jeudi, février 02, 2012

L'explosion démographique





Dès la plus haute antiquité, des sages et des économistes se sont penchés sur la question de l'accroissement de la population et ses incidences sur la structure et l'équilibre des sociétés humaines. Depuis Confucius, on se demande si un accroissement excessif des populations ne va pas entraîner des conflits en abaissant le niveau de vie des humains. Divers économistes avaient soutenu que l'humanité devait se maintenir à un niveau optimal de peuplement en fonction des moyens de subsistance. Il faut cependant attendre le XVIIIe siècle pour qu'un auteur aborde le problème démographique à l'état pur : c'est en 1798 que Thomas Robert Malthus publia son fameux Essay on the Principle of Population dans lequel il expose que l'homme accroît plus facilement son espèce que la quantité d'aliments disponibles. La courbe démographique, d'après lui, suivrait une progression géométrique, celle des subsistances une progression arithmétique.

Au cours des XVIIIe et XIXe siècles les économistes expriment des opinions très divergentes sur ces questions. Si certains, comme Adam Smith, Jérémie Bentham, James Mill et J. B. Say, partagent dans l'ensemble les idées de Malthus et sont d'avis que l'accroissement de la population doit être limité, les pré-marxistes et les marxistes affirment que la surpopulation disparaîtra d'elle-même avec la société capitaliste.

Les problèmes démographiques ont des incidences très diverses, notamment sur les plans sociologiques et économiques, étant directement liés au volume des consommations et des productions. Aussi ont-ils donné lieu à des interprétations variées à l'infini. Nous nous garderons bien d'entrer ici dans ces controverses, notamment celles qui opposent les « malthusiens » et les « anti-malthusiens », l'économiste anglais se trouvant au centre de toutes ces polémiques. Mais il faut reconnaître en toute objectivité qu'en dépit d'erreurs manifestes, provenant notamment du développement du machinisme qu'il n'avait pas prévu, Malthus avait raison au moins sur certains points.

L'accroissement actuel des populations humaines dépasse largement les incidences sociales et économiques autour desquelles discutent philosophes et économistes. Il met en jeu l'existence même de notre espèce placée dans son contexte biologique.

Pour le naturaliste, ce phénomène a les caractères d'une véritable pullulation, comme certains animaux en présentent des exemples. Le problème est évidemment beaucoup plus complexe pour l'homme, chez qui des mobiles irrationnels, des concepts moraux et religieux, et des traditions anciennes modifient entièrement des données devenues de ce fait même extra-biologiques. Les faits demeurent néanmoins essentiellement les mêmes. Et quant aux perspectives futures, il y a lieu de penser que la cadence actuelle d'accroissement de la population, accélérée depuis une centaine d'années à peine, va se poursuivre dans l'avenir, sauf dans le cas d'une catastrophe ou sauf si l'homme prend vraiment conscience du péril qui le menace. Êtres humains doués de raison, proportionnant leur expansion aux moyens de subsistance, ou créatures proliférantes, dégradant leur propre habitat, il nous appartient de choisir ce que nous voulons être.

Nous ne craignons pas d'affirmer en liminaire que le problème de la surpopulation est le plus angoissant de tous ceux auxquels nous avons à faire face dans les temps modernes. Et peu d'entre nous en ont conscience, du fait de sa nouveauté et de tout l'obscurantisme qui en masque encore la gravité. L'excédent de population ne risque pas seulement de compromettre le sort de la flore et de la faune sauvage, il menace bien plus la survie de l'humanité tout entière, avec ce qui fait la civilisation et la dignité même de l'homme.

L'homme avant les temps modernes

Au cours des premières phases de leur histoire et même jusqu'à l'avènement des temps modernes, les populations humaines furent soumises d'une manière frappante aux lois générales de l'écologie. Leur densité était alors intimement liée à la capacité de production, facteur limitant très efficace. L'accroissement démographique était proportionnel à l'excédent d'espace et de nourriture disponibles. Les progrès techniques ont permis le défrichement de plus en plus rapide et aisé; ils ont augmenté les rendements pastoraux et agricoles, et, d'une manière parallèle, ont déterminé une augmentation des effectifs humains.

Au Paléolithique, les populations furent bien entendu très faibles et très largement dispersées.

La densité des peuples vivant de cueillette et de chasse à la période historique permet de se faire une idée sur ce point. C'est ainsi qu'avant l'arrivée des Européens, il y avait en moyenne 8 habitants par 100 km² en Australie (dans les zones peuplées) et 16 en Amérique du Nord.

Au cours du Néolithique — soit en 8 000 ou 7 000 avant J.-C., l'économie humaine s'établit sur de nouvelles bases dans le bassin méditerranéen oriental grâce au développement de l'élevage et de la culture. Un changement de palier quant aux aliments disponibles a permis une augmentation des effectifs. Les progrès de l'agriculture, l'endiguement et l'aménagement de terrasses (probablement aux alentours de 4 000 avant J.-C. dans la basse vallée du Nil et en Mésopotamie ; par ailleurs en Chine, dans la vallée du fleuve Jaune, et en Amérique du Sud et centrale) ont attiré de grandes concentrations humaines en certains lieux privilégiés.

Dans l'ensemble, les populations restèrent cependant faibles au cours de l'Antiquité. L'Empire romain comprenait environ 54 millions d'habitants à la mort d'Auguste en 14 après J.-C., avec une densité moyenne de 16 habitants au km² (l'Égypte avait alors 179 habitants au km², l'Italie environ 24). En Chine, sous les Han, soit au début de l'ère chrétienne, il y aurait eu environ 60 millions d'habitants (70 millions selon certains auteurs). L'Inde comptait entre 100 et 140 millions d'habitants à l'époque d'Ashoka, au IIe siècle avant J.-C.

Puis la population se multiplia par deux ou trois entre les premières années de l'ère chrétienne et le début des temps modernes, atteignant globalement de 500 à 550 millions au milieu du XVIIe siècle, ce qui implique un accroissement moyen annuel compris entre 0,5 et 1,0 pour mille En Europe une étroite corrélation entre l'augmentation de la population établie au nord des Alpes et des Carpathes et les progrès du défrichement, est clairement visible, simple cas particulier d'une loi écologique valable pour toutes les populations animales (accroissement des populations avec la surface habitable et la quantité de nourriture disponible). Loin d'être régulier, cet accroissement décrivit d'énormes fluctuations consécutives aux épidémies, aux guerres et à l'arrêt du défrichement et de l'entretien des cultures qui en furent les séquelles.

En Allemagne, les variations du taux de boisement, connues d'après des témoignages historiques précis, sont très nettement parallèles aux fluctuations des populations humaines.

En France, la population estimée à 6,7 millions au moment de la conquête romaine fut portée à 8,5 millions sous les Antonin, mais ne dépassa guère ce niveau jusqu'à Charlemagne. Puis elle augmenta d'une manière régulière, atteignant 20 millions environ au milieu du XIIIe siècle. Pendant la guerre de Cent ans, elle diminua d'un tiers ou même de moitié, puis elle augmenta à nouveau jusqu'au XVIe siècle pour diminuer ensuite pendant les guerres de religion. Ultérieurement l'augmentation lente, mais régulière, porta la population française à environ 18 millions en 1712 ; cette tendance se poursuivit jusqu'à la Révolution.

Des fluctuations semblables s'observent en Grande-Bretagne : comprenant un million d'habitants sous la domination romaine, 1,1 million en 1086 et 3,7 millions vers 1348, les épidémies de peste retranchèrent environ 40 % des effectifs de la population entre 1348 et 1377. Il en est de même de l'Allemagne (sa population a passé de 2-3 millions du temps de César à 17 millions au début du XVIIe siècle, parallèlement à l'augmentation des surfaces cultivées), et de l'Italie (sa population a passé de 7,1 millions au temps d'Auguste à 11 millions en 1560, restant à ce niveau jusqu'au début du XVIIIe siècle).

Des faits analogues se retrouvent en Asie, avec toutefois des fluctuations d'une plus grande amplitude ; les variations importantes et les soudaines et massives diminutions s'expliquent par les vicissitudes des grandes civilisations qui s'y sont succédées. C'est ainsi qu'à Ceylan, une civilisation agricole très évoluée, qui atteignit son apogée au XIIe siècle, déclina ensuite progressivement ; parallèlement la population passait d'environ 20 millions d'individus à 3 millions au début du XIXe siècle.

Jean Dorst, La nature dé-naturée.


La nature dé-naturée

L'explosion démographique, l'exploitation irrationnelle des richesses naturelles, les pollutions de l'atmosphère et des eaux - conséquences directes du progrès technique et industriel - accentuent de manière chaque jour plus dangereuse le divorce entre l'Homme et la Nature, entraînent un empoisonnement progressif de l'univers et la destruction de ressources vitales. Ce livre, véritable manifeste pour une écologie politique, constate, met en garde et propose des solutions dont l'application devient impérative.



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