vendredi, juin 12, 2020

Le philosophe et la race des tyrans

(Durée 6:09)

Adeline Baldacchino présente "Diogène le Cynique, Fragments inédits" aux éditions Autrement.



Un gai savoir insolent et une sagesse pratique

Le cynisme philosophique propose un gai savoir insolent et une sagesse pratique efficace : « Derrière la causticité de Diogène, derrière sa volonté de choquer, nous percevons une attitude philosophique sérieuse, autant qu'aurait pu l'être celle de Socrate. S'il s'est appliqué à faire tomber un à un les masques de la vie civilisée et à opposer à l'hypocrisie ambiante des mœurs de "chien", c'est parce qu'il pensait pouvoir proposer aux hommes une voie qui les conduirait au bonheur. (Goulet-Cazé) » Diogène se fait donc médecin de la civilisation quand le malaise déborde les coupes et qu'il sature l'actualité.

De nouveaux cyniques sont urgents : à eux reviendrait la tâche d'arracher les masques, de dénoncer les supercheries, de détruire les mythologies et de faire voler en éclats les bovarysmes générés  puis entretenus par la société. Enfin on pourrait dire le caractère résolument antinomique du savoir et des pouvoirs institutionnalisés. Figure de la résistance, le nouveau cynique empêcherait les cristallisations sociales et les vertus collectives, transformées en idéologies et en conformismes, de prendre le pas sur les singularités. Il n'est d'autre remède aux tyrannies que de cultiver l'énergie des puissances singulières, des monades.

Le cynique a pour maxime de « n'être l'esclave de rien ni de personne dans le petit univers où il trouve sa place » (Paquet). Sa volonté est esthétique : elle considère l'éthique comme une modalité du style et distille l'essence de celui-ci dans une existence devenue ludique. Toutes les lignes de fuite cyniques convergent vers une focale qui distingue le philosophe, non plus comme un géomètre, mais comme un artiste, le metteur en scène d'un grand style. Diogène est de ces expérimentateurs de nouvelles formes d'existence."
Michel Onfray, Cynismes.


Le philosophe et la race des tyrans

Diogène le chien à Alexandre

"Ce que j’avais reproché à Denys et à Perdiccas, je le dis également à ton attention, c’est que, selon vous, commander, c’est être en guerre avec les hommes. Or c’est tout différent : d’un côté, c’est pure folie, et, de l’autre, il s’agit de savoir en user avec les hommes et de savoir agir en vue du meilleur résultat. Tâche donc, au lieu des entreprises que tu mènes actuellement par ignorance, de te confier à un homme qui aura mission, en te soignant comme un médecin puisque tu es malade, de te débarrasser de la mauvaise réputation que tu as partout maintenant. En effet ce que tu cherches, toi, c’est le moyen de faire du mal à quelqu’un, et même si tu le voulais, tu serais incapable de faire du bien à qui que ce soit. De plus, dominer et avoir des sujets, cela n’a rien de commun avec les pillages continuels que tu pratiques à droite et à gauche, en compagnie des hommes les plus détestables. Car cela, les meilleures d’entre les bêtes sauvages ne le font pas, et pas même les loups, les plus méchants et les plus malfaisants des animaux, que tu me parais surpasser en sottise. Eux, en effet, se contentent de leur propre méchanceté, tandis que toi, par-dessus le marché, en donnant a une solde aux plus méchants des hommes, tu leur procures licence de se livrer à tous les excès, et pour ton propre compte tu essaies d’en faire autant et même plus. Reconnais donc tes erreurs, mon cher, et reste en toi-même un peu plus-En quel pays de la terre es-tu donc ? Et à quoi te servent ces entreprises et l’ardeur que tu y mets ? Car tu ne penses pas, j’en suis sûr, que cette conduite te rende supérieur à quiconque. Mais si tu n’es supérieur à personne et si ce ne sont pas des épreuves que tu t’imposes, comment considères-tu le sort qui est le tien sinon comme infortuné, terrifiant et extrêmement périlleux ? En vérité je ne vois pas comment tu pourrais subir des malheurs encore plus grands que tes malheurs actuels. Un homme injuste peut-il ne pas être malheureux ? Un homme méchant et violent peut-il ne pas avoir un méchant sort et connaître le moindre bonheur ? Appelles-tu cela une vie, et le danger de mort te paraît-il la plus grave menace, avec la conduite que tu as ? Et par exemple ne penses-tu pas qu’il y a bien des complots contre toi, s’il est vrai que les hommes, dans leur grande majorité, sont enclins au mal ? Tu serais donc bien incapable de montrer, fait comme tu es, qu’il y a dans tes fréquentations un homme qui te soit dévoué, et, avec de pareilles fréquentations, tu pourrais bien, toi le premier, subir les pires maux et ne plus connaître aucun bonheur, sans que tes remparts eux-mêmes puissent te protéger : c’est sans peine que les maux franchissent les obstacles et se glissent près de nous. Regarde comment font les maladies : même un rempart n’arrête pas la fièvre, même une armée n’arrête pas le rhume, si bien que n’importe quel tyran est logé à la même enseigne que l’homme qui paraît démuni. Aussi à quoi servent les postes sanitaires que tu as fait installer sinon à ton ignorance, pour qu’ils la protègent le mieux possible et que tu sois exposé à quantité de maux et de craintes ? Crois-tu en effet que les maux dont souffrent les hommes viennent d’une autre source que de leur ignorance du devoir ? J’ai bien l’impression que tu appartiens à la race des tyrans : ces gens-là n’ont même pas plus de bon sens que les enfants. Arrête donc, mon cher, et si tu veux connaître un bonheur, cherche le moyen d’accomplir un devoir mais cela, tu n’en seras jamais capable si on ne te l’enseigne pas. Et si je t’envoyais l’un des juges d'Athènes ? Voilà des hommes qui, donnant chaque jour leur leçon aux coupables, se prennent pour des êtres supérieurs et croient rendre les autres incapables de subir ni de faire aucun mal. Quant à te souhaiter santé ou joie, je ne m’en sens pas le droit tant que tu seras comme tu es et que tu auras un pareil entourage."

Lettres de Diogène et Cratès, traduit du grec ancien par Georges Rombi et Didier Deleule.

Les cyniques grecs
Lettres de Diogène et Cratès

Qualifiés de petits socratiques par la tradition, en raison du nombre réduit de textes conservés, les cyniques font depuis peu l'objet d'études qui ont permis de révéler la consistance de leur doctrine. Didier Deleule, en publiant ici les Lettres de Diogène et Cratès, suivies d'une proposition de lecture, contribue à la réhabilitation de philosophes qui ont plutôt mauvaise presse. Si le cynique est d'abord un look (assez bonne traduction selon Deleule du grec eidos), il n'est pas que cela. Refusant l'intellectualisme à la mode platonicienne, il privilégie la monstration à la démonstration, l'exhibition à la persuasion, la mise en scène à l'argumentation. Sa méthode est certes abrupte, mais, s'il n'est pas dialecticien, il mérite tout de même d'être entendu.

Derrière la folie de ces hommes qui vivaient sans rien posséder et revendiquaient leur cosmopolitisme, n'obéissant qu'aux lois universelles de la nature, premiers chantres à leur façon de la contre-culture, Deleule nous invite à découvrir une sagesse insoupçonnée...


PDF gratuit en anglais : A History of Cynicism – From Diogenes to the 6th Century A.D.:

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