Les
échanges entre ces deux médecines sont très anciens. C’est
vraisemblablement à la notoriété qu’elle avait acquise en Perse
avant l’islamisation, que la médecine indienne doit d’avoir été
activement étudiée au début de la formation de la médecine arabe.
Certains
traités médicaux d’origine indienne ont été transmis au Moyen
Age islamique par l’intermédiaire d’une première traduction
persane, suivie d’une traduction
en arabe. A côté de cette tradition qui va du sanskrit au pahlavi
puis à l’arabe,
il existe une voie directe du sanskrit à l’arabe, liée à la
présence de nombreux médecins indiens attachés à la cour
abbasside de Bagdad, qui prenaient naturellement part à la vie
intellectuelle de cette communauté. Ainsi, c’est sous le règne du
fameux calife Hârun al-Rashid (786-809) que le célèbre traité de
chirurgie ayurvédique de Susruta a été traduit en arabe.
Un
des plus anciens traités de médecine en langue arabe, le "Firdaws
al-Hikma" (ca 850), d’Alî Ibn Sahl al-Tabarî, témoigne de la
présence de la médecine indienne dans la pratique médicale de
l’époque. Dans ce traité, fondé sur la médecine d’Hippocrate
et de Galien, al-Tabarî mentionne des médicaments et des recettes
indiens, et, dans un appendice, il expose le système de l’Ayurveda
en s’appuyant sur les grands corpus médicaux sanskrits de Caraka,
Susruta, Vagbhata et Madhava.
Au
XIe siècle, Ibn Butlan de Bagdad, dans son "Taqwim al-Sihha", un
traité de médecine
préventive, se réfère abondamment au médecin Shark al-Hindi
(Caraka l’Indien).
Dans le chapitre XII de son "Uyûn al-Anba fî Tabakât
al-atiba", Ibn Abî Ushaybi’a
(1194-1270) dresse la biographie de six médecins indiens devenus
célèbres en terre d’Islam. L’élargissement considérable de
l’aire géographique couverte par l’empire islamique, lié à
l’expansion musulmane, explique la grande richesse et la
remarquable variété de la botanique et de la pharmacopée arabes du
Moyen Age islamique. On y relève bon nombre de plantes et de
substances médicamenteuses dont les noms arabes sont directement ou
indirectement – par l’intermédiaire du pahlavi – dérivés du
sanskrit, ce qui prouve leur origine indienne. A titre d’exemple,
le "Kitab al-sunun" (Livre des poisons), rédigé en sanskrit au IVe
siècle avant J.-C., fut traduit en pahlavi puis en arabe. L’ouvrage
enrichit la pharmacopée arabe d’éléments purement indiens qui
s’ajoutèrent à la pharmacopée gréco-arabe déjà existante.
Adoptée
par les populations musulmanes de l’Inde et du Pakistan, la
médecine arabe a connu, dans ces lointaines contrées, des
développements nouveaux. Elle s’y est répandue sous le nom de
Tibb-i yûnânî, « médecine yûnânî » (littéralement «
médecine ionienne », en raison de ses nombreux emprunts à la
médecine grecque). Traitant de cette médecine, il existe une
immense littérature qui a été négligée par les historiens. Elle
nous éclaire pourtant sur l’aspect syncrétiste de la médecine
yûnânî, qui fait à la fois son originalité et son intérêt.
Hossam
Elkhadem, professeur d’histoire des sciences arabes à l’Université
libre de Bruxelles.