lundi, octobre 25, 2010

La Cité heureuse


Le roman d’Emile Zola, « Travail », apparaît comme l’accomplissement de l’utopisme du 19ème siècle : à la fois synthèse de ses courants et dépassement de ses contradictions.

Synthèse :

Luc, le héros du roman, se réclamant principalement de Fourier, fait fréquemment allusion aux thèses de celui-ci : les passions, « non plus combattues, étouffées », mais « cultivées, comme les forces mêmes de la vie », le travail rendu « facile et délicieux », « l’harmonie », enfin. Mais Emile Zola ne s’enferme pas pour autant dans l’orthodoxie fouriériste : il semble avoir été marqué aussi par la lecture du best-seller de Bellamy, « Looking Backward », par la « commune anarchiste » de son ami Kropotkine et même par la pensée saint-simonienne (« ce que veut Luc n’est pas un gouvernement, mais une administration contrôlée », cité par H. Desroches). Cette synthèse se manifeste en particulier par l’importance qu’il accorde, comme tous ses prédécesseurs, à ce qui fut par excellence le mythe du 19ème siècle, le progrès, qui, dans cette perspective utopique, acquiert une ampleur considérable. Le progrès technique, manifesté par l’essor du machinisme et par l’usage de l’énergie solaire, accepté sans restriction, permet le développement des loisirs, et par suite, le progrès intellectuel de toute la population : « Il naissait un artiste en chaque ouvrier industriel. » Tout s’améliore, de plus en plus vite, sans que l’on puisse assigner un terme à ce mouvement : « Le rêve restera toujours sans limites, il y aura toujours » à lutter pour « élargir sans cesse » le bonheur, « pour en faire un festin immense » aux dimensions de l’univers.

Par ces affirmations, ce texte se situe, enfin, à l’aboutissement de la perspective utopique, construction par l’homme d’un « rêve de paradis sur terre ». A la « Crêcherie », où est établie la communauté, se trouvent réunies les conditions d’une « société de satisfaction complète », d’une réalisation plénière de l’humanité. « Les prétendues utopies du bonheur universel devenaient possibles » : c’est-à-dire qu’elles se révèlent n’être pas chimériques, mais prophétiques. Les haines, les crimes s’y trouvent vidés de sens » par la disparition de la propriété et de ses conséquences ; les passions, organisées, deviennent des « vertus sociales » ; l’homme, libéré, est soumis à « l’unique loi du travail », qui lui apporte joie et accomplissement. Et c’est ainsi que « le bonheur de chacun, pratiquement fait le bonheur de tous », s’accroît au même rythme, sans limites assignables. « L’humanité équilibrée enfin comme les astres, par l’attraction, la loi de justice, de solidarité et d’amour, voyagerait désormais heureuse, au travers de l’éternel infini » : l’ultime caractéristique de l’Eden reconquis étant de n’avoir pas de fin…
Frédéric Rouvillois

Extrait :

un peuple sauvé des monstrueux mensonges religieux

Aussi, partie de l’expérience de Fourier, la Cité nouvelle devait-elle, à chaque étape, se transformer, avancer vers plus de liberté et plus d’équité, faire en chemin la conquête des socialistes de sectes ennemies, les collectivistes, les anarchistes eux-mêmes, pour finir par les grouper tous en un peuple fraternel, réconcilié dans le commun idéal, dans le royaume du ciel mis enfin sur terre.

Et c’était l’admirable, le victorieux spectacle que Luc avait sans cesse sous les yeux, la Cité du bonheur dont les toitures aux couleurs vives, parmi les arbres, se déroulaient devant sa fenêtre. La marche en avant que la première génération, imbue des antiques erreurs, gâtée par le milieu inique, avait si douloureusement commencée, au milieu de tant d’obstacles, de tant de haines encore, les générations nouvelles, instruites, refaites par les Ecoles, par les Ateliers, la poursuivaient d’un pas allègre, atteignant les horizons déclarés jadis chimériques. Grâce au continuel devenir, les enfants, les enfants des enfants semblaient avoir d’autres cœurs et d’autres cerveaux, et la fraternité leur devenait facile, dans une société où le bonheur de chacun était pratiquement fait du bonheur de tous. Avec le commerce, le vol avait disparu. Avec l’argent, toutes les cupidités criminelles s’en étaient allées. L’héritage n’existait plus, il ne naissait plus d’oisifs privilégiés, on ne s’égorgeait plus autour des testaments. A quoi bon se haïr, s’envier, chercher à s’emparer du bien d’autrui par la ruse ou la force, puisque la fortune publique appartenait à tous, chacun naissant, vivant et mourant aussi fortuné que le voisin ? Le crime devenait vide de sens, stupide, tout l’appareil sauvage de répression et de châtiment, institué pour protéger le vol des quelques riches contre la révolte de l’immense foule des misérables, avait croulé comme inutile, les gendarmeries, les tribunaux, les prisons. Il fallait vivre au milieu de ce peuple ignorant l’atrocité des guerres, obéissant à l’unique loi du travail, dans une solidarité faite simplement de raison et d’intérêt personnel bien entendu, pour comprendre à quel point les prétendues utopies du bonheur universel devenaient possibles, avec un peuple sauvé des monstrueux mensonges religieux, instruit enfin, sachant la Vérité, voulant la justice. Depuis que les passions, au lieu d’être combattues, étouffées, se trouvaient cultivées au contraire, comme les forces mêmes de la vie, elles perdaient leur âcreté de crimes, elles devenaient des vertus sociales, des floraisons continues d’énergies individuelles. Le bonheur légitime était dans le développement, dans l’éducation des cinq sens et du sens d’amour, car tout l’homme devait jouir, se satisfaire sans hypocrisie, au plein soleil. Le long effort de l’humanité en lutte aboutissait à la libre expansion de l’individu, à un société de satisfaction complète, l’homme étant tout l’homme et vivant toute la vie. Et la Cité heureuse s’était ainsi réalisée dans la religion de la vie, la religion de l’humanité enfin libérée des dogmes, trouvant en elle-même sa raison d’être, sa fin, sa joie et sa gloire.


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Illustration : Moega, « La Cité du Soleil ».


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De nos jours, sur le territoire français, une communauté est toujours dans le collimateur de l’Etat. Louis Pauwels écrivait en 1985 dans le Figaro magazine : « On nous prépare des scandales de sectes. Je le vois, je le sens. » Pour Louis Pauwels, la campagne antisecte était le prélude à des lois pour imposer la pensée conforme.

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La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...