samedi, octobre 20, 2012

La récupération individuelle





Peut-il exister une société vraiment juste ? Je ne sais, je me contente de l'espérer. Ce que je sais, par contre, c'est que la nôtre a érigé l'injustice en système. Comment peut-on oser parler de justice alors qu'il existe des riches et des pauvres et que la loi, ainsi que les tribunaux, s'efforcent de préserver les privilèges des premiers ? Comment peut-on oser punir de prison les menus larcins alors que notre système social et économique repose sur l'exploitation de l'homme par l'homme ? De quel droit appelle-t-on délit le fait de soustraire un objet, et honnête activité le fait de ne pas payer à son prix normal le travail d'un ouvrier ? La sueur de l'homme et son ennui devant la machine vaudraient-ils moins que ce qu'il produit ?

Dois-je avouer que, personnellement, lorsque je lis dans mon journal qu'un cambrioleur d'occasion a réussi à dérober dans un luxueux appartement un tableau de maître, des bijoux et des fourrures, j'ai tendance à penser qu'il n'a fait que procéder à une sorte de récupération ? (La reprise individuelle d'Élisée Reclus) Ce que je n'aime pas, par contre, c'est que les pauvres se volent entre eux, mais, malheureusement, c'est ce qui se produit le plus souvent, car la fortune des riches, comme tout ce qui est mal acquis, est trop bien gardée pour qu'on puisse s'y attaquer.

Que l'on ne vienne pas me faire un mauvais procès en me disant qu'il y a des riches honnêtes, qui ont amassé leur fortune peu à peu, à la sueur de leur front. Personne, par son seul travail, ne peut devenir vraiment et « honnêtement » riche. C'est en faisant trimer les autres et en ne rétribuant pas leur travail au prix qu'il vaut, ou en vendant des produits à un taux nettement supérieur à leur valeur, que l'on peut faire fortune. Comment appeler cela autrement que du vol ou de l'escroquerie ?

Oh, bien sûr, il y a des degrés et c'est sur ces nuances que joue le pouvoir en faisant croire à certains pauvres qu'ils sont riches et qu'ils auraient beaucoup à perdre dans un bouleversement politique. Ceux-ci s'accrochent alors à leur voiture, à leur maison de campagne ou à leur petit bateau que personne ne songe sérieusement à leur arracher.

La plus grande habileté des possédants consiste en effet à faire assurer leur protection par ceux qui sont en fait leurs victimes. (La justice n'est-elle pas d'ailleurs rendue officiellement au nom du peuple français, alors qu'elle s'exerce souvent contre lui ?)

Le respect pour la loi et les tribunaux constitue le stade le plus avancé de cette imposture. Dès le plus jeune âge, on apprend aux citoyens que la loi est toujours juste et que les tribunaux sont tous impartiaux. Or, il suffit d'un peu d'expérience et de réflexion pour s'apercevoir que c'est là une monstrueuse hypocrisie. Pourquoi une société fondamentalement injuste se doterait-elle d'institutions visant à sa disparition ? Pourquoi les privilégiés se suicideraient-ils collectivement ? La fameuse nuit du 4 août 1789 a montré qu'on ne renonce en fait qu'aux privilèges que l'on a déjà perdus.

Alors que faire ? Je pourrais, en tant qu'avocat, disserter longuement sur les réformes souhaitables ; parler, puisque c'est la mode, de la détention préventive, du secret de l'instruction ou de la législation sur les chèques sans provision. Mais je sais que l'on ne corrige ni ne répare une balance qui penche toujours du même côté, parce qu'elle a été construite précisément pour pencher de ce côté.

Mon livre, Les dossiers noirs de la justice française, n'a pas pour but de proposer les solutions qui permettraient d'arrondir les angles et de perpétuer tant bien que mal, quelque temps encore, le système. Il vise simplement à dénoncer ce système par des exemples précis, à dire et à répéter : « Voyez lucidement l'injustice là où elle se trouve, elle a le visage familier de votre vie de tous les jours. » Et si je pouvais ainsi contribuer, tant soit peu, à la montée de la légitime révolte de tous les brimés, de tous les humiliés, de tous les opprimés, j'en serais heureux.

Denis Langlois, Les dossiers noirs de la justice française.



Du 26 octobre au 4 novembre 2012, Denis Langlois participera au Salon du livre francophone de Beyrouth qui fête son vingtième anniversaire.

Le blog de Denis Langlois



Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...