lundi, février 28, 2011

Marxisme & anarchisme






L'histoire du marxisme et de l’anarchisme repose sur des malentendus. Marx est trop souvent confondu avec le marxisme, et l’anarchisme avec Ravachol. On ne se souvient plus que Marx et Bakounine ont été très proches. Bakounine montrait un grand enthousiasme pour le « Capital », « une analyse profonde, lumineuse, scientifique ». Et, en 1864, Marx écrivait à Engels : « Je l'ai revu hier [Bakounine] pour la première fois depuis seize ans, je dois dire qu’il m’a bien plu [...]. C’est une des rares personnes rencontrées qui, après seize ans, n’ait pas fait une évolution en arrière, mais en avant. »


En 1872, le congrès de l’Internationale réuni à La Haye vote l’exclusion de Bakounine. C’est de cette exclusion que date la séparation radicale entre socialistes autoritaires et socialistes libertaires.


Alors que Marx pense que le prolétaire seul constitue l’avant-garde et mettra fin au régime capitaliste, les anarchistes sont peu favorables à « la masse » et parlent de « minorité agissante ». Ils se méfient de ce « prolétariat » censé s’emparer du pouvoir et devenir la classe dominante. Le prolétariat, disent les marxistes, n’exercera pas d’une manière définitive sa domination de classe, mais établira un nouveau type de société où, les classes sociales ayant disparu, le pouvoir disparaîtra lui-même. Le problème est que le marxisme ne fixait aucune limite à la dictature du prolétariat.


Les anarchistes exigent la mort subite de l’État, alors que les marxistes parlent de mort lente. Si lente que le parti bolchevique au pouvoir en URSS n’en vit pas la fin.


Si les anarchistes, comme les marxistes, aspirent à ce que l’État, force d'oppression, soit détruit, les anarchistes refusent cette mort lente dont parle Engels et l'étape intermédiaire de la dictature du prolétariat. 


« Nous sommes les ennemis déclarés de tout pouvoir officiel, dit Bakounine, même si c’est un pouvoir ultra-révolutionnaire. […] Nous voulons l’abolition de l'Etat, certainement, et nous entendons par là l’abolition du gouvernement et du régime politique [...] mais nous n’entendons pas le moins du monde reconstituer ensuite cet Etat sur des bases nouvelles. L’Etat restera bel et bien aboli, le gouvernement ne renaîtra plus de ses cendres » (Bulletin de la Fédération jurassique, 20 septembre 1874).


A quoi Engels réplique :« Dès qu'il n’y a plus rien à réprimer, rien de ce qui rendait nécessaire un pouvoir spécial de répression, un Etat […] l’intervention d’un pouvoir d’Etat, devient superflue dans un domaine après l’autre, et entre ensuite d’elle-même en sommeil, le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses [...]. L’Etat n'est pas “aboli”; il meurt [...]. Cela permet de juger ce que vaut la revendication des dénommés « anarchistes », qui veulent que, du jour au lendemain, l’Etat soit aboli. »
  
Le malentendu entre Marx et marxisme a été analysé d'une manière assez stupéfiante, dans « Marx, critique du marxisme (1974), par Maximilien Rubel, responsable de l'édition des œuvres de Marx dans La Pléiade: « Le triomphe du marxisme, écrit Rubel, comme doctrine d’Etat et idéologie de parti, a précédé de quelques décennies la divulgation des écrits où Marx a exposé le plus clairement et le plus complètement les fondements scientifiques et les intentions éthiques de sa théorie sociale […]. Le marxisme est le plus grand, sinon le plus tragique, malentendu du siècle [...]. Idéologie dominante d’une classe de maîtres, le marxisme a réussi à vider les concepts du socialisme et du communisme, tels que Marx et ses précurseurs les entendaient, de leur contenu originel, en lui substituant l’image d’une réalité qui en est la totale négation. »


Rappelons que Marx fut proche de Bakounine, Rubel affirme que Marx a effectué une « dénonciation passionnée du pouvoir d’Etat » et il accorde à l’œuvre de Marx « une place éminente parmi les contributions à une théorie de l’anarchisme ». Mieux, Maximilien Rubel va jusqu’à prétendre que Marx fut le « premier à jeter les bases rationnelles de l’utopie anarchiste et à en définir un projet de réalisation ».


Michel Ragon, « Dictionnaire de l’anarchie ».




Dictionnaire de l'anarchie


Se situant en dehors des partis et les récusant tous, l'anarchie se singularise par l'association tumultueuse de tendances parfois contradictoires. Michel Ragon, depuis longtemps témoin engagé de l'épopée libertaire dont il fut le grand romancier (La Mémoire des vaincus), rassemble ici pour la première fois les éléments d'un Dictionnaire de l'anarchie, véritable mise en récit de cette aventure méconnue mais capitale. Dictionnaire des principaux militants de l'anarchie et de ses théoriciens, tels Proudhon, Bakounine, Kropotkine, ce livre est aussi un dictionnaire de tous ceux qui se sont réclamés ou se réclament de la pensée libertaire, comme Breton et Camus, Céline et Dubuffet, Richard Wagner et Oscar Wilde... Dictionnaire des hommes, mais aussi des idées et de la pensée anarchiste dans le monde contemporain, de son influence, souvent méconnue, voire occultée.



dimanche, février 27, 2011

Comprendre l'Empire






Durant l’automne 2010, une vidéo a annoncé la future parution du livre d’Alain Soral Comprendre l’Empire. La vidéo débute par ces mots : « Faire coïncider le marxisme et la Tradition ». Ce slogan indique-t-il que l'engagement d’Alain Soral se situe au-delà de la manipulation politique, de gauche ou de droite, qui ne vise qu’à l’aliénation des peuples et à la domination de l'oligarchie mondiale ? 
Comprendre l'Empire, en vente depuis le 10 février 2011, rencontre un réel succès.


Conférence de presse d’Alain Soral





Comprendre l'Empire
Demain la gouvernance globale ou la révolte des Nations ?


Composé de textes clairs et incisifs racontant ce combat d'idées qu'est l'Histoire, sans omettre de resituer ces idées dans l'Histoire qui les a vues naître, Comprendre l'Empire aurait tout aussi bien pu s'intituler Sociologie de la domination ou Sociologie du mensonge, tant Empire et domination par le mensonge sont liés. Peu universitaire dans sa forme, mais fruit de cinquante années d'expériences combinant lectures et engagements, cet essai retrace le parcours historique de la domination oligarchique engagé depuis plus de deux siècles en Occident : instrumentalisation de l'humanisme helléno-chrétien, noyautage de la République par les réseaux, exacerbation des antagonismes de classes et manipulation de la démocratie d'opinion. Un long processus initié au XVIIIe siècle par le cartel bancaire qui approche de son épilogue avec le Nouvel ordre mondial. Une tentative d'imposer par la ruse un pouvoir dictatorial qui met, à l'horizon 2012, le monde occidental face à un choix qui l'engage tout entier : la dictature de l'Empire ou le début du soulèvement des peuples ; la gouvernance globale ou la révolte des Nations.






Essayiste à scandale autant qu'à succès, Alain Soral - auteur de Sociologie du dragueur, Vers la féminisation ?, Misères du désir et autres Abécédaires de la bêtise ambiante - nous propose avec Comprendre l'Empire son livre le plus profond, le plus complet et le plus polémique de tous !

Le droit à la révolte








Du haut de son piton rocheux, le Vieux Vautour scrute l’horizon. La clarté, qui commence à dissiper les sombres nuages amassés par le crime, l’inquiète. Dans la pâleur du paysage se dessine la silhouette d’un géant : l’insurrection.


Le Vieux Vautour a beau se perdre dans l’abîme de sa conscience, en remuer la fange, il n’y trouve rien qui puisse l’éclairer sur les origines de cette révolte. Il fouille alors ses souvenirs. Hommes et choses, dates et événements forment dans sa tête un cortège dantesque. Les martyrs de Veracruz défilent, blêmes. Ils exhibent les blessures que leur ont infligées une soldatesque avinée, à la lueur de la lanterne d’une cour de caserne. Viennent ensuite les livides ouvriers d’El Republicano, hardes et chairs déchirées par les baïonnettes des sbires.


Suivent les familles de Papantla, femmes, vieillards et enfants, le corps criblé de balles. Voici les ouvriers de Cananea, tout ruisselants de sang, sublimes dans leur sacrifice. Et, imposants, ceux de Rio Blanco, dont les plaies sanglantes accusent le crime officiel. Et les martyrs de Juchitan, de Velardeña, de Monterrey, d’Acayucan, de Tomochic. Des légions de spectres, de veuves, d’orphelins et de bagnards se succèdent. Le peuple entier surgit, nu et défait, accablé par l’ignorance et la faim.


Le Vieux Vautour lisse rageusement ses plumes ébouriffées par le tourbillon des souvenirs. Il se refuse à lire dans le passé les causes de la révolution. Sa conscience de charognard justifie la mort. Il y a des cadavres? Sa pitance est assurée.


Ainsi vivent les classes dirigeantes, de la souffrance et de la mort des classes dirigées. Pauvres et riches, opprimés et despotes, égarés par l’habitude et les usages ancestraux, considèrent cette situation absurde comme naturel.


Un jour pourtant, un des esclaves tombe sur un journal libertaire. Il y lit comment le riche abuse du pauvre par la force ou par la ruse. L’esclave se met à réfléchir et en conclut qu’aujourd’hui comme hier seul compte le rapport de force. Il devient un rebelle. On ne saurait combattre la force par beaux raisonnements, mais bien par la violence.


Le droit à la révolte pénètre les consciences. Le mécontentement grandit, le malaise devient insupportable. La contestation éclate et tout s’embrase. On respire alors un air vivifié par les effluves de la révolte.


Les esprits sont saturés, et l’horizon commence à s’éclaircir. Du haut de son rocher, le Vieux Vautour est à l’affût. Plus une plainte, plus un soupir ni même un sanglot ne montent des plaines. C’est une clameur, un rugissement. Le rapace s’épouvante en baissant l’œil : on n’aperçoit plus le moindre dos courbé, le peuple s’est levé.


Glorieux instant qui voit un peuple entier se redresser! Ce n’est plus un troupeau d’agneaux brûlés par le soleil, ni une foule sordide d’esclaves résignés. C’est une horde de rebelles qui se lance à la conquête de la terre. Une terre qui renoue avec la noblesse puisque ce sont des hommes, enfin, qui la foulent.


Le droit à la révolte est intangible. À chaque obstacle qui entrave la vie, il faut y recourir. Révolte ! Crie le papillon rompant le cocon qui l’emprisonne. Révolte ! Crie le bourgeon en déchirant l’enveloppe qui l’enferme. Révolte ! Crie le germe au passage de la charrue, réclamant les rayons du soleil. Révolte ! crie le nouveau-né en déchirant les entrailles maternelles. Révolte ! Clame enfin le peuple soulevé pour écraser tyrans et exploiteurs.


La révolte, c’est la vie ; et la soumission, c’est la mort. Y a-t-il des rebelles au sein du peuple ? Alors la vie est possible, ainsi que l’art, les sciences et l’industrie.


De Prométhée à Kropotkine, les révoltés ont été les moteurs de l’humanité. Le dépassement qui caractérise les instants privilégiés de l’Histoire, c’est la révolte. Sans elle, le genre humain se traînerait encore dans cette lointaine pénombre que les historiens appellent l’âge de pierre. Sans elle, les peuples seraient encore à genoux devant les principes spécieux du droit divin. Sans elle, ils seraient depuis longtemps égarés dans les brumes de l’idéologie. Sans elle, notre merveilleuse Amérique continuerait de dormir sous la protection des océans mystérieux. Sans elle, on verrait encore se profiler l’austère silhouette de cette insulte au genre humain qu’était la Bastille.


Il ne reste au Vieux Vautour qu’à prendre son envol, la pupille sanguinolente rivée sur le géant qui s’avance. Il n’a toujours rien compris aux causes de l’insurrection. Les tyrans ne comprennent pas le droit à la révolte.


"Le droit à la révolte" de Ricardo Flores Magón, extrait de "Propos d'un Agitateur", petit recueil de textes (1910 à 1915).




Propos d'un Agitateur


"L'honnêteté ne vit pas à genoux, prête à ronger l'os qu'on daigne lui jeter. Elle est fière par excellence. Je ne sais si je suis honnête ou non, mais je dois t'avouer qu'il m'est insupportable de supplier les riches de m'accorder, au nom de Dieu, les miettes de tout ce qu'ils nous ont volé. Je viole la loi ? C'est vrai, mais elle n'a rien à voir avec la justice."




Ricardo Flores Magón (1873-1922) fut l'un des principaux théoriciens de la révolution mexicaine. Animateur du journal Regeneración, il incarne la tendance radicale, anarchiste et poétique des mouvements qui combattaient pour la terre et la liberté. Le mouvement zapatiste contemporain de Marcos et les insurgés de la toute récente Commune d'Oaxaca doivent beaucoup à sa pensée allégorique.



Hommage vidéo a Ricardo Flores Magón avec la chanson "corrido a Flores Magón" d’Ignacio Cárdenas.


samedi, février 26, 2011

Kadhafi




Patrick Ollier, ministre chargé des Relations avec le Parlement et compagnon de Michèle Alliot-Marie, a dit : 


"Kadhafi n'est plus le même qu'il y a vingt ans et a soif de respectabilité. Il lit d'ailleurs Montesquieu."




La régénération wagnérienne.




« Je veux détruire toute folie que la violence exerce sur les hommes. Je veux détruire la domination de l’un sur l’autre, des morts sur les vivants, de la matière sur l’esprit. » C'est Richard Wagner, le célèbre compositeur allemand, auteur de Tannhaüser, Tristan et Isolde, etc., qui a écrit ces phrases révolutionnaires. 


Initié aux doctrines anarchistes par Bakounine en 1849, Wagner découvre la même année, en voyage à Paris, « Qu’est-ce que la propriété ? » de Proudhon


« En 1849, ayant participé avec Bakounine à l’insurrection de Dresde, il publie « Le Salut dans la révolution » : 


Je veux détruire jusque dans ses fondations l’ordre des choses dans lequel vous vivez, car il a germé du péché : sa fleur est la misère et son fruit le crime […]. Je veux détruire l’ordre existant qui rend les multitudes esclaves d’une poignée d’hommes et fait aussi de cette poignée d’hommes les esclaves de leur propre pouvoir […]. Levez-vous donc, peuple de la terre ! Debout ! vous qui gémissez : les opprimés, les pauvres ! »


Wagner est convaincu que l’humanité pourra se régénérer grâce à son art. Il esquisse avec Bakounine, alors caché à Dresde, des projets d’opéras pour lesquels il tente de définir un héros exemplaire : Barberousse, Jésus, Siegfried. Siegfried incarne l’homme révolutionnaire.


Nietzsche a écrit, dans « Le Cas Wagner » : « La moitié de sa vie, Wagner a cru à la révolution comme seul un Français peut y croire. »


Bakounine aurait-il servi de modèle au héros wagnérien ? En tout cas les anarchistes, et notamment les poètes symbolistes si marqués par la pensée libertaire, répandirent en France et en Angleterre le culte wagnérien. C’est aussi la revue anarchiste « Les Temps nouveaux » qui publie, en 1895, la première traduction du livre de Wagner : « L’Art et la révolution » (1895). »


Michel Ragon 




L’Art et la révolution 



Dans cet essai écrit au lendemain de la révolution de Dresde de 1849, Richard Wagner dénonce la bourgeoisie corruptrice de l'art et prône un théâtre pour le peuple. 

vendredi, février 25, 2011

Les Illuminati


Ennemis de l’Eglise, les Illuminés de Bavière


Sous le couvert de la franc-maçonnerie, ils ont vainement tenté de lutter contre l'obscurantisme de Rome. La brève existence des Illuminaten connaîtra pourtant une formidable et romanesque postérité.


Depuis le parution du best-seller de Dan Brown, Anges et Démons, les Illuminati sont à la mode. L'écrivain américain a en effet basé la trame de son roman sur les agissements mystérieux de cette secte qu'il présente sous un jour mystérieux et dont il date les origines à la Renaissance. Tous les initiés de ce cercle auraient partagé la même foi en la science, s'opposant au dogme catholique perçu comme des superstitions nocives ; voilà pourquoi ils se seraient nommé entre eux Illuminati, « illuminés » par la vraie science opposée aux ténèbres de la religion. Selon Dan Brown, le plus illustre des Illuminati fut Galilée, père de la lunette astronomique et ardent défenseur de la thèse héliocentrique. S'il fut épargné par l'Inquisition - quoiqu'il ait dû renoncer publiquement à soutenir et diffuser ses idées -, les autres auraient été impitoyablement traqués par l'Eglise, torturés puis exécutés. Dès lors, les Illuminati auraient disparu de l'histoire officielle. Mais, toujours selon le romancier américain, « ils furent adoptés par une autre société secrète, une confrérie de riches tailleurs de pierre bavarois, appelés les francs-maçons. » N'abandonnant pas leur projet politique subversif, ils auraient alors « utilisé le réseau planétaire des maçons pour étendre leur influence et financer leur grand dessein : la fondation d'un nouvel ordre mondial séculier fondé sur la raison scientifique ». Les Illuminati constitueraient depuis des siècles une société secrète politique ourdissant dans l'ombre un complot international.


… aux Illuminaten


Force est de constater que la trame romanesque de Dan Brown ne résiste pas à l'épreuve des faits. Toutefois, notre écrivain s'est inspiré, non sans malice, d'une confrérie bien réelle qui a œuvré dans l'espace germanique au siècle des lumières : les Illuminaten. Ce cénacle est fondé en 1776 par Adam Weishaupt (1748-1830), professeur de droit à l'université d'Ingolstadt. Fervent représentant des Lumières, Weishaupt s'oppose non seulement au catholicisme bavarois qu'il juge obscurantiste mais également au développement de sociétés secrètes chrétiennes et mystiques ; c'est le cas de la Rose-Croix d'or et surtout de la Stricte Observance templière qui connaît alors un véritable engouement auprès des élites germaniques.


Dans ce contexte, le sévère professeur de droit se décide à fonder lui aussi une société clandestine qui influencera en profondeur l'élite de son temps pour la convertir aux idées de progrès et de raisons.
Rapidement, Weishaupt propose à ceux qui l'ont rejoint un cheminement en trois degrés : du "noviciat", ils accèdent au grade de "minerval" puis de "minerval illuminé" ou illuminatus minor. A chacune de ces étapes, ils doivent lire un vaste programme d'auteurs, tous représentants des Lumières : Lessing, Herder, Wieland...


Weishaupt espère que ces lectures sauront convaincre les Illuminés du bien-fondé de ses idées. Car le projet de Weishaupt, connu de lui seul et de ses premiers compagnons groupés dans un "aréopage", n'est pas initiatique mais subversif : il s'agit bien de saper l'autorité de l'Eglise.


La greffe maçonnique


Afin de bâtir son ordre, Weishaupt, en bon élève des jésuites, à puisé l'essentiel de ses références dans l'Antiquité grecque : ainsi a-t-il rebaptisé les villes dans lesquelles les Illuminaten sont actifs : Ingolstadt est devenue Eleusis, Munich, Athènes, Ravensberg, Thèbes...


Quant aux dignitaires de l'ordre, ils ont aussi emprunté leurs surnoms à l'époque gréco-romaine : Weishaupt rebaptisé Spartacus, côtoie Ajax, Agathon ou encore Tibère. Mais le recrutement stagne : plusieurs dizaines de membres tout au plus, au mieux une centaine en 1780... C'est alors que Weishaupt tente une greffe avec la franc-maçonnerie à laquelle il a été initié en 1777 dans la loge munichoise Zur Behutsamkeit (à la Prudence). Il pense ainsi pouvoir bénéficier du réseau maçonnique pour diffuser ses idéaux rationalistes.


Parmi les première recrues, il reçoit le très respecté baron Adolf von Knigge jusque-là membre d'une loge de la Stricte Observance. Déçu par diverses expériences alchimiques, von Knigge rejoint les Illuminés avec enthousiasme, amenant avec lui son savoir et sa réputation. Il en devient rapidement un membre influent bien que sa relation avec Weishaupt soit orageuse : le baron reproche au juriste son trop grand anticléricalisme quand lui se serait contenté d'un déisme de bon aloi.


"Prêtre", "Régent" et "Magnus Rex"


Au même moment, l'ennemi intime des Illuminés, la très chrétienne Stricte Observance connaît une crise interne grave. Weishaupt et von Knigge profitent de la situation. Le baron conçoit une série de hauts grades maçonniques qui viennent chapeauter les trois degrés des Illuminés : ainsi, viennent s'adjoindre les titres de "franc-maçon", de "Illuminatus major", de "Illuminatus dirigens". Von Knigge y ajoute une seconde classe de hauts grades qui mènent à l'Aréopage dirigeant : ce sont les degré de "Prêtre", "Régent" et "Magnus Rex". Cette construction est un coup de génie, permettant aux Illuminés de récupérer en quelques mois des centaines de maçons en déshérence de la Stricte Observance. En outre, elle assure le pilotage de la nouvelle structure par l'Aréopage qui, lui seul, connaît le dessein ultime de la confrérie. L'ordre compte désormais près de 3000 membres ; il est influent non seulement en Bavière mais aussi en Autriche, en Bohême, en Hongrie.
Son recrutement est élitiste puisqu'il a puisé dans le vivier maçonnique qui l'était déjà : on y touve beaucoup de fonctionnaires, des banquiers, des marchands aisés, des militaires de haut rang et même des membres du clergé abusé par la façade maçonnique de l'ordre. De grands personnage le rejoignent : Les ducs de Saxe-Weimar et de Saxe-Gotha, Goethe, Herder...


Persécution et clandestinité


Mais les Illuminés sont rapidement victimes de leur succès. Leur montée en puissance suscite en effet de fortes oppositions. De la part de certains princes tout d'abord : Frédéric-Guillaume, héritier du trône de Prusse et initié à la Rose-Croix d'or, leur voue une haine tenace. Il soutient les loges maçonniques berlinoises acquises aux Rose-Croix lorsqu'elles déclarent la guerre aux Illuminés en 1783 au motif qu'il veulent "saper la religion chrétienne et faire de la maçonnerie un système politique". Cependant, c'est de l'ordre même que provient la crise : Weishaupt et von Knigge ne cessent de s'opposer sur la question religieuse. De guerre lasse, le baron quitte les Illuminés en avril 1784. Deux mois plus tard, l'électeur de Bavière, le prince Charles-Théodore, prononce un édit d'interdiction ; les Illuminés sont désormais considérés comme des criminels et pourchassés en tant que tels. Weishaupt doit fuir Ingolstadt ; il est accueilli par le duc de Saxe-Gotha qui lui accorde sa protection. L'ordre est alors moribond ; la plupart de ses membres ont déserté et beaucoup, tel Goethe, s'emploient à minimiser leur implication dans la confrérie.


Pendant quelques années encore, quelques Illuminés continueront d'œuvrer dans la clandestinité. Johann Joachim Christoph Bode (1730-1793) est le plus important d'entre eux : initié par von Knigge en 1782, il a gravi tous les échelons de la hiérarchie si bien qu'il succède à Weishaupt lorsque celui-ci est contraint de fuir...


La légende noire des Illuminaten


L'idée de Bode consiste à implanter des groupes d'Illuminés hors d'Allemagne, en attendant que la situation se calme. Il se rend notamment en France en 1787 où il fonde une branche française sous le nom de Philadelphes. Mais l'entreprise échoue. A la mort de Bode en 1793, les Illuminaten ont perdu leur éclat. Toutefois, leur histoire ne s'arrête pas là. Des opposants à la Révolution française, dont l'abbé Augustin Barruel (1741-1820) répandent l'idée que les francs-maçons et les Illuminés, épris de raison et hostile au catholicisme, ont été à l'origine de 1789. Difficile à croire quand on sait que les philadelphes n'ont jamais compté que quelques membres, bien incapables de comploter contre la monarchie ! La thèse pourtant fait florès ; les Illuminés passent à la postérité avec la réputation d'avoir été une puissante société antichrétienne, d'essence quasi satanique comme la soutenu Barruel. C'est cette image qu'a habilement reprise et exploité Dan Brown dans son roman : ses Illuminati empruntent beaucoup à leurs cousins bavarois : rationalisme, culte du secret, subversion, haine de Rome et culte luciférien. Mais Brown s'empresse de corriger cette image effrayante pour le lecteur en précisant que Lucifer n'est autre que "Celui qui porte la lumière", une image chère aux Illuminés. La boucle est bouclée mais les pistes sont brouillées. De Weishaupt à Dan Brown, des Illuminaten aux Illuminati, il ne reste finalement qu'un destin commun : l'échec d'une tentative destinée à instaurer les valeurs des Lumières par le complot... 


Le dollar des Illuminaten


Dans son roman « Anges et Démons », Dan Brown affirme que la jeune démocratie américaine a été la terre d’élection des Illuminati. Arguant du fait avéré que George Washington et Benjamin Franklin étaient franc-maçon, il laisse entendre qu'ils n'ont pu qu'appartenir à la société secrète. Et pour preuve : le billet d'un dollar contiendrait nombre de ses symboles, en particulier la pyramide et le triangle orné d'un œil. Pourtant, il faut se rendre à l'évidence, les supposés symboles sont a remplacer dans leur contexte historique : la mode est à l'égyptomanie au XVIIIème siècle et il n'est pas rare de voir évoqué ça et là le temps des pyramides. Quant au triangle, avant d'être un symbole maçonnique, il désigne, depuis l'époque baroque, non pas la raison mais... Dieu.


Source : « Les sociétés secrètes ».


Les sociétés secrètes 




Anges et Démons 

 

Une antique confrérie secrète parmi les plus puissantes de l'Histoire, les « Illuminati », qui s'était juré autrefois d'anéantir l'Église Catholique, est de retour. Cette fois, elle est sur le point de parvenir à son but : Robert Langdon, expert en religions d'Harvard, en a la certitude. Langdon va rencontrer Vittoria Vetra, une scientifique aussi belle que mystérieuse. Cette fois, il sait à qui il se confronte. Cette enquête diabolique est un piège, chaque secret est une clé, chaque révélation un danger. - Une nuit, le professeur Robert Langdon, éminent spécialiste de l'étude des symboles, est appelé d'urgence au Louvre : le conservateur du musée a été assassiné, mais avant de mourir, il a laissé de mystérieux symboles. Avec l'aide de la cryptologue Sophie Neveu, Langdon va mener l'enquête et découvrir des signes dissimulés dans les oeuvres de Léonard de Vinci. Tous les indices convergent vers une organisation religieuse aussi mystérieuse que puissante, prête à tout pour protéger un secret capable de détruire un dogme deux fois millénaire.







Anges et Démons (édition illustrée)
Extrait


Les faits 
Le plus grand pôle de recherche scientifique au monde, le CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire), a récemment réussi à produire les premiers atomes d’antimatière. 


L’antimatière est identique à la matière, si ce n’est qu’elle se compose de particules aux charges électriques inversées. 


L’antimatière est la plus puissante source énergétique connue. Contrairement à la production d’énergie nucléaire par fission, dont l’efficience se borne à 1,5 %, elle transforme intégralement sa masse en énergie. En outre, elle ne dégage ni pollution ni radiations. Il y a cependant un problème :

L’antimatière est extrêmement instable. Elle s’annihile en énergie pure au contact de tout ce qui est... même l’air. Un seul gramme d’antimatière recèle autant d’énergie qu’une bombe nucléaire de 20 kilotonnes, la puissance de celle qui frappa Hiroshima. 


Jusqu’à ces dernières années, on n’avait réussi à produire que quelques infimes quantités d’antimatière (quelques atomes à la fois). Mais le « décélérateur d’antiprotons » récemment mis au point par le CERN ouvre de formidables perspectives : sa capacité de production d’antimatière est considérablement renforcée. 
Se pose désormais une angoissante question : cette substance hautement volatile sauvera-t-elle le monde, ou sera-t-elle utilisée pour créer l’arme la plus destructrice de l’histoire ?


Note de l’auteur 
Tous les tombeaux, sites souterrains, édifices architecturaux et oeuvres d’art romains auxquels se réfère cet ouvrage existent bel et bien. On peut encore les admirer aujourd’hui. Quant à la Confrérie des Illuminati, elle a aussi existé.


Prologue 
En reniflant une odeur de chair brûlée, le physicien Leonardo Vetra comprit que c’était la sienne. Il leva des yeux terrorisés vers la silhouette penchée sur lui. 


- Que voulez-vous ? 
- La chiave, répondit la voix rauque, le mot de passe. 
- Mais... je n’ai pas... 


L’intrus appuya de nouveau, enfonçant plus profondément l’objet blanc et brûlant dans la poitrine de Vetra. On entendit un grésillement de viande sur le gril. Vetra poussa un hurlement de douleur.

- Il n’y a pas de mot de passe ! 


Il se sentait basculer dans le néant. 
Son bourreau lui jeta un regard furibond.

- Exactement ce que je craignais. Ne avevo paura ! 
Vetra lutta pour ne pas perdre connaissance, mais le voile qui le séparait du monde s’épaississait. Son seul réconfort : savoir que son agresseur n’obtiendrait jamais ce qu’il était venu chercher. Quelques instants plus tard, l’homme sortit un couteau. La lame s’approcha du visage de Vetra. Avec une délicatesse toute chirurgicale. 


- Pour l’amour de Dieu ! hurla le mourant d’une voix étranglée. 
- Mais il était trop tard.


Chapitre 1. 
Au sommet des marches de la grande pyramide de Gizeh, une jeune femme riait et l’appelait. 


- Robert, dépêche-toi ! Décidément, j’aurais dû épouser un homme plus jeune ! Son sourire était magique. Il s’efforçait de la suivre mais ses jambes étaient deux blocs de pierre. 


- Attends-moi ! supplia-t-il. S’il te plaît ! Alors qu’il recommençait à grimper, la vision se brouilla. Son coeur cognait comme un gong à ses oreilles. Je dois la rattraper ! Mais quand il leva de nouveau les yeux, la femme avait disparu. A sa place se tenait un vieillard aux dents gâtées. L’homme regardait vers le bas, un étrange rictus retroussait ses lèvres. Puis il poussa un cri d’angoisse qui résonna dans le désert. Robert Langdon se réveilla en sursaut de son cauchemar. Le téléphone sonnait à côté de son lit. Emergeant péniblement, il décrocha l’appareil. 


- Allô ? 
- Je cherche à joindre Robert Langdon, fit une voix d’homme. Langdon s’assit dans son lit et essaya de reprendre ses esprits. 
- C’est... c’est lui-même. Il cligna des yeux en tournant la tête vers son réveil numérique. Celui-ci affichait 5 h 18 du matin. Il faut que je vous rencontre sur-le-champ. 


- Mais qui êtes-vous ? 
- Je me nomme Maximilien Kohler. Je suis physicien. Spécialisé en physique des particules, pour être précis. 


- Quoi ? Langdon se demandait s’il était vraiment réveillé. 
- Vous êtes sûr que je suis le Langdon que vous cherchez ? 


- Vous êtes professeur d’iconologie religieuse à Harvard. Vous êtes l’auteur de trois ouvrages sur les systèmes symboliques et... 
- Savez-vous l’heure qu’il est ? 


- Excusez-moi. J’ai quelque chose à vous montrer. Il m’est impossible d’en parler au téléphone. Langdon poussa un marmonnement entendu. Ce n’était pas la première fois. L’un des risques qui guettent l’auteur de livres sur la symbolique religieuse, c’est justement ce genre d’appels d’illuminés. Ils viennent de recevoir un message de Dieu et ils demandent confirmation au spécialiste. Le mois précédent, une danseuse de cabaret de Tulsa dans l’Oklahoma lui avait promis la nuit d’amour de sa vie s’il prenait l’avion pour authentifier le signe de croix qui venait d’apparaître sur sa housse de couette. Langdon avait baptisé ce nouveau cas « le suaire de Tulsa ». 


- Comment avez-vous eu mon numéro ? demanda Langdon en essayant de garder son calme malgré l’heure matinale. 


- Sur le Web, sur le site de votre bouquin. Langdon fronça les sourcils. Il était parfaitement sûr que le site de son livre ne donnait pas son numéro de téléphone privé. Ce type mentait, de toute évidence. 


- Il faut que je vous voie, insista l’autre. Je vous paierai bien. Langdon sortit de ses gonds. 


- Je suis désolé, mais vraiment je n’ai rien à... 
- Si vous partez tout de suite, vous pouvez être ici vers... 
- Je n’irai nulle part ! Il est 5 heures du matin ! Langdon raccrocha et se laissa choir sur son lit. Il ferma les yeux et essaya de se rendormir. Peine perdue. Il était trop contrarié. A regret, il enfila son peignoir et descendit au rez-de-chaussée. Robert Langdon traversa pieds nus le grand salon vide de sa demeure victorienne du Massachusetts et se prépara le remède habituel des nuits d’insomnie, un bol de chocolat instantané en poudre. La lune d’avril filtrait à travers les portes-fenêtres et animait les motifs des tapis orientaux. Il balaya la pièce du regard. Ses collègues le taquinaient souvent sur son intérieur – celui-ci évoquait davantage, selon eux, un musée d’anthropologie qu’une habitation privée. Ses étagères étaient bondées d’objets d’art religieux du monde entier – un ekuaba du Ghana, une croix en or espagnole, une idole cycladique de la mer Egée et même un rare boccus tissé de Bornéo, symbole de jeunesse éternelle porté par les jeunes guerriers indonésiens. Assis sur son coffre Maharishi en cuivre, Langdon savourait son chocolat en surveillant d’un oeil distrait son reflet dans la baie vitrée. L’image déformée et pâle évoquait un fantôme. Un fantôme vieillissant, songea le professeur, cruellement rappelé à la réalité de sa condition : un esprit jeune dans une enveloppe mortelle. Agé d’environ quarante ans, Langdon, qui n’était pas beau au sens classique du terme, était le type même de l’universitaire à la mâle distinction qui, selon ses collègues du sexe féminin, plaît tant aux femmes. Avec ses tempes argentées qui rehaussaient une belle chevelure encore brune, son impressionnante voix de basse et le large sourire insouciant d’un grand sportif, Langdon avait gardé le corps du nageur de compétition qu’il avait été à l’université. Et il veillait à maintenir en forme son mètre quatre-vingts longiligne et musclé en s’imposant chaque matin cinquante longueurs dans la piscine du campus. Ses amis l’avaient toujours considéré comme une énigme. Tour à tour moderne et nostalgique, il semblait changer de peau à volonté. Le week-end, on pouvait le voir se prélasser sur une pelouse, discutant conception assistée par ordinateur ou histoire religieuse avec des étudiants ; parfois, on l’apercevait en veste de tweed sur un gilet à motifs cachemire dans les pages d’un magazine d’art ou à la soirée d’ouverture d’un musée où on lui avait demandé de prononcer une conférence. Ce grand amoureux des symboles était sans aucun doute un professeur qui ne faisait pas de cadeaux et exigeait une stricte discipline de ses élèves, mais Langdon était aussi le premier à pratiquer « l’art oublié du bon rire franc et massif », selon sa bizarre expression, dont il vantait les mérites. Il adorait les récréations et les imposait avec un fanatisme contagieux qui lui avait valu une popularité sans mélange auprès de ses étudiants. Son surnom sur le campus, le « Dauphin », en disait long sur son caractère bon enfant mais aussi sur sa capacité légendaire de multiplier les feintes pour tromper l’équipe adverse, lors des matchs de water-polo. Soudain, le silence du grand salon fut de nouveau troublé, cette fois par une sorte de cliquetis que le quadragénaire à demi assoupi ne reconnut pas tout de suite. Trop fatigué pour s’emporter, Langdon esquissa un sourire las : le cinglé de tout à l’heure ne s’avouait pas vaincu. Ah, ces fous de Dieu ! Deux mille ans qu’ils attendent le Messie et ils y croient plus que jamais ! Les sourcils froncés, il rapporta son bol vide à la cuisine et gagna à pas lents son bureau lambrissé de chêne. Le fax qui venait d’arriver luisait faiblement sur le plateau. En poussant un soupir, il s’empara de la feuille et l’approcha de ses yeux. Aussitôt, il fut pris de nausées. C’était la photo d’un cadavre. On l’avait entièrement dénudé et on lui avait tordu le cou jusqu’à ce que sa tête regarde derrière lui. Sur la poitrine de la victime une terrible brûlure renforçait l’atrocité de ce meurtre. L’homme avait été marqué au fer rouge, on avait gravé un mot, un seul mot dans sa chair. Un terme que Langdon connaissait bien. Très bien. Ses yeux restaient rivés, incrédules, sur les étranges caractères gothiques : 


- Illuminati, balbutia Langdon, le coeur battant à tout rompre. Ce n’est quand même pas... D’un mouvement lent, appréhendant ce qu’il allait découvrir, il fit pivoter le fax à 180 degrés. Lut le mot à l’envers. Il en eut le souffle coupé – à peu près comme s’il venait de se prendre un coup de poing en pleine poitrine. 


- Illuminati, répéta-t-il dans un murmure. Abasourdi, Langdon s’affala dans une chaise. Il resta pétrifié, sous le coup de la commotion qu’il venait de recevoir. Peu à peu, ses yeux furent attirés par le clignotement du voyant rouge sur son fax. Celui qui lui avait envoyé ce fax morbide était au bout du fil... et attendait de lui parler. Langdon resta longtemps sans bouger, à fixer ce petit clignotant redoutable. Puis, en tremblant, il décrocha le combiné.



jeudi, février 24, 2011

B comme bouddhisme





La popularité dont le bouddhisme jouit en Occident depuis une cinquantaine d’années repose sur une série de contresens et de malentendus intéressants à relever. […]


Le premier malentendu à propos du bouddhisme (on songe à la boutade de Ionesco : quand je n’avais aucun succès, c’était un malentendu ; maintenant que j’en ai, c’en est un autre !) tient au fait qu’il est symbolisé (littéralement incarné) par un homme (le dalaï-lama) qui ne représente qu’une branche très minoritaire et historiquement très particulière du bouddhisme. Le lamaïsme – autre nom sous lequel on désigne le bouddhisme tibétain – est une sorte de syncrétisme entre la religion bön indigène, spécifiquement tibétaine, et le bouddhisme venu de l’Inde. Loin de représenter le bouddhisme, le lamaïsme (encore appelé « véhicule de diamant») n’est que l’une de ses trois formes, la moins représentée de toutes – quelques millions de fidèles. Le véhicule de diamant est un développement du bouddhisme mahayana, du « grand véhicule » ainsi appelé par opposition au bouddhisme hinayana, du « petit véhicule ».


Mais il y a plus grave encore, en fait de malentendus. Alors que le bouddhisme balaie de manière radicale l’illusion du moi, l’Occidental va y chercher un moyen de réaliser son moi – donc, du point de vue bouddhiste, de renforcer l’illusion au lieu de la détruire ! De manière corollaire, la réincarnation bouddhiste est prise en Occident complètement à contresens : dans le cadre de la religion bouddhiste, cette roue des réincarnations successives est une épouvantable malédiction dont il convient, en éteignant les désirs en soi, de se débarrasser. L’idée de réincarnation, en revanche, est de nature à plaire à l’Occidental qui y verra flatté son narcissime et croira ainsi pouvoir disposer d’une seconde chance, puis d’une troisième, etc. en cas de vie ratée, un peu à la manière d’un tirage de loterie idéale, où l’on pourrait gratuitement disposer de tous les tickets un par un !


Autre contresens, lié au précédent : la nature du nirvana (sur laquelle le Bouddha lui-même a toujours refusé de se prononcer) est assimilée à celle du paradis chrétien alors même que, du point de vue bouddhiste, un lieu de béatitude ne saurait être qu’une illusion suscitée par la soif d’exister. Le nirvana correspond bien à une délivrance mais pas à un état de béatitude, il est la cessation du désir d’exister, et des douleurs qui s’ensuivent.


Il est probable qu’aucune autre religion n’a été aussi mal comprise que le bouddhisme. C’est à tous ces malentendus et contresens qu’il doit sa formidable popularité. Force est donc de constater que le bouddhisme de l’Occident (dont Nietzsche il y a plus de cent ans prophétisait déjà le succès) est un bouddhisme imaginaire.


Christian Godin, « Petit lexique de la bêtise actuelle ». 


Petit lexique de la bêtise actuelle 


D'Acharnement (thérapeutique) à Volonté en passant par le Colonialisme, la Dignité, la Femme et le Scandale, les 130 articles de ce Petit lexique de la bêtise actuelle évoquent et analysent les lieux communs qui traînent dans l'espace public et font croire qu'il y a de la pensée là où il n'y en a que des slogans. Un essai d'impertinence systématique, pour ne pas croire les mots sur parole !


Biographie de l'auteur :


Philosophe et maître de conférences de philosophie à l'université de Clermont-Ferrand, Christian Godin est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont la Totalité en sept volumes (Champ Vallon, 1997-2003), et La Philosophie pour les Nuls (First Editions, 2006). Aux éditions du temps, il a notamment publié le Dictionnaire de philosophie (coédité avec Fayard, 2004) et La Guerre (2006).








Dessin : http://mykaia.fr/blog/2008/10/24/quand-dalai-lama-fache-dalai-lama-faire-ca/

mercredi, février 23, 2011

Derviches & soufis




L’institution plonge ses racines dans les sectes helléniques de Pythagore et de Platon. Il s’y mêla des influences hindoues, voire chinoises (la doctrine de l’« invariable milieu »). En fait, l’ordre proprement dit remonte à Orchan, le second sultan turc. Gérard de Nerval qui fréquenta les derviches, les classait en groupes très distincts :


Les « munasihi »


Les « munasihi » croient à la transmigration ou métempsychose : l’homme qui involue (en dégénérant spirituellement) renaît en animal ; et l’animal peut renaître en homme. De là, ces fondations pieuses en faveur des animaux, par exemple pour les chiens errants d’Istanbul ;  de là encore, disent les derviches, l’interdiction par l’Islam de la chair de porc, cet animal étant biologiquement le plus proche de l’humain… 


Les « eschraki »


Les « eschraki » (comparer à l’allemand « erschreckt » = effrayé, illuminé), plus mystiques que théosophes, recherchent la contemplation divine par les nombres (comme les anciens pythagoriciens), par les formes et les couleurs. Toutefois, contrairement aux pythagoriciens, ils rejettent toute spéculation sur les nombres ; ils se bornent à immobiliser leur mental sur des nombres donnés, jusqu’à illumination !


Les « haïreti »


Les « haïreti » (comparer au mot « hérétique ») sont des sceptiques ou faux sceptiques ; ils n’adhèrent à aucun article de foi, mais sans en rien rejeter… Ils estiment sagement que toute vérité contient son pôle d’erreur et inversement ; ceux-là se réfèrent à l’invariable milieu des Chinois. Ils pratiquent (toujours comme les sages chinois) le « non-agir », afin d’être agissants par leur inconscient.


Le derviche se voue à la pauvreté, ce qui, paradoxalement, lui donne le droit de recevoir. Certains usent et abusent (avec détachement) de la nourriture, des boissons alcoolisées, de la pâte de hachisch, de l’érotisme – l’élan mystique maintenant leur être profond dans l’indifférence. Mais ceux-ci marchent « sur le fil du rasoir » ! D’autres pratiquent l’ascétisme, avec le même détachement.


Les derviches furent toujours aimés de la foule musulmane qui apprécie leur gaieté, leur enthousiasme mystique, leur charité et cette simplicité d’initiés qui les places au-dessus de tous, sans piédestal. Dans leurs couvents, ils nourrissent les chiens et les oiseaux, sans les retenir, et instruisent les enfants. L’étranger les connaît uniquement par les exhibitions des derviches tourneurs : vêtus de blanc (sauf le supérieur, en bleu céleste), ils tournent sur eux-mêmes jusqu’à l’exaltation magnétique ; alors, fondus dans leur double, donc en transe, ils accèdent à une certaine extase et à une certaine médiumnité prophétique. Les derviches hurleurs dansent autour d’un mât en psalmodiant une litanie dont le refrain est « Allah hay ! » (Dieu vivant). Puis, ils entrent en transe aussi.


Gurdjieff, célèbre en Occident entre les deux guerres, avait reçu une initiation chez les derviches.


Jean Louis Bernard 




Voyage en Orient
Gérard de Nerval


L'Orient, le voyage... Mais pourquoi ? Pour découvrir, seulement ? Ou pour trouver, là, sur place, une ou des vérités déjà pressenties ? Un rêve d'humanité première que l'Orient demeurerait seul à porter ? Nerval a vu, noté, dans une attention, souvent une sympathie que tous alors ne partagent pas forcément. Mais davantage encore : il est arrivé sur l'autre rive de la mer en mêlant à l'Orient qui l'accueillait le sien propre, recomposé à partir de l'antiquité biblique ou gréco-romaine, de l'islam, de la franc-maçonnerie. Le tout en romancier, tant cette course à l'étoile entrevue et toujours dérobée s'inscrit de plein corps sur la trajectoire d'une destinée. En conteur, dans la lumière ou les nuits des vieilles légendes. En poète, dont les illuminations, passant du vers à la prose, éveillent d'autres résonances, tout aussi bouleversantes au cœur.





Constantinople


Eté 1852. A l'instar de nombreux écrivains du XIXe siècle, Théophile Gautier s'embarque à Marseille sur le Léonidas et file vers Constantinople. Envoyé par La Presse d'Emile de Girardin, il va composer des tableaux saisissants sur ce monde oriental qui s'offre enfin à lui. Sur les traces de son ami Nerval, il découvre les marchés, les mosquées, les cafés et tous ces lieux qui nourrissent son vagabondage émerveillé. Sa prose étincelle. Mais le texte étonne aussi par sa modernité, son souci du présent et de ce qui, au cœur de la société turque, se transforme. Déjà il s'interroge et regrette souvent l'occidentalisation, qui envahit même la vieille ville. Aussi, à l'écart des sentiers battus et des touristes, s'enfonce-t-il dans le dédale de l'« Istanbul miséreux et délaissé ». On retrouvera ici tout Gautier, le poète et le romancier, le chroniqueur sensuel et le voyageur ironique, que notre temps redécouvre. Sa Constantinople nous aide à mieux comprendre et aimer l'Istanbul d'aujourd'hui. La présente édition est préfacée par Stéphane Guégan, chef du service culturel du musée d'Orsay, qui prépare actuellement une biographie de Théophile Gautier.





mardi, février 22, 2011

Le fœtus récalcitrant




Comme René Guénon, Gustave-Henri Jossot (Abdul Karim Jossot), dessinateur libertaire et auteur du livre "Le fœtus récalcitrant", s’intéressait à la spiritualité soufi. 


Des soufis ont revendiqué une liberté totale. Par exemple, les qualandar méprisaient les règles morales et religieuses de l’islam, ne jeûnaient, ni ne faisaient la prière rituelle quotidienne. « En revanche, ils chantaient avec adresse la liberté de ceux qui connaissent vraiment Dieu. » (Carl Keller)


« Jossot commence à rédiger "Le fœtus récalcitrant" en 1927, c'est à dire juste après la publication de son précédent credo, "Le Sentier d’Allah". Même si l’artiste est manifestement marqué par son initiation au soufisme auprès du Cheikh Alawi, toute référence directe à l’Islam disparaît de sa brochure. Il s’en explique d’ailleurs très clairement : « J’ai l’air de vous faire un cours d’instruction religieuse. Rassurez-vous : je n’appartiens plus à aucune religion. Je les ai toutes étudiées : mais j’ai eu beau m’allonger de grands coups de pied sur le coccyx, je n’ai pas réussi à croire en elles. » Un premier chapitre consacré à sa carrière et à ses idées de caricaturiste est suivi d’un "Evangile de la paresse". Son auteur a probablement eu connaissance du texte de Paul Lafargue, "Le droit à la paresse", publié en 1880, dont il reprend la tonalité pamphlétaire et un certain nombre d’idées : la haine du travail chez les peuples primitifs, le Christ comme apôtre de la Paresse, la guerre comme instrument de la croissance capitaliste, etc. Jossot y développe une pensée authentiquement individualiste, puisant aux sources du stoïcisme et du cynisme antique, s’inscrivant dans l’héritage de Nietzsche et Stirner, et alimentée par des contemporains comme Georges Palante, Han Ryner, Lacaze-Duthiers, Manuel Devaldès...


L’artiste parvient à publier sa brochure à compte d’auteur, en mille exemplaires, dont soixante seulement ont été vendus à Tunis, « les libraires de cette ville ayant refusé, avec une unanimité touchante, de les exposer dans leurs vitrines : autant dire que personne ne l’a lue, sauf les copains à qui je l’ai distribuée. » Les éditions Finitude publient donc "Le Fœtus récalcitran"t pour la première fois, en février 2011. »
Henri Viltard


Extraits...


Le mot « caricaturiste » est employé, la plupart du temps, pour désigner le premier venu parmi les collaborateurs d'une feuille illustrée : des dessinateurs très corrects, dont les croquis ne portent aucune trace de déformation, se voient promus caricaturistes bien malgré eux et, par suite de cette interprétation erronée, les moindres gribouilleurs du plus petit journal pour rire sont, eux aussi, étiquetés caricaturistes.


Le plus insignifiant dessin représentant la plus inexpressive des « petites poules » est considéré comme une caricature.


Une formule d'art très spéciale se trouve donc méconnue par les artistes eux-mêmes, ravalée au rôle d'amusette pour siroteurs d'apéritifs.


Je vais tenter de remettre les choses au point...


Partout nous nous heurtons au respect : nous ne rencontrons que gens courbant l'échine, s'inclinant, s'agenouillant, se prosternant, s'aplatissant les uns devant les autres. Quand, par extraordinaire, un individu est affligé d'une épine dorsale sans souplesse, on le considère comme un sacrilège, un profanateur du tabou. On le regarde avec un religieux effroi, on fait le vide sur son passage ; c'est un pestiféré ; il a contre lui l'opinion publique.


A mon avis, une face tirée, tordue, déformée par la souffrance, la colère, le rire ou la frayeur est mille fois plus « belle » malgré sa laideur, que les têtes insipides et inexpressives qui surmontent tant d'anatomies établies selon les canons des pontifes.


Shakespeare devait partager cette opinion quand il écrivit : « Le Beau est laid ; le Laid est beau ». Pour en extraire l'ordure morale, il faut exagérer l'expression des physionomies ; exalter la grimace, cette photographie de l'âme ; déformer les personnages d'un pouce compresseur, leur écrabouiller le nez, leur broyer les maxillaires, leur tordre l'épine dorsale, écarteler leurs membres, décerveler leurs crânes.


Le caricaturiste est un justicier doublé d'un philosophe : à coups de matraque il fait craquer les masques et martèle, sur l'enclume de la pensée, le sujet hurlant et pantelant.


Et sans cesse le savant nous crée de nouveaux besoins sans nous fournir le moyen de les satisfaire. La science vulgarisée, l'instruction, que l'on répand à profusion, est cause de la détresse sociale : elle engendre le progrès matériel et la cheminée d'usine, ce monstrueux phallus en permanente érection, éjacule de la suie sur les plus verdoyants paysages.


La chimie frelate nos boissons, falsifie nos aliments ; de cette sophistication résultent d'innombrables maladies. Quand nous sommes complètement démolis par l'ingestion des produits chimico-nutritifs, on nous en fait absorber d'autres sous formes de remèdes.


Il ne nous reste plus, alors, qu'à rédiger notre testament[...] Ces insensés fatiguent la terre par leurs procédés de culture intensive, par leurs engrais artificiels. Un jour viendra où notre planète ne produira plus rien : la science sera responsable de sa stérilité.


Voilà le crime abominable : pervertir des êtres simples ; les ravaler au rôle de salariés ; importer, en pleine nature vierge, cette honte de la civilisation : le travail !


Les prêtres médiévaux, qui brûlaient les hérétiques après les avoir soumis aux plus effroyables tortures, étaient atteints d'hystérie mystique : en martyrisant ceux qui ne partageaient pas leurs croyances, ils s'imaginaient agir pour leur plus grand bien. S'ils tenaillaient et brûlaient les chairs de leurs victimes, c'était pour faciliter l'évasion de leur âme. Nos modernes agités ne leur sont pas inférieurs en fanatisme : sectateurs de la religion du travail, ils sont, eux aussi, des sectaires ; ils veulent imposer leur foi. S'ils osaient, ils dresseraient de nouveaux bûchers pour les paresseux qui refusent de se convertir.


Déjà la plupart des gouvernements européens ont institué un ministère du Travail. Pourquoi n'établissent-ils pas aussi un ministère de la Paresse ? Les paresseux ne sont-ils pas citoyens tout comme les travailleurs ? En cette qualité n'ont-ils pas droit, comme eux, à la sollicitude de l'État ?


Non : les dirigeants s'appuient sur la masse électorale des travailleurs ; les paresseux sont en minorité ; ils ne sont pas syndiqués et ne professent, pour la politique, qu'indifférence ou mépris ; aussi attendront-ils longtemps la création d'un ministère de la Paresse.


Si tu veux vraiment agir et non plus t'agiter, si tu tiens à faire quelque chose pour les autres, commence par t'occuper de toi : transmue ta vie en une œuvre d'art ; modèle toi-même ta propre statue.


Retouche-la chaque jour, pendant des années, jusqu'à ce qu'elle approche de la perfection. Alors tu la montreras à tes congénères : elle sera pour eux un exemple vivant.


C'est la plus riche aumône que tu puisses leur offrir ; c'est la meilleure façon de leur venir en aide.


II n'y a rien à tenter sur le plan social : depuis que le monde existe, ou plutôt depuis que la civilisation a pris naissance, les hommes ont essayé de nombreuses formes de gouvernement, toutes basées sur l'autorité, aucune sur l'entente, de sorte que l'homme est resté un loup pour l'homme.


C'est dans l'inaction que l'on agit efficacement ; c'est la Pensée qui est la « force forte de toutes forces » et non pas le Mouvement.


La Pensée ne peut prendre son essor que dans l'oisiveté : en cet état elle jouit de l'indispensable recueillement. Le bruit et le tumulte l'effarouchent, la contraignent à se recroqueviller sur elle-même et l'empêchent de s'envoler. Penser c'est paresser physiquement, mais agir mentalement, abdique toute agitation si tu veux agir.


Les véritables hommes d'action ne sont pas les coureurs, les boxeurs et les aviateurs, mais ceux qui émettent et répandent des idées : les artistes, les poètes et les penseurs, en un mot les paresseux.


Entends hurler les fous ! Regarde-les s'agiter, se précipiter, s'exterminer : leurs guerres causent d'innombrables deuils, engendrent des révolutions, ruinent vainqueurs et vaincus, occasionnent un malaise général. N'est-ce pas le déluge ? Ils travaillent, suent, s'échinent et détruisent leur santé pour gagner de l'argent. Quand ils sont en possession de cette galette, ils la dépensent pour soigner leur santé.


Cette intelligente combinaison ne leur réussit pas toujours ; alors ils meurent de fatigue.


S'ils n'ont pas souci de leur santé, ils font la ribouldingue et finissent par en crever.


Encore le déluge !


Ils grimpent sur des machines qui les transportent à toute vitesse sur terre, sur mer, dans les airs, au fond des eaux ; ces machines sautent et eux avec.


Toujours le déluge !


Et dans les usines d'autres machines tournent, virent, trépident, saisissent des ouvriers et les déchirent dans leurs engrenages ; elles éclatent et font de nouvelles victimes.


Malgré qu'elle revête des apparences bien modernes, cette extermination multiforme n'en ressemble pas moins au cataclysme final, au vrai déluge.


Les insensés ! Ils courent après Mammon sans deviner qu'il les entraîne à l'abîme. Ils ont tant sacrilégié la nature qu'elle se fâche et se venge.


Ils ne s'aperçoivent pas de leur folie ces déments qui traitent de fous les sages.


Ce n'est que le commencement de la fin : pour que la palingénésie soit intégrale, il faut que s'intensifie le machinisme, que les guerres deviennent plus effroyables et l'empoisonnement scientifique plus destructif.


Alors la mort, ayant passé sa faulx sur toute la surface du globe, notre planète sera débarrassée de sa grouillante vermine et connaîtra enfin le repos.


L'Humanité se divise en deux catégories : les actifs et les spéculatifs. A tout cerveau lucide il appert, d'irréfragable façon, que l'activité n'est qu'un besoin physiologique, une fonction basse des agités. Pourquoi prétendent-ils l'imposer à ceux qui sont pourvus d'une complexion différente? Parce qu'ils se figurent que le bonheur consiste à se démener. Ils n'admettent pas l'immobilité ; l'indolence leur paraît un péché, presque un crime.


Cependant ils sentent confusément leur infériorité ; honteux, ils cherchent à se disculper : « Nous voudrions bien nous reposer, nous aussi, concèdent-ils ; mais primum vivere : il nous faut gagner de l'argent pour subvenir à nos besoins matériels ».


Ces besoins pourquoi ne les restreignent-ils pas ? Si vraiment ils estimaient qu'un peu d'idéalisme vaut mieux que leurs jouissances sensuelles, ils cesseraient de se passionner pour « le labeur dur et forcé » ; ils ne lui accorderaient que le temps indispensable à l'obtention du pain quotidien ; quelques heures leur suffiraient pour se procurer la pâtée ; ils seraient libres ensuite de se livrer aux douceurs du farniente.


Mais ils ne sauraient se replier sur eux-mêmes : cela exige un long entraînement et ceux qui abandonnent les affaires après fortune faite ne tardent pas à mourir de consomption.


Le travail n'est pas sacré, ami : on a toujours menti en le prônant comme tel et les hommes sont victimes de cette supercherie.


Le travail (je précise) qui a pour but le gain, est une servitude imposée par la civilisation ; c'est une atteinte à la dignité humaine ; c'est une des multiples formes du mal ; il nous empêche de vivre en beauté.


Il faut lui arracher son auréole : jamais on ne flétrira, comme elle le mérite, cette torture que nous inflige l'enfer social.


L'aberration des agités est telle qu'ils en sont arrivés à considérer la sublime paresse comme la mère des vices alors que seul le travail procure de quoi les satisfaire tous : on ne trime que pour gagner de l'argent et c'est avec l'argent que se paie la débauche.


La Société prétend condamner le paresseux au travail forcé : « Qui ne travaille pas ne mange pas », ose-t-on dire aujourd'hui. Les flemmards admettent, pour les autres, le droit à la fatigue ; pourquoi leur refuse-t-on le droit au repos ? C'est que les agités ne raisonnent pas : comme tous ceux qui répudient la Pensée, ils n'ont d'autre argument que la violence : ils imposent leur vice par la Force.


D'après eux le désœuvrement pousse l'homme au vol et à l'assassinat. Mais les plus grands laborieux ne sont-ils pas les pires gredins ? Les Hautes-Crapules du commerce, de l'industrie et de la finance se font-elles scrupule de nous réduire à la misère ? Et les guerres exterminatrices ne sont-elles pas fomentées par ces fanatiques de l'activité ? N'est-ce pas pour favoriser leurs malpropres micmacs que l'on envoie les troupeaux humains à l'Abattoir ? De la paresse ou du travail quoi donc transforme les hommes en damnés ?


Le travail c'est le Mal Suprême, c'est la désolation, c'est la folie. N'a-t-il pas fallu que les hommes fussent atteints de démence pour créer une vie anti-naturelle et pour tout sacrifier à cette existence enfiévrée ? Plus de repos, plus de joie, plus de liberté ! Pour travailler ils renoncent à tout ; ils remuent, ils suent, ils tuent.


Afin d'unir leurs efforts, ils se sont rassemblés en troupeaux et, comme tout troupeau ne peut se passer de bergers et de chiens, ils se sont donnés des maîtres.


Pourtant l'Homme est né libre et la Terre lui appartenait. Aujourd'hui l'individu n'est plus qu'un minuscule boulon de la gigantesque machine sociale [...] Le travail est quelque chose de très bas. En refusant de t'avilir, en te réclamant de la Sainte Paresse, tu rompras, du même coup, avec la malpropreté universelle ; tu te placeras au-dessus de la tourbe.


Aie donc l'orgueil d'être un homme ; débrouille-toi ; trouve une combinaison pour lâcher ton usine, ton magasin ou ton bureau ; repousse, de toutes tes forces l'abrutissement obligatoire ; gagne ta vie librement.


Et quand tu seras un Homme, tends à devenir un Surhomme. C'est pour cette besogne interne que tu es sur la Terre, non pour te fatiguer.


Voici venus les temps de rendre un culte à la Paresse. Accourez tous, vous qui êtes éreintés : elle vous procurera le repos.


Accourez humains et sous-humains fourbus par le travail ; venez : la Divine Paresse vous appelle tous.


Vous, les grossiers et les turbulents, vous qui vous croyez incapables de vivre hors du tintamarre et sans bouger, vous pouvez, si vous le désirez sincèrement, devenir des paresseux. Combien vous seriez fautifs de ne pas essayer.


Accourez et nous instaurerons la religion de l'Oisiveté, religion sans clergé qui répudiera tout intermédiaire entre la Divinité et vous : chaque fidèle sera son prêtre ; il officiera lui-même et prendra son cœur pour autel.


Votre brûlant désir de vous la couler douce ardera vers l'Inertie Suprême ; d'En-Haut descendront sur vous le Repos et la Paix.


Priez donc de la sorte :


« Ô Divine Paresse qui êtes aux Cieux, que Votre Nom soit sanctifié ! Que Votre Règne arrive sur la terre comme au ciel ! Octroyez-nous, sans fatigue, notre croûte quotidienne. Surtout, ne nous induisez pas en la tentation du travail ; mais délivrez-nous de cette calamité. Ainsi soit-il ».


La Paresse, ami, est la plus belle hypostase de l'Âme Universelle. Prépare-toi à La recevoir.


C'est dans ton cœur que tu lui offriras l'hospitalité ; il faut y allumer une grande flambée d'amour.


Quand elle sera en toi, tu comprendras qu'Elle fait partie de toi-même, qu'Elle est toi-même.


Alors tu seras un adepte.


Il te restera à devenir un initié.


Frère, te voici éveillé ! A ton tour d'éveiller tes frères ! Tire-les de leur infernal sommeil ; sors-les du cauchemar ; arrache-les à la honte du travail.


Ils te réciteront leur antienne : « Il faut bien travailler pour vivre ».


Tu leur apprendras que l'existence qu'ils mènent n'est pas la vraie vie ; tu leur montreras que l'acquisition des richesses, l'ascension à la gloire, aux honneurs, ne leur procureront que satisfactions éphémères. Tu leur diras que la véritable félicité est en eux : ils n'ont qu'à vouloir pour la trouver.


Qu'ils abandonnent tout pour cela ! Les initiés de jadis et ceux d'aujourd'hui, tous les mages, tous les sages sont unanimes pour enseigner qu'il faut se détacher de tout.


Source : Goutte à Goutte, le site de Jossot réalisé par Henri Viltard :
http://gustave.jossot.free.fr/page_auteur.html




Le fœtus récalcitrant


Quand un fœtus récalcitrant ne manifeste qu'un médiocre empressement à sortir des entrailles maternelles, on va quérir les forceps et, sans tenir compte de ses cris de protestation, on l'introduit dans la vie ". Ce sont les premières lignes du livre de Jossot, caricaturiste anarchiste, récalcitrant, qui dans ce texte fustige, entre autres choses, l'éducation imposée aux enfants par les parents (" des scorpions ") ou les enseignants (" des déformateurs de cerveau "). Seule sa vocation artistique, affirme-t-il, lui a permis d'échapper au " dressage " et de rester libre. Mais pour Jossot, il est une vertu indispensable à la liberté : la paresse. Dans l'Évangile de la paresse, second texte de ce petit livre, il détaille avec humour mais surtout avec virulence tous les maux engendrés par le travail et son corollaire, la cupidité. L'esclavage, la colonisation, les dérives de la science ou l'épuisement de la nature sont les conséquences de l'activité des industrieux, qui inventent sans cesse de nouveaux besoins pour inciter l'homme à travailler plus encore. Tout cela reste plus que jamais d'actualité...






De la révolte à la fuite en Orient
Caricatures de Jossot






Leçon d’humour de Gustave Jossot (1866-1951), un maître de la caricature, célèbre affichiste (Cointreau, Saupiquet), libertaire et converti à l’Islam. Exposition à la Bibliothèque Forney des Arts Graphiques (8 février-7 mai 2011)




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Le respect selon Jossot


Extrait du numéro 302 de « L'Assiette au Beurre », 12 Janvier 1907.
Musique : Comus, « Diana », album « Première Énoncé » (1971).

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L’assiette au beurre, numéro 169, 25 juin 1904, les Francs-maçons vus par Jossot :

La guerre contre l’Islam est-elle une phase de la guerre ultime : la Guerre contre le Christ ?

La doctrine de la « démocratie libérale et des droits de l’homme » est une crypto-religion, une forme extrême, hérétique de judaïsme christ...