vendredi, février 17, 2012

Qu'est-ce qu'une société riche ?





Qu'est-ce qu'une société riche ? Est-ce simplement une société dont le PIB est très élevé, c'est-à-dire dans laquelle les échanges marchands sont considérablement développés, même si la consommation est extrêmement mal répartie et les écarts de revenus très importants, même si l'accès de tous aux biens premiers n'est pas assuré, même si coexistent dans l'ignorance mutuelle une petite proportion de personnes très riches et de plus en plus de pauvres, même si la violence se répand et que les riches s'enferment dans des ghettos, même si des biens et services de plus en plus nombreux sont payants et si les conditions quotidiennes de vie (le transport, le cadre de vie, la sécurité physique) deviennent de moins en moins supportables, même si la xénophobie se développe et si la simple idée d'intérêt général fait sourire ? La réponse est bien évidemment non. […] Une société riche, est-ce une société dont le seul lien est réduit à l'échange marchand et à la coexistence sur un même sol ? Et dans une telle société, que peut signifier le taux de croissance du PIB ?

Nous vivons les yeux rivés sur des indicateurs qui nous disent qu'une société riche est une société dont la production est élevée et majoritairement échangée sur un marché. Une certaine théorie économique ose même soutenir que si l'on ne peut changer la situation de l'un (par exemple celle du pauvre) sans « aggraver » la situation de l'autre (par exemple celle du riche), alors nous nous trouvons dans une situation d'optimum social. On peut donc avoir un optimum social dans une société où une petite minorité de personnes riches, qui serait à l'origine d'une grosse production, regarderait la majorité de la population se débattre dans la misère. Mais le PIB ne fait place à aucun autre critère de mesure, à aucune autre valeur : la répartition des biens, le degré de violence, la qualité des services publics, la cohésion sociale...

Il nous faudra revenir sur cette dernière notion, qui n'est que l'avatar de ce que l'on appelait auparavant le lien social. En effet, une bonne société n'est-elle pas d'abord celle où le lien social est fort et dense et, par conséquent, où les inégalités sont peu développées, l'accès aux biens premiers donné à tous, les risques pris en charge de façon commune ? Certes, le degré de cohésion sociale est difficile à mesurer, et plus encore à « fabriquer » : on se souvient des invitations de Rousseau à multiplier les fêtes de village où les citoyens se retrouveraient et se distrairaient ensemble, rendant ainsi vivante leur communauté et plus solides leurs liens, en dehors de toute opération de nature économique. Cela nous fait sourire aujourd'hui. On ne peut pour autant éviter de penser que la force du lien social, c'est-à-dire le sentiment d'appartenir à une même société, liée par des droits et des devoirs, des institutions politiques, des valeurs et une histoire, donc par une solidarité qui doit sans cesse être mise à l'épreuve, est un élément essentiel d'une bonne société, et constitue à l'évidence l'une de ses richesses. Autrement dit, la densité réelle du lien social aussi bien que l'attachement affectif et théorique à l'idée de société et de solidarité constituent des facteurs qu'il faut absolument prendre en compte dans une recherche sur les composants de la richesse sociale.

Intuitivement, et sans doute au terme d'un petit effort de réflexion qui nous ferait sortir de la gangue des mots et des significations dans laquelle nous sommes enfermés, nous serions capables de dire qu'une société vraiment riche est une société dont tous les membres mangent à leur faim, habitent un logement décent, ont accès aux soins, peuvent se vêtir correctement, s'intéressent à la chose publique, une société dont le cadre de vie n'est pas dévasté, dont les ressources naturelles, comme l'eau et l'air, sont protégées, où les libertés publiques et individuelles sont parfaitement respectées, où le niveau d'éducation est élevé et répandu, où l'égalité des conditions est largement réalisée... Or, de tout cela, notre indicateur ne retient rien, puisqu'il ne s'intéresse qu'aux produits et aux services échangeables sur le marché.

Dominique Méda, Qu'est-ce que la richesse ?


Ces Sociétés transnationales qui tirent les ficelles


Trois chercheurs suisses de l’École polytechnique fédérale de Zurich  (Suisse), spécialistes des réseaux complexes, viennent de déterminer (dans une passionnante étude publiée par la revue scientifique en ligne PlosOne) qui contrôle l’économie mondiale, en travaillant, avec trois modèles spécifiques (notamment en fonction de la détention de participations minoritaires ou indirectes) sur une base informatisée de 37 millions d’entreprises, commençant par déterminer 66 508 sociétés pouvant être considérées comme internationales, puis les 43 060 sociétés dites « transnationales » en analysant ensuite les 1 006 987 liens, en particulier dans l’actionnariat qui existaient entre elles.

Apparaît alors un premier « nuage » de 737 sociétés qui contrôlent 80% du PIB mondial. Puis à l’intérieur de ce « nuage », un noyau dur de seulement 147 firmes qui contrôlent 40% du PIB mondial (et trois quarts des échanges commerciaux). Mais les participations croisées entre ces 147 firmes, font qu’il s’agit, selon les auteurs, d’une « super entité économique dans le réseau global des grandes sociétés », où l’on ne peut déterminer en dernier ressort qui contrôle l’autre.

Le plus inquiétant est que sur ces 147 firmes, les trois quarts appartiennent au secteur financier

Il existe donc un véritable « syndicat caché », un « État profond » de la finance apatride et cosmopolite, qui contrôle l’essentiel de l’économie alors même que les activités bancaires et financières sont des activités purement parasitaires (elles ne produisent rien par elles-mêmes).

Les liens entre ces dirigeants, ces « traders » vedettes et les gouvernements font qu’il s’agit d’un petit milieu très étroit, où les modes, les erreurs, les alliances font qu’une seule décision (en particulier une mésestimation ou une erreur) peut savoir des conséquences colossales sur l’ensemble du système.

Bref,  cette concentration est par elle-même à l’origine d’un risque systématique.

Pour l’essentiel anglo-saxon, les vingt plus importantes sociétés financières ( fonds de pension, assurances, banques, etc.), qui contrôlent ou sont actionnaires d’autres sociétés, sont bien souvent connues des seuls financiers.

Il s’agit (dans l’ordre de leur degré de contrôle du capital des multinationales) de :
Barclays,
Capital Group,
EMR Corporation,
AXA,
State Street Corporation,
JP Morgan Chase & Co,
Legal & General Group,
Vanguard Group,
UBS,
Merill Lynch,
Wellington Management,
Deutsche Bank,
Franklin Ressources,
Crédit suisse,
Walton Entreprise,
Bank of New York Mellon Corp,
Natixis,
Goldman Sachs,
T Rowe Price,
Legg Mason.

Article extrait de la revue Faits & Documents – du 15 décembre 2011 au 15 janvier 2012.



Qu'est-ce que la richesse ?




Dessin :
Gérard Mathieu pour Alternatives économiques

Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...