mardi, juin 27, 2023

Le libertaire taoïste



Un rebelle qui ne s’élève pas contre les lois de la société ni contre les discours des maîtres, mais qui s’en délivre hors de la société ou dans une société sans maîtres...





Dans une société étatique, comme l’était la société chinoise, le taoïsme ne pouvait être qu’une doctrine individuelle, réservée à une élite qui se retirait souvent loin du monde, pour vivre dans des montagnes ou des forêts profondes.

Le modèle du taoïste véritable est l’immortel. Or, comme le dit Isabelle Robinet : « L’immortel est un rebelle qui ne s’élève pas contre les lois de la société ni contre les discours des maîtres, mais qui s’en délivre hors de la société ou dans une société sans maîtres, comme celle de Lao Tseu. »

Finalement, le taoïsme est très proche de « l’anarque » dont parle Ernst Jünger. Pour l’anarque, tout pouvoir en tant que tel est mauvais en soi. Mais attaquer le pouvoir comme le font les anarchistes, c’est se lier à lui, dépendre de lui. Alors que « l’anarque » est un solitaire. Il se contente d’un regard détaché. Il est un contemplateur qui assiste, lucide, aux jeux du pouvoir sans s’en mêler.

Lorsque le taoïsme devint une religion d’état (ce qui est une contradiction dans les termes), notamment au 5ème siècle, grâce à la protection dont il jouissait de la part de l’empereur du Nord, Tai Wou Wei (424 –452), ce fut un taoïsme dégradé, une religion populaire, institutionnelle, emplie de pratiques rituelles, de fêtes, de rites expiatoires, d’incantations. Les prêtres pratiquaient le commerce des charmes, des amulettes, des talismans, l’exorcisme des malades, la divination.


Même sous la dynastie Tang qui fut pourtant considérée comme l’un des « âges d’or » de la civilisation chinoise, il prit parfois un visage caricatural. Par exemple, l’empereur Hiuan Tsang (712-756), un fervent taoïste, obligea chaque famille à posséder un exemplaire du Tao Te King.

Le taoïsme « populaire » a même donné naissance à des aberrations, comme lors de la révolte des Turbans Jaunes, un mouvement d’inspiration taoïste qui eut lieu au 2ème siècle de notre ère et faillit renverser les Han.

Les Turbans Jaunes étaient devenus une église très hiérarchisée.. Ils avaient institué des grades et des titres qu’ils délivraient en fonction du degré d’avancement des adhérents dans la vie religieuse.

Ils avaient supprimé la prison pour les criminels car ils considéraient qu’il n’y avait pas de crimes, seulement des « péchés ». Cependant, ils remplacèrent les voleurs et les assassins par les malades. Car ils considéraient la maladie comme la conséquence du « péché ».

Ils pensaient qu’un voleur, par exemple, serait tôt ou tard frappé par la maladie. On envoyait donc les malades en prison pour qu’ils puissent réfléchir sur leurs fautes. Non seulement les malades allaient en prison, mais ils devaient payer en plus une redevance de cinq boisseaux de riz par an.

La religion est d’ailleurs considérée par Lao Tseu comme l’ultime dégradation conséquente à l’oubli du Tao. « Après la perte de la voie vient la vertu. Après la perte de la vertu vient l’amour. Après la perte de l’amour vient la justice. Après la perte de la justice viennent les rites », écrit-il. Et il ajoute que « le rite est la source du désordre »…

En fait les vrais taoïstes ont toujours été peu nombreux.

C’étaient souvent des êtres non conformistes, libres, des poètes, des artistes en constante rébellion contre les convenances et la morale confucéenne.

Erik Sablé, "Sagesse libertaire taoïste, introduction à la Sainte Paresse".

*******


Introduction à la Sainte Paresse


Le taoïsme n'est pas simplement une philosophie ou une " mystique " chinoise un peu particulière, mais il présente aussi une vision profondément libertaire de la société. Pour Lao Tseu ou Tchouang Tseu, toutes les valeurs qui fondent notre monde contemporain sont dénuées- de sens. La croyance selon laquelle l'homme peut modifier les événements conduit aux pires catastrophes, la morale avec ses notions de bien et de mal n'est qu'hypocrisie, l'ambition sociale est considérée comme un véritable poison, et la rivalité entre les êtres le pire des maux.

Quant à l'accumulation des richesses, elle est la preuve d'un manque évident de sagesse.

En revanche, le taoïsme pose les bases d'une société simple, paisible, en harmonie avec la nature, parfaitement égalitaire, dénuée de l'emprise d'un gouvernement central, illuminé par la présence discrète des saints "immortels". Bref, une société fondée sur la Sainte Paresse. 

Ce petit livre montre que cet idéal de vie taoïste est simplement l'état "normal" qui devrait être celui de toute communauté humaine.


Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...