mardi, septembre 18, 2012

Les yippies & la révolution rock




Do It, le livre de Jerry Rubin (jadis jeune américain sage), est considéré comme le manifeste du mouvement « yippie », synthèse entre le courant hippie et le gauchisme des jeunes révolutionnaires américains.

Jerry Rubin (1938-1994), un enfant de l'Amérike

Je suis un enfant de l'Amérike.
Si un jour ils me collent au poteau pour mes «crimes» révolutionnaires, je veux un hamburger-frites avant de mourir, et un Coca.
Les grandes villes, ça me botte.
La page des sports et les potins dans leurs journaux, les programmes radio, la télé-couleur, j'adore ça.
Et aussi les grands magasins, les supermarchés géants, les aérogares. Ça me rassure de voir un restauroute Howard Johnson [équivalent des Jacques Borel], y compris les jours où je n'ai pas faim.
Je suis dingue des films de Hollywood, même les plus cons.
Je ne parle qu'une langue, l'anglais.
J'aime le rock.

Tout gosse, je collectionnais les photos de baseballeurs et je voulais devenir deuxième base dans les Cincinnati Reds.
Seize ans, ma première bagnole, je loupe mon permis — j'ai pleuré pendant huit jours avant de réessayer.
Je suis admis dans un de ces collèges où ils vous font d'abord passer un examen d'entrée. J'en sors en queue de liste.
On élit le type le « plus populaire» de la boîte, c'est moi.
J'avais les cheveux courts, courts, ultra-courts.
L'Attrape-cœur [roman de J.D. Salinger] m'a fait de l'effet.
Je n'ai jamais eu d'acné.

Je deviens un jeune as du reportage au Post and Times Star de Cincinnati. « Mon petit, me dit le patron, tu seras un jour un reporter du tonnerre, peut-être le plus formidable qu'il y ait jamais eu à Cincinnati. »

J'étais de tout cœur pour Adlai Stevenson [politicien super-libéral et chouchou de la petite bourgeoisie].
Mon père livrait du pain avec son camion. Plus tard il devint permanent du Syndicat des camionneurs de boulangerie. Il ne pensait que du bien de Jimmy Hoffa (moi aussi). [ Jimmy Hoffa : leader populiste du Syndicat.]
Il [le père de Jerry] est mort à cinquante-deux ans d'une crise cardiaque.
Ma mère avait été à l'université. Elle jouait du piano. Elle est morte d'un cancer à cinquante et un ans.
Je me suis occupé de mon frère Gil depuis qu'il a eu treize ans.
Je me suis fait réformer par piston.
Un an à Oberlin College, diplômé de l'université de Cincinnati, je passe un an et demi en Israël et me fais inscrire à Berkeley.
J'ai tout plaqué.
J'ai plaqué la race blanche et la nation amérikaine.
J'aime vivre sans entraves.
J'aime la défonce.
De complet-veston, de cravate, je n'en ai plus jamais portés.
Tout pour la révolution.
Je suis un yippie !
Je suis un orphelin de l'Amérike.

La révolution par le rock

Enfant promis à une existence furibarde, la Nouvelle Gauche est sortie du pelvis ondulant d'Elvis Presley.

En apparence, le monde des années 50 avait la bonne placidité d'Eisenhower. Satisfait et béat comme un grand reportage sur les « Fans d'Ike», papa-gâteau.
Par en dessous, la masse silencieuse des opprimés avait saisi ses chaînes à deux mains. Un drame se préparait : répression contre mécontents.
L'Amérikkke était coincée dans ses contradictions.

Papa regardait avec fierté sa maison et sa voiture, sa pelouse taillée au ciseau à Ongles. Tout ces biens qui justifiaient sa vie.
Il essayait de nous donner une bonne éducation : il voulait nous apprendre à marcher droit sur la route de la Réussite.

Travaille ne joue pas
Étudie ne traîne pas
Obéis ne pose pas de questions
Intègre-toi ne te fais pas remarquer
Sois sérieux ne te drogue pas
Fais de l'argent ne fais pas d'histoires

On nous obligeait à nous renier :
On nous apprenait que faire l'amour était mal, parce qu'immoral.
Et aussi, à cette époque d'avant la pilule, une fille en cloque vous barrait la route de la Respectabilité et de la Réussite.
On nous disait que la masturbation rendait fou et donnait des boutons.
On savait plus où on en était. Comment arriver à comprendre qu'il fallait bosser dur pour acheter des baraques toujours plus hautes ? des bagnoles toujours plus longues ? des pelouses taillées au ciseau toujours plus grandes ?
On en devenait fous. On ne pouvait plus tenir.
Elvis bousilla l'image papa-gâteau d'Eisenhower en secouant à mort nos jeunes corps emmaillotés. L'énergie sauvage du rock gicla en nous, toute bouillante, et le rythme libéra nos passions refoulées.
De la musique pour libérer l'esprit.
De la musique pour nous unir.
Buddy Holly, les Coasters, Bo Diddley, Chuck Berry, les Everly Brothers, Jerry Lee Lewis, Fats Domino, Little Richard. Ray Charles. Bill Haley, et les Cornets, Fabian, Bobby Darin, Frankie Avalon : tous nous ont donné vie / rythme et nous ont libéré.
Elvis nous disait let go ! let go ! let go ! let go !

La civilisation d'abondance, en fabriquant une voiture avec radio pour chaque famille bourgeoise, a fourni ses troupes à Elvis.
Pendant que la radio, à l'avant, gueulait Turn Me Loose, les gosses se déchaînaient sur la banquette arrière.
Beaucoup de nuits passées à baiser dans le noir au rythme du rock, sur des routes désertes.
Les banquettes arrière déclenchèrent la révolution sexuelle et les radios étaient le médium de cette subversion.
Nos vieux désespérés se servaient de la voiture comme d'un moyen de pression : « Si tu ne fais pas ce que je te dis, tu n'auras pas la voiture samedi soir. »
C'était cruel de s'en prendre ainsi à nos gonades, à notre seul moyen d'être ensemble.
La banquette arrière fut le premier terrain où s'affrontèrent les générations.

La révolution a commencé avec le rock.

[…]

Nos dirigeants ont sept ans.

L'Amérike dit : Ne fais pas ça.
Les yippies disent : Fais-le !
Toutes les actions des yippies sont destinées aux gosses de 3 à 7 ans.
Nous dévergondons les enfants.
Notre message, c'est : ne grandissez pas. Grandir, c'est abandonner ses rêves.

Nos parents mènent une guerre de génocide contre leurs propres enfants. Le système économique n'a rien à foutre de la jeunesse, il n'en a pas besoin. Tout a déjà été construit. Notre seule existence est déjà un crime.
En toute logique, ils devront nous éliminer.
Alors, l'Amérike envoie ses « nègres de jeunes » se faire crever la peau au Vietnam.
L'école a pour unique fonction d'empêcher les jeunes des classes moyennes d'être à la rue. Les lycées et les universités sont des crèches pour jeunes, sous leurs noms à la gomme.
Le Vietnam et l'école sont les deux fronts principaux où se livre la guerre de génocide de l'Amérike contre sa jeunesse, juste avant les prisons et les asiles.

L'Amérike dit : l'Histoire est finie. Intégrez-vous. On a découvert le meilleur système de toute l'histoire de l'humanité — c'est le nôtre. On n'aura jamais rien de mieux, parce que l'homme est égoïste, avaricieux, parce qu'il porte le stigmate du péché originel. Et si nous ne voulons pas nous intégrer, ils nous bouclent.
Mais pour les masses du monde entier, l'histoire ne fait que commencer. Et nous, les mômes, nous voulons aussi tout recommencer à partir de presque rien. Nous voulons être des héros, comme ceux des livres d'histoire. Nous n'avons pas vécu la Première Révolution amérikaine. Ni la Deuxième Guerre mondiale.
Nous avons manqué les révolutions chinoise et cubaine. Allons-nous passer notre vie à faire des grimaces béates en regardant la télé ?
Une société qui abolit toute aventure, fait de l'abolition de cette société la seule aventure possible. (Vaneigem)

Jerry Rubin, Do It.




Quand il était jeune, Rubin disait : « ne fais jamais confiance aux plus de quarante ans ». Ironie du sort, après la fin de la guerre du Vietnam, à un âge approchant la quarantaine, il renia totalement son idéal yippie pour se consacrer au business et adhéra à la contre-révolution conservatrice de Reagan.

Le livre en anglais :


Scenarios of the Revolution

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