n'a pas bien compris la liaison de toutes choses et l'enchaînement des causes et des effets, on est accablé par l'avenir. Un rêve ou la parole d'un sorcier tuent nos espérances ; le présage est dans toutes les avenues. Idée théologique. Chacun connaît la fable de ce poète à qui il avait été prédit qu'il mourrait de la chute d'une maison ; il se mit à la belle étoile ; mais les dieux n'en voulurent point démordre, et un aigle laissa tomber une tortue sur sa tête chauve, la prenant pour une pierre. On conte aussi l'histoire d'un fils de roi qui, selon l'oracle, devait périr par un lion ; on le garda au logis avec les femmes ; mais il se fâcha contre une tapisserie qui représentait un lion, s'écorcha le poing sur un mauvais clou, et mourut de gangrène.

L'idée qui sort de ces contes, c'est la prédestination que des théologiens mirent plus tard en doctrine ; et cela s'exprime ainsi : la destinée de chacun est fixée quoi qu'il fasse. Ce qui n'est point scientifique du tout ; car ce fatalisme revient à dire : « Quelles que soient les causes, le même effet en résultera.» Or, nous savons que si la cause est autre, l'effet sera autre. Et nous détruisons ce fantôme d'un avenir inévitable par le raisonnement suivant ; supposons que je connaisse que je serai écrasé par tel mur tel jour à telle heure ; cette connaissance fera justement manquer la prédiction. C'est ainsi que nous vivons ; à chaque instant nous échappons à un malheur parce que nous le prévoyons ; ainsi ce que nous prévoyons, et très raisonnablement, n'arrive pas. Cette automobile m'écrasera si je reste au milieu de la route ; mais je n'y reste pas.

D'où vient alors cette croyance à la destinée ? De deux sources principalement. D'abord la peur nous jette souvent dans le malheur que nous attendons. Si l'on m'a prédit que je serai écrasé par une automobile, et si l'idée m'en vient au mauvais moment, c'est assez pour que je n'agisse pas comme il faudrait ; car l'idée qui m'est utile à ce moment-là, c'est l'idée que je vais me sauver, d'où l'action suit immédiatement ; au contraire, l'idée que j'y vais rester me paralyse par le même mécanisme. C'est une espèce de vertige qui a fait la fortune des sorciers.

Il faut dire aussi que nos passions et nos vices ont bien cette puissance d'aller au même but par tous chemins. On peut prédire à un joueur qu'il jouera, à un avare qu'il entassera, à un ambitieux qu'il briguera. Même sans sorcier nous nous jetons une espèce de sort à nous-mêmes, disant : « Je suis ainsi ; je n'y peux rien. » C'est encore un vertige, et qui fait aussi réussir les prédictions. Si l'on connaissait bien le changement continuel autour de nous, la variété et la floraison continuelle des petites causes, ce serait assez pour ne pas se faire un destin. Lisez Gil Blas ; c'est un livre sans gravité, où l'on apprend qu'il ne faut compter ni sur la bonne fortune ni sur la mauvaise, mais jeter du lest et se laisser porter au vent. Nos fautes périssent avant nous ; ne les gardons point en momies.

Émile Chartier, dit Alain, Propos sur le bonheur.


Avenir & « Mo » tibétain

Très éloigné des sages propos d'Alain ou de la véritable philosophie bouddhiste, le lamaïsme accorde une grande importance à la connaissance de l'avenir. La pratique de la divination est donc très répandue parmi les lamas. L'un d'eux, un lama-yogi du nom de Choekyi Wangpo, doit sa prospérité aux sectateurs du Vajrayana qui, contrairement à ce que l'on clame partout, ne trouvent pas la sérénité dans la méditation. Ils ont besoin de consulter des lamas devins pour apaiser leurs angoisses.

La Buddha Connection soutien les charlatans du Bouddha en répandant cette sorte de « bonne nouvelle » :

Le Mo est la version tibétaine de la divination. Le système du Mo est tout à fait unique et remonte au 7ème siècle. Aujourd’hui, il est seulement pratiqué par le célèbre maître de « Chöd » et guérisseur, le Vénérable Kalsang Rinpotché qui a en hérité de son père, le dernier « Chatral Pema Gyurme » et qui l’a lui-même transmise à ses fils, le Vénérable Karma Rinpotché et le Yogi Choeki Wangpo Kalsang.

Yogi Wangpo Kalsang dirige la puissante cérémonie "Chöd Tshog Richen Trenwa" pour une thérapie de groupe. La cérémonie Chöd étend la thérapie aux problèmes émanant de problèmes soit temporaires, soit résultant de la dette karmique. Chöd, signifiant « coupure », est une pratique bouddhiste tantrique qui vise à couper les liens avec l’ego. Dans le bouddhisme tantrique tibétain le Chöd est enseigné aux débutants pour l'accumulation de mérites. Il y a d’autres bienfaits qui peuvent être tirés de la pratique Chöd. Elle pourrait notamment aider l'enlèvement total d'obstacles subconscients dont la prise de conscience est une chose difficile

INITIATION DE CHOD : 25€, Journée complète : 45€

RITUEL DE LIBERATION CHÖD TSHOG RINCHEN TRENWA : Prix pour la journée : 45 €

PUJA DU FEU (POUR ACCROITRE LA FORCE DE VIE) : 25€


Divinations et entretiens personnels possibles tous les jours sur rendez-vous : Suggestion de don : 50 €
Pour obtenir une divination ou un entretien, appelez B... au 01.45...


D'après l'affiche du film La Coupe (Phörpa titre original tibétain , The Cup titre anglais) est un film australo-indien de Khyentse Norbu.



Dessin :
http://www.laliberte.ch/dessins

Le Saint-Empire Euro-Germanique

"Sous Ursula von der Leyen, l'UE est en train de passer d'une démocratie à une tyrannie."  Cristian Terhes, député europée...