jeudi, juin 02, 2011

Les saints de l'Inde



Le peuple des saints de l'Inde forme une société extrêmement mêlée. La plupart sont de braves gens inoffensifs qui ne peuvent pas grand-chose et savent encore moins. D'autres sont des déclassés ou des gens qui n'aiment pas au se fatiguer. Un de ceux-là accourt un jour pour me demander l'aumône. Ses cheveux broussailleux, son visage couvert de cendre, sa face de canaille lui donnent un aspect repoussant. Je décide de passer mon chemin, ne fût-ce que pour voir ce qui arrivera. Ma résistance fait qu'il s'accroche. A bout d'arguments il finit par m'offrir de me vendre son chapelet, un objet crasseux s'il en est mais auquel il doit tenir beaucoup, à en juger par le prix exorbitant qu'il en demande. Naturellement, je l'envoie promener.

Moins communs sont ces fous qui s'infligent en public des tortures variées. L'homme qui tient un bras levé jusqu'à ce que ses ongles aient poussé de cinquante centimètres rivalise avec celui qui se tient debout sur une jambe pendant des années. Je ne vois pas quel bénéfice ils retirent de ces dégoûtantes exhibitions en dehors des quelques annas qu'on jette dans leur sébile.

Quelques-uns pratiquent la sorcellerie. Ce sont les vaudous de l'Inde ; ils travaillent surtout dans les villages ; moyennant une petite rémunération ils jetteront un sort à votre ennemi, vous vendront une femme ou favoriseront vos ambitions en gratifiant votre rival de mal mystérieux. On raconte de singulières histoires de ces tristes individus qui ne s'en recommandent pas moins du titre de Yogi ou de fakir.

Quand on a analyse toutes ces variétés, il ne reste plus qu'un faible résidu, composé d'ascètes qui se condamnent à de longues années de méditation solitaire, de pénible reniement, qui se bannissent volontairement de toute société humaine, sans autre but que de se mettre en quête de la vérité. Leur instinct leur dit que vérité et félicité ne font qu'un, et s'il nous est permis de douter de la valeur de ce procédé cher aux Indiens, il est impossible de mettre en question la légitimité du besoin qui les y pousse.

Nous n'avons pas de temps à dépenser en Occident pour une telle recherche et il y a une excuse à notre indifférence : nous savons que si nous nous trompons nous nous trompons tous ensemble. Notre époque sceptique considère la recherche de la vérité comme une superfétation, sans paraître se douter de la vanité des objets auxquels elle consacre le meilleur de son énergie.

Il ne nous vient pas à l'idée que les quelques solitaires qui passent leur vie à la recherche du sens profond de la vie ont plus de chance de se former une juste opinion des problèmes de l'heure que la foule des gens qui usent aveuglément leurs forces à servir des intérêts contradictoires et consacrent à peine une pensée à la poursuite des vérités essentielles.

Un de nos ancêtres descendit un jour dans les plaines du Penjab dans un tout autre but que le mien : il y rencontra des hommes qui le détournèrent de sa route au point de lui faire dangereusement oublier l'objet premier de son expédition. Parti pour conquérir un vaste empire Alexandre le Grand, entré aux Indes en soldat, semblait bien destiné à en sortir philosophe. Je me demande souvent quelles pensées devaient assaillir l'esprit du roi de Macédoine lorsque son char parcourait les montagnes neigeuses et les déserts torrides de l'Inde ; conquis à son tour par les Sages et les Yogis rencontrés sur sa route il avait passé des jours à les questionner et à discuter leur philosophie : peu-être un séjour de quelques années parmi eux l'eût-il décidé à lancer l'Occident dans des voies toutes différentes de celles qu'il choisit alors.

Il y a encore parmi les Sages de nos jours quelques hommes qui consacrent leur vie à entretenir la flamme d'idéalisme et de spiritualité que leur pays garde encore comme son plus pur trésor ; qu'il y ait parmi eux une majorité d'imposteurs, cela se peut ; mais si cela est, ce n'est que le résultat déplorable de la décadence des temps ; il ne doit pas nous aveugler sur la survivance certaine de quelques rédempteurs inspirés. Malheureusement le type est si divers qu'aucune formule de louange ou de blâme ne vaut pour tous, et cela explique l'attitude de ces têtes chaudes des grandes villes qui préconisent l'extermination de ces « saints parasites » comme une bénédiction pour l'Inde. On comprend mieux les esprits plus modérés ou simplement moins enfiévrés qui nous disent que l'Inde périra le jour où elle perdra le sens du trésor qu'elle recèle.

Le problème est important pour l'Inde à d'autres points de vue, en un moment où la détresse économique appelle une révision de certaines valeurs. Les Saints de l'Inde n'exercent, bien entendu, aucune fonction proprement utile à la société. Des milliers de vagabonds s'abattent sur les villages et les villes où se tiennent les foires religieuses. Impertinents le plus souvent et toujours importuns, ces gens-là constituent pour la société une charge sans contre-partie. Mais il existe par ailleurs de grands et nobles hommes qui ont tout quitté pour marcher dans la voie de la vérité et, au terme du chemin, trouver Dieu. Ces hommes sont, partout où ils passent, un motif d'exaltation. Leur effort pour s'élever et aider les autres à s'élever vers ces sommets sublimes vaut bien le morceau de pain ou l'écuelle de riz qui sont tout ce qu'ils demandent.

Il ne faut pas se fier aux apparences, mais gratter l'écorce et juger l'arbre à ses fruits.

Paul Brunton


Illustrations :
"Bonjour les Indes", Dodo, Ben Radis, Jano. Edition épuisée.


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Swami Ramdev est réputé proche des nationalistes hindous et a le soutien de plusieurs membres du Rashtriya Swayamsevak Sangh, parent idéologique du BJP, l'extrême-droite indienne.



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