jeudi, décembre 16, 2010

Le nouveau spiritualisme




La deuxième religiosité 


Selon Spengler, la « deuxième religiosité » est un des phénomènes qui accompagnent toujours les phases terminales d’une civilisation. En marge de structures d’une grandeur barbare, en marge du rationalisme, de l’athéisme pratique et du matérialisme, se manifestent des formes de spiritualité et de mysticisme, voire des irruptions du suprasensible, qui ne sont pas les signes d’une remontée, mais les symptômes d’une désagrégation. Il ne s’agit plus de la religion des origines, des formes sévères qui, héritage d’élites dominatrices, étaient au centre d’une civilisation organique et qualitative (c’est proprement ce que nous appelons le monde de la Tradition) et en marquaient toutes les expressions. Dans la phase dont il s’agit, même les vraies religions perdent toute dimension supérieure, se sécularisent, s’aplatissent, cessent de remplir leur fonction originelle. La « deuxième religiosité » se développe en dehors de celles-ci, souvent même contre celles-ci, mais se développe aussi en dehors des courants prédominants de l’existence et correspond généralement à un phénomène d’évasion, d’aliénation, de compensation confuse, n’ayant aucune répercussion sérieuse sur la réalité, qui est désormais celle d’une civilisation éteinte, mécanisée et purement terrestre. Telle est la place et le sens de la « deuxième religiosité ». On peut compléter le tableau en se reportant à R. Guénon, dont la doctrine est bien plus profonde que celle de Spengler. Cet auteur a constaté qu’après que le matérialisme et le « positivisme » du 19ème siècle furent parvenus à isoler l’homme de ce qui est réellement au-dessus de lui – du vrai surnaturel, de la transcendance – de nombreux courants du 20ème siècle, ayant justement un semblant de « spiritualisme » ou se présentant comme une « nouvelle psychologie », tendent à l’ouvrir à ce qui est au-dessous de lui, au-dessous du niveau existentiel correspondant généralement à la personne humaine accomplie. On peut aussi se servir d’une expression de A. Huxley et parler d’une « auto-transcendance descendante » opposée à l’« auto-transcendance » ascendante ».


L’intérêt morbide pour le sensationnel et l’occulte


De même qu’il est certain que l’Occident se trouve actuellement dans la phase sans âme, collectivisée et matérialisée, qui est le propre de la fin d’un cycle de civilisation, de même il n’y a pas de doute que la plupart des faits que l’on considère comme le prélude d’une nouvelle spiritualité relèvent simplement d’une « deuxième religiosité ». Ils représentent quelque chose d’hybride, de déliquescent et de sub-intellectuel. Ce sont comme les fluorescences qui se manifestent lors de la décomposition d’un cadavre ; c’est pourquoi il faut voir dans ces tendances, non pas l’opposée de la civilisation crépusculaire d’aujourd’hui, mais, comme nous le disions, une de ses contreparties qui pourrait même, si ces tendances se confirmaient, être le prélude d’une phase régressive et dissolutive plus poussée. En particulier, là où il ne s’agit pas de simples états d’âme et de théories, là où l’intérêt morbide pour le sensationnel et l’occulte s’accompagne de pratiques évocatoires et d’une ouverture des couches souterraines de la psyché humaine – comme c’est souvent le cas dans le spiritisme et la psychanalyse – on peut toujours, avec R. Guénon, parler de « fissures de la grande muraille », de dangereuses lézardes dans cette ceinture de protection qui préserve, malgré tout, dans la vie ordinaire, tout individu normal et d’esprit lucide contre l’action des forces obscures réelles, cachées derrière la façade du monde des sens et sous le seuil des pensées humaines formées et conscientes. De ce point de vue, le néo-spiritualisme apparaît donc plus dangereux encore que le matérialisme, ou positivisme, car celui-ci, du moins, par son primitivisme et sa myopie intellectuelle, renforçait cette ceinture, qui limitait, certes, mais aussi protégeait.


La mystification et la superstition


D’autres part, rien n’indique mieux le niveau où se situe le néo-spiritualisme que la qualité humaine de bon nombre de ceux qui le cultivent. Alors que les anciennes sciences sacrées étaient la prérogative d’une humanité supérieure, de castes royales et sacerdotales, aujourd’hui ce sont en majorité des médiums, des « mages » de quartier, des radiesthésistes, des spirites, des anthroposophes, des astrologues et voyants, annonces publicitaires, des théosophes, des « guérisseurs », des vulgarisateurs d’un yoga américanisé, etc., qui proclament le nouveau verbe antimatérialiste, s’accompagnant de quelque mystique exalté et visionnaire et de quelque prophète improvisé. La mystification et la superstition se mêlent presque constamment dans le néo-spiritualisme dont un autre trait significatif est la proportion importante des femmes (ratées, dévoyées ou « hors d’usage ») qui s’y adonnent, particulièrement dans les pays anglo-saxons. […]


La contrefaçon des doctrines traditionnelles


Dans le cadre du problème qui nous intéresse particulièrement ici, il importe seulement de dénoncer la regrettable confusion qui peut naître des fréquentes références que fait le néo-spiritualisme, à partir du théosophisme anglo-indien, à certaines doctrines appartenant à ce que nous appelons le monde de la Tradition, particulièrement dans ses formes orientales.


Or, il importe de faire ici une nette séparation. Il faut bien savoir qu’il ne s’agit presque toujours, dans les courants en question, que de contrefaçons de ces doctrines, de résidus ou de fragments de celles-ci auxquels se mêlent les pires préjugés occidentaux et de pures divagations personnelles. Le néo-spiritualisme n’a en général aucune idée du plan auquel appartenaient les idées ainsi reprises, non plus que du but véritable que poursuivent ses sectateurs. Ces idées, en effet, finissent souvent par servir de simples succédanés destinés à satisfaire des exigences identiques à celles qui poussent d’autres vers la foi ou la simple religion : grave équivoque, car il s’agit au contraire de métaphysique, et souvent ces enseignements appartenaient exclusivement, dans le monde traditionnel, aux « doctrines internes », non divulguées. Il n’est pas certain, en outre, que la décadence et le tarissement de la religion occidentale soient les seules raisons qui poussent les néo-spiritualistes à s’intéresser à ces enseignements, à les diffuser et à les étaler en public ; une autre raison, c’est que beaucoup d’entre eux croient que ces doctrines sont plus « ouvertes » et consolantes, qu’elles exemptent des obligations et des liens propres aux confessions historiques, alors qu’ici c’est précisément le contraire qui est vrai, même s’il s’agit d’une toute autre sorte de liens. Nous en avons un exemple typique dans le genre de valorisation tout à fait moralisante, humanitaire et pacifiste que l’on a fait récemment de la doctrine bouddhiste (d’après le pandit Nehru « on devrait choisir entre la bombe H et le bouddhisme »). Sur un autre plan, nous voyons Jung « valoriser » en termes de psychanalyse toutes sortes d’enseignements et de symboles des Mystères, en les adaptant au traitement d’individus névropathes et dissociés.


Julius Evola, « Chevaucher le tigre »




Dernier écrit important d'un iconoclaste sans passion, « Chevaucher le tigre » dresse une critique implacable des idoles, des structures, des théories et des illusions de notre époque de dissolution. Le marxisme et la démocratie bourgeoise, l'existentialisme et la connaissance scientifique, le retour à la nature et le phénomène de la drogue, le roman et le mythe de la patrie, le jazz et la pop music, le mariage, la famille et l'émancipation de la femme sont tour à tour examinés à la lumière des enseignements internes, purement doctrinaux et indestructibles, de la Tradition. Il en va de même pour la philosophie de Nietzsche, soumise elle aussi à une longue analyse. 

Sans faire de concessions au spiritualisme humanitaire et à son ascétisme frileux, l'auteur trace la figure d'un type humain aristocratique capable de chevaucher le tigre, c'est-à-dire de transformer en remède, en vue d'une libération intérieure, des processus extrêmes presque toujours destructeurs pour la majorité de nos contemporains. Aussi éloigné des crispations d'un traditionalisme viscéralement passéiste que de tout projet révolutionnaire naïvement utopique et optimiste, l'homme différencié ne compte que sur lui-même et n'a qu'un but : donner un sens absolu à sa vie dans un monde où il n'y a plus rien à aimer et à défendre


Evola et la politique


Vers la fin de « Chevaucher le tigre », livre écrit en pleine guerre froide, J. Evola précise sa position en matière de politique :


« Nous nous occupons particulièrement, dans ce livre, d’un type d’homme qui, bien que spirituellement apparenté aux éléments dont nous venons de parler, disposé à se battre même sur des positions perdues, a une orientation différente. La seule norme valable que cet homme puisse tirer d’un bilan objectif de la situation, c’est l’absence d’intérêt et le détachement à l’égard de tout ce qui est aujourd’hui « politique ». Son principe sera donc celui que l’antiquité a appelé l’« apoliteia ». […]

Un point particulier mérite d’être précisé : cette attitude de détachement doit être maintenue même à l’égard de la confrontation des deux blocs qui se disputent aujourd’hui l’empire du monde, l’« Occident » démocratique et capitaliste et l’« Orient » communiste. Sur le plan spirituel, en effet, cette lutte est dépourvue de toute signification. L’« Occident » ne représente aucune idée supérieure. Sa civilisation même, basée sur une négation essentielle des valeurs traditionnelles, comporte les mêmes destructions, le même fond nihiliste qui apparaît avec évidence dans l’univers marxiste et communiste, bien que sous des formes et à des degrés différents. Nous nous attarderons pas sur ce point, ayant développé dans un autre ouvrage, « Révolte contre le monde moderne », une conception d’ensemble du cours de l’histoire, de nature à écarter toute illusion quant au sens dernier de l’issue de cette lutte pour le contrôle du monde. » 

Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...