Dans Le
Capital, le dernier film de Costa-Gavras, un homme propulsé à
la tête d'une banque, Marc Tourneuil (joué par Gad Elmaleh),
déclare :
« Nous
allons continuer de prendre aux pauvres pour donner aux riches. »
Cette
petite phrase résume toute la perversité du système oligarchique.
Les
oligarchies impérialistes
J'ai
appris une chose et je sais en mourant
Qu'elle
vaut pour chacun :
Vos
bons sentiments, que signifient-ils
Si
rien n'en paraît au dehors ?
Et
votre savoir, qu'en est-il,
S'il
reste sans conséquences ? [...]
Je
vous le dis :
Souciez-vous,
en quittant ce monde,
Non
d'avoir été bons, cela ne suffit pas,
Mais
de quitter un monde bon !
BERTOLT
BRECHT
Sainte
Jeanne des abattoirs
« Une
oligarchie étroite qui n'a jamais connu son Vichy, qui n'a donc
jamais été démasquée, règne depuis plus de cent cinquante ans
sur un État et un peuple dont la législation, le système
idéologique et les bureaucraties électorales sont étroitement
adaptés à ses besoins. Grâce à un système bancaire
extraordinairement hypertrophié, grâce aussi à ces institutions
admirables que sont le secret bancaire et le compte à numéro,
l'oligarchie suisse fonctionne comme le receleur indispensable du
système capitaliste mondial. Avec son butin quotidien, elle finance
ses propres aventures étrangères : ses sociétés multinationales
contrôlent aujourd'hui, de l'Indonésie à l'Afrique du Sud, du
Brésil au Guatemala, des régions et des populations entières. Le
bilan commercial de la Suisse avec les pays de la misère est —
fait unique pour un État industriel d'Europe — constamment
excédentaire. Au sein du système impérialiste mondial, les
seigneurs de la banque de Genève et de Zurich exercent de nombreuses
autres fonctions ils contribuent à l'étouffement du Chili populaire
en réduisant, puis en coupant les lignes de crédit internationales.
Ils « stabilisent » puis renforcent les dictatures racistes
d'Afrique du Sud, de Rhodésie, les régimes totalitaires de Bolivie
et d'Indonésie. Mais leur victoire la plus éclatante, les
seigneurs de la banque helvétique la remportent au niveau de la
lutte de classe idéologique : par leur appareil de propagande
internationale hors pair, par leur corruption de larges secteurs de
la classe politique autochtone, les seigneurs de la banque répandent
l'idée d'une identité complète entre leur stratégie de pillage et
de recel et les intérêts nationaux de l'État et du peuple suisses.
Produisant constamment un discours de neutralité et de paix, le
visage à demi masqué par le drapeau de la Croix-Rouge, les
seigneurs de la banque, ces monstres froids, se font passer, auprès
des peuples du dehors comme de leurs sujets autochtones, pour des
philanthropes, riches certes, mais pacifiques et pieux. [...]
La
planète où nous vivons est un charnier. Ce charnier, les
oligarchies impérialistes s'appliquent à le remplir jour après
jour de victimes nouvelles. Je connais de près l'une de ces
oligarchies, celle qui opère à partir de la Suisse. Je veux dire sa
praxis. Et du même coup je veux faire voir la dépendance que cette
oligarchie instaure pour la Suisse en tant que nation, en tant que
peuple, à l'égard de l'impérialisme. Aucun doute : l'impérialisme,
stade suprême du capitalisme, est aujourd'hui en « crise ». Mais
cette « crise » est une crise de restructuration, d'adaptation, non
une agonie. [...]
Qu'est-ce
que l'impérialisme ? Assis sous les voûtes sombres de la «
Predigerkirche » (Église des prédicateurs), transformée en
bibliothèque municipale, à Zurich en 1916, Lénine a tenté de
répondre à cette question : le système capitaliste se nourrit
de l'accumulation ininterrompue de capitaux, de l'accélération et
de l'intensification de la production, du pillage des ressources
disponibles de la nature, du savoir rapidement cumulatif en matière
de gestion, de technologie et de science. Un jour, ce système
entre dans ce que Lénine appelle le stade « hégémonique ». Ce
jour est arrivé en Suisse, en France comme dans d'autres pays de
l'Europe industrialisée, aux États-Unis, au Japon. L'accumulation
capitaliste concentre entre les mains de quelques-uns des richesses
colossales. La concurrence entre groupes capitalistes rivaux tend
à disparaître. Les monopoles naissent. Ce sont des groupes de
capitalistes qui dominent un ou plusieurs secteurs économiques
précis et qui y dictent leur loi. Or, les monopoles ont une tendance
naturelle à l'expansion. La maximalisation du profit, la croissance
continue sont leur règle. Les monopoles conquièrent le monde.
Partout ils font reculer les modes de production pré-capitalistes.
Ils raflent des marchés sur les cinq continents, occupent les
régions productrices de matières premières et détruisent — avec
les modes de production non capitalistes — des univers entiers de
civilisation. Bref : ils font un monde à leur image.
Max
Horkheimer dit : « Désormais, toute histoire est histoire de
marchandise. » Quelle marchandise devient sujet de l'histoire ? Le
capital financier. Il est composé par le capital industriel et le
capital bancaire. Entre les mains de ceux qui le possèdent, il
devient une arme d'une terrifiante efficacité. Le petit groupe
d'hommes qui, dans chaque pays capitaliste-hégémonique du centre,
possède, utilise, met en œuvre la stratégie du capital financier
s'appelle l'oligarchie.
Deux
questions préalables se posent. La première : existe-t-il une
spécificité de l'impérialisme secondaire par rapport à
l'impérialisme premier ? Ou l'impérialisme secondaire n'est-il
qu'un impérialisme sous tutelle, totalement dépendant, bref, un
simple relais de transmission dans la hiérarchie mondiale du mépris
et du profit ? A cette question les fondateurs de la sociologie de
l'impérialisme ont répondu d'une façon uniforme et claire : Pas de
spécificité qui tienne ! L'impérialisme secondaire est un
impérialisme tout à fait ordinaire qui ne se distingue en rien d'un
hypothétique impérialisme premier. Or, depuis la publication de
leurs analyses, le paysage social de la planète a subi nombre de
mutations importantes. La question se pose dans des termes nouveaux.
Elle exige un nouvel examen. Deuxième question préalable :
l'impérialisme est le stade ultime du développement capitaliste.
Il est le capitalisme, il en véhicule la
rationalité la plus intime, la visée la plus visible, le projet le
plus meurtrier. Il ne disparaîtra qu'avec le système capitaliste
lui-même. »
Jean
Ziegler, Une Suisse au-dessus de tout soupçon, 1976.
Assommons
les pauvres
L'Opéra de quat'sous de Bertolt Brecht
L'Opéra de quat'sous (Die Dreigroschenoper) est une comédie musicale de Bertolt Brecht et Kurt Weill. Il s'agit de la lutte de pouvoir et de concurrence entre deux « hommes d'affaires » : Jonathan Jeremiah Peachum, et un dangereux criminel, Macheath dit « Mackie-le-Surineur » (Mackie Messer).
Les
dents longues, redoutables
Le requin tue sans merci
Le surin au fond d'la poche
Sans reproche, c'est Mackie
Sur les bords de la Tamise
Le sang coule dans la nuit
On périt les poches vides
Poches pleines, quelqu'un fuit
Jenny Trowler agonise
Un couteau entre les seins
Sur les rives dans l'eau grise
M'sieur Mackie s'en lave les mains
Et la veuve d'âge tendre
Que l'on viole dans son lit
Que l'on vole sans attendre
Le gentleman, c'est Mackie
L'incendie sur la ville
Le feu brille, la mort vient
On s'étonne, on questionne
Oui mais Mackie ne sait rien
Le sang coule des mâchoires
Au repas du grand requin
Mains gantées et nappe blanche
M'sieur Mackie croque son prochain...
Le requin tue sans merci
Le surin au fond d'la poche
Sans reproche, c'est Mackie
Sur les bords de la Tamise
Le sang coule dans la nuit
On périt les poches vides
Poches pleines, quelqu'un fuit
Jenny Trowler agonise
Un couteau entre les seins
Sur les rives dans l'eau grise
M'sieur Mackie s'en lave les mains
Et la veuve d'âge tendre
Que l'on viole dans son lit
Que l'on vole sans attendre
Le gentleman, c'est Mackie
L'incendie sur la ville
Le feu brille, la mort vient
On s'étonne, on questionne
Oui mais Mackie ne sait rien
Le sang coule des mâchoires
Au repas du grand requin
Mains gantées et nappe blanche
M'sieur Mackie croque son prochain...