samedi, mars 03, 2012

Michel Onfray, nouveau BHL ?





Jean-Pierre Garnier n'aime pas Michel Onfray qu'il qualifie de « philosophe pour tête de gondole de supermarché », d'« anarchiste renégat », de « nain de la pensée », de « mystificateur »...

Dans le numéro du Monde diplomatique de mars 2012, Jean-Pierre Garnier dit tout le mal qu'il pense de Michel Onfray et de son livre L'ordre libertaire. La vie philosophique d'Albert Camus. « Pour qui souhaite connaître la pensée d’Albert Camus, écrit Jean-pierre Garnier, il suffira de lire son œuvre. A défaut d’être toujours profonde, elle a le mérite de la clarté. A cet égard, l’ouvrage que Michel Onfray vient de lui consacrer n’est d’aucune utilité. En revanche, pour qui s’intéresserait à la vision du monde et surtout de lui-même de ce philosophe à succès, la lecture de cette somme est indispensable. »

La critique du freudisme par Michel Onfray, exposée dans ce blog, est-elle fondée ? (La secte de monsieur Freud)

Élisabeth Roudinesco, directrice de recherches à l'université de Paris-VII considère que le livre de Michel Onfray, Le Crépuscule d'une idole, L'affabulation freudienne, comporte de nombreuses erreurs. Elle écrit :

« Dans un brûlot truffé d'erreurs et traversé de rumeurs, Michel Onfray, qui ignore tout des travaux produits depuis quarante ans par les historiens de Freud et de la psychanalyse, se présente comme un psychobiographe de Freud, seul capable de décrypter certaines légendes dorées pourtant invalidées depuis des décennies. S'attachant à percer de prétendues vérités qui auraient été dissimulées par la société occidentale — elle-même dominée par la dictature freudienne et par ses « milices » —, il regarde les Juifs, inventeurs d'un monothéisme mortifère, comme les précurseurs des régimes totalitaires, peint Freud en tyran domestique soumettant toutes les femmes de sa maisonnée à ses caprices et en abuseur sexuel de sa belle-sœur : homophobe, phallocrate, faussaire, avide d'argent, n'hésitant pas à faire payer une séance d'analyse l'équivalent de 450 euros. Chiffre sans fondement sérieux avancé lors d'une émission de télévision et repris par de nombreux médias.

Il décrit le savant viennois comme un admirateur de Mussolini, complice du régime hitlérien (par sa théorisation de la pulsion de mort), et fait de la psychanalyse une science fondée sur l'équivalence du bourreau et de la victime. Tout en se déclarant freudo-marxiste — alors qu'il se veut antifreudien et adepte de Proudhon, et donc ni marxiste ni freudien —, il réhabilite le discours de l'extrême droite française avec lequel (sans le savoir) il entretient une certaine communauté de pensée. De telles positions ne relèvent plus du nécessaire débat intellectuel sur la question de Freud et du statut de la psychanalyse. Car à force d'inventer des faits qui n'existent pas et de fabriquer des révélations qui n'en sont pas, l'auteur de cette charge favorise la prolifération des rumeurs les plus extravagantes: c'est ainsi que des médias ont annoncé, avant même la parution de l'ouvrage, que Freud avait séjourné à Berlin durant l'entre-deux-guerres, qu'il avait été le médecin de Hitler et de Göring, l'ami personnel de Mussolini et un formidable abuseur de femmes. La rumeur aidant, on apprendra bientôt qu'il battait sa gouvernante, sodomisait ses animaux domestiques ou faisait rôtir les petits enfants.

Quand on sait que huit millions de personnes en France sont traités par des thérapies qui dérivent de la psychanalyse, on voit bien qu'une telle démarche s'apparente à une volonté de nuire. Elle ne pourra, à terme, que soulever l'indignation de tous ceux qui — psychiatres, psychanalystes, psychologues, psychothérapeutes — apportent une aide indispensable à ceux qui sont autant frappés par la misère économique — les enfants en détresse, les fous, les immigrés, les pauvres — que par cette souffrance psychique que mettent au jour tous les collectifs de spécialistes. »

Il est certain que Michel Onfray irrite beaucoup de personnes. Cette irritation est nettement perceptible dans le portrait qu'Élisabeth Roudinesco fait du philosophe :

« Fondateur d'une université populaire à Caen, titulaire d'un doctorat de troisième cycle (ancien régime), Michel Onfray est connu pour avoir rassemblé autour de lui un vaste public qui adhère à ses propos comme à une entreprise de rénovation du discours philosophique.

Convaincu que l'Université française et l'École républicaine sont autant de lieux de perdition dans lesquels des professeurs assènent à des enfants soumis des vérités officielles, Onfray a entrepris une révision de l'histoire des savoirs dits « officiels ». Il se veut libertaire, d'extrême gauche, adepte de Proudhon contre Marx, antifreudien, antimarxiste (et non pas freudo-marxiste) et se proclame le défenseur du peuple exploité par le capitalisme. Aussi a-t-il été pendant un temps proche du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), avant d'appeler à voter pour le Front de gauche aux dernières élections régionales.

Depuis plusieurs années, il a entrepris de populariser une «contre-histoire de la philosophie », qui prétend lever les refoulements sur des savoirs qui auraient été censurés par les professeurs, par le pape, par les prêtres. Aussi a-t-il mis au point une méthodologie qui s'appuie sur le principe de la préfiguration : tout est déjà dans tout avant même la survenue d'un événement.

En vertu de cette méthodologie, qui rencontre un vrai succès populaire auprès d'un public fasciné par ce qu'il perçoit comme un appel à une insurrection des consciences, Onfray a pu affirmer qu'Emmanuel Kant, philosophe allemand des Lumières, n'était qu'un précurseur d'Adolf Eichmann — l'organisateur de la « Solution finale », qui se voulait kantien —, que les trois monothéismes (judaïsme, christianisme, islam) sont en eux-mêmes des entreprises meurtrières, que l'évangéliste Jean est l'ancêtre de Hitler, que Jésus pré-figure Hiroshima, et qu'enfin le monde musulman est fasciste.

À l'origine de cette sombre affaire, les Juifs, fondateurs du premier monothéisme — c'est-à-dire d'une religion sanguinaire axée sur la pulsion de mort —, seraient donc, selon Onfray, les responsables de tous les malheurs de l'Occident, les véritables «inventeurs de la guerre sainte» : « Car le monothéisme tient pour la pulsion de mort, il chérit la mort, il jouit de la mort, il est fasciné par la mort, il est fasciné par elle [...]. De l'épée sanguinaire des Juifs exterminant les Cananéens à l'usage d'avions de ligne comme de bombes volantes à New York, en passant par le largage de charges atomiques à Hiroshima et Nagasaki, tout se fait au nom de Dieu, béni par lui mais surtout béni par ceux qui s'en réclament» (Traité d'athéologie, p. 201, 212, 228, etc.).

À cette humanité monothéiste (juive, chrétienne, musulmane) vouée à la haine et à la destruction, Onfray oppose une humanité athéologique, soucieuse de l'avènement d'un monde hygiéniste, paradisiaque, hédoniste: celle qui serait orchestrée par un dieu solaire et païen, entièrement investi par la pulsion de vie et dont lui, Onfray, serait le représentant avec pour mission d'inculquer à ses disciples la meilleure manière de jouir de leur corps et du corps de leurs voisins : par la masturbation. Bien qu'il semble ignorer les travaux de référence sur la question, et en particulier le livre de Thomas Laqueur, Onfray se montre bien décidé à faire du pénis l'objet d'un culte phallique et volcanique hérité des anciens dieux de la Grèce, lesquels, en tant que présocratiques, seraient les précurseurs de Nietzsche. Que Nietzsche ait effectué un grand retour aux présocratiques ne fait pourtant pas de ceux-ci un précurseur de celui-là.

Au fil d'un enseignement fortement médiatisé, Onfray a réussi à convaincre un large public que les représentants de ce dieu païen, célébrant les vertus de la foudre, des comètes et des orages, n'ont jamais fait la guerre à quiconque et sont des pacifistes admirables. Dans cette Grèce vertueuse du bocage de Basse-Normandie, inventée par Onfray, Homère n'existe pas, ni la guerre de Troie, ni Ulysse, ni Achille, ni Zeus, ni Ouranos, ni les Titans, ni la tragédie...

Onfray raconte qu'il a été, dans son enfance, la victime de méchants prêtres « salésiens », dont certains étaient pédophiles (Le Crépuscule, p. 15) et qui ont fait de lui ce qu'il est devenu. Rebelle en émoi, hanté par le complot œdipien qui se serait abattu sur lui, il affirme que son père, « malheureux employé de laiterie », aurait été une victime permanente tout au long d'un drame ayant pour toile de fond le « marché de la sous-préfecture d'Argentan » (p. 15). Sa mère avait été elle-même abandonnée dans un cageot à sa naissance et elle en avait conçu une détestation de son propre fils, explique-t-il, au point de le frapper et de lui prédire qu'il finirait sa vie sous l'échafaud: «Sans jamais avoir tué père (et surtout) mère, ni visé une carrière de bandit de grand chemin, encore moins envisagé l'art de l'égorgeur, je me voyais mal sous le couteau de la veuve. Ma mère si !»

Pour se venger de la détestation qui l'habite et dont il ne cesse de parler, il a donc décidé de s'en prendre à celui qu'il considère comme le responsable de tous les complots contre le père: Sigmund Freud, dont on sait qu'il fut adoré par sa mère. Onfray l'avait admiré autrefois au point de lire quelques-uns de ses ouvrages, dès son enfance, et en se masturbant, comme il le dit lui-même, puis d'inclure sa glorieuse histoire dans celle de l'athéologie (Traité, p. 265). Mais voilà que, depuis sa conversion quasiment mystique à l'antifreudisme radical, Onfray a entrepris de dénoncer le complotisme freudien qui consiste, selon lui, à promouvoir la haine des pères et l'adoration des mères pour mieux les séduire sexuellement: telle est à ses yeux l'essence de la psychanalyse, pur et simple récit autobiographique de ce fondateur dépravé dont il «n'avait pas prémédité l'assassinat »

Et du coup il tente, contre Freud, héritier du judéo-christianisme, de réhabiliter la figure maltraitée du père: un père solaire, flamboyant et phallique. Mais il n'aime les pères qu'à condition... qu'ils ne soient jamais pères.

Fervent adepte du célibat, Onfray ne cesse ainsi d'affirmer son refus de la paternité: «Les stériles volontaires aiment autant les enfants, voire plus, que les reproducteurs prolifiques [...]. Qui trouve le réel assez désirable pour initier son fils ou sa fille à l'inéluctabilité de la mort, à la fausseté des relations entre les hommes, à l'intérêt qui mène le monde, à l'obligation du travail salarié? [...] Il faudrait appeler amour cet art de transmettre pareilles vilenies à la chair de sa chair ? »

Élisabeth Roudinesco, Mais pourquoi tant de haine ?



Mais pourquoi tant de haine ?



Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...