dimanche, juin 26, 2011

Éveil instantané & pratique graduelle




Le 3 mai 1998, dans la ville de New York, a eu lieu un dialogue entre deux représentants du bouddhisme tibétain et chinois, le quatorzième dalaï-lama (Tenzin Gyatso) et l'enseignant Chan (Ch'an ou Tchan) Sheng-yen.

Le dalaï-lama s'adresse à Sheng-yen :

En écoutant votre explication du bouddhisme Chan, j’ai noté quelques questions que je voudrais vous poser. D’abord, dans quel siècle a vécu Maître Huineng?

Sheng-yen répond :

Il a vécu au VIIIe siècle de notre ère.

Le dalaï-lama poursuit :

Je vous le demande parce qu’il existe un lien historique entre le Chan et l'origine et le développement du bouddhisme tibétain. Nous savons que Lama Tsongkhapa a été l’un des critiques les plus virulents des enseignements subitistes du Chan au Tibet, et qu’il y eut un grand débat autour du Chan et des enseignements transmis depuis le bouddhisme indien.

Cependant, dans le temple de Samyê, pendant l’époque de formation du bouddhisme tibétain, sous le règne du roi Trisong-Deutsen, plusieurs ailes du bâtiment étaient dévolues à différentes pratiques. Une section était consacrée aux pratiquants du vajrayana - les tantrikas. Une autre section était dédiée aux lozawas et aux pandits – les traducteurs et les lettrés. La troisième section était nommée salle du dhyâna, le lieu de la méditation. C’est là qu’est censé avoir résidé un maître chinois nommé Hoshang. C’est au VIIIe siècle, lorsque Samyê fut construit, que les maîtres indiens Santarakshita et Kamalashila étaient actifs au Tibet et prirent part au développement du bouddhisme tibétain.

À mon avis, si Santarakshita a bâti une aile séparée dans le temple de Samyê pour la résidence des maîtres chinois du Chan, c’est qu’il a fait bon accueil à cette tradition et l’a considérée comme un élément important du bouddhisme au Tibet. Cependant, il semble qu’à l’époque de son successeur, Kamalashila, certains pratiquants du Chan au Tibet aient favorisé une version légèrement différente de la doctrine originelle. Ils insistaient énormément sur le rejet de toute forme de pensée, pas seulement dans le contexte d’une pratique spécifique, mais presque comme une position philosophique. C’est ce qu’a attaqué Kamalashila. Aussi me semble-t-il que deux versions différentes du Chan ont pénétré au Tibet.

Sheng-yen répond poliment :

Je suis très reconnaissant à Sa Sainteté de soulever le cas du maître chinois Hoshang. D’après l'histoire, il semble que les moines chinois du temps de Kamalashila n’étaient pas qualifiés pour représenter le Chan. Dans les grottes de Dun Huang, où de nombreux textes bouddhistes ont été exhumés, les chercheurs ont découvert des textes anciens relatant une histoire similaire au sujet du premier moine chinois, qui eut si une grande influence sur le bouddhisme tibétain, en particulier sur la pratique de la méditation. Aussi, peut-être, après tout, le premier maître chinois à être venu au Tibet n’était-il pas si mauvais que ça !

Le dalaï-lama :

Dans la tradition tibétaine, le premier maître chinois fut bienvenu ; on suppose que c’est le second maître qui a été vaincu en débat. (La controverse sur le quiétisme entre bouddhistes de l'Inde et de la Chine au VIIIe siècle de l'ère chrétienne est traitée par paul Demieville dans son livre « Le concile de Lhasa ». Alexandra David-Néel considérait favorablement l'argumentation chinoise. Ce sont probablement des raisons politiques qui poussèrent les lamas à proscrire le Chan et sa philosophie libertaire en prétextant la non-pensée.*)

Sheng-yen, avec humour :

Alors peut-être n’y aura-t-il pas de problème avec moi, mais avec mon successeur qui va perdre à son tour !

Le dalaï-lama est moins drôle en rejetant les adeptes d'un Chan « hérétique » :

Oui ! Du point de vue tibétain, le premier Hoshang est bienvenu. C’est aux disciples du second Hoshang que nous devons dire « au revoir !» Si les maîtres chinois que nous recevons maintenant sont les disciples du premier maître chinois au Tibet, nous les accueillerons avec joie. Si ce sont des disciples du second maître chinois, nous devrons leur dire « bon voyage ».


Si le hiérarque tibétain n'est pas hostile à un Chan « orthodoxe » subitiste, il considère l'approche graduelle plus appropriée :

Personnellement, poursuit le dalaï-lama, je ne crois pas qu’il a existe une contradiction réelle entre les approches de la voie graduelle et de la voie soudaine. Ce n’est pas dire pour autant que la voie soudaine soit appropriée à chacun. Il peut y avoir des circonstances exceptionnelles dans lesquelles certains individus sont susceptibles de tirer un meilleur profit d’une approche spontanée, simultanée et instantanée, mais, en général, l’approche graduelle est probablement plus appropriée.

Sheng-yen, toujours révérencieux :

Je suis d’accord avec ce que vient de dire Sa Sainteté au sujet de l'éveil instantané et de la pratique graduelle. Je dois toutefois préciser que l’approche instantanée n’est pas réservée aux gens très éduqués, aux gros calibres intellectuels. En fait, l’approche instantanée peut parfois être utile à des gens dépourvus d’éducation. Le sixième Patriarche Huineng en fournit un exemple. Bien qu’il fût illettré, il manifesta une profonde compréhension du dharma.

Une histoire similaire est arrivée à l’époque du Bouddha. Suddhipanthaka, l’un des disciples du Bouddha, était un individu très peu cérébral, qui ne comprenait aucun des enseignements. Il atteignit pourtant la condition d’éveil en suivant une méthode que lui indiqua le Bouddha : en balayant le sol et en nettoyant les sandales !

D'après le livre « Au cœur de l'éveil ».


Au cœur de l'éveil
Dialogue sur les bouddhismes tibétain et chinois





Illustration :
Drukpa Kunley (1455-1570) lama libertin-libertaire adepte du Chan chinois perpétué par l'école kagyu. http://fullmoonforum.blogspot.com/2008/09/about-crazy-wisdom.html


*) Note de Bouddhanar.

Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...