vendredi, novembre 30, 2012

La mondialisation





La mondialisation, aujourd'hui, c'est surtout la suppression des entraves au libre-échange et l'intégration des économies nationales grâce à l'action d'une série d'institutions conçues pour amener la croissance économique à tous. Cette mondialisation-là est la fille d'un libéralisme dogmatique. Ce que nous voulons, c'est une économie respectueuse. Ce libéralisme-là est obsédé par la croissance, on a vu les dégâts. Comme le dit Riccardo Petrella : « Le résultat de la mise en pratique des principes de la Sainte Trinité de la Libéralisation des marchés, de la Déréglementation et de la Privatisation de l'économie est très clair : partout on démantèle ou on réduit significativement le pouvoir d'orientation et de contrôle des acteurs publics, à commencer par les parlements, expression centrale de la représentation politique des citoyens en régime démocratique. Les parlements ne fixent plus l'ordre du jour et des priorités de leur pays. L'ordre du jour est fixé par les acteurs privés et en particulier par les marchés financiers mondiaux. » « Dès lors, le mot-clé est « adaptation ». Il faut — dit-on — s'adapter à la mondialisation. Ceux qui ne s'adaptent pas seront éliminés. D'où l'impératif de la compétitivité mondiale de tous contre tous. » « Cette conception se base sur l'idée selon laquelle le sens actuel de l'histoire des sociétés contemporaines est celui de l'évolution nécessaire, inexorable et inévitable vers la constitution d'un grand marché mondial unique, intégré, autorégulateur. »

Dans cette logique-là, on veut mettre l'État de côté et laisser faire les forces financières. Encore une erreur majeure. C'est vite oublier que le rôle de l'État, c'est préserver l'intérêt général alors que les financiers s'attachent logiquement à leur intérêt propre. C'est pourquoi on invoque très souvent les progrès technologiques ou la concurrence internationale pour expliquer et justifier les destructions des tissus économiques et sociaux de régions entières, l'abandon des villes, régions et pays qui ne parviennent pas à réaliser à temps et avec compétitivité la reconversion de leur économie en adaptation aux changements sur l'échiquier économique mondial.

La traduction essentielle de la mondialisation, c'est donc la mise en place d'un immense marché mondial.

La question « numéro un » est cela est-il bénéfique ou néfaste au bien-être durable ?
C'est néfaste, sauf des avantages à court terme pour des Asiatiques disciplinés.

Qui a décidé cette mondialisation ?
Les grandes entreprises dont le souci majeur n'est pas l'intérêt général, ce n'est pas leur fonction.

Peut-on faire autrement ?
Oui, c'est une question purement politique. En effet, le FMI (Fonds Monétaire International), la Banque Mondiale et l'OMC sont les maîtres d’œuvre de cette mondialisation. Pour qu'un pays obtienne un financement du FMI, il doit écouter ses « experts ». Le problème, c'est que ces « experts » sont obsédés par la croissance et le libre-échange. Même si tout n'est pas condamnable, il faut trier, réfléchir : la mondialisation n'améliore pas le sort de ceux qui ont le plus besoin des bienfaits qu'elle promet. Les Occidentaux estiment que les emplois mal payés chez Nike relèvent de l'exploitation mais, pour de nombreux habitants du monde en développement, travailler en usine vaut mieux que rester désœuvré. L'ouverture du marché jamaïcain aux exportations de lait des États-Unis, en 1992, a été néfaste pour les producteurs laitiers locaux, mais elle a permis aux enfants pauvres d'avoir du lait meilleur marché.

En 1997 et 1998, la crise asiatique a menacé l'ensemble de l'économie mondiale. La mondialisation et l'introduction d'une économie de marché n'ont pas produit les effets promis en Russie, ni dans la plupart des autres économies engagées dans la transition du communisme au marché. L'Occident avait dit à ces pays que le nouveau système économique allait leur apporter une opulence sans précédent. Il leur a apporté une pauvreté sans précédent. À bien des égards, et pour la grande majorité des habitants, l'économie de marché s'est révélée encore pire que leurs dirigeants communistes ne l'avaient prédit. On ne saurait concevoir plus frappant contraste qu'entre la transition de la Russie, mise en œuvre par les institutions économiques internationales, et celle de la Chine, conçue par elle-même. En 1990, le PIB de la Chine représentait 60 % de celui de la Russie. Dix ans plus tard, c'est l'inverse, comme le démontre Stiglitz dans La Grande Désillusion. La pauvreté a augmenté en Russie, diminué en Chine. Si les bienfaits de la mondialisation ont été moindres que ne l'affirment ses partisans, le prix à payer a été lourd : l'environnement a été saboté, la corruption a gangrené la vie politique et la rapidité du changement n'a pas laissé aux pays le temps de s'adapter culturellement. Les crises, qui ont apporté dans leur sillage le chômage de masse, ont légué des problèmes durables de dissolution sociale — de la violence urbaine en Amérique latine aux conflits ethniques dans d'autres régions du monde comme l'Indonésie. On a créé le FMI parce qu'on estimait nécessaire une action collective au niveau mondial pour la stabilité économique. Le FMI est une institution publique, qui fonctionne avec l'argent que versent les contribuables du monde entier. Les grands pays développés mènent le bal, et un seul, les États-Unis, a un droit de veto effectif. Un demi-siècle après sa fondation, il est clair que le FMI a échoué dans sa mission. Le FMI a échoué dans sa mission initiale, promouvoir la stabilité mondiale. La plupart des pays industriels avancés ont édifié leur économie en protégeant judicieusement et sélectivement certaines de ses branches, jusqu'au moment où elles ont été assez fortes pour soutenir la concurrence étrangère. Concernant les contrôles sur les flux de capitaux, les pays européens ont interdit leur libre circulation jusqu'aux années soixante-dix. On pourrait dire qu'il est injuste d'exiger des pays en développement, dont le système bancaire fonctionne à peine, qu'ils se risquent à ouvrir leurs marchés financiers. Quand les institutions financières mondiales entrent dans un pays, elles peuvent écraser la concurrence intérieure. Elles seront plus généreuses quand il s'agira de consentir des prêts aux multinationales que pour faire crédit aux petites entreprises et aux agriculteurs locaux. La libéralisation des marchés des capitaux a mis les pays en développement à la merci des impulsions rationnelles et irrationnelles de la communauté des investisseurs, de leurs euphories et abattements irraisonnés. Keynes était tout à fait conscient de ces changements d'humeur qui semblent sans fondement. Nulle part ces errements n'ont été plus clairement à l'œuvre qu'en Asie. Peu avant la crise, le taux d'intérêt des bons d'État thaïlandais ne dépassait que de 0,85 % celui des bons les plus sûrs du monde : on les considérait donc comme extrêmement sûrs. Le FMI pèse lourd sur les questions de développement. Les pays en développement affrontent, à bien des égards, des difficultés beaucoup plus graves que les pays développés. C'est que, dans les premiers, les marchés font souvent défaut ; trop souvent, malheureusement, la formation des macroéconomistes ne les prépare guère aux problèmes qu'ils vont rencontrer dans les pays en développement. Les éléments extérieurs peuvent être utiles s'ils font connaître les expériences d'autres pays et proposent plusieurs interprétations possibles des forces économiques à l'œuvre. Mais le FMI voulait la place centrale dans la détermination de la politique. Et il pouvait l'occuper parce que sa position était fondée sur une idéologie — le fanatisme du marché — qui s'intéresse fort peu, voire pas du tout, aux situations et aux problèmes réels. Les économistes du FMI peuvent ignorer les effets immédiats de leurs mesures sur un pays : ils se contentent de se déclarer convaincus qu'à long terme il sera en meilleure posture. Pourtant, les plans et mesures ne peuvent être imposés, ils ne réussiront que si les pays se les approprient ; élaborer un consensus est essentiel ; les politiques et stratégies de développement doivent être adaptées à la situation du pays.

En Côte d'Ivoire, le service téléphonique a été privatisé. Une société privée a procédé à des hausses de tarifs d'une ampleur telle que, par exemple, les étudiants du supérieur ne pouvaient s'offrir la connexion à Internet, essentielle si l'on veut empêcher que l'écart, déjà énorme, dans l'accès au monde numérique entre les riches et les pauvres ne s'accroisse encore davantage. Le FMI soutient que le plus important, c'est de privatiser vite. Les problèmes de concurrence et de réglementation se régleraient ensuite. Le problème, c'est que, une fois que l'on a créé un intérêt privé, il a la motivation et les moyens financiers de maintenir sa position de monopole en étouffant réglementation et concurrence tout en semant au passage la corruption dans le milieu politique.

Les pays en développement qui ont le mieux réussi en termes de croissance, ceux d'Asie, se sont ouverts au monde extérieur, mais progressivement. Ils ont profité de la mondialisation pour augmenter leurs exportations, et leur économie en a bénéficié. Mais ils n'ont levé leurs barrières protectionnistes qu'avec précaution et méthode : seulement après avoir créé de nouveaux emplois. Ces États ont fait en sorte qu'il y ait des capitaux disponibles pour de nouvelles créations d'emplois et d'entreprises ; et ils ont même joué un rôle d'entrepreneur en lançant de nouvelles firmes. La Chine commence seulement à lever ses entraves au commerce, vingt ans après avoir entamé sa marche vers le marché — période où son développement a été très soutenu. C'est parce que la libéralisation du commerce a si souvent déçu — par la montée du chômage par exemple — qu'elle suscite une telle opposition.

Le système du marché exige des droits de propriété clairement établis et des tribunaux pour les faire respecter. Ce système suppose la concurrence et l'information parfaites, mais ce n'est pas le cas. Le « droit » est rare. Réformer sur un point sans réforme d'accompagnement sur les autres, risque en fait d'aggraver la situation. C'est un problème de calendrier. L'idéologie ignore ces questions, car elle veut passer le plus vite possible à l'économie de marché. Manifestement, la croissance n'améliore pas la vie de tout le monde. Quelques cas de développement réussi ont été précédés d'une réforme agraire — en Corée du Sud et à Taïwan par exemple. Réalisée correctement — en veillant à ce que les travailleurs n'obtiennent pas seulement la terre, mais aussi l'accès au crédit et à des services rapprochés de vulgarisation agricole qui leur enseignent l'usage des nouvelles semences et techniques de plantation, la réforme agraire pourrait être déterminante. Mais elle constitue un changement radical dans la structure de la société, et ce bouleversement ne plaît pas forcément à une certaine « élite ». Le débat croissance/pauvreté est une question de stratégie de développement. Il faut comprendre les causes et la nature de la pauvreté. Beaucoup sont prisonniers d'une série de cercles vicieux. Les problèmes d'alimentation entraînent des problèmes de santé qui diminuent les possibilités de gagner de l'argent, ce qui dégrade encore plus leur santé. Ayant à peine de quoi survivre, ils ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l'école, et ceux-ci, sans éducation, sont contraints à une vie misérable. La pauvreté se transmet d'une génération à l'autre. Les paysans pauvres ne peuvent pas s'offrir les engrais et les semences qui augmenteraient leur productivité. Ce n'est que l'un des nombreux cercles vicieux auxquels sont confrontés les pauvres. Partha Dasgupta, de l'université de Cambridge, en signale un autre. Dans des pays déshérités comme le Népal, ils n'ont souvent d'autre source d'énergie que les forêts voisines. Mais quand ils déboisent pour se chauffer et cuire les aliments, cela provoque l'érosion des sols, et cette dégradation de l'environnement les condamne à une existence toujours plus pénible. Si les habitants des pays développés s'alarment des insuffisances de l'assurance-maladie, ceux des pays en développement n'ont aucune assurance — ni chômage, ni maladie, ni retraite.

Depuis Keynes, il existe un « protocole », dirait votre médecin, pour un pays confronté à une grave récession économique : l'État doit stimuler la demande globale soit par la politique monétaire, soit par la politique budgétaire : réduire les impôts et accroître les dépenses, ou détendre la politique monétaire.

Cette politique économique est logique si on part du principe que la croissance est indispensable au bien-être et qu'elle est possible indéfiniment. Le problème n° 1, c'est que ces deux postulats sont faux ; le problème n° 2, c'est que les maîtres de la planète veulent que l'organisation mondiale repose là-dessus, le problème n° 3, c'est que ces maîtres du monde sont riches à titre individuel lorsqu'ils sont décideurs, mais leurs pays sont au bord de la banqueroute. Et, lorsqu'il n'y a plus d'avoine, les chevaux qui ont faim se battent. Les forts finissent par manger, les faibles crèvent. Est-ce une évolution juste du genre humain ? Les expériences communistes des pays de l'Est ou de Cuba démontrent que leur système est incompatible avec la réalité et qu'il se maintient au prix de la liberté. Mais les expériences libérales occidentales démontrent aussi des tares inacceptables où l'intérêt personnel sabote l'intérêt général et le long terme.

La mondialisation doit s'effectuer dans le cadre d'une économie respectueuse où l'État, garant de l'intérêt général, est fort. N'en déplaise aux ultra-libéraux. Mais la Russie, qui aura donc expérimenté en un siècle communisme forcené et libéralisme borné, prouve qu'un État fort est dangereux s'il est corrompu (par l'argent et/ou la soif de pouvoir) et/ou incompétent. Si la Russie n'était pas truffée de matières premières, la faillite serait inévitable. Elle a considérablement augmenté le nombre de pauvres, fait la fortune d'un tout petit nombre, et a ravagé les classes moyennes.

Les moyens de communication, de transport, rendent inévitable une certaine mondialisation et c'est bien car le monde est notre village. C'est bien car les différences sont enrichissantes.

Qu'il s'agisse du peuple français ou du peuple congolais, il doit assurer son rôle de contre-pouvoir par rapport à son gouvernement. Aujourd'hui, l'ignorance règne. Les résultats électoraux l'attestent. Dans certains pays, l'action du FMI est déterminante : en Russie, son opération de sauvetage de 1998 a été dictée par le souci de maintenir Boris Eltsine au pouvoir. Les décisions du FMI clans ce domaine ont été inextricablement liées aux jugements politiques de l'administration Clinton.

La mondialisation telle qu'elle est pratiquée est néfaste pour les pauvres du monde, pour l'environnement, pour la stabilité de l'économie mondiale. La transition du communisme à l'économie de marché a été si mal gérée que partout, sauf en Chine et dans quelques rares pays d'Europe de l'Est, la pauvreté est montée en flèche. Pour certains, la solution est simple : abandonnons la mondialisation. Ce n'est ni possible ni souhaitable. La mondialisation a apporté aussi des bienfaits. C'est sur elle que l'Asie orientale a fondé son décollage, notamment sur les échanges commerciaux et le meilleur accès aux marchés et aux technologies. C'est elle qui a permis certains progrès en matière de santé (chirurgie), et qui contribue à l'émergence d'une société civile mondiale dynamique luttant pour plus de démocratie et de justice sociale. Le problème n'est pas la mondialisation. C'est la façon dont on l'a pervertie. En particulier par les institutions économiques internationales, le FMI, la Banque mondiale et l'OMC. Elles agissent trop souvent en fonction des intérêts des pays industriels avancés — et d'intérêts privés en leur sein — et non de ceux du monde en développement. Mais la question n'est pas seulement qu'elles ont servi ces intérêts : trop souvent, elles ont eu de la mondialisation une vision étriquée, due à une idée dogmatique de l'économie et de la société. Laurence Benhamou auteure du Grand bazar mondial montre que le système ainsi perverti est absurde.

Le problème est dans les esprits, pas seulement dans les institutions. Prendre soin de l'environnement, faire en sorte que les pauvres puissent dire leur mot dans les décisions qui les touchent, promouvoir la démocratie et le commerce équitable : tout cela est nécessaire pour permettre les bienfaits potentiels de la mondialisation. Mais les institutions reflètent l'état d'esprit de leurs dirigeants. Le gouverneur de banque centrale s'inquiète des statistiques de l'inflation, et non de celles de la pauvreté. Le ministre du Commerce, des chiffres des exportations, pas des indices de pollution.

Jean Marc Governatori, Vivre c'est possible.



Vivre c'est possible.

Changer le monde, changer sa vie, c'est possible sans révolution. L'auteur dresse l'état des lieux de notre planète et crée une véritable "dynamique de l'espoir" nourrie de solutions concrètes.

L'auteur exprime une vision novatrice et crédible sur l'éducation, l'emploi, la santé, la justice, la protection de l'écosystème et de l'animal... Respect et responsabilité sont père et mère du "bien-être durable", idéal cher à Jean Marc Governatori. Ce défi pour une nouvelle société, dégagée de l'obsession "croissantielle", s'inscrit dans le sillon d'une Europe qui deviendra exemplaire pour les autres pays. Perpétuer les clivages entre la droite et la gauche, l'écologie et l'économie, la femme et l'homme, le fonctionnaire et le non fonctionnaire, l'entreprenant et le non entreprenant est suicidaire. Opposer les pays, les religions, aussi.

jeudi, novembre 29, 2012

Technique & parole





Au mois de mai 2012, en pleine campagne pour les législatives, le député sortant de la Creuse est menacé de mort. Immédiatement, la gendarmerie contacte tous les candidats afin de les rassurer. Ils peuvent continuer à répandre leur « bonne parole » sans crainte, la maréchaussée veille.

Aujourd'hui, je poursuis ma campagne pour la véritable démocratie et je reçois des e-mails de déséquilibrés qui aimeraient me faire taire et faire taire les internautes engagés dans une grande e-révolution pacifique. Révolution qui inquiète aussi l'ONU. Cette organisation mondialiste douteuse et son organisme l'Union internationale des télécommunications (en anglais International Telecommunication Union ou ITU) dont le siège est à Genève, en Suisse, œuvrent au contrôle de l'Internet.

Bien avant Internet, dans un texte écrit en 1952, le philosophe Georges Gusdorf (1912-2000) souligne l'importance des techniques de diffusion de la parole dans la transformation de l'homme.

« Chez les Grecs, écrivait Fénelon, tout dépendait du peuple, et le peuple dépendait de la parole » (Lettre à l'Académie, IV). La civilisation antique tout entière est une civilisation de la parole, qui incarne l'autorité, et permet seule de parvenir au pouvoir. L'histoire de l'antiquité, et l'homme même d'autrefois, ne nous deviennent vraiment intelligibles que si l'on tient compte de ce fait capital. Autrement dit, il y a une évolution de la parole à travers le temps. L'apparition de techniques nouvelles multiplie sa portée, en lui ouvrant des dimensions inédites qui transforment la structure même de l'existence. L'homme a cessé d'être seulement l'être qui parle, il est devenu l'être qui écrit et qui lit, et la face du monde s'en est trouvée transformée.

L'émergence de l'humanité supposait cette première révolution que constitue le passage du monde vécu au monde parlé. La réalité humaine se définit d'abord comme un ensemble de désignations, son unité est celle d'un vocabulaire. La première civilisation est une parole en expansion, et ce caractère suffit à nous donner la clef de la conscience mythique, puisque aussi bien mythe signifie parole (muthos). Au sein de ce genre de vie, la parole est liée à un support vivant, parole de quelqu'un, rapportée par quelqu'un. La seule réserve de parole, le seul procédé de conservation, est la mémoire personnelle, extrêmement développée, ainsi que la mémoire sociale, la tradition et la coutume Civilisation de l'on-dit, de la rumeur, où la parole peut tout, — civilisation de la formule, du secret, de la magie. L'autorité appartient aux anciens, aux vieillards en qui survit le trésor de l'expérience ancestrale, jalousement gardé, mais fragile et menacé, car si celui qui sait disparaît, personne ne saura plus. La découverte de l'isolé ne profite qu'à lui seul. Le patrimoine communautaire est suspendu à la continuité des hommes. Il ne peut être mis à l'abri, capitalisé en dehors du circuit des vivants ; il doit toujours s'affirmer en acte, et de ce fait ses limites sont celles-là mêmes des possibilités d'une mémoire humaine, avec ses déformations et ses fabulations.

Davantage encore, on peut penser que l'homme préhistorique, justement parce qu'il ignore l'écriture, ne sait pas parler tout seul. Il n'existe qu'au niveau de la conversation, c'est-à-dire de la participation. A la civilisation orale correspond une culture diffuse, une littérature anonyme où les œuvres non signées appartiennent à tout le monde et à personne. C'est l'âge patriarcal de l'épopée (étymologiquement : ce qu'on exprime par la parole), de la légende (ce qu'on raconte), de la ballade, du conte et du dicton, trésors populaires, fruits d'un inconscient collectif, paroles qui volent et vagabondent à travers le monde, paroles trop souvent envolées à jamais parce que, lorsqu'elles vivaient encore, personne ne s'est soucié de les fixer une fois pour toutes.

L'invention de l'écriture a bouleversé le premier univers humain, elle a permis le passage à un nouvel âge mental. Il n'est pas exagéré de dire qu'elle constitue un des facteurs essentiels dans la disparition du monde mythique de la préhistoire. La parole avait donné à l'homme la domination de l'espace immédiat ; liée à la présence concrète elle ne peut atteindre, dans l'étendue et dans la durée, qu'un horizon raccourci aux limites fuyantes de la conscience. L'écriture permet de séparer la voix de la présence réelle, et donc elle multiplie sa portée. Les écrits restent, et par là ils ont pouvoir de fixer le monde, de le stabiliser dans la durée, comme ils cristallisent les propos et donnent forme à la personnalité, désormais capable de signer son nom et de s'affirmer par delà les limites de son incarnation. L'écrit consolide la parole. Il en fait un dépôt qui peut attendre indéfiniment sa réactivation dans des consciences à venir Le personnage historique prend la pose devant les générations futures, il relate sur le basalte, le granit ou le marbre, la chronique de ses hauts faits.

Ainsi l'invention de l'écriture délivre l'homme du règne de la tradition et de l'on-dit. Une nouvelle autorité va naître, celle de la lettre substituée à la coutume, dans une ambiance sacrée. Car la première écriture est magique, de par ses prestigieuses vertus. Les premiers caractères sont hiéroglyphes, c'est-à-dire signes divins, réservés aux prêtres et aux rois. Le droit écrit apparaît d'abord sur les tables de la loi, que les dieux du ciel communiquent aux hommes. Le code divin remplace la tradition et stabilise l'ordre social en rendant possible une administration d'expansion indéfinie. La nouvelle autorité s'incarne en des hommes nouveaux, hommes d'écriture, lettrés, prêtres et scribes, qui mettent en œuvre l'efficacité de leur technique dans un secret jalousement gardé. La parole des dieux devient elle-même une Écriture sainte. Les grandes religions, Judaïsme, Christianisme, Islam reposent ainsi sur le dépôt d'un texte sacré dont les clercs et les commentateurs assurent la garde et l'interprétation.

L'écriture, la lecture sont donc d'abord le monopole d'une caste de privilégiés. Les lettrés forment une élite, qui se reconnaît à l'usage de la langue écrite, spécifiquement distincte de la langue parlée. Car « on n'écrit jamais comme l'on parle, note M. Vendryes ; on écrit (ou l'on cherche à écrire) comme les autres écrivent » (Le langage, p. 389). La langue vulgaire ne peut revêtir la dignité de l'écriture. Jusqu'à nos jours, la recherche du style est le signe distinctif de la langue écrite, et la moindre lettre nous oblige à recourir à des formules empruntées, qui n'interviennent jamais dans la conversation. Il existe en pays musulman, un arabe littéraire, langue morte qui se survit pour l'écriture, et un arabe dialectal, que l'on parle, mais que l'on n'écrit pas. On a pu dire, de nos jours, qu'un écrivain comme Valéry perpétuait dans ses livres la langue écrite du XVIIIe siècle qui, dès cette époque, se distinguait très nettement de la langue familière. Ainsi se maintient le caractère aristocratique de l'écriture, qui nous impose un régime d'archaïsme et de convention comme si le recours au papier et au porte-plume mobilisait en nous une autre conscience, distincte de la conscience parlante.

L'écriture a pourtant cessé d'être le privilège de quelques-uns Elle fait partie du minimum vital de l'homme d'aujourd'hui, du moins en Occident — car dans l'ensemble de l'humanité, on compte maintenant encore une majorité d'illettrés. Une nouvelle révolution technique est intervenue au XVIe siècle, avec la découverte de l'imprimerie, qui a bouleversé les conditions d'existence spirituelle en faisant passer la vie intellectuelle de l'âge artisanal à celui de la grande industrie. L'écriture, la lecture se trouvent désormais à la portée de tous. La consommation de papier imprimé ne cesse d'augmenter à mesure que se perfectionnent les techniques d'utilisation, si bien qu'aujourd'hui encore l'humanité souffre d'une crise latente, d'une véritable disette de papier journal. Dès le XVIe siècle, la diffusion du livre offre à chaque homme la possibilité, moyennant une initiation préalable, d'un accès direct à la vérité.

L'événement est d'une importance capitale : la vérité ne fait plus acception de personne, de caste ni de rang, L'esprit critique est né ; chaque homme est appelé à juger par lui-même de ce qu'il doit croire ou penser. L'humanisme de la Renaissance se fonde sur l'édition des classiques grecs et latins comme la Réforme est rendue possible par la diffusion de la Bible imprimée. Par une rencontre significative, la même assemblée du peuple qui décide, en 1536, l'adoption de la Réforme à Genève, décrète l'instruction publique obligatoire. Cette initiative mémorable dans l'histoire de l'Occident correspond à l'exigence de la nouvelle conscience religieuse qui veut aborder individuellement les textes sacrés En même temps d'ailleurs, et pour les mêmes raisons, se constituent les langues littéraires modernes. Le latin suffisait jusque-là aux besoins de l'élite des clercs. La promotion intellectuelle de masses de plus en plus importantes pour lesquelles l'écriture et la lecture ne sont plus un métier, mais un élément de culture et de vie spirituelle, entraîne la formation des langues écrites constituées à partir des dialectes simplement parlés.

La civilisation moderne est une civilisation du livre. L'imprimé se trouve si intimement associé à notre vie que nous avons quelque peu perdu le sens de son importance. Mais qu'un seul jour nous soyons privés de journal, et nous vérifierons l'exactitude de la formule de Hegel disant que la lecture du journal est la prière du matin de l'homme moderne. L'imprimerie nous donne l'espace et le temps, le monde et les autres. L'univers dans lequel notre conscience en chaque instant nous situe est l'expression de nos lectures, et non pas le résumé de notre expérience directe, tellement restreinte en comparaison. Le rôle de la parole ne cesse de diminuer, tandis que l'imprimé multiplie sans fin la possibilité de communication entre les hommes.

L'imprimerie n'est d'ailleurs pas seulement une technique de mise en relation. Elle exerce son influence sur la structure même de la conscience. L'homme qui écrit et qui lit n'est plus le même que celui qui doit à la seule parole proférée son insertion dans l'humanité. Les valeurs en jeu se modifient profondément. La parole est captive de la situation ; elle suppose un visage et un moment, un contexte d'émotion actuelle, qui la surcharge de possibilités extrêmes pour l'entente comme pour la discorde. Au contraire, l'écriture donne du recul. Elle soustrait le lecteur aux prestiges de l'actualité. Elle le renvoie de la présence de chair, à une présence d'esprit, de l'actualité massive, chargée de sentiment, à une actualité plus dépouillée, non plus selon l'événement mais selon la pensée. Le pamphlet le plus passionné laisse à l'esprit critique des possibilités d'intervention qu'une harangue exaltée supprime tout à fait. A cet égard, l'écriture paraît une réflexion de la parole, une première abstraction qui tend à souligner sa signification en vérité. La parole écrite s'offre à nous, privée de son orchestration vivante, à la fois parole et silence. L'absence, le silence ici comme une épreuve qui fait mûrir les décisions et confirme l'amour. Sans doute n'y a-t-il pas de plus haute réussite humaine que l'entente de deux êtres dans l'authenticité, la communion plénière de deux vivants. Mais en dehors de ces moments d'exception, l'écriture, qui fait parler les profondeurs et donne aux résonances le temps de s'éveiller, offre à la vie spirituelle d'immenses possibilités. Elle ressuscite les morts et permet à notre pensée de rencontrer dans le recueillement du loisir les grands esprits de tous les temps. Encore faut-il, pour que l'écrit prenne tout son sens, que le lecteur soit capable d'accueillir la grâce qui lui est faite. Tout dépend en fin de compte de son ouverture propre et de sa générosité.

La découverte de l'imprimerie a donc été pour l'humanité une véritable révolution spirituelle. Il semble que notre époque, témoin de l'éclosion de techniques nouvelles, se trouve sous le coup d'un bouleversement non moins radical, dont les conséquences nous échappent encore. Les moyens d'enregistrement et de transmission de la parole connaissent une prolifération extraordinaire : téléphone, télégraphe, photographie, phonographe, cinéma, radio, télévision prennent dans l'existence de l'homme d'aujourd'hui une place sans cesse croissante. Ce ne sont plus là des procédés d'écriture abstraite ; la voix, transmise dans toute sa qualité sonore, accompagne l'image même de la personne, retenue dans la fidélité de son geste total, avec son mouvement, sa couleur, et parfois même son relief. Nous assistons à une restitution globale de la réalité, comme si la civilisation contemporaine, civilisation de masse, qui rend les hommes absents les uns aux autres, s'efforçait de compenser cette absence en multipliant les possibilités de présence artificielle. L'homme d'aujourd'hui connaît la voix et l'image de tous les grands de la terre. Le cinéma, le journal illustré lui donnent vraiment une conscience planétaire.

Il est difficile sans doute d'apprécier les conséquences de l'évolution technique si rapide à laquelle nous assistons, et de prévoir en quoi seront différents de nous les hommes de demain, habitués à considérer comme banales des innovations qui nous paraissent quasi miraculeuses. Sans doute convient-il de se méfier d'un optimisme trop facile ou d'un pessimisme radical. Il est aussi absurde d'imaginer que l'homme lui-même deviendra meilleur par la magie des instruments nouveaux dont il dispose, que de se désoler parce que les moyens de dépaysement vont l'arracher à lui-même et l'abrutir à jamais. Tout au plus peut-on rêver à ce que sera une humanité où l'on n'aura plus besoin d'apprendre à lire, ni à écrire, lorsque l'usage généralisé du magnétophone permettra de fixer directement la parole et de l'écouter ensuite sans aucun chiffrage ni déchiffrement. Une pelote de fil remplacera le livre et l'imprimerie ne sera plus qu'un souvenir des temps archaïques. Une telle transformation ne bouleversera pas seulement la pédagogie. Elle modifiera la structure même de la pensée, — car la pensée n'existe pas en dehors de ses instruments, et comme préalablement à son incarnation. De même que la parole n'est pas un moyen d'expression, mais un élément constitutif de la réalité humaine, de même les techniques d'enregistrement mécanique feront très probablement sentir leur influence au niveau même de l'affirmation personnelle dans un sens qui demeure pour nous imprévisible. La civilisation du livre cédera la place à une civilisation de l'image et du son. Des arts nouveaux, dès à présent, prennent naissance et le génie humain voit s'ouvrir à lui de passionnantes aventures La technique doit s'approfondir en conscience, elle doit élargir la conscience que l'homme a de lui-même, et donc augmenter de provinces nouvelles la réalité humaine.

Georges Gusdorf, La parole.

mercredi, novembre 28, 2012

De l'exemple islandais à l'e-République




En France, les cinq millions de chômeurs ne sortiront pas de l'ornière sans se débarrasser d'une classe politique qui est à vomir. Il est temps de s'inspirer de la révolution pacifique islandaise pour en finir avec les bouffonneries de l'UMP, la trahison des socialistes, l'arrogance de l'oligarchie, la dictature de la finance internationale... 

Dans ma circonscription, durant les législatives de 2012, j'étais le seul candidat à la députation à préconiser la démocratie directe. Aujourd'hui, j'ajoute que la Ve République doit être renouvelée par une e-République.

Le droit à une e-démocratie

« L'application du principe démocratique, écrit Marie-Charlotte Roques-Bonnet, est déterminée par les trois premiers articles de notre Constitution : l'article 1er pose que « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». L'article 2 alinéa 5 pose le principe du « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Enfin, l'article 3 énonce la délicate interaction entre souverainetés nationale et populaire : « La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Pourtant, jusqu'à l'émergence du réseau, le compromis entre l'école représentative des « élites responsables » et l'école « participationniste » était fort théorique. Peut-être faut-il expliquer cette frilosité par les déconvenues occasionnées par le recours aux machines à voter et les expérimentations de vote électronique. Média interactif, média de l'abondance, espace d'expression directe libéré de toute censure et de toute ascendance gouvernementale, l'Internet devient le support d'une liberté d'expression et d'action qui caractérise la composante directe de nos démocraties. Il a incarné un premier enjeu démocratique, en devenant l'instrument du suffrage via l'e-vote. Le deuxième enjeu à relever dans la société numérique sera de définir ce qu'est l'e-démocratie, sa dimension politique et ses limites constitutionnelles. [...]

Un débat fondamental : la Ve République à l'épreuve de l'Internet

De la société hors ligne à la société en ligne, ce ne sont pas seulement nos pratiques et actions quotidiennes qui ont changé. C'est aussi notre République. Il convient donc de définir ce qu'est l'e-République. Ce qui devrait permettre de mieux comprendre comment la hiérarchie des normes a été bousculée par l'Interner. Parce qu'elle encadre des institutions, des droits et des normes redéfinis sur le modèle du réseau, la Constitution française basculerait du modèle de la pyramide à celui du réseau, c'est-à-dire du paradigme de la « supraconstitutionnalité » à celui de l'« identité constitutionnelle de la France », dont la Constitution reste le cœur.

De l'existence d'une e-République

Dans la première partie du XXe siècle, le modèle de l'État de droit présupposait un système juridique « autarcique ». Il était caractérisé par une production des normes autonome : la garantie des droits du citoyen français restait indépendante des autres systèmes de droit. Et la séparation des pouvoirs se construisait efficacement au sein de la seule République. Aujourd'hui, toute interaction avec des systèmes de droit subsidiaires et supranationaux est à l'origine d'un processus normatif en deux étapes : la création de normes subsidiaires à l'échelle communautaire (directives) et/ou internationale (conventions) et leur réception dans l'ordre normatif français (article 88-1 et article 53 de la Constitution). De manière inédite, à partir de 1992, simultanément à l'émergence de l'Internet, le pouvoir constituant devait admettre le basculement de l'« autarcie normative » à l'interactivité normative. C'est-à-dire le basculement vers un droit construit en réseau, produit pour partie au sein de l'État et, pour partie, au sein de l'Union en application du principe de subsidiarité.

L'e-République n'est pas un concept remettant en cause l'État de droit, mais le redéfinissant en partie par la subsidiarité normative. Face au réseau, « d'un point de vue de logique comme de pratique juridique, l'affirmation d'une hiérarchie dans un des ordres juridiques seulement ne semble plus véritablement défendable ». En marge du « fantasme de l'interconnexion généralisée de tous les terminaux, et l'avènement d'une culture transnationale, déracinée, mondiale » , il s'agit à présent d'observer les mouvements réels du droit. Et d'admettre que la pyramide des normes définie par H. Kelsen un siècle plus tôt ne reflète plus les modes de production du droit. Saisi « dans ses trois dimensions (institutionnelle, normative et substantielle), le droit constitutionnel tend à devenir un droit commun à tous les systèmes qui se veulent démocratiques ». Le réseau électronique universel stigmatise une transformation préexistante au réseau, et identifiée par L. Scheer comme la Constitution d'une société qui « connecte ou commute ».

S'il revient « à la technologie de s'adapter aux exigences fondamentales du droit » , il revient aussi au constituant d'adapter le Pacte à la société. Sans soutenir la thèse proposée par le professeur Macintosh ni la mise en place du site « http://www.etats.net » nous admettrons, à l'unisson avec M.-A. Frison-Roche, que, pour partie, « le droit doit se mettre à l'image de son objet : puisque son objet est ici un réseau mondial, les États doivent se structurer en reflet » . Tout comme il s'agit d'admettre, en écho aux propos de L. Favoreu et G. Vedel, « un droit constitutionnel transnational » dépassant l'« impérialisme "constitutionnaliste" ». Parce qu'il est transnational, parce que l'« Internet tue la hiérarchie », parce qu'il met le droit constitutionnel « à l'épreuve de la pratique », le droit du développement numérique impose une réflexion de fond sur la définition de la Constitution.

Certes, « le progrès, toujours technique, dans nos sociétés industrielles, ne s'est jamais réalisé sans atteintes inédites à l'ordre public ». Certes, à son époque, Victor Hugo avait dit de l'apparition de l'imprimerie qu'il s'agissait de « la révolution mère » de « la pensée humaine » . Dans une même logique de mise à disposition de la pensée humaine, en un clic, l'Internet est lui aussi devenu une révolution. À la différence que ce dernier est plus qu'un média : il est un facteur de démocratie. Il apporte plus qu'une nouvelle forme pour nos idées ; il les rend interactives. Il ne révolutionne pas seulement la communication de ces idées ; il redéfinit leur conception en réseau. Et le développement numérique a ceci de différent qu'en modifiant le visage de notre démocratie, il modifie aussi celui de notre République. L'e-démocratie impose une réflexion que n'imposaient certes pas le téléphone, la radio ou bien la télévision sous la IIIe République. À ce titre, le constituant ne pourrait, à long terme, rester indifférent à la révolution numérique sans apparaître, finalement, indifférent à la démocratie.

Mais, pas plus que la Cohabitation, par exemple, il n'impose de changer de Pacte social. La percée des « acteurs participatifs » et des citoyens, portée par l'environnement numérique, crée une normativité « dialoguée », désintermédiée, « communautarisée ». Par conséquent, « la société de l'information apparaît comme inséparable de la démocratie dont tes valeurs forment, avec les siennes, un socle commun et qu'elle peut contribuer à consolider, en renforçant le lien social ». Ce lien social étant redéfini à l'échelle universelle, il en résulte que, pour protéger le citoyen dans l'univers numérique, la Constitution doit encadrer les enjeux nouveaux de la subsidiarité normative. Stigmatisée par le titre XV de la Constitution, cette quatrième et dernière mission constituante replacerait enfin l'individu au centre du processus normatif et au centre de la démocratie, que le citoyen inscrive son action dans l'État, dans l'Union européenne, ou sur le réseau universel. L'organisation des systèmes de droit subsidiaire rappelle dès à présent que « l'individu placé au centre de la société acceptera d'autant mieux la norme qu'elle aura été prise par le niveau décisionnel qui lui est le plus proche » ou au niveau qui semble, techniquement, le plus compétent. Pour autant, la démocratie électronique n'impose pas une VIe République. Certes, le réseau électronique est un « média polymorphe, l'instrument moderne capable de révolutionner le rapport gouvernés-gouvernants » . Mais il exige simplement le basculement d'une représentation pyramidale de la Constitution à une représentation en réseau. »

Marie-Charlotte Roques-Bonnet, Le droit peut-il ignorer la révolution numérique.




mardi, novembre 27, 2012

Le B'naï B'rith à Hollywood





Larry Hagman, décédé le 23 novembre 2012, qui interprétait le rôle de J.R. Ewings dans la fameuse série Dallas était proche d'une loge maçonnique exclusivement réservée aux Juifs, le B’naï B’rith. Proximité que partage un autre comédien, le président de la commission européenne José Manuel Barroso (invité spécial du VIe congrès de cette obédience sioniste).

Le B'naï B'rith à Hollywood

« Dès les années trente, le B'naï B'rith avait créé des « loges professionnelles » dans les secteurs où l'Ordre disposait d'une implantation suffisante ou souhaitait en disposer d'une. Dès 1927, le B'naï B'rith avait ainsi signé un accord avec le principal syndicat de production et de distribution de films américains, la Motion Picture Producers and Distributors of America. Le prétexte en fut le film Le Roi des rois de Cecil B. De Mille, qui raconte la vie de Jésus. Alfred M. Cohen, président à l'époque du B'naï B'rith, obtint du célèbre cinéaste qu'il rectifie divers passages et modifie certaines scènes, de manière à « corriger » la fiction, en particulier le passage sur la Passion du Christ, afin de dédouaner de toute responsabilité les juifs. Il fut obtenu en outre que le film ne serait pas diffusé « dans les pays européens ou dans les communautés dans lesquels le jugement du Conseil des sages (le Sanhédrin) pourrait créer des sentiments anti Juifs, et là non plus où il risquerait d'être la cause de désordre, en raison du sujet du film ». Le B'naï B'rith créa rapidement, à l'image des organisations maçonniques, sa propre Fraternelle du cinéma, qui regroupa tous les Frères dans cette profession, des acteurs aux cinéastes, des producteurs aux distributeurs, des scénaristes aux techniciens. La fine fleur du cinéma s'y retrouva, avec des hommes aussi puissants qu'Alfred W. Schwalberg, président de Paramount Pictures, Barney Balaban, président de la firme Paramount, ou Harry Goldberg, de la Warner Brothers. Dans les années 1925-1935, cette Fraternelle était déjà si puissante que Will Hays, surnommé " Le Tsar du cinéma ", invita le président du B'naï B'rith, Alfred M. Cohen (juriste, élu sénateur en 1896, à la tête du B'naï B'rith de 1925 à 1938), aux studios de production de New York afin de lui demander de devenir son conseiller en filmographie, de manière à surveiller tous les scénarios en rapport plus ou moins direct avec le judaïsme.

La Loge fut enregistrée auprès du B'naï B'rith le 16 novembre 1939 sous le numéro distinctif 1 366. Elle comprenait alors environ cent cinquante Frères fondateurs. Sous l'influence de Schwalberg, qui en fut le premier président, la Loge compta dans les années quarante plus de 1 600 Frères (acteurs, réalisateurs, producteurs, scénaristes, etc.) qui exercèrent une influence certaine sur nombre des films de cette époque, en particulier durant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années soixante, la Loge perdit de son importance, en raison surtout du fait qu'elle demeurait réservée aux hommes. En 1974, son nouveau président, Herbert Morgan, la transforma en Loge mixte, la Cinema Unit 6 000. Elle retrouva alors une nouvelle vigueur. En 1977, ce chapitre fusionna avec la Loge Radio-Télévision, pour devenir l'actuelle Cinema-Radio-TV Unit 6 000, qui regroupe tous les membres du B'naï B'rith influents dans les médias, les spectacles et le cinéma (y compris les critiques de cinéma), afin de leur permettre de mieux coordonner leurs projets. Comme le dit l'un de ses anciens présidents, Ted Lazarus, cette Loge donne à ses membres « une raison pour identifier la judéité avec un lien professionnel ».

Dans les soirées de bienfaisance du B'naï B'rith ou dans les spots publicitaires (destinés à ramasser des fonds) de sa filiale, la Ligue Anti-Diffamation (A.D.L. ), interviennent des acteurs célèbres, membres de la Loge 6 000 ou de l'A.D.L., comme Larry Hagman, qui interprète J.R. Ewings dans la fameuse série Dallas. Dans le spot, Hagman, jouant sur son image de « méchant » demande aux téléspectateurs de se méfier dans la vie des « méchants », et d'aider les « bons » (c'est-à-dire l'A.D.L.) à gagner le bon combat. On peut aussi citer le héros de la série Hooker, William Shatner (ex-capitaine Kirk de Star Trek), ou Leonard Nimrod, le célèbre Monsieur Spock de La Guerre des étoiles (Star Trek).

Dès 1946, la filiale spécialisée du B'naï B'rith, l'A.D.L., diffusait son programme quotidien sur 216 radios. Ce chiffre a au moins doublé depuis cette date. De manière significative, le président national de l'A.D.L. fut d'ailleurs dans les années soixante Dore Schary, un célèbre scénariste et producteur de cinéma d'Hollywood. Une série de prix Dore Schary « pour les relations humaines " sont désormais décernés chaque année, depuis 1983, par l'A.D.L. A l'instar du B'naï B'rith, l'A.D.L. influence également les productions cinématographiques, telle la série We, the people, dans les années cinquante.

A l'occasion, l'A.D.L. et le B'naï B'rith lancent de grandes campagnes, comme lors de la diffusion sur les réseaux américains du « docu-drama » Holocauste, où la fiction était intimement mêlée à la réalité historique, sans que l'on puisse vraiment distinguer l'une de l'autre. A l'occasion de la diffusion de cette série, du 16 au 19 avril 1978, qui devait être regardée par plus de 120 millions d'Américains, le B'naï B'rith envoya à l'ensemble des membres du Sénat et de la Chambre des représentants l'intégralité du scénario, et diffusa un supplément de seize pages ( The Record) à onze millions d'exemplaires, principalement auprès des écoles. Un Guide du spectateur d'Holocauste fut également publié par la chaîne N.B.C., en liaison avec le Comité juif américain, contrôlé par le B'naï B'rith.

Le B'naï B'rith a également été à l'origine d'un genre nouveau, amplement relayé par les réseaux de la planète, le film « blanc terroriste », à base de savants désaxés, de nazis plus vrais que nature et autres skinheads, réalisé à partir d'enquêtes et de rapports de l'A.D.L. On peut citer Into the Homeland (1987), qui met en scène des chrétiens fondamentalistes opposés à l'impôt sur le revenu, réalisé à partir d'un rapport spécial de l'A.D.L. publié en 1986 et intitulé Les fermiers américains et les extrémistes. Autres exemples, les « docu-dramas néo-nazis » comme Trahis, Les Skinheads, La Deuxième montée de la haine, Dead Bang ou Nous saluons avec orgueil, qui s'inspirent directement des rapports de l'A.D.L. Rasés pour la bataille : les cibles des skinheads (1987) et La Jeunesse et la violence : la menace grandissante des skinheads américains néo-nazis (1988).

C'est sans doute cette volonté pédagogique qui a amené en 1982 la Fondation européenne de la Ligue Anti-Diffamation (A.D.L.E.F.), peu après sa création en Europe, à lancer en 1982, en liaison avec le Centre pédagogique juif de Paris, un vaste programme audiovisuel destiné aux écoles françaises pour être utilisé dans les programmes scolaires. Trois films devaient être diffusés dans un premier temps, sur les thèmes suivants : les stéréotypes, les boucs émissaires, le mythe de la race supérieure. »

Emmanuel Ratier, Mystère et secrets du B’naï B’rith.


Mystère et secrets du B’naï B’rith

Le B'naï B'rith, qui veut dire « Fils de l'Alliance » en hébreu, a été fondé aux Etats-Unis en 1843. Exclusivement réservé aux israélites, il comprend aujourd'hui plus de 500 000 Frères et Sœurs dans une cinquantaine de pays. L'élite internationale des diverses communautés juives, de Sigmund Freud à Albert Einstein, en est ou en a été membre. Il s'agit donc de la plus ancienne, de la plus vaste et, sans doute, de la plus influente organisation juive internationale. C'est le B'naÏ B'rith qui a, par exemple, obtenu la reconnaissance d'Israël par le président américain Harry Truman. C'est également le B'naï B'rith qui a obtenu que l'Eglise catholique change le contenu de son enseignement bimillénaire à propos du judaïsme.

En France, où la communauté juive est la plus importante d'Europe, le B'naï B'rith, sortant de sa réserve traditionnelle, a pris, ces dix dernières années, des positions politiques publiques hostiles au renouveau des idées nationales. Devant les assemblées du B'naÏ B'rith, les hommes politiques, de droite comme de gauche, se sont notamment engagés à ne s'allier en aucun cas avec le Front national. C'est le fameux « serment des B'naï B'rith ». Disposant de nombreux soutiens dans la classe politique et dans le milieu intellectuel, les Fils de l'Alliance, qui se présentent comme les précurseurs des organisations humanitaires, ont également œuvré pour l'adoption de la loi Fabius-Gayssot.

Le B'naÏ B'rith, en France comme à l'étranger, est pourtant totalement inconnu du grand public. Calquée sur le modèle des organisations maçonniques, cette association de solidarité a en effet toujours cultivé la discrétion. Mystères et Secrets du B'naï B'rith est la première enquête indépendante qui lui ait jamais été consacrée dans le monde. Comprenant de très nombreux documents inédits, ce livre explosif répondra aux questions que tout citoyen est en droit de se poser.













lundi, novembre 26, 2012

Le pouvoir secret contre le peuple




Quelques mois après l'élection de François Hollande, les Français savent que l'idéal socialiste n'est plus porté par les politiciens professionnels de gauche.

Le seul objectif de la classe dominante, de droite et de gauche, est d'accroître son pouvoir. Pour ce faire, les puissants s'acoquinent et complotent contre le peuple dans des sociétés secrètes ou des clubs très fermés comme Le Siècle (voir la vidéo ci-dessus et lire le livre d'Emmanuel Ratier, Au cœur du pouvoir. Enquête sur le club le plus puissant de France, réédité l'année dernière).

André Frossard se souvient du socialisme de son enfance, durant les années 1920 :

« Lorsque l'on eut coupé mes anglaises pour m'apprendre à lire, le premier livre que m'offrirent mes parents après le Roman de Renart fut un ouvrage à couverture rouge, de l'épaisseur d'un dictionnaire et intitulé Petit-Pierre sera socialiste.

Pour autant qu'il m'en souvienne, c'était une variante idéologique du Tour de France de deux enfants, rédigée de manière à rendre familières aux petits, dans le langage approprié, les données principales de la pensée marxiste. Petit-Pierre, cheminant et questionnant, prenait connaissance des réalités sociales, des servitudes de la condition prolétarienne et des injustices d'une société fondée sur l'exploitation des humbles par une classe favorisée, détentrice des moyens de production et d'échange que sont la terre, les outils, les machines ou l'argent, et qui aspirait tout le profit du travail d'autrui. Ce profit lui fournissant de nouveaux moyens d'acquérir, elle s'enrichissait sans cesse tandis que se multipliaient les pauvres, qui s'appauvrissaient encore.

Il en résultait entre la classe des possédants et celle des démunis un état de tension permanente ou de « lutte de classes » aboutissant périodiquement à des révoltes que les lois n'avaient d'autre fin que d'empêcher, d'interdire ou de réprimer. De tout temps les institutions avaient été conçues par les privilégiés pour perpétuer leurs privilèges ; la morale était chargée de lier les consciences à l'ordre établi contre la justice, méprisée par le capitalisme et ajournée par la religion elle-même.

Mais Petit-Pierre apprenait bientôt qu'il existait un remède à ce mal immense et vieux comme l'histoire. La socialisation des moyens de production et d'échange modifierait radicalement les rapports humains en les purifiant de tout ce qu'il y avait en eux d'inique et de pernicieux. Ils ne s'établiraient plus de maître à esclave, d'oppresseur à opprimé, mais d'homme à homme dans l'égalité parfaite d'une désappropriation générale prononcée par la loi au bénéfice de la collectivité. Sur les biens produits par les travailleurs, la communauté prélèverait de quoi donner « à chacun selon son travail », en attendant d'être assez riche pour pouvoir donner « à chacun selon ses besoins ». L'avidité, la volonté d'accaparement et de domination, ne trouvant plus de soutien et encore moins d'encouragement dans la société nouvelle, périraient d'inanition; les antagonismes économiques et sociaux ayant disparu avec ce qui les rendait inévitables, la guerre deviendrait sans objet et disparaîtrait de la surface de la terre. Les anciens possédants réduits en quelque sorte à l'équité s'humaniseraient d'autant, cependant que les travailleurs recouvreraient leur dignité avec la pleine possession de leur propre personne. La morale ne serait plus ce code diversement pénal de la résignation qu'elle était jusqu'alors, et les derniers pans de la construction religieuse, privée de ses points d'appui, s'effondreraient d'eux-mêmes. Les hommes sauraient enfin le goût de la justice et de la paix. La science se chargerait du reste.

Je ne prétends pas résumer le marxisme en une page, et il est probable que je viens de mêler le souvenir de ses premières leçons à celui de mon gros livre rouge. Quoi qu'il en soit, Petit-Pierre devenait socialiste. Comme il était sérieux et gentil, je le devins aussi. »

André Frossard, Dieu existe, je l'ai rencontré.



Histoire de Petit Pierre sera socialiste (1913)


Le Siècle est la matrice de la pensée unique

« Il y a une idéologie, dit Emmanuel Ratier, c’est celle du libéralisme mondialisé. Comme l’a expliqué Laurent Joffrin, directeur du Nouvel Observateur, qui a démissionné avec fracas du Siècle il y a environ un mois, Le Siècle est véritablement la section française de l’hyper-classe ou de la super-classe mondialisée. Il correspond à cette expression de Samuel Huntington : « la super-classe née de la mondialisation ». De même Jacques Julliard, ancien membre de la Commission trilatérale, écrit assez courageusement : « Le Siècle, le club de cette superclasse dirigeante (…) Dans ce milieu fermé où les socialistes ont leur place à côté des gros bataillons de la droite française, fermente l’idéologie de la classe dominante : modernisme économique, bien-pensance sociale et culturelles, conformisme économique, respect absolu de la puissance de l’argent. » Hormis qu’il y a largement autant d’oligarques de gauche que de droite au Siècle, cette description est parfaitement exacte : il y a bien une idéologie… mais qui ne se revendique pas en tant que telle. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que tous les membres du Siècle ne sont pas égaux et que le pouvoir est passé d’un groupe à un autre à mesure que le capital se restructurait en France, en Europe et dans le monde. On est donc passé, en 60 ans, du primat des politiques (IVe République) à celui des industriels (Pompidou), puis aux technocrates (Giscard d’Estaing et les débuts de François Mitterrand), puis aux banques (Bérégovoy) et enfin à la finance mondialisée (Chirac, Sarkozy). Aujourd’hui, ce sont les financiers qui contrôlent le Siècle et dictent leurs règles aux politiques. Comme le dit Julliard, « il existe, derrière les apparences successives des combinaisons ministérielles, un gouvernement de facto, un gouvernement invisible des élites financières et institutionnelles qui, à défaut de dicter sa loi, fournit la pensée et inspire l’action des élites dirigeantes françaises. »

Je ne veux pas être trop long, mais Le Siècle est un endroit, un laboratoire, où se décident beaucoup de choses. On en a des éléments dans les mémoires d’anciens membres, au détour d’articles, etc. Les conversations étant secrètes, il est toujours difficile d’apporter la preuve de ce pur affairisme mais plusieurs membres me l’ont confirmé tout comme diverses fuites, le système de recrutement, etc. La plupart des membres ne sont pas recrutés pour leurs qualités propres mais pour les fonctions qu’ils occupent. C’est le libéralisme antisocial pur et dur qui ne rêve que d’une chose : que les classes populaires françaises travaillent pour 2 euros par jour comme les Chinois aujourd’hui et que l’oligarchie, qui les exploite, engrange ses bénéfices colossaux dans des paradis fiscaux. » 




vendredi, novembre 23, 2012

« 0+0 = la tête à TOTO »





Les nouvelles mathématiques des mélanges chimiques

Tout indique que l'imprégnation des femmes enceintes par les pesticides est généralisée et qu'elle concerne autant les zones urbaines que les régions rurales. Ainsi une étude réalisée dans les années 2000 en Bretagne (sur une cohorte dite « Pélagie ») a révélé la présence d'un total de 52 molécules dans les urines de 546 femmes enceintes, dont 12 appartenaient à la classe des triazines (comme l'atrazine), 32 à celle des organophosphorés (comme le chlorpyriphos et le chlorpyriphos-méthyl), 6 à la classe des amides et 2 à celle des carbamates. « Les résidus de pesticides sont généralement multiples, soulignaient les auteurs en 2009 ; et leurs impacts, individuels ou conjoints, sur le fœtus et son développement sont encore incertains dans la littérature épidémiologique. Ils seront évalués prochainement dans la cohorte Pélagie. »

Si la « charge chimique corporelle » des femmes enceintes et des bébés est particulièrement préoccupante, il en est de même pour les enfants, dont le taux d'imprégnation par les pesticides est proportionnellement beaucoup plus élevé que celui des adultes. C'est ce que montrent de nombreuses études (qu'il n'est pas possible de toutes énumérer), comme celle réalisée dans le Minnesota, une région d'agriculture intensive comprenant aussi d'importantes zones urbaines : publiée en 2001, elle a révélé que 93 % des échantillons urinaires prélevés sur 90 enfants ruraux et urbains présentaient un cocktail de résidus d'atrazine, de malathion, de carbaryl et de chlorpyriphos. Comme on l'aura remarqué, le fameux chlorpyriphos revient avec la régularité d'une pendule dans tous les études de biomonitoring : d'après le deuxième rapport du CDC, il est l'un des pesticides dont le taux de résidus dépasse régulièrement les normes autorisées, particulièrement chez les enfants testés. Dans un document qui commente les résultats de ce rapport, Pesticides Action Network (PAN) souligne que « s'il y a quelqu'un qui est responsable de la présence du chlorpyriphos dans nos organismes, c'est bien Dow Chemical, qui a développé et commercialisé en premier le pesticide [...] et continue de le produire et de le promouvoir aux États-Unis et internationalement, malgré des preuves solides qu'il a un impact significatif sur la santé publique ». Et l'association d'en appeler à la « mise en cause des firmes chimiques » qui polluent nos organismes à travers nos assiettes, et mettent particulièrement en danger la santé de nos enfants.

Si l'on en croit les résultats d'une étude publiée en décembre 2010 par Générations futures (l'ex-MRDGF), les responsables potentiels sont nombreux . L'association a en effet fait analyser l'alimentation quotidienne d'un enfant d'une dizaine d'années, comprenant trois repas types qui suivent les recommandations officielles — cinq fruits et légumes frais, trois produits laitiers et 1,5 litre d'eau par jour — et un encas (avec des friandises). Ainsi que l'écrit Le Monde.fr, « le bilan est accablant » : « Cent vingt-huit résidus, quatre-vingt-une substances chimiques, dont quarante-deux sont classées cancérigènes possibles ou probables et cinq substances classées cancérigènes certaines ainsi que trente-sept substances susceptibles d'agir comme perturbateurs endocriniens (PE). [...] Pour le petit déjeuner, le beurre et le thé au lait contiennent à eux seuls plus d'une dizaine de résidus cancérigènes possibles et trois avérés comme des cancérigènes certains, ainsi que près d'une vingtaine de résidus susceptibles de perturber le système hormonal. Le steak haché, le thon en boîte, et même la baguette de pain et le chewing-gum, étaient truffés de pesticides et autres substances chimiques. Dans l'eau du robinet, les analyses ont révélé la présence de nitrates et de chloroforme. Mais c'est le steak de saumon prévu pour le dîner qui s'est révélé le plus "riche", avec trente-quatre résidus chimiques détectés. »

Ainsi que l'a expliqué François Veillerette, le fondateur de Générations futures, au quotidien du soir, « les effets de synergie probables induits par l'ingestion de tels cocktails contaminants ne sont pas pris en compte et le risque final pour le consommateur est probablement très sous-estimé. Actuellement, nous ne savons à peu près rien de l'impact des cocktails chimiques ingérés par voie alimentaire ».

Les « nouvelles mathématiques des mélanges : 0 + 0 + 0 = 60 »

« Je pense que nous avons été extrêmement naïfs dans nos études et système de réglementation en ne nous intéressant qu'à un seul produit chimique à la fois, alors qu'aucun d'entre nous n'est exposé à une seule substance, m'a dit Linda Birnbaum lorsque je l'ai rencontrée dans son bureau du NIEHS. Je pense que nous sommes passés ainsi complètement à côté d'effets qui peuvent se produire. C'est particulièrement vrai pour les hormones naturelles et synthétiques. C'est pourquoi le défi que nous devons maintenant relever, c'est de comprendre et évaluer les effets que peuvent provoquer les mixtures chimiques dans lesquelles nous vivons. Mais, malheureusement, il y a très peu de laboratoires qui travaillent là-dessus... »

Une fois n'est pas coutume, les laboratoires qui font référence dans le domaine de la toxicologie des mélanges chimiques sont européens, en l'occurrence danois et britannique. Le premier est dirigé par Ulla Flass, une toxicologue qui travaille à l'Institut danois de la recherche alimentaire et vétérinaire, situé à Soborg, dans la banlieue de Copenhague. Je l'ai rencontrée un jour enneigé de janvier 2010. Avant de commencer notre entretien, elle m'a fait visiter sa « ménagerie », une pièce d'un blanc clinique où sont installées les cages des rats wistar qu'elle utilise pour ses expériences. Grâce au soutien de l'Union européenne et en collaboration avec le centre de toxicologie de l'université de Londres, elle a conduit une série d'études visant à tester les effets des mélanges de substances chimiques ayant une action antiandrogène sur des rats mâles exposés in utero. Dans la première d'entre elles, le cocktail comprenait deux fongicides, la vinclozoline et le procymidone, et la flutamide, un médicament prescrit pour traiter le cancer de la prostate.

« Qu'est-ce qu'un antiandrogène ? ai-je demandé à la toxicologue danoise.

C'est une substance chimique qui affecte l'action des androgènes, c'est-à-dire des hormones masculines comme la testostérone, m'a-t-elle répondu. Or, les hormones masculines sont capitales pour la différenciation sexuelle qui, chez les humains, a lieu à la septième semaine de grossesse. Ce sont elles qui permettent au modèle de base, qui est féminin, de se développer en un organisme masculin. Donc, les antiandrogènes peuvent faire dérailler le processus et empêcher le mâle de se développer correctement.

Comment avez-vous procédé pour votre étude ?

Nous avons d'abord observé les effets de chaque molécule séparément en essayant de trouver, pour chacune d'elles, une dose très basse qui ne provoquait aucun effet. Je vous rappelle que notre objectif était de mesurer l'effet potentiel des mélanges, il était donc particulièrement intéressant de voir si trois molécules qui individuellement n'avaient pas d'effet pouvaient en avoir une fois mélangées. Et ce fut exactement les résultats que nous avons obtenus. Prenons, par exemple, ce que nous appelons la "distance anogénitale", qui mesure la distance entre l'anus et les parties génitales de l'animal. Elle est deux fois plus longue chez le mâle que chez la femelle, et c'est précisément dû au rôle des androgènes pendant le développement fœtal. Si elle est plus courte chez les mâles, c'est un indicateur de l'hypospadias, une malformation congénitale grave des organes de reproduction masculins. Quand nous avons testé chaque produit séparément, nous n'avons constaté aucun effet, ni aucune malformation. Mais, quand nous avons exposé les fœtus mâles à un mélange des trois substances, nous avons observé que 60 % d'entre eux développaient plus tard un hypospadias, ainsi que des malformations graves de leurs organes sexuels. Parmi les malformations que nous avons observées, il y avait notamment la présence d'une ouverture vaginale chez certains mâles qui avaient, par ailleurs, des testicules. En fait, ils étaient sexuellement dans l'entre-deux-sexes, comme des hermaphrodites. »

Et la toxicologue de conclure par cette phrase que je n'oublierai jamais : « Nous devons apprendre de nouvelles mathématiques quand nous travaillons sur la toxicologie des mélanges, parce que ce que disent nos résultats, c'est que 0 + 0 + 0 fait 60 % de malformations...

Comment est-ce possible ?

En fait, nous assistons à un double phénomène : les effets s'additionnent et ils entrent en synergie pour décupler, m'a expliqué Ulla Hass.

C'est effrayant ce que vous dites, surtout quand on sait que chaque Européen a ce que l'on appelle une "charge chimique corporelle" ! Ce que vous avez observé chez les rats pourrait-il aussi se produire dans nos organismes ?

En fait, le gros problème, c'est que nous n'en savons rien, a soupiré Ulla Hass, qui a alors fait la même remarque que son collègue Tyrone Hayes. Il est très difficile de comprendre pourquoi cela n'a pas été pris en compte plus tôt. Quand vous allez à la pharmacie pour acheter un médicament, il est écrit sur le mode d'emploi qu'il faut faire attention si vous prenez d'autres médicaments, car il peut y avoir une combinaison d'effets. C'est pourquoi il n'est pas surprenant que l'on ait le même phénomène avec des polluants chimiques.

Pensez-vous que les toxicologues doivent complètement revoir leur manière de fonctionner ?

Il est clair que pour pouvoir évaluer la toxicité des mélanges chimiques, et tout particulièrement celle des perturbateurs endocriniens, il faut sortir du modèle qu'on nous a enseigné, qui veut qu'a une faible dose on ait un petit effet et à une forte dose un gros effet, avec une courbe linéaire dose-effet. C'est un modèle simple et rassurant, mais qui, pour de nombreuses molécules chimiques, ne sert à rien. En revanche, il faudrait développer des outils comme ceux mis en place par le laboratoire d'Andreas Kortenkamp, à Londres, avec qui mon laboratoire collabore. Après avoir entré toutes les caractéristiques chimiques des trois substances que nous avons testées dans un système informatique, il a pu prédire, grâce à un logiciel spécifique, quels allaient être les effets de l'addition et de la synergie des molécules. C'est une piste très intéressante pour l'avenir... »

Marie-Monique Robin, Notre poison quotidien.


Notre Poison Quotidien est une grande enquête de Marie-Monique Robin (Le monde selon Monsanto) qui démontre de manière implacable comment l'industrie chimique empoisonne nos assiettes. Durée : 1 heure 55




Notre poison quotidien

Au cours des trente dernières années, le taux d'incidence du cancer a augmenté de 40 % (déduction faite du facteur de vieillissement de la population). Durant cette période, la progression des leucémies et des tumeurs cérébrales chez l'enfant a été d'environ 2 % par an. Et on constate une évolution similaire pour les maladies neurologiques (Parkinson et Alzheimer) et auto-immunes, ou pour les dysfonctionnements de la reproduction. Comment expliquer cette inquiétante épidémie, qui frappe particulièrement les pays dits « développés » ?

C'est à cette question que répond Marie-Monique Robin dans ce nouveau livre choc, fruit d'une enquête de deux ans en Amérique du Nord, en Asie et en Europe. S'appuyant sur de nombreuses études scientifiques, mais aussi sur les témoignages de chercheurs et de représentants des agences de réglementation, elle montre que la cause principale de l'épidémie est d'origine environnementale : elle est due aux dizaines de milliers de molécules chimiques qui ont envahi notre quotidien et notre alimentation depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Pour cela, l'auteure retrace le mode de production des aliments, depuis le champ du paysan (pesticides) jusqu'à notre assiette (additifs et plastiques alimentaires). Elle décortique le système d'évaluation et d'homologation des produits chimiques, à travers les exemples des pesticides, de l'aspartame ou du bisphénol A, et montre qu'il est totalement défaillant et inadapté. Surtout, elle raconte les pressions et les manipulations de l'industrie chimique pour maintenir sur le marché des produits hautement toxiques.



Marie-Monique Robin, journaliste et réalisatrice, est lauréate du Prix Albert-Londres (1995). Elle a réalisé de nombreux documentaires - couronnés par une trentaine de prix inter-nationaux - et reportages tournés en Amérique latine, Afrique, Europe et Asie. Elle est aussi l'auteure de plusieurs ouvrages, dont Voleurs d'organes, enquête sur un trafic (Bayard), Les 100 photos du siècle (Le Chêne/Taschen), Le Sixième Sens, science et paranormal (Le Chêne), 100 photos du XXIe siècle (La Martinière). À La Découverte, elle a déjà publié : Escadrons de la mort, l'école française (2004, 2008), L'École du soupçon (2006) et, en coédition avec Arte Éditions, le best-seller Le Monde selon Monsanto (2008, 2009).

Blog de Marie-Monique Robin :

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