mercredi, juillet 20, 2011

Nietzsche et la « mort de Dieu », ou la libre-pensée absolue




Nietzsche. qui rejetait violemment la « bêtise raciste », n'a strictement rien à voir avec l'atroce récupération de sa philosophie par les nazis. Le fait que cette récupération ait eu lieu, loin de montrer la nocivité de l'œuvre de Nietzsche, prouve au contraire, que si le nazisme a pu prendre, c'est aussi parce qu'il a révélé une faiblesse, secrète et essentielle, de notre culture. Une culture en crise et se fermant à la vie, laissant ainsi la voie à toutes les aventures au goût de sang. Une culture que Nietzsche, avec violence, désespoir, amour, appelait à s'ouvrir au vent du large.

Le jeune Nietzsche renonce à la carrière de pasteur, à laquelle il se destinait, pour s’intéresser à la philosophie. Il fréquente les cafés, se passionne pour le théâtre et l'opéra, et contracte une syphilis qui le fera souffrir jusqu’à sa mort. Il se lie intimement à Richard et Cosima Wagner, avec qui il finira par se brouiller.

Une vie d’errance en solitaire à travers l’Europe commence à partir de 1879, et il écrira alors ses plus beaux textes. Amoureux déçu de Lou Andreas-Salomé (la future maîtresse de Rilke et la future psychanalyste), se brouillant avec ses amis, il se retirera, un temps, dans le petit village suisse de Sils Maria. Il traversera plusieurs crises de délire. Il embrassera dans les rues de Turin un cheval battu par son maître. Une attaque de paralysie l'emportera.

Une quête désespérée de la santé

Quelques thèmes ont fait la réputation de Nietzsche : la mort de Dieu, le surhomme, l'éternel retour. On passera toutefois à côté de son œuvre si, la morcelant, on ne saisit pas le mouvement, la passion qui la porte. Nietzsche n’est pas un penseur au sens deleuzien de fabricant de concepts ou à celui, cartésien, de chercheur de longues chaînes de raison. Il renoue avec la philosophie présocratique, qui, ne s'embarrassant pas de système, s’élaborait dans la fulgurance poétique. Nietzsche, c’est la liberté, la libre-pensée s'arrachant à la médiocrité et s'égarant parfois dans la passion.

Stefan Zweig a écrit que toute la philosophie de Nietzsche se comprend comme une recherche forcenée de la santé. Cela non pas parce que Nietzsche était de santé maladive et qu’il faudrait donc expliquer son œuvre par sa vie ; mais parce que la philosophie de Nietzsche cherche à nous guérir de notre tristesse, de notre résignation congénitale. Nietzsche fut non seulement un poète comme Héraclite mais encore une sorte de mage comme Empédocle. Les obscurantistes qui essaient de le récupérer oublient non seulement son mépris pour la bêtise (comme le racisme) mais que sa démarche s'établit entièrement sur un présupposé : l'adéquation entre la lucidité et la santé morale.

La mort de Dieu

Nietzsche rejette toute religion ; c’est pour lui (comme pour Marx ou pour Freud) un alibi de la conscience malheureuse, de la faiblesse humaine. Il méprise ceux qui ont accolé le Nouveau Testament, « ce monument de goût rococo », à l'Ancien Testament, qui nous laisse « saisis d’effroi et de respect ». Il s’en prend à la morale ascétique prônée par les Églises. Nietzsche rejette ce Dieu de la crainte inventé pour contraindre l'espèce humaine à se résigner.

Mais, plus extraordinaire encore, Nietzsche croit annoncer la nouvelle de la mort de Dieu comme les Évangiles annonçaient la venue du Christ.

« N’avez-vous jamais entendu parler de cet homme fou, écrit-il, qui, en plein jour, allumait une lanterne et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : "Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu !" Comme il se trouvait là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu, son cri provoqua une grande hilarité. A-t-il donc été perdu ? disait l'un. S'est-il égaré comme un enfant ? demandait l'autre. [...] Le fou sauta au milieu d’eux et les transperça de son regard "Où est allé Dieu, s'écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l'avons tué, vous et moi. Nous tous, nous sommes des assassins ! [...] Je viens trop tôt. [...] Cet événement énorme est encore en route, il marche – et il n’est pas encore parvenu à l'oreille des hommes. [...] Cet acte-là est encore plus loin d’eux que l’astre le plus éloigné et pourtant ce sont eux qui l'ont accompli." »

Par-delà le bien et le mal

Si Dieu est mort, tout reste permis. Et comme il n’y a que deux types de morale : celle des esclaves et celle des maîtres, il faut choisir. Il faut passer par-delà le bien et le mal, il faut dépasser l'humain et atteindre le surhomme, qui affirme son vouloir-vivre par le courage et la création.

Nietzsche est en révolte contre la résignation des pauvres (des « esclaves »), mais aussi des savants, des vertueux, « honnêtes et gras champions de la médiocrité », des nationalistes à la « bêtise tantôt antifrançaise, tantôt antisémite, ou antipolonaise, ou romantico-chrétienne, ou wagnérienne, ou teutonique, ou prussienne ». Rien ne trouve grâce à ses yeux qui n'est pas jouissance de la création ou de l'autocréation. « Ma passion et ma compassion, qu'importe d’elles. Est-ce que je cherche le bonheur ? Je recherche mon œuvre. »

Si la libre-pensée rencontre nécessairement une image de Dieu sur son trajet, une image dont elle doit se débarrasser pour se constituer, Nietzsche rencontra, lui, la source de toutes les images de Dieu. Fut-il alors happé par le gouffre qui s'ouvrit sous ses pas ? Fut-il un héros et un martyr de la libre-pensée ? Le problème n'est pas près d'être résolu, car le message de Nietzsche est encore en route, il n’a pas, pour le moment, atteint les oreilles des hommes.

André Nataf, « Les libres-penseurs ».









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