mardi, octobre 12, 2010

La liberté et la révolte


Par Krishnamurti

Aucun tourment des refoulements, aucune brutale discipline des conformistes n’ont conduit à la vérité. Pour la rencontrer on doit avoir l’esprit complètement libre, sans l’ombre d’une déviation.

Mais demandons-nous d’abord si nous voulons réellement être libres. Lorsque nous en parlons, pensons-nous à la liberté totale ou à nous débarrasser d’une gêne ou d’un ennui ? Nous aimerions ne plus avoir de pénibles souvenirs de nos malheurs et ne conserver que ceux de nos jours heureux, des idéologies, des formules, des contacts qui nous ont le plus agréablement satisfaits. Mais rejeter les uns et retenir les autres est impossible, car, ainsi que nous l’avons vu, la douleur est inséparable du plaisir.

Il appartient donc à chacun de nous de savoir s’il veut être absolument libre. Si nous le voulons, nous devons commencer par comprendre la nature et la structure de la liberté.

Est-ce de « quelque chose » que nous voulons nous libérer ? De la douleur ? De l’angoisse ? Cela ne serait pas vouloir la liberté, qui est un état d’esprit tout différent. Supposons que vous vous libériez de la jalousie. Avez-vous atteint la liberté ou n’avez-vous fait que réagir, ce qui n’a en rien modifié votre état ?

On peut très aisément s’affranchir d’un dogme en l’analysant, en le rejetant, mais le mobile de cette délivrance provient toujours d’une réaction particulière due, par exemple, au fait que ce dogme n’est plus à la mode ou qu’il ne convient plus. On peut se libérer du nationalisme parce que l’on croit à l’internationalisme ou parce que l’on pense que se dogme stupide, avec ses drapeaux et ses valeurs de rebut, ne correspond pas aux nécessités économiques. S’en débarrasser devient facile. On peut aussi réagir contre tel chef spirituel ou politique qui aurait promis la liberté moyennant une discipline ou une révolte. Mais de telles conclusions logiques, de tels raisonnements ont-ils un rapport quelconque avec la liberté ?

Si l’on se déclare libéré de « quelque chose », cela n’est qu’une réaction qui engendrera une nouvelle réaction, laquelle donnera lieu à un autre conformisme, à une nouvelle forme de domination. De cette façon, on déclenche des réactions en chaîne et l’on imagine que chacune d’elles est une libération. Mais il ne s’agit là que d’une continuité modifiée du passé, à laquelle l’esprit s’accroche.

La jeunesse, aujourd’hui, comme toutes les jeunesses, est en révolte contre la société, et c’est une bonne chose en soi. Mais la révolte n’est pas la liberté parce qu’elle n’est qu’une réaction qui engendre ses propres valeurs, lesquelles, à leur tour, enchaînent. On les imagine neuves, mais elles ne le sont pas : ce monde nouveau n’est autre que l’ancien, dans un moule différent. Toute révolte sociale ou politique fera inévitablement retour à la bonne vieille mentalité bourgeoise.

La liberté ne survient que lorsque l’action est celle d’une vision claire ; elle n’est jamais déclenchée par une révolte. Voir clairement c’est agir, et cette action est aussi instantanée que lorsqu’on fait face à un danger. Il n’y a, alors, aucune élaboration cérébrale, aucune controverse, aucune hésitation ; c’est le danger lui-même qui provoque l’acte. Ainsi, voir c’est à la fois agir et être libre.

La liberté est un état d’esprit, non le fait d’être affranchi de « quelque chose » ; c’est un sens de liberté ; c’est la liberté de douter, de remettre tout en question ; c’est une liberté si intense, active, vigoureuse, qu’elle rejette toute forme de sujétion, d’esclavage, de conformisme, d’acceptation. C’est un état où l’on est absolument seul, mais peut-il se produire lorsqu’on a été formé par une culture de façon à être toujours tributaire, aussi bien d’un milieu que de ses propres tendances ? Peut-on, étant ainsi constitué, trouver cette liberté qui est solitude totale, en laquelle n’ont de place ni chefs spirituels, ni traditions, ni autorités ?

Jiddu Krishnamurti, « Se libérer du connu ».


Jiddu Krishnamurti (1895-1986) naquit en Inde et fut pris en charge à l’âge de treize ans par la Société théosophique, qui voyait en lui « l’Instructeur du monde » dont elle avait proclamé la venue. Très vite Krishnamurti apparut comme un penseur de grande envergure, intransigeant et inclassable, dont les causeries et les écrits ne relevaient d’aucune religion spécifique, n’appartenaient ni à l’Orient ni à l’Occident, mais s’adressaient au monde entier. Répudiant avec fermeté cette image messianique, il prononça à grand fracas en 1929 la dissolution de la vaste organisation nantie qui s’était constituée autour de sa personne ; il déclara alors que la vérité était « un pays sans chemin », dont l’accès ne passait par aucune religion, aucune philosophie ni aucune secte établies.

Tout le reste de sa vie, Krishnamurti rejeta obstinément le statut de gourou que certains voulaient lui faire endosser. Il ne cessa d’attirer un large public dans le monde entier, mais sans revendiquer la moindre autorité ni accepter aucun disciple, s’adressant toujours à ses auditeurs de personne à personne. A la base de son enseignement était la conviction que les mutations fondamentales de la société ne peuvent aboutir qu’au prix d’une transformation de la conscience individuelle. L’accent était mis sans relâche sur la nécessité de la connaissance de soi, et sur la compréhension des influences limitatives et séparatrices du conditionnement religieux et nationaliste. Krishnamurti insista toujours sur l’impérative nécessité de cette ouverture, de ce « vaste espace dans le cerveau où est une énergie inimaginable ». C’était là semble-t-il, la source de sa propre créativité, et aussi la clé de son impact charismatique sur un public des plus variés.

Krishnamurti poursuivit ses causeries dans le monde entier jusqu’à sa mort à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Ses entretiens et dialogues, son journal et ses lettres ont été rassemblés en plus de soixante volumes.





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