Nous
sommes tous nés deux fois : le jour de notre naissance biologique,
dont nous n'avons aucun souvenir, et le jour de notre naissance à la
conscience, que nous nous rappelons par définition. Quand on remonte
à ses plus anciens souvenirs, on a des flashs : un sourire, une
odeur, une lumière, une ambiance... Et soudain jaillit une
globalité, souvent vers quatre-cinq ans. C'est précisément quand
ses propres enfants ont atteint cet âge que le Dr Philippe Presles
(auteur du livre Tout ce qui n'intéressait pas Freud) a
ressenti l'impérieuse nécessité de s'interroger sur la conscience.
Il a alors décidé de mener une grande enquête en cherchant d'abord
des indices signalant le « saut de la conscience » chez le
petit humain. Presles trouve six indices, qui convergent tous vers
l'âge de cinq ans :
— Nous
devenons conscients quand s'instaure en nous un dialogue intérieur
avec notre alter ego.
— Notre
corps mémorise tout, mais notre conscience réflexive ne se souvient
de rien avant un certain âge — même des pires souffrances.
— Aucun
autre petit mammifère ne demande à son père ou à sa mère : «
C'est vrai que tu vas mourir ? » Pour Presles, cette question de
l'un de ses enfants fut le choc qui le poussa dans cette enquête.
— La
conscience arrive avec la découverte de la nudité.
— Pour
le bambin, même les objets ont des intentions ; peu à peu il
distingue ce qui est conscient ou pas, et vers cinq ans, comprenant
que l'autre a son propre moi, il accède à l'humour... et au
mensonge.
— La
conscience morale s'enracine dans l'imitation (fondatrice de
l'empathie) et dans l'obéissance (aux parents et au groupe).
Cependant
l'accession à la conscience ne garantit pas son maintien chez
l'adulte. Philippe Presles dresse une liste d'obstacles à notre
lucidité. Certains semblent évidents : devenir insensible et
rationalisant, préjuger de la pensée des autres, se laisser piéger
par l'excitation ou par le succès personnel, ou encore se comparer à
autrui. Mais d'autres pièges peuvent surprendre, notamment le plus
commun : négliger sa santé. Philippe Presles : « Tout se passe
comme si nous oubliions que notre conscience, c'est notre cerveau, et
que notre cerveau, c'est notre corps. » Ce qui nous ouvre à une
approche à laquelle nous ne sommes pas habitués en Occident : notre
conscience est d'abord physique.
Cette
adhésion à l'idée d'unicité du réel, qu'un Spinoza partagerait
sans doute volontiers avec les penseurs hindous de l'advaïta
(dépassement de la dualité), n'empêche pas l'observateur objectif
de noter que notre conscience, si elle nous aide à vivre au
quotidien, peut aussi connaître des états totalement
extraordinaires. C'est ici en particulier qu'interviennent les
maîtres bouddhistes, abondamment cités dans un chapitre que
Philippe Presles consacre à ce qu'il appelle l'« hyperconscience ».
Un domaine immense et fabuleux, qui va de l'expérience de mort
imminente (ou near death experience, NDE) aux extases des
grands sportifs, en passant par les expériences d'accidentés qui
ont vu soudain le temps se ralentir, et de malades « miraculeusement
» sauvés par une voix intérieure — le Dr Presles est d'autant
plus intéressé par cette dernière forme d'état de conscience
qu'elle l'a sauvé un jour d'une électrocution qui aurait dû être
mortelle... [...]
Un
voyage au-delà du cerveau
Peut-on
dire quoi que ce soit du rapport entre notre cerveau et les états de
« conscience cosmique » ? Une réponse nous est fournie par une
neurologue américaine, Jill Bolte Taylor, à qui est arrivée une
expérience extraordinaire. Une expérience qui aurait pu très mal
se terminer et qui a radicalement changé sa vie...
Jill
Bolte Taylor est une héroïne de la rééducation neuronale. Son
aventure ressemble à un scénario de roman. Pour tenter d'aider son
frère schizophrène, elle n'avait eu de cesse, depuis l'enfance, de
comprendre les dérèglements du cerveau et avait fini par devenir
une brillante neuroanatomiste, à Harvard. En outre, comme ce type de
recherche manque cruellement de cultures de cellules nerveuses (le
don de cerveau n'est pas populaire), elle consacrait son temps libre
à parcourir les États-Unis d'un bout à l'autre, guitare en
bandoulière, pour recruter des « donneurs de cerveau » au nom de
la NAMI (Alliance nationale pour la maladie mentale)... Et voilà
qu'à trente-sept ans, le matin du 10 décembre 1996, alors qu'elle
se réveille, la chercheuse est victime d'un accident vasculaire
cérébral. La matinée qui suit est incroyable. Jill Bolte Taylor va
en effet se révéler capable, pendant plusieurs heures, d'observer
sa conscience quitter peu à peu son cerveau gauche. C'est là, en
effet, que l'hémorragie s'est produite. Le néocortex de notre
hémisphère gauche coordonne nos fonctions conscientes supérieures
: langage, calcul, analyse, réflexion, discernement, sentiment du
moi... Vague après vague, toutes ces capacités l'abandonnent peu à
peu. Avec une douleur épouvantable, la jeune femme se lève et tente
d'appeler à l'aide. Mais chaque fois qu'elle s'approche du
téléphone, son cerveau rationnel la quitte et elle ne sait plus qui
elle est, ni ce qu'elle fait. À mesure que l'hémorragie s'étend,
elle réussit néanmoins, zone corticale après zone corticale, à
comprendre pourquoi ses perceptions changent. Le plus étonnant est
que sa mémoire gardera la trace des différents épisodes, notamment
celui de son extase...
Car
malgré la douleur qui la déchire, la chercheuse constate, ahurie,
que si son cerveau gauche se trouve peu à peu neutralisé, le droit,
lui, continue à fonctionner, et même mieux que d'habitude, n'étant
plus entravé par le gauche qui, habituellement, le contrôle. Le
néocortex de notre hémisphère droit coordonne nos fonctions
subconscientes supérieures : sensibilité, intuition, sens de
l'esthétique et de la synthèse, sentiment océanique de
participation au monde... Ces fonctions occupant désormais tout
l'espace de sa conscience, Jill connaît un véritable satori ! C'est
ce qu'elle racontera dix ans après, dans Voyage au-delà de mon
cerveau. Sa souffrance se trouve effacée par une formidable
sensation d'amour cosmique. Une sorte de NDE. Une immense euphorie
l'envahit à mesure que son moi s'évanouit et qu'elle se sent
fusionner avec le « tout ».
Le plus
fort est que, de temps en temps, son cerveau gauche se remettant à
fonctionner un instant, elle comprend rationnellement ce qui lui
arrive. Elle vérifie sur elle-même ce que les neurologues
commencent à l'époque tout juste à découvrir, en équipant
d'électrodes les crânes de moines bouddhistes en train de méditer
ou de nonnes chrétiennes en train de prier. Des données qu'Eugene
d'Aquili et Andrew Newberg décriront bientôt dans Pourquoi Dieu
ne disparaîtra pas. Chez des sujets entraînés, la méditation
ou la prière ont pour effet de réveiller et d'exacerber la
vigilance et la présence, mais d'endormir les zones corticales
nécessaires pour distinguer et séparer le moi du reste du monde.
C'est ce que vit la jeune neurologue qui, plus tard, « remerciera
son AVC » de lui avoir fait connaître l'expérience mystique qui
transformera sa vie. Un sentiment d'extase si puissant qu'il lui
faudra fournir un effort colossal pour finalement réussir à
composer un numéro de téléphone et à pousser un grognement,
qu'heureusement l'un de ses collaborateurs saura décrypter comme un
appel au secours. Paralysée, Jill Bolte Taylor passera très près
de la mort. Mais jamais une partie de sa conscience n'aura cessé de
tout noter, par curiosité intellectuelle et, dit-elle, dans l'espoir
d'aider et de prévenir les innombrables victimes potentielles d'un
AVC. Extrêmement diminuée, elle mettra dix années à récupérer
ses capacités physiques et mentales, au prix d'efforts quotidiens,
démontrant à son tour à quel point le cerveau humain est plastique
et adaptable.
Pas
étonnant que son livre soit devenu un best-seller mondial. Imaginez
une exploration intérieure comme celle de Jean-Dominique Bauby dans
Le Scaphandre et le Papillon, mais qui rejoindrait La Vie
après la vie de Raymond Moody et qui, surtout, se terminerait
bien !
Patrice
Van Eersel, Votre cerveau n'a
pas fini de vous étonner.
Votre
cerveau n'a pas fini de vous étonner
On
savait que c’était l’entité la plus complexe de l’univers
connu. Mais le feu d’artifice de découvertes récentes dépasse
l’entendement et fait exploser tous les schémas. Votre cerveau est
(beaucoup) plus fabuleux que vous le croyez. Il est : totalement
élastique, même âgé, handicapé, voire amputé de plusieurs
lobes, le système nerveux central peut se reconstituer et repartir à
l’assaut des connaissances et de l’action sur le monde ;
totalement social, un cerveau n’existe jamais seul, mais toujours
en résonance avec d’autres. Mieux : nous sommes neuronalement
constitués pour entrer en empathie avec autrui et aller à son
secours. Ce livre aborde ces questions passionnantes avec cinq
spécialistes.
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pour feuilleter le livre