lundi, septembre 20, 2010

La voie gnostique de Basilide


Nous savons, par le témoignage des adversaires chrétiens de Basilide, que celui-ci imposait à ses disciples, à l’exemple de Pythagore, un silence de cinq ans. Peut-être ce silence allait-il au-delà de celui des disciples et impliquait-il aussi celui du maître. On sait fort peu de chose sur Basilide et son école, et il est impossible d’imaginer exactement comment il enseignait. Mais même s’il fut le seul à imposer cette ascèse du silence, ce fait est révélateur. Il est une des formes les plus nettes – et les plus difficiles – du combat contre l’illusion du monde. Car ce silence n’est pas seulement le contraire du bruit, la cessation de la parole, il doit être un moyen de susciter chez le disciple – par l’état de constant éveil qu’il implique – une conscience accrue, une charge de pensée, comme un supplément d’âme. Il est refus du langage mais approche d’une hyperconscience. Abstention mais arme comme la non-violence. On voit déjà vers quelle voie pratique s’engage l’enseignement de Basilide. Puisque que ce monde est fait de ce qui n’est pas, on luttera contre lui en le niant, notamment par le silence. Aux bruits du monde, aux ondes éphémères des paroles, à la matière sonore et trompeuse de l’univers, on opposera cette sorte d’anti-son que devient alors le silence de l’homme.

Et l’on opposera quelque chose de plus encore. Le désir de connaître, de déceler derrière le jeu des formes évanescentes du monde les mécanismes véritables qui les meuvent, ce désir est suspect. Que peut être en effet le savoir dans un monde d’illusions, si ce n’est un savoir lui-même illusoire ? Ce que nous questionnons, ce sont des reflets, des songes, des fantômes. La logique elle-même devient inefficace, puisqu’elle est logique de l’inanité. Elle n’est, dans la plupart des cas, qu’un mécanisme tournant à vide dans ce labyrinthe à mirages qu’est tout cerveau humain. Seule l’ignorance, jointe au silence, trace la voie royale de la libération.

Basilide, il est vrai, dut tempérer quelque peu ce refus de toute connaissance. Pris aux pièges de ces négations successives qui renvoient en nous-mêmes l’écho répété de nos doutes, Basilide a dû transiger. On dit qu’il écrivit vingt-quatre livres de commentaires sur les Evangiles, qu’il composa des Odes, et institua pour ses disciples un culte à mystères qui suppose évidemment la connaissance des mystères eux-mêmes. Mais il ne négligea pas ce qu’on pourrait appeler les « conseils pratiques ». il n’est pas difficile d’imaginer en quoi ils pouvaient consister. Face aux tromperies du réel, aux duperies des Eglises et de toutes les institutions, au scandale des lois, des fois, des interdits, il proposa une morale des plus simples : la non-morale. Ainsi, au moment où commençaient les premières persécutions contre les chrétiens et contre les gnostiques (les Romains ne voyant entre eux aucune différence), Basilide proclame qu’il est normal et nécessaire d’abjurer sa foi pour s’y soustraire. De même, le désir sexuel ne doit pas être entravé par les institutions qui partout tentent de le canaliser vers des formes sociales, il doit s’assouvir librement, pour lui-même, en dehors de tout lien affectif et matrimonial. Ce qui ne veut pas dire que Basilide prônait l’union libre comme seul remède aux détresses des hommes. En ce qui le concerne, il ne semble pas qu’il ait été un satyre ivre de femmes, ces « vases d’élection » comme les nomme un texte gnostique. Aux initiés, à ceux qui avaient supporté l’épreuve du silence, il est probable qu’il conseillait l’ascèse. Aux autres, simples disciples ou simple auditeurs, ils laissait la liberté de choisir la voie qu’ils jugeaient la meilleure. A l’encontre de la quasi-totalité des groupes ésotériques, des communautés mystiques de tous les temps, les gnostiques ne dressaient, au début, aucune règle ni aucun interdit de principe. Leur but fut plutôt, semble-t-il, de laisser chacun libre de rejoindre l’enseignement en continuant sa propre vie, sans être astreint ni à l’ascèse ni à la non-ascèse. Ainsi s’affirme, avec Basilide, cette indifférence prodigieuse à l’égard des principes, cet affranchissement radical à l’égard des systèmes, qui devaient tant scandaliser tous ses contemporains.

Jacques Lacarrière


Marie d'Égypte, ou Le désir brûlé



« Ce roman, ce conte-histoire débute aux temps où finissait un monde. Au IVe siècle, les dieux anciens quittaient l'Egypte. À Alexandrie, capitale de la volupté, vivait Marie, la plus belle et la plus libre de toutes les prostituées de la ville. Près du port, elle se donnait aux hommes jour et nuit, dans l'ivresse du plaisir partagé. Mais tandis que l'histoire inverse son sens et que le dieu des chrétiens pénètre le cœur des hommes, Marie elle aussi ressent une force mystérieuse, un appel fulgurant : elle quitte tout et part au désert à la recherche de l'Infini qui la délivrera de ses remords et de toute vie humaine. Marie la prostituée devient Marie des Sables et rentre dans la légende. A travers le roman de cette extraordinaire existence, Jacques Lacarrière nous entraîne au cœur de ce monde qui bascule en devenant chrétien; Alexandrie, le désert, un dieu nouveau, Marie d'Égypte, prostituée des hommes et amante de Dieu. » (présentation de l’éditeur)

Source de l’illustration :

Un choc des cultures au cœur de l'Amérique

En 1987, le professeur de journalisme Stephen Bloom, un libéral typique, a voulu explorer ses racines juives en rejoignant la communauté Hab...