Le 9 avril 2013, Bruno Le Maire, ancien
ministre UMP, a déclaré au micro de Pascale Clark (France inter) :
« Notre démocratie est
devenue depuis des années une aristocratie. On le sait depuis des
mois et des mois. (…) Un système de castes... Système de castes ça
veut dire que le corps des élus a mis en place un certain nombre de
protections, un certain nombre d'avantages et ne se rend même plus
compte que ces avantages sont devenus inacceptables pour les citoyens
français. (…) Je veux qu'on revienne à l'essentiel. L'essentiel
c'est qu'on refonde la démocratie français... »
Pour une partie de la population,
galvanisée par la lutte contre le "mariage pour tous", la refonte
démocratique et la moralisation de la vie politique signifient le
retour du sacré.
Les
institutions sacrées
« Les
institutions sacrées sont des prisons, disait le moine bouddhiste
Bouddhadasa Bhikkhu.
[…] Ou encore, ces lieux tellement uniques et prestigieux
que quiconque en devient membre devient, de fait, à son tour, unique
et prestigieux. Il existe partout bon nombre de lieux et
d'institutions de la sorte. Dès qu'elles adhèrent à telle
association, telle organisation, tel institut ou établissement,
certaines personnes commencent à se monter la tête et tirer orgueil
de cette affiliation. Elles pensent : « Nous sommes meilleurs qu'eux
», « Nous seuls avons raison, les autres ne sont que des ignorants
». Ces personnes adhèrent sans la moindre réflexion préalable, ou
pensée critique. C'est ainsi que certaines institutions, voire
certaines églises – il faut bien le dire – deviennent des
prisons. […]
Vous
devez pouvoir penser librement, étudier les choses avec attention et
pouvoir les évaluer de manière critique ; comprendre et n'accepter
que ce qui est vraiment bénéfique. Ne restez pas prisonniers de
l'une ou l'autre de ces institutions prestigieuses ou réputées.
Les
maîtres
Maintenant,
nous arrivons à cette prison appelée « Ajahn »
(enseignant, maître ou gourou), ces fameux maîtres dont le nom
résonne jusque très loin. En Birmanie, il y a « Sayadaw Ceci
» ; au Sri Lanka, « Bhante Cela » ; au Tibet, « Lama
Untel et Untel » ; en Chine, « Maître Machin » … Chaque
lieu a son célèbre enseignant dont le nom est réputé. Quels que
soient le pays, la région, la province
ou la commune, chaque endroit a son « Grand Gourou ». Les gens
s'attachent à l'idée que leur maître est le seul maître
véritable, celui qui possède la vérité, les autres étant tous
dans l'erreur totale. Ils refusent d'écouter les autres enseignants
mais ils ne réfléchissent pas pour autant aux enseignements de leur
propre Ajahn, ils ne les approfondissent pas. Ils sont piégés dans
la « prison du Maître ». Ils transforment leur maître en prison
et s'y laissent enfermer. Ceci est un attachement vraiment ridicule.
Que ce maître soit réputé ou non, il s’agit tout de même d’upadana («
attachement », « saisie », « avidité ») . Ils
continuent à bâtir des prisons à partir de l'idée qu'ils se font
de leurs maîtres et gourous. Veillez à ne pas vous laisser piéger,
même par cette forme de prison.
Les
choses saintes
La
prison suivante est celle des écritures saintes que l'on peut
trouver partout. Ce sont parmi les gens ayant peu de sagesse que l'on
trouve ceux qui sont le plus attachés à ces choses et qui les
considèrent comme « sacrées ». Celles-ci peuvent même devenir
des doublures ou des substituts à Dieu. C’est comme si le simple
fait de mentionner les livres sacrés équivalait à trouver
véritablement de l’aide. Cela conduit à la multiplication des
objets sacrés : saintes reliques, eau bénite et toute une variété
d'objets de croyance. Soyez attentif à ce mot « sainteté » car il
pourrait se transformer en prison avant même que vous ne vous en
aperceviez. Plus une chose vous paraît sacrée, plus elle peut vous
piéger. Méfiez-vous de tout ce qui est considéré comme « saint »
ou « sacré ».
Vous
devez savoir qu'il n'y a rien de plus sacré que la Loi de la
Conditionnalité – Idappaccayata –, elle est la plus
sainte de toutes les choses. Le reste n’est considéré comme «
saint » que par convention ou parce qu'un grand nombre de gens
s'accordent à penser ainsi ; c’est upadana qui crée cette
sainteté. Là où il y a sainteté du fait d'upadana, il y a
prison. Idappaccayata, la Loi de la Conditionnalité, est
sacrée en elle-même, sans qu'il y ait besoin d’attachement. Il
n'y a pas de place pour upadana. Elle commande déjà tout et
elle est véritablement sainte par elle-même. S'il vous plaît, ne
vous laissez pas piéger dans la prison des objets sacrés. Ne faites
pas de ces objets sacrés une prison pour vous-même.
La
bonté
La
prison suivante est très importante parce qu'elle nous entraîne
dans toutes sortes de complications. Cette prison est ce que l'on
appelle « bonté ». Tout le monde aime faire le « bien » et on
enseigne tous aux autres à faire le bien. Puis on s'attache à ce
qui est « bien ». Dès lors, upadana se mêle à ce qui est
bon et cette bonté devient une prison. Vous devez être bon,
pratiquer la bonté, sans ajouter upadana – alors cette
bonté ne sera pas une prison. Mais s'il y a upadana, elle
deviendra une prison. Comme nous l’avons dit, les gens s’entichent
des bonnes actions, s’enivrent de bonnes actions, se perdent dans
les bonnes actions jusqu’à ce que cela devienne un problème.
Soyez donc extrêmement attentif à ne pas transformer la bonté en
prison. Mais il n'y a rien que nous puissions faire maintenant, tout
le monde est captif de la prison de la bonté – aveuglément,
inconsciemment emmuré dans la prison du « bien ».
Si
vous êtes chrétien, je vous propose de bien réfléchir et de
beaucoup méditer sur ce qu'enseigne le Livre de la Genèse où Dieu
interdit à Adam et Eve de manger le fruit de l'Arbre de la
Connaissance du Bien et du Mal. N'allez pas le manger ! Sinon, il
vous amènera à faire la distinction entre le bien et le mal ; de ce
fait, vous serez lié par upadana au bien et au mal, et le
bien et le mal deviendront des prisons. Cet enseignement est très
profond et bénéfique, des plus sages et intelligents qu'il soit,
mais personne ne semble bien le comprendre. Les gens n'y prêtent que
peu d'intérêt et ne peuvent donc être de vrais chrétiens. S'ils
étaient de véritables chrétiens, ils ne s'attacheraient pas ainsi
avec upadana au bien et au mal. Nous ne devons pas transformer
le bien et le mal en prisons. Cela signifie qu'il ne faut pas se
laisser prendre dans la prison de la bonté.
Nous
avons mangé le fruit : est venue la connaissance du bien et du mal.
Nous avons ensuite été pris et tiraillés entre le bien et le mal.
Nous connaissons depuis lors ce problème incessant. C'est ce que
l'on appelle : « le péché originel », ou parfois « le péché
perpétuel ». C’est devenu une « prison originelle » ou «
prison perpétuelle ». Soyez vigilants, ne vous laissez pas prendre
dans cette prison originelle
ou perpétuelle. Ne vous laissez jamais enfermer dans cette prison.
Être
tenu emprisonné par la bonté, ou le bien, amène à chercher une
bonté plus grande, à rechercher la bonté suprême. La bonté
suprême deviendra alors la prison suprême. Et, poursuivant ainsi,
Dieu deviendra la prison suprême. J’espère que vous comprendrez
et vous souviendrez que c’est ainsi qu’upadana construit
des prisons.
Les
opinions
La
prison suivante est notre propre ditthi. Le terme pali ditthi
est difficile à traduire. La connaissance, les pensées, les
idées, les théories, les opinions, les croyances, les
interprétations – tout cela est ditthi. Ditthi désigne
toutes nos pensées personnelles, nos opinions, nos théories et nos
croyances. Ce ne sont pas seulement certaines opinions et croyances
mineures, mais la globalité de celles-ci, toute notre vision des
choses. Tout ce qui nous permet d’évaluer notre vécu est appelé
ditthi. Nous sommes pris dans la prison de notre vision des
choses. Nous n'obéissons à rien d'autre qu'à notre ditthi.
C'est la plus terrifiante des prisons parce que nous fonçons
tête baissée, de manière impétueuse, téméraire et précipitée
au gré de nos propres idées. Nous tournons le dos aux choses qui
nous seraient bénéfiques, nous les perdons de vue parce que notre
esprit se ferme à tout se qui est différent de nos idées, nos
croyances et nos opinions. Ainsi, ces opinions deviennent-elles une
horrible prison qui nous retient et nous enferme dans une
compréhension bornée. Méfiez-vous de la prison de votre propre
ditthi.
La
pureté est la plus subtile des prisons
Nous
en venons ensuite à une forme de prison vraiment étrange et
merveilleuse, que vous pourriez appeler « la plus subtiles des
prisons ». Cette prison raffinée est ce que l'on nomme « innocence
» ou « pureté ». Il est difficile de comprendre exactement ce que
l'on entend par ces mots. Nous entendons un tas de discours au sujet
de l'innocence et de la pureté, mais les gens ne semblent jamais
savoir de quoi ils parlent. On s’attache et on se lie à cette
pureté, on l’apprécie tant et plus, on la vénère, on l’utilise
pour s’en vanter ou se comparer aux autres, on s’enorgueillit de
ce « je » si pur ! Mais s'il y a upadana, ce n'est alors que
de la pureté mêlée d'upadana, et non de la pureté
véritable. Il y a différentes formes de pureté que l’on affiche
par attachement comme les bains rituels, les incantations, les
différentes formes de bénédictions par onction, aspersion, etc.,
et toute une myriade de rites et de cérémonies de « purification
». Cette forme de pureté est de l’attachement pur, et la pureté
liée à l'attachement est une prison. S'il vous plaît, ne vous
perdez pas, ne finissez pas dans cette prison nommée « pureté ».
C'est
quelque chose de pitoyable à voir. Etre à ce point attaché à
l'ego, être à ce point attaché à la pureté que certaines
croyances religieuses vont jusqu'à enseigner une forme de pureté
éternelle où une
sorte d'âme éternelle demeurerait dans une espèce d’éternité.
Tout cela vient de l'attachement à la pureté à travers upadana,
attachement qui amène à se retrouver emmuré dans une prison
éternelle. Cela ne peut que se terminer en une prison éternelle.
Il
s’agissait là de la dernière, de l'ultime prison. Echappez-vous
de la prison de la plus grande pureté ! Evadez-vous de la prison la
plus pure pour entrer dans la vacuité, libre de toute âme et de
tout «
moi ». Ne pas avoir de soi, vivre libéré de l'ego, l'absence d'un
soi, de toute sensation de soi, effacer toute idée et notion de soi
– voici la pureté vraie. Toute pureté vraiment éternelle ne peut
en aucun cas être une prison à moins d'en avoir une compréhension
erronée et de s'y attacher comme à une forme de soi ou d'âme,
auquel cas cela devient à nouveau une prison. Lâcher prise sans
équivoque, être libéré de toute notion de soi : voilà la pureté
réelle. Ce n'est pas une prison. La vacuité est la pureté qui
n'emprisonne pas.
On
découvre ainsi que la prison véritable, qui est l'assemblage de
toutes les prisons que nous venons de mentionner ici, est ce que l'on
appelle « atta » en pali, le « soi » ou « l'âme ». La
prison est soi. Cet ego est la prison. Toutes les formes de prisons
sont comprises dans ces mots : « ego » ou « moi ». Tout revient à
cela. S'attacher au soi en tant qu'entité et penser que cela est
mien, être épris de ce « je », ce « mien », telle est la prison
véritable, le cœur et l'âme de toutes les formes de prison. Toutes
les prisons sont réunies dans ce mot « atta ». Arrachez la
folie qui crée l'atta, en même temps que l 'atta
lui-même, et toutes les prisons disparaîtront. »
Bouddhadasa
Bhikkhu