lundi, avril 02, 2012

La sobriété heureuse




Patrick Viveret prône une sobriété heureuse pour sortir de la démesure qui caractérise notre époque et mène à une crise économique, sociale, écologique, mais aussi politique.

Quelles réformes (y compris utopiques) faudrait-il mettre en œuvre pour que notre société soit plus durable, plus épanouissante pour chacun et moins inégalitaire ?

Lutter contre l'inégalité et l'injustice est en effet un objectif central. La permanence de ces phénomènes est en effet un des obstacles majeurs pour traiter les questions écologiques. Il nous faut donc instaurer non seulement un bouclier social mais aussi un bouclier vital, afin d'empêcher des personnes de plus en plus nombreuses de basculer, au-delà même de la pauvreté, dans la misère. Cela implique de créer un revenu social de base qui ne soit pas lié à des mesures répressives comme celles que l'on retrouve dans le dispositif du revenu de solidarité active (RSA). En effet, celui-ci prévoit notamment la radiation des personnes qui n'acceptent pas les emplois qu'on leur propose. Un revenu maximum permettant de limiter l'échelle des salaires à une grille allant de 1 à 10 ou de 1 à 20 serait également nécessaire. C'est une question de justice sociale.

Quant à la question de la durabilité de notre société et de l'épanouissement de chacun, il faudrait mettre en œuvre une vraie politique des temps de vie, depuis l'accompagnement de la naissance à celui de la mort. Cela suppose de donner les moyens à chacun de sortir d'une logique de survie, d'aider chaque être humain à trouver son projet de vie, en se posant la question « que dois-je faire "de" ma vie ? », au lieu de la question « que dois-je faire "dans" la vie ? » En clair, il convient que la société mette davantage l'accent sur les problématiques de métier (qui renvoie au projet de vie dans son sens historique et étymologique) plutôt que sur celles de job et d'emploi. Cela suppose que le système de formation sorte d'une vision réductrice et adaptative de l'éducation. Tout être humain, même en situation défavorisée, est porteur de savoirs. Il faudrait, pour en tenir compte, réinventer de véritables chambres des métiers qui seraient des espaces où, par exemple, on aiderait les jeunes à définir leur projet de vie, en les accompagnant pour cela vers une formation. Le Pôle emploi actuel deviendrait un Pôle métiers, articulé avec les chambres des métiers. Le système d'orientation, qui est trop souvent une pré-adaptation des jeunes à des filières qu'ils n'ont pas choisies, serait profondément transformé et doté de moyens nouveaux.

L'automatisation nous permet aujourd'hui de réduire la part des emplois pénibles et d'accroître celle des travaux qualifiants. Cette transition doit se poursuivre, sachant que nombre d'emplois considérés comme peu qualifiés, en particulier dans le domaine des services à la personne, doivent être sécurisés, mieux rémunérés, reconsidérés.

Vous proposez pour cela de mesurer autrement la contribution des différentes activités à la société ?

Il faut en effet requalifier les activités qui sont dans une logique contributive au bien-être, et au contraire limiter celles qui sont nuisibles, en particulier sur le plan écologique. Quantité d'emplois sont aujourd'hui dans des secteurs destructeurs, comme par exemple les fonctions de traders liées à la spéculation financière, alors que des temps sociaux, qui sont prétendument de l'ordre de l'inactivité, dans le travail domestique ou le bénévolat, ont une utilité immense. La moitié des responsables associatifs et le tiers des élus locaux sont à la retraite. Or leur contribution sociale est essentielle.

Comment la « sobriété heureuse » pourrait-elle y participer ? Par quelles réformes se traduit-elle concrètement ?

La crise systémique que nous traversons actuellement a été causée par la démesure. On constate par exemple, au travers des chiffres officiels fournis par l'Organisation des Nations unies (ONU), que les fortunes personnelles des 225 familles les plus riches du monde sont équivalentes aux revenus cumulés de plus de 2,5 milliards d'habitants. On pourrait aussi reprendre les propos d'Henri Ford. Bien qu'il ne soit pas précisément connu pour être un « alternatif », il considérait qu'à partir du moment où le revenu le plus haut dans une entreprise représentait plus de dix fois le plus bas salaire, l'entreprise était en danger. Rappelons que sous la présidence Eisenhower, plutôt conservatrice, le taux d'imposition des plus hauts revenus était de 91 %. On est loin, vous le voyez, du « bouclier fiscal » ! C'est dire à quel point les écarts colossaux aujourd'hui constatés - de 1 à 1 000, voire plus - entraînent des conditions de « vivre ensemble », que ce soit à l'intérieur d'une entreprise ou de tout autre système extérieur, qui ne peuvent pas résister durablement. Il y a aussi démesure dans le décalage abyssal entre l'économie réelle et l'économie spéculative et financière, dans les rapports à la nature, dans le rapport au pouvoir.

Or la sobriété heureuse consiste précisément à accepter que notre activité économique ait des limites. Tout d'abord des limites écologiques, en préservant les ressources naturelles, mais aussi des limites en termes d'abus de pouvoir. Comme l'explique Hervé Kempf, nous sommes face à des logiques oligarchiques contre lesquelles il faut lutter afin de reconstruire la démocratie. En France, il faut sortir du mécanisme de sélection en chambre de nos dirigeants. Les candidats aux élections présidentielles sont le plus souvent choisis parmi les 1 % à 10 % les plus riches de la population, voire les 0,1 % des hyperriches. Cette collusion s'exprime de façon dramatique en Italie avec l'oligarchie berlusconienne, qui concentre le pouvoir économique et médiatique. Il faut, face à cela, construire de vraies logiques de séparation des pouvoirs.

La sobriété heureuse est aussi un art de vivre, de bien vivre (buen vivir, dit-on en Amérique du Sud), et ce thème fut au cœur du Forum social mondial de Belém, en 2009. Une politique inspirée par ce principe peut s'appliquer aussi bien à la ville, qu'aux transports ou au travail. Ainsi, il faut mettre en place des politiques publiques sur la qualité du sommeil. L'être humain passe plus de temps à dormir qu'à travailler, et ce temps, les neurosciences nous l'ont montré, joue un rôle décisif dans la créativité et l'intelligence. Il faudrait donc travailler à limiter le bruit, la mauvaise alimentation, le stress qui gâchent la qualité du sommeil. Il faudrait aussi réorganiser la ville pour en finir avec les cadences infernales, comme le fait le mouvement des villes lentes. Enfin, les réponses à la souffrance au travail consistent à revaloriser les métiers, ne pas simplement traiter les symptômes, mais prévenir les phénomènes de stress, notamment celui lié à l'exigence de productivité. En effet, nous ne sommes pas seulement dans une économie des flux tendus, mais aussi une société des flux tendus. Et nous avons impérativement besoin de ralentir.

Selon vous, ces transformations sont déjà en marche ?

L'histoire nous le montre aussi, les fusils les plus puissants ne peuvent rien à la longue contre la force des idées. La puissance de l'opinion mondiale et locale a eu raison de l'apartheid en Afrique du Sud, de la colonisation anglaise en Inde et, plus récemment, les peuples tunisien et égyptien ont eu raison des dictateurs qui dirigeaient leurs pays. Alors, pourquoi ne pas avoir raison du mur de l'argent, des logiques de peur, de domination et de maltraitance, de la démesure et du mal-être, de la dégradation de la planète, de ce seuil symbolique, franchi en 2009, du milliard de gens qui ont faim ?

Cette immense transformation culturelle, sociale est déjà en marche, et nous n'avons pas d'yeux pour la voir. Songeons, par exemple, à la rapidité avec laquelle se développent dans nos sociétés (sans grande intervention des politiques, qui ne font que suivre le mouvement) des changements d'attitude qui pourtant paraissaient énormes comme le tri sélectif des déchets, la circulation en vélo dans les villes, l'interdiction de fumer dans les lieux publics, les limitations de vitesse sur la route, la consommation de nourriture biologique, et maintenant la réorientation de la consommation de masse vers des dépenses plus durables et plus nécessaires. Je définis souvent la philosophie comme « l'art de la dégustation de la vie ». Il nous faut non seulement croire à un avenir possible pour l'humanité, mais aussi imaginer un avenir désirable qui ne se limiterait pas à l'objectif minimaliste d'assurer la seule survie biologique de l'humanité. C'est la question de la vie intense qui se pose, aussi bien dans nos vies personnelles que dans la vie collective de la famille humaine. Pour repérer ces forces créatrices, il est important de voir ou de croire qu'a un autre monde est possible ».

Propos recueillis par N. N. pour Alternatives Economiques 


Reconsidérer la richesse

« Il est nécessaire de porter les questions d'une nouvelle approche de la richesse à la fois dans l'espace des institutions internationales, dans celui des entreprises, et bien sûr dans celui de la société civile mondiale. Ce qui était encore il y a huit ans une approche extrêmement marginale commence en effet à s'imposer dans le débat public international sous l'effet de la crise écologique, sociale et financière ».
Patrick Viveret


Patrick Viveret est philosophe, ancien conseiller à la cour des comptes et membre fondateur du Forum pour d'autres indicateurs de richesse (FAIR).

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