samedi, septembre 29, 2012

Gomo Tulku, le lama rappeur




Pendant la pause d’une session de mixage, dans un studio d’enregistrement à Milan, Gomo Tulku, un artiste de Hip Hop tibétano-américain, joue le sample qu’il va insérer dans l’intro de son premier single – un ensemble vocale qui ressemble étrangement à un chant du Bouddhisme tibétain. Un de ses producteurs italiens l’avait programmé sur son clavier, et quand Gomo l’a entendu pour le première fois, se rappelle-t-il, il a dit « c’est une drogue, je le veux. Yo, c’est ma culture ! »

Assis derrière la console multi-pistes, pivotant sur sa chaise Aeron et discutant avec les ingénieurs qui travaillent sur le mix (« Si, perfecto, bello »), Gomo Tulku ressemble comme deux gouttes d’eau à un aspirant rappeur : jeans, doudoune noire, chapeau Pork Pie gris, lunettes oversize noir et or Super (la marque milanaise préférée de Jay-Z et de Rihanna). Mais le jeune homme de 23 ans n’est pas vraiment le tombeur qu’il incarne dans la vidéo de son premier single, « Photograph », où il boit dans un club et conduit une limousine pendant qu’une foule de beautés italiennes à longues jambes l’assaillent. Gomo est connu comme « le lama rappeur ». On l’a préparé toute son enfance à devenir un lama de haut rang, et la vidéo a causé un petit tollé au sein de la communauté bouddhiste en ligne. Mais Gomo ne boit quasiment pas d’alcool, et il insiste sur le fait que « Photograph » est une chanson de rupture salutaire sur la seule histoire d’amour qu’il a eu depuis son départ du monastère. « Écoutez les paroles ! » dit-il. Le style beau gosse du hip hop était une idée de son directeur italien.

Le mot tulku, dans le nom de Gomo, fait référence à son statut – dans la tradition tibétaine, un tulku est la réincarnation d’un haut lama récemment décédé, « reconnu » dans un jeune garçon par le biais d’une procédure mystique de présages et de visions. Gomo a été consacré par le Dalaï-lama lui-même, et l’histoire de la propre reconnaissance de ce dernier est bien connue en occident – un jeune paysan venu d’un coin paumé arrive comme par magie à identifier les possessions préférées de son prédécesseur – ce qui a servi de base à une publicité de 2002 pour les M&M's.

Gomo a appelé son single « Take One » (première prise), parce que « c’est ma première prise, la première véritable expérience de ma vie en tant que laïc dans ce monde matérialiste », dit-il. Gomo, tibétain né au Québec et élevé au Canada, dans l’Utah et en Inde, a suffisamment de bon sens pour comprendre que les années qu’il a passées en tant que moine au crâne rasé constituent une irrésistible trame de fond pour un MC (« Master of Ceremony », c'est-à-dire un rappeur). Sa boucle sonore digitale – un grondement hypnotique de Oms qui ressemble à un croisement entre le coassement du crapaud-buffle et une guimbarde baissée de plusieurs tons - « évoque un univers de moines en robes bordeaux et safran soufflant dans des trompettes en os. Mais cela pose également la question suivante : quand le Dalaï-lama, âgé de 77 ans, quittera la scène, ce monde fait de 1500 ans de traditions religieuses et d’explorations spirituelles se réduira-t-il à un ersatz samplé dans une chanson hip hop ?

L’Amérique a été colonisée par le Bouddhisme tibétain a un degré extraordinaire. Le noyau de la communauté comprend peut-être 100 000 pratiquants purs et durs dans tout le pays.

Tout autour, gravitent plusieurs millions de voyageurs spirituels qui vont peut-être acheter les best-sellers du Dalaï-lama ou assister à ses conférences (il a acquis un statut de rock-star, depuis qu’à New York il a attiré une foule de 65 000 personnes venues à Central Park juste pour l’entendre parler). Aider à alimenter le phénomène est un pouvoir soft (mais réel) qui rend sa cause célèbre et constitue une deuxième religion dans le monde de la solidarité : des stars d’Hollywood comme Richard Gere gravitent dans l’entourage américain du Dalaï-lama, les concerts constellés de stars organisés par feu Adam Yauch des Beastie Boys (qui était pratiquant du Bouddhisme tibétain) pour soutenir la cause tibétaine, sans oublier les statues de Bouddha, les thangkas (peintures sacrées sur toile), et les drapeaux de prières qui ornent les studios de yoga du coin et les clubs de forme dans tout le pays.

Pour les centaines de tulkus tibétains qui ont atteint leur majorité après la prise de pouvoir de leur pays par la Chine en 1959, l’Inde est peut-être le pays où ils peuvent servir au monastère, mais c’est en occident que se trouvent les étudiants, la presse, et l’argent.

Pourtant il est difficile de savoir si le système des tulkus – qui, depuis ses débuts à l’époque médiévale, a été beaucoup plus une histoire de transfert du pouvoir monastique que la reconnaissance d’un génie spirituel – peut continuer à faire progresser l’engagement du Dalaï-lama avec l’occident. Le jeune Karmapa est l’héritier présomptif au rôle de ce dernier en tant que représentant mondial du Bouddhisme tibétain. Il se morfond dans le nord de l’Inde, en raison de tensions politiques en rapport avec la Chine. En son absence, les jeunes tulkus occidentalisés pourraient être la clé pour attirer une nouvelle génération d’Américains vers le Bouddhisme tibétain. Le problème, c’est que ces tulkus cosmopolites, sceptiques quant au fait d’être des lamas décédés, ne sont pas sûrs de vouloir le job.

Le sutra d'un rappeur

Le sort de Gomo semble avoir été scellé à l’âge de 3 ans, lorsque le Dalaï-lama a déclaré qu’il était la réincarnation du grand-père du garçon, un éminent lama tibétain.

Quand la lettre de reconnaissance officielle arriva du bureau de sa Sainteté, la pieuse mère de Gomo fut « à la fois triste et heureuse », dit-il. Elle perdait son fils qui devait partir au monastère mais, selon la tradition bouddhisme tibétaine, elle retrouvait l’esprit de son père.

Les premières années de la vie de Gomo furent nomades : né et élevé dans la ville francophone de Montréal, à l’âge de 5 ans il partit avec sa mère (ses parents avaient divorcé) pour Bountiful, dans l’Utah, banlieue essentiellement mormone de Salt Lake City. Quand il eut 6 ans, la mère et l’enfant (unique) voyagèrent jusqu’au minuscule village toscan de Pomaia. L’année suivante, le Dalaï-lama coupa les cheveux de Gomo, première étape de son initiation à la vie monastique. « Je me souviens que j’étais nerveux », dit Gomo, « il avait une telle présence ». Pendant son intronisation, Gomo était assis sur un trône élevé couvert de brocards, pendant que des centaines de moines et d’étudiants occidentaux se pressaient pour voir de plus près ce nouvel enfant lama. « Je me disais « Waouh, c’est incroyable », se rappelle-t-il. « Il y avait des photographes de douzaines de journaux et agences de presse du monde entier ». Il retourne au langage hip hop : « les flics, le 5-03 (Police en argot américain), étaient là et les repoussaient ».

Après une journée entière au studio, Gomo et moi partons pour un trajet de 4h vers le sud, direction Pomaia. Nous arrivons à minuit. Là, dans une villa en pierre du 19ème siècle, se trouve l’institut Lama Tsong Khapa. « Le petit Tibet de Toscane » (comme le décrit un site web touristique) est une étape régulière pour des éminences comme Richard Gere ou le Dalaï-lama. Une imagerie stéréotypée de Bella Toscana (des cyprès maigres et coniques, un paysage joli et broussailleux d’herbes parfumées) se marie bien avec des ajouts plus récents comme des drapeaux de prières et un moulin à prière géant en cuivre.

Le matin, au milieu des statues dorées de Bouddha de la salle de méditation, des tapisseries de soie, et des portraits du Dalaï-lama, Gomo apporte une détermination feutrée à ses prières.

« Ça me ramène à l’époque où j’étais au monastère », dit-il après avoir fini ses prosternations. « Nous avions l’habitude de prier tout le temps. Dès que je reviens dans ce genre d’endroit, j’essaie de toujours avoir de bonnes pensées, de bonnes intentions, j’essaie de me souvenir du but que je poursuis ». Gomo n’a passé qu’un an à Pomaia avant d’être envoyé au monastère de Sera Jey dans le Mysore, en Inde. Il lui a donné, en tout, 12 ans de sa jeune vie. Ses journées en tant que moine se déroulaient de la façon suivante : debout à 6h du matin, prières, chant, mémorisation de textes, page après page, et pratique des débats logiques bouddhistes jusqu’à minuit environ tous les soirs. « J’en ai bavé », dit-il, « pas de ce qu’on me donnait, mais beaucoup plus de ce qu’on m’avait enlevé ». Pas besoin d’un expert de Dylan pour déchiffrer les paroles de sa chanson « Lost and Found » (Perdu et trouvé) : « tout est parti, tout est parti, les baisers de ma maman me manquent / essayer de faire grandir un enfant / en le laissant tout seul / destiné à être sur un trône/ … Pourquoi n’es-tu pas restée, pourquoi n’es-tu pas restée ? »

Gomo est resté un bon soldat monastique jusqu’à l’âge de 15 ans, quand une idée audacieuse s’est emparée de lui : retrouver sa mère pour une année de lycée en Amérique. A Bountiful, c’était le gamin asiatique bizarre qui parlait un anglais fait de bric et de broc et « avait probablement l’air d’un crétin ». Il avait encore ses vœux de moines – pas de sexe, pas d’alcool –, ce qu’il cachait à ses camarades de classe, excepté à son meilleur ami. « Je voulais être capable de faire l’expérience de cette vie de môme », dit-il. « S’ils avaient su que j’étais un lama, ça aurait été un désastre ». Mais comparé à sa vie d’avant, ce séjour était une libération pure et simple. Son moment d’illumination sous l’arbre de la Bodhi eut lieu quand il entra dans une nouvelle boutique Apple à Salt Lake City et vit la vidéo de T.I. « Bring Em Out », qui passait sur un Ipod de 60 gigas récemment sorti. Ce morceau cru de gangster rap le « bouleversa », dit-il. « Quelque part son énergie fut une révélation ».

Bien qu’il eut fortement soupçonné qu’il n’allait pas garder la robe de moine, Gomo retourna à Sera Jey pour boucler les trois dernières années, obtenant l’équivalent d’un baccalauréat monastique, parce qu’il voulait finir ce qu’il avait commencé – ou ce qu’on lui avait fait commencer. La musique, particulièrement le hip hop, était vitale pour lui, sous la forme d’un casque audio et d’un lecteur de cd portable. « Je passais des heures à écouter de la musique jusqu’à, mettons, cinq heures du matin », dit-il. « Je me sentais connecté à elle, comme si c’était mon meilleur ami, une chose qui me comprenait. Mon serviteur frappait à la porte et me disait quelque chose du style, « Yo, rinpoché, il faut aller au lit maintenant ».

Il y a trois ans il a rendu ses vêtements de moine et il est retourné à Pomaia. Son enseignant monastique principal fut compréhensif, et il dit qu’en dépit de la déception, même sa mère lui dit « tant que tu ne dis pas le mot « fuck » (équivalent approximatif de « putain ») dans tes chansons ça me va ».

Cela fait un an et demi qu’il habite à Milan, et à l’exception d’une brève histoire d’amour avec une étudiante guatémaltèque dans le cadre d’un programme d’échange, il poursuit une carrière musicale avec une dévotion monacale, vivant d’une allocation versée par des bienfaiteurs italiens.

Bien que l’an dernier il ait été proclamé Meilleur Chanteur lors des Tibetan Music Awards (Version tibétaine des Victoires de la Musique) sur la base de son unique single en ligne (« Photograph »), Gomo peut assez bien être décrit comme un petit poisson dans un petit étang. Il attend, anxieusement, que l’industrie de la musique le sorte de l’obscurité.

Dans son studio de Milan, il écoute en boucle le play-back de « Let Me Down », dans lequel il rappe : « Impossible de s’étouffer, je me sens comme la cravate/ du dirigeant qui vous dit si ce que vous avez fait de mieux/ sera suffisant… Peur d’avoir l’air ridicule, mais j’ai assez de courage pour le faire/ Si tu as jamais douté de tes rêves/ Passe juste cette merde en boucle ».

Il écrit des mélodies bien construites, moitié rappées moitié chantées, prononcées d’une voix légère et douce – qui fait penser à Chris Brown ou à Drake avec une bonne dose de boys band. La branche italienne de Universal Records aime ce qu’elle a entendu, mais il attend encore de signer pour un disque. Jusqu’ici, les lamas les plus anciens ont gardé le silence sur son choix de carrière. J’ai demandé à Gomo quelle peut être la réaction du Dalaï-lama. « Il consulte mes vidéos sur YouTube – et, « C’est chaud ! », plaisante Gomo. Puis, dans un style plus sérieux qui n’est jamais loin derrière le vernis hip hop : « Je serais honoré s’il avait entendu parler de moi. En fait je pensais aller le voir. Voyons d’abord ce qui se passe avec ma musique, et si les choses commencent à mûrir, j’irai peut-être lui l’expliquer ».

Article de Joseph Hooper, « Partis de leur OM, les lamas perdus du bouddhisme »




L'histoire de Gomo Tulku fait penser à un autre tulku défroqué, Ösel Hita Torres, un jeune espagnol né à Grenade en 1985, reconnu par le Dalaï-lama comme la réincarnation d’un hiérarque du lamaïsme. 

Ösel Hita Torres reproche aux lamas son enfance volée. Il préfère étudier le cinéma et travailler que de vivre en maître adulé, soit-disant réincarnation de ThubtènYéshé (1935–1984). 


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