dimanche, septembre 03, 2023

Le messianisme démoniaque





Les mesures aujourd’hui en vigueur pour contrôler la population ont réveillé d’amers souvenir. 

Parmi ceux qui ont bonne mémoire, citons Fritz Stern, éminent spécialiste de l’histoire allemande. Il introduit une récente étude sur « la descente aux enfers de l’Allemagne, de l’honorabilité à la barbarie nazie », par la remarque : « Aujourd’hui, je m’inquiète de l’avenir immédiat des Etats-Unis, le pays qui a accueilli les réfugiés de langue allemande dans les années trente », lui compris. 

Avec des allusions qu’aucun lecteur ne peut manquer de discerner à ce qui se passe ici et maintenant, Stern évoque l’appel démoniaque de Hitler à sa « mission divine » de « sauveur de l’Allemagne », dans une « transfiguration parareligieuse de la politique » ajustée aux « formes chrétiennes traditionnelles », à la tête d’un gouvernement attaché aux « principes fondamentaux » de la nation, avec « le christianisme comme fondement de la morale nationale et la famille comme base de la vie nationale ». L’hostilité de Hitler à l’égard de l’« Etat laïque libéral », partagée par une grande partie du clergé protestant, a été la force motrice d’« un processus historique où la rancœur contre un monde laïque désenchanté a trouvé un exutoire dans l’évasion extasiée vers la déraison ».

N’oublions pas que cette descente accélérée jusqu’à la pire barbarie a eu pour cadre le pays qui faisait l’orgueil de la civilisation occidentale dans les sciences, la philosophie et les arts ; un pays qui, avant la propagande hystérique de la première Guerre mondiale, était perçu par de nombreux spécialistes américains des sciences politiques comme un model de démocratie. 

L’un des plus grands intellectuels israéliens, Amos Elon, aujourd’hui en exil volontaire par désespoir face au déclin moral et social d’Israël, estime que la communauté juive allemande de sa jeunesse était « l’élite laïque de l’Europe ». Ces juifs allemands « étaient l’essence de la modernité – des dirigeants qui gagnaient leur vie par la puissance de leur cerveau et non de leurs muscles, des médiateurs, pas des travailleurs de la terre. Des journalistes, des écrivains, des savants. Si tout cela ne s’était pas terminé si horriblement, nous chanterions aujourd’hui les louanges de la culture de Weimar. Nous la comparerions à la Renaissance italienne. Ce qui s’est passé là-bas en littérature, en psychologie, en peinture, en architecture, ne s’est produit nulle part ailleurs. Il n’y avait rien eu de tel depuis la Renaissance ». C’est un jugement qui se défend.

Rappelons aussi que les techniques de la propagande nazie ont été empruntées à des théories et pratiques d’entreprise, inaugurées pour la plupart dans les sociétés anglo-américaines. Ces techniques reposaient sur l’usage de « symboles et slogans » simples pour créer des « impressions formidablement répétées » faisant appel à la peur et à d’autres émotions primaires, à la manière de la publicité commerciale, observe une étude contemporaine. « Goebbels a embauché la plupart des grands publicitaires d’Allemagne au ministère de de la Propagande » et déclaré qu’« il allait utiliser les méthodes de publicité américaines » pour « vendre le national-socialisme » comme les entreprises vendent « le chocolat, le dentifrice et les médicaments ». Et ces mesures ont effroyablement réussi à provoquer la chute soudaine de l’honorabilité à la barbarie que Fritz Stern retrace comme une terrible mise en garde.

Le messianisme démoniaque est un outil naturel pour des dirigeants qui poussent à l’extrême le dévouement aux intérêts immédiats de cercles étroits de riches et de puissants et le désir de domination mondiale. Il faut beaucoup d’aveuglement volontaire pour ne pas voir que ce sont ces engagements-là qui guident la politique américaine actuelle. Les objectifs visés et les mesures prises sont régulièrement contraires aux souhaits de l’opinion. […]


Pour maintenir la population du dessous dans l’obéissance malgré les réalités quotidiennes de sa vie, le recours à la « transfiguration parareligieuse » est un outil naturel : il exploite des traits de la culture populaire qui sont depuis longtemps en rupture très nette avec le reste du monde industriel et que l’on manipule à des fins politiques (...).

Un autre instrument est régulièrement exploité : la peur de la destruction imminente par un ennemi incarnant un mal infini (virus ?). 

Ce sentiment est profondément ancré dans la culture populaire américaine, en association étroite avec la foi dans la générosité de nos intentions – cette dernière idée est ce que l’histoire peut offrir de plus proche d’un universel. Dans un examen instructif de la culture populaire à partir des premières années, Bruce Franklin repère des thèmes cruciaux, comme « le Syndicat anglo-américain de la guerre » qui imposera son « pouvoir pacifique et éclairé » en menaçant d’« anéantissement » ceux qui se mettent en travers de sa route, et en apportant l’« Esprit de la Civilisation » aux peuples arriérés (1889). Il étudie aussi le choix remarquable des démons sur le point de nous détruire : il s’agit, en général, de ceux que les Américains sont en train de fouler aux pieds, les Indiens, les Noirs, les immigrés chinois, entre autres. Parmi les participants à ces exercices, on trouve de grands écrivains progressistes comme Jack London, qui a écrit en 1910, dans une revue populaire, une nouvelle où il préconisait l’extermination des Chinois par une guerre bactériologique qui déjouerait leur odieuse conspiration secrète pour nous submerger.

Quelles que soient les racines de ces traits culturels, ils sont aisément manipulables par des dirigeants cyniques, souvent avec des propos à peine croyables…

Noam Chomsky, "Les Etats manqués".


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