lundi, février 27, 2012

La secte néolibérale






Pour être le plus souvent informulé parce que brutal, le constat n'en est pas moins flagrant :

1. Les néolibéraux, à la fois hyper-minoritaires et ultra-influents, constituent une véritable secte.

2. Cette secte reproduit en creux, mais en l'inversant formellement, le discours communiste du temps où la vulgate marxiste brillait de tous ses feux.

3. Le néolibéralisme est au libéralisme véritable ce que le stalinisme fut au socialisme, à la fois sa prolongation et sa totale perversion.

4. Sous les dehors de l'internationalisme (ou du mondialisme), le néolibéralisme véhicule une formidable haine de toute spécificité nationale non conforme, dont le rejet hargneux de toute « exception française » n'est qu'une composante.

5. Cela étant dit, et comme le communisme des années 30, il charrie, au milieu d'un fatras d'erreurs, un certain nombre de relatives vérités.

Déclinons :

1. Les néolibéraux constituent une secte. D'abord, ils ont leur propre dieu, qu'ils appellent « le marché ». Comme toutes les divinités uniques, celle-ci est invisible, irreprésentable, immatérielle, ineffable, omniprésente, inaccessible, intemporelle et incontournable. Son ubiquité le dispute à sa transcendance. Elle est à la fois le vrai, le bon, le droit et le juste. Nul ne doit, ou ne peut, se soustraire à sa volonté, car sa « main invisible » n'est que l'autre forme de la divine providence. Ses ordres, révélés à quelques prophètes, ont été gravés dans les tables de la loi et nul ne saurait, sans préjudice grave, s'en émanciper ou s'y soustraire. S'écarter de cette orthodoxie confine à l'hérésie. La seule ligne séculière possible est donc celle qui consiste à se soumettre passivement à la « loi du marché » comme métaphore de la volonté de Dieu. Toute résistance, c'est-à-dire toute tentative de correction ou de régulation, s'apparente à une rébellion hérétique que le réel (comme reflet du Ciel) sanctionne immanquablement. Au Dieu Marché, les néolibéraux élèvent des temples - les Bourses des valeurs —, servis par des prêtres initiés qui seuls ont le droit d'officier dans le saint des saints. Ils lui consacrent un culte, lui adressent (en anglais, leur langage liturgique) des prières et des cantiques, lui dédient un droit canon. Mais, surtout, autour de lui, inspirés par lui, affirment-ils (comme pour le protéger), ils élaborent un dogme qui se veut l'armature de leur théologie. Dogme simple, simpliste même, tenant en une dizaine de credo seulement (par exemple : « Je crois que la seule raison ici-bas est celle qui s'incarne dans le libre processus de formation des prix sur un marché libre »), principes évidemment sacrés qu'ils psalmodient à satiété et dans lesquels ils s'enferment à double tour, n'acceptant jamais, sous aucun prétexte, d'en réviser la moindre parcelle.

Tout est jugé à cette aune, interprété à cette lumière. Aucune réalité ne peut être prise en compte qui ne rentre dans ce carcan. Sur quarante faits que leur offre l'actualité, trente-huit infirmeraient-ils un tant soit peu leurs certitudes, les néolibéraux ne prendraient en compte que les deux faits qui restent et qui les confortent.

En fonction de quoi ils restent entre eux, devisent entre eux, dialoguent entre eux, confinés dans les lieux qu'ils contrôlent, scotchés à leur caste et ancrés à leur classe, coupés de tout ce qui, dans le monde extérieur, ne reproduit pas à l'identique leur intime conviction. Infirmes du réel, ils ne lisent rien, n'écoutent rien qui ne rentre totalement dans le cadre de leur rationalité. Toute pensée différente est fallacieuse par définition, une vérité unique introduisant nécessairement un discours unique dont ils sont les détenteurs des droits.

Toutes ces particularités suffiraient, à l'évidence, à en faire une secte.

Mais il y a plus significatif encore : c'est que les néolibéraux sont ultra-minoritaires (s'ils se présentaient aux élections sous leurs vraies couleurs, ils recueilleraient moins de 5 % des suffrages, comme Arlette Laguiller, score que n'a même pas atteint Alain Madelin aux présidentielles), tout en exerçant une influence majeure grâce à leur omniprésence dans les lieux de pouvoir et de propagande. Et, en particulier, grâce à leur conquête des grands médias. Certes, il y a partout des journalistes qui récusent la nouvelle « vulgate ». Mais pratiquement tous les services économiques des radios (il faut écouter l'inénarrable De Witt sur France Info), des télévisions, de la presse écrite sont au mieux sous l'influence, au pire sous le contrôle des néolibéraux. Tous les autres courants, y compris (et surtout) le courant authentiquement libéral, sont soit purement et simplement exclus, soit implacablement marginalisés.

Quant aux centres de décision (c'est-à-dire là où siègent les « décideurs », comme on dit), du Medef au conseil monétaire de la Banque de France, de l'université Dauphine à Radio Classique — y compris ceux où la gauche a ses grandes entrées —, les néolibéraux les ont systématiquement investis. D'un côté, ils se sont emparés de l'ex-Parti républicain, devenu Démocratie libérale, puis un courant dominant de l'UMP, de l'autre, ils commencent à infiltrer le courant du PS dit de la gauche « moderne ». En termes démocratiques, ils ne représentent rien, mais ils sont — et en position de force — partout où se forge le destin de la France.

2. Cette secte reproduit, en l'inversant, le discours communiste d'antan : ce qui précède le montre déjà éloquemment. A quoi on ajoutera : le simplisme théorique (enlever partout l’État devient aussi miraculeux que le mettre partout) ; le dualisme manichéen absolu (pas de troisième voie possible) ; la conception purement guerrière du dialogue (le débat n'est qu'un combat) ; la langue de bois (toujours les mêmes mots et expressions qui s'enroulent comme des fils de fer barbelés autour des mêmes arguments de plomb) ; le rejet des déviationnismes et des révisionnismes ; la diabolisation de la contradiction (tout ce qui n'est pas strictement néolibéral est rejeté dans l'enfer du socialisme étatiste et collectiviste) ; l'internationalisme comme alibi d'un ralliement à un leadership hégémonique ; la conviction, très stalinienne, qu'une vérité unique induit une pensée unique, comme l'a théorisé Alain Minc ; la fascination qu'exercent les concepts de « conquête » et de « taille critique » en justification de l'impérialisme économique et de l'ultra-concentration financière ; la pratique, enfin, d'une lutte des classes à l'envers.

Mais, surtout, comme hier les sectateurs de l'Union soviétique, les néolibéraux ont un modèle absolu - les États-Unis d'Amérique - dont il convient, selon eux, non seulement d'adopter la philosophie et les valeurs, mais encore d'imiter scrupuleusement les méthodes et les procédés. L'Union soviétique, aux yeux des communistes, affichait sa supériorité à travers ses mirifiques taux de croissance, ses prix qui n'augmentaient jamais, ses plans quinquennaux prométhéens. Jamais, évidemment, ils ne se posaient la question du coût social et humain, ni ne s'interrogeaient sur l'indice subjectif de bonheur, ni sur l'indice objectif de liberté. Les néolibéraux ne raisonnent pas autrement. Pour eux, les États-Unis, outre un credo et un symbole, ce sont d'abord de merveilleuses statistiques. Ils ne veulent pas savoir ce qu'il y a derrière. Quand on le leur dit, ils n'écoutent pas. Aucun d'entre eux, en réalité (et on aurait pu en dire de même des communistes) n'accepterait la régression absolue que représenterait, dans de nombreux domaines, un total alignement sur le modèle américain. Mais ils font comme si.

3. Le néolibéralisme est à la fois la prolongation et la négation du libéralisme authentique (ce qu'avait très bien compris déjà Schumpeter). Dans les années 30, en France, une tendance minoritaire apparut au sein du Parti socialiste, SFIO. Conduite par André Marquet et Marcel Déat, elle entendait pousser jusqu'au bout « l'étatisme » théorique du parti de Léon Blum en lui donnant ouvertement une signification autoritaire. On qualifia cette tendance, qui finit par fusionner avec le fascisme, de « néosocialisme ». Or le néolibéralisme est au libéralisme un peu ce que le néosocialisme fut au socialisme. Ou le stalinisme au marxisme. Il en est à la fois l'émanation et la totale négation. Un véritable libéral, au nom du respect de la concurrence et du libre accès au marché, redoute par-dessus tout les concentrations monopolistiques. En ce sens, la loi libérale par excellence fut la loi antitrust américaine. Le néolibéral, en revanche, plaide pour la constitution de firmes géantes, intégrées, qui permettent de contrôler tout un marché à l'échelle internationale. Ainsi, les fusions Boeing-McDonnell Douglas, Grand Metropolitan-Guinness ou Axa-UAP, profondément choquantes aux yeux des libéraux, ont mis les néolibéraux dans un état de quasi-extase.

Tout découle de cette rupture : le libéral rêve d'une propriété diffuse, le néolibéral d'une propriété concentrée, fût-ce au prix d'une ruine de la petite propriété. Le libéral est obsédé par la diversité et la pluralité, le néolibéral trouve, au contraire, tout à fait normal qu'il n'existe qu'un seul journal par région, que Murdoch contrôle 70 % de la presse australienne, ou qu'on ne vende que du Coca-Cola à Disneyland. Le libéral condamne le mélange pervers des genres qui permet de contrôler toutes les phases d'un même processus, le néolibéral appréciait tout à fait, lui, que la Générale des eaux, alias Vivendi, contrôle Havas qui elle-même contrôlait à la fois le marché de la publicité et ses importants supports que sont la CEP (L'Express et Le Point) et Canal +. Le libéral est soucieux de l'égalité d'accès au marché, le néolibéral, à l'inverse, considère qu'il est essentiel de contrôler, puis de protéger des parts de plus en plus importantes du marché.

Alain Madelin, par exemple, n'a cessé d'appuyer l'impérialisme des grandes surfaces et de leurs centrales d'achat au détriment du commerce libre. Le libéral affiche, fût-ce parfois hypocritement, une finalité « justicialiste », le néolibéral aucune. Il accepte même froidement la régression sociale au nom de l'efficacité financière du « tout-compétitif ». La cassure est telle, entre libéralisme et néolibéralisme, qu'un archéolibéral comme le prix Nobel français d'économie Maurice Allais a pu s'opposer sur quasiment tous les points à un chantre du néolibéralisme comme Sarkozy. N'est-il pas d'ailleurs significatif qu'aux États-Unis ce soit la gauche qui est qualifiée de « libérale » et la droite de « néolibérale » ?

4. Les néolibéraux détestent la France. C'est évidemment la conséquence de tout ce qui a été constaté plus haut. Pour eux, tout ce qui, en tant que spécificité nationale, ne s'intègre pas au modèle anglo-saxon est à éradiquer. A cet égard, l'exception française représente une horreur absolue. Rien de ce qui déprécie notre pays, qualifié d'étriqué, de ringard, de prétentieux, de conservateur, de replié sur ses illusions, ses tabous et ses acquis, n'est jamais à leurs yeux trop outrancier. Les insupporte, surtout, l'idée qu'il pourrait, lui aussi, être porteur d'un modèle. Ce qui se traduit, en privé, par cette phrase passe-par-tout qu'ils répètent à tout bout de champ : « La France est un pays de merde. » Que les Américains et les Anglais aient construit leur modèle à partir de leurs propres spécificités ne leur est apparemment pas venu à l'esprit.

5. Reste qu'il en est du néolibéralisme comme du communisme. De même que le communisme continuait de véhiculer, au milieu d'un fatras d'absurdités et d'horreurs, certaines des idées fortes que lui avaient léguées ses origines sociales-démocrates, de même le néolibéralisme porte en lui — en ce qui concerne, par exemple, l'esprit d'entreprise, l'autonomie personnelle, le libre-échange, la critique des gestions bureaucratiques, le rejet de l'étatisme ou la nécessité d'une certaine rigueur financière — quelques vérités essentielles de la pensée libérale originelle. C'est pourquoi il ne faut en aucun cas se comporter à son égard comme lui-même se comporte envers ses contradicteurs. Le critiquer, le démystifier, le contrer, oui, mais l'écouter, l'entendre, le décrypter.

Jean-François Kahn, Dictionnaire incorrect.



Dictionnaire incorrect

Comment mener un combat en utilisant toutes les armes à la fois ? La forme de dictionnaire qu'adopte ce livre est une réponse.

L'auteur pourrait reprendre à son compte, au fond, la dernière tirade du Cyrano d'Edmond Rostand quand, rapière au poing, le bretteur défie ses éternels ennemis : la bêtise, le mensonge, la lâcheté, la courtisanerie. On y ajoutera la bienpensance et les nouveaux conformismes.

Sauf que ce livre est, justement, à l'image de la guerre qu'il mène : c'est-à-dire que les longues offensives y côtoient les rapides coups de main, les actions de commando, les manœuvres d'encerclement, les pilonnages d'artillerie, les opérations de guérilla, mais s'y intègrent également - car la guerre c'est aussi cela - les permissions, les théâtres aux armées, les fiestas arrosées à la caserne, les sorties en ville, les parties de belote et les distractions plus libertines.

Quatre armes sont ici utilisées : la satire chansonnière, dérision blagueuse et farce drolatique d'abord ; puis le fouet du pamphlet politico-social, ensuite la méthode encyclopédiste - au sens XVIIIe siècle du terme - qui consiste à démystifier en parlant de tout et donc à travers toutes les approches possibles ; et enfin, le dictionnaire philosophique voltairien qui permet de passer au crible, de façon iconoclaste, les idéologies dont nous continuons à être les héritiers ou les victimes.

Feu sur le quartier général ! Cet ouvrage (d'autant qu'il n'épargne pas le pouvoir intello-médiatique), fera grincer des dents. Fortement. C'est fait pour.

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