mardi, janvier 20, 2009

LES ORIGINES DE BOUDDHISME TIBÉTAIN


LES ORIGINES DE BOUDDHISME TIBÉTAIN ou LA FACE CACHÉE DU DALAÏ-LAMA

Aquari, lecteur de Bouddhanar, nous fait découvrir le livre de Marie Gallaud " LA VIE DU BOUDDHA et les doctrines Bouddhiques ", paru en 1931.

" Au VIIe siècle, alors que le Bouddhisme commençait à décliner sensiblement dans l’Inde, il pénétra au Tibet ; et là, ce fut encore grâce à la protection d’un roi, Sron-bçan-sgam-po (stimulé par ses épouses, deux princesses, l’une népalaise, l’autre chinoise), qu’il prit, rapidement, de fortes racines. Mais il dut subir une large incorporation de Chamanisme ; aussi les esprits démoniaques tiennent-ils une considérable place dans le Bouddhisme tibétain. Aux Asura et Rakshasa, hérités du Brahmanisme, ont été ajoutés les groupes infernaux locaux de l’ancien culte " Bon ". Pour apaiser ces mauvais esprits, s’en concilier de bienfaisants et atteindre au salut, les lamas (moines) et les fidèles s’adonnent aux pratiques d’une magie compliquée dont le rituel remplit presque vingt-deux volumes du Canon tibétain, groupés sous le nom de Rgyud (Tantra).

Dans les grandes salles des monastères, chaque matin, à l’aube, des textes sacrés sont psalmodiés, des hymnes sont chantés à la gloire des Bouddhas et des Bodhisattvas. On y récite aussi, pour neutraliser les mauvaises influences et en susciter de favorables, des Dhâranî canoniques, sortes de courts Sûtra où sont insérés des Mantra tibétains, formules magiques qui, le plus souvent, paraissent dépourvues de sens et ne pouvoir être traduites en aucune langue.Les Dhârani se récitent partout, à toute occasion. Il en est qui sont dites particulièrement efficaces pour chasser la maladie, procurer la richesse, obtenir la faculté de se rendre invisible, etc. Certaines effacent même " les cinq crimes inexpiables" : le parricide, le matricide, le meurtre d’un Arhat, celui d’un Tathâgata, et la division jetée dans la Communauté. Il en est de longues et de courtes; il en est que l’on ne prononce qu’une fois, d’autres vingt-et-une, d’autres huit mille, d’autres trois cent mille; certaines doivent être accompagnées de menues cérémonies confectionner un disque de bois de santal qui représente le monde, faire l’offrande d’une lampe de beurre fondu, etc...
Voici quelques fragments d’hymnes, et des Dhârani qui appartiennent au Canon tibétain :

"Le Tathâgata, pour le bien des êtres, est venu ici, du sein de la demeure incomparable des dieux du Tusita, où il jouissait de la bénédiction d’être entouré des dieux. Puisse-t-il, par cette bénédiction, apporter le calme à tous les êtres !"
" Celui qui, sur le bord de l’eau, entouré d’une guirlande d’herbe Kuça a fait apparaître des manifestations de prodiges extraordinaires, et a eu la bénédiction d’être vénéré par le roi des Nâgas, puisse-t-il, par cette bénédiction, apporter le calme à tous les êtres !"
" Celui dont le corps, par les signes de ses qualités étendues, a un éclat d’or semblable à celui de la lune, qui tient dans la main le livre, l’épée éternelle de la science ; le noble Manjuçri-kûmâra-bhûta est une cause de bénédiction. Puisse, par cette excellente bénédiction, la prospérité venir ici en ce moment !"
" Celui dont le corps, par les signes de la magnanimité, fait par son éclat envie à la lune, qui tient le lotus dans sa main, dont les signes ne présentent aucun défaut, le noble Avalokiteçvara est une cause de bénédiction. Puisse, par cette excellente bénédiction, la prospérité venir ici en ce moment".

Dhâranî pour calmer toutes les maladies :

Adoration à tous les Bouddhas et Bodhisâttvas. Voici le discours que j’ai entendu une fois : Bhagavat résidait à Crâvasti au Jetavana, dans le jardin d’Anâthapindika. Bhagavat dit aux Bhiksus :

" Bhiksus, saisissez bien cette énumération de la loi, répétez-la souvent, pénétrez-vous-en bien, enseignez-la largement aux autres"
" Caleme, Caleme, panakokila, Crimati, Kundale, dundabha, indrani, mukke, Svâhâ."
" Voilà la base du Mantra employé par ceux qui souffrent d’indigestion, de goître, de mélange du sang et de la bile, d’hémorroïdes, de maladies de l’anus, de gonorrhée, de toux, de fièvre, de maux de tête, de point de côté ; et par les Pretas (Esprits errants, malheureux à cause de leur Karma, et toujours affamés de besoins terrestres). Cette base de Mantra a été proclamée par le Tathâgata, Arhat parfait et accompli Buddha. Or, le Buddha est le premier de tous les êtres, l’absence de passion est la première de toutes les lois, la Confrérie est la première de toutes les troupes. Par cette parole de vérité, puisse tout ce que j’ai mangé, bu, apprêté, goûté, être bien et heureusement digéré ! Svâhâ !" Quand Bhagavat eut prononcé ces paroles, les Bhiksus réjouis louèrent hautement le discours de Bhagavat " Fin de la Dhârani sublime qui calme toutes les maladies."

Dhâranî-Amulette :

" Adoration aux trois joyaux ! Adoration à Amitâbha !" llimitimele, hanesahane - un tel - jvara bandha me, eka hekana, hrihikam, caturcakana, snitya jvarana Svâhâ. " "On n’a qu’à écrire ce rite et l’attacher à son cou pour être exempt de fièvre."
" Dhârani qui purifie des cinq crimes inexpiables : Adoration au noble Manjuçri."
" Om bakyam téjâla. Om bâhya se se svâ. Om bâkya manjaye. Om bhâlkya nilthaya. Om bakye yanama. Om bâkya de noms." " Si on lit vingt-et-une fois ce nom de Manjuçri, toutes les obscurités provenant de la perpétration des cinq actes, inexpiables sont purifiées."
Dans le Lotus de la Bonne Loi, les stances suivantes sont attribuées à Ca-kyamourli.
"Souvenez-vous, souvenez-vous d’Avalokiteçvara, de cet être pur, ne concevez à ce sujet aucune incertitude; au temps de la mort, au temps où la misère accable l’homme, il est son protecteur, son refuge, son asile... Si un homme vient à être précipité dans une fosse pleine de feu par un être méchant qui voudrait le détruire, il n’a qu’à se souvenir d’Avalokiteçvara, et le feu s’éteindra de lui-même comme s’il était arrosé d’eau".

Parmi les incantations en usage au Tibet, la plus fréquemment répétée est celle-ci ; " Om ! mani padme, hum ", que l’on appelle :" la science en six syllabes", et qui se traduit pas Om ! (Syllabe sacrée brahmanique). Le joyau dans le lotus, Hum (syllabe magique tibétaine). Ce mantra aurait été enseigné aux hommes par Amitâbhâ et est récommandé par Câkyamouni dans le Karanda Vyûna sûtra. Pour ceux qui n’ont pas le temps, le courage ou la science de réciter les Dhârani et les Mantra comme il faut, les lamas tibétains ont créé le " Moulin à prière", petit cylindre de cuivre ou de bois, tournant sur un axe dont le prolongement sert de manche. Chaque mouvement de rotation imprimé à cet objet du culte équivaut à la bonne récitation des textes sacrés qu’il renferme. On a construit aussi de grands moulins que le vent ou l’eau des rivières actionnent et dans lesquels roulent sans cesse les mots magiques.

Cent ans à peine après son introduction au Tibet ; le Bouddhisme y eut un brillant et mauvais génie dans la personne du moine érudit Padmasambhava. De Nâlandâ où il enseignait, il vint à Lhasa, appelé par le roi d’alors pour lutter "bouddhiquement" contre les pratiques de grossier occultisme auxquelles les prêtres du culte "Bön" avaient accoutumé les Tibétains et que la foi nouvelle n’avait guère entamées.
Padmasâmbhava combattit en effet, et assez victorieusement, la sorcellerie indigène; mais ce fut par la magie des Tantra, qu’il importa de l’Inde et développa fougueusement. L’étrange religieux fonda à Sangyé un monastère dont les moines dits Ourzien-pa, furent vêtus et coiffés de rouge grenat. Selon les conceptions de son initiateur, la nouvelle secte rejeta, pour tous, les lois d’abstinence et, pour la majorité des religieux, le célibat. Padmasambhava prêcha, comme le Bouddha Gautama, l’indifférence absolue, mais, à l’encontre du très moral fondateur du Bouddhisme, il alla jusqu’à proclamer la non-distinction entre le bien et le mal, la vertu et le vice. Aussi les nombreux alcooliques et autres pécheurs du Tibet se réclament-ils encore de ce maître indulgent qui lui-même, prétendent-ils, n’était pas sobre. De plus, le novateur recommandait aux coupables de ne point regretter leurs fautes et de s’en remettre au Véhicule magique, le Tantrayâna, pour assurer leur salut par les mantra et les mandala (cercles, magiques sur lesquels on dispose, suivant des règles compliquées, des figures de divinités, des ornements et des emblèmes).

Le résultat fut désastreux et, au IXe siècle, un souverain du Tibet crut devoir ramener ses sujets au culte des dieux autochtones; il chassa les moines, des monastères devenus nombreux et opulents. Mais il fut assassiné par un lama rouge et ses successeurs revinrent au Bouddhisme sophistiqué de Padmasambhava. Au onzième siècle, il y eut des tentatives de réforme : la première, celle du savant moine Atîça qui avait étudié à Crîvijaya (Sumatra), marqua peu; la seconde, celle du lama Marpa, qui fut le rude Maître du grand poète ermite Milarepa, tendit à donner aux religieux le goût de l’ascétisme et de la méditation. Mais la sorcellerie Bon et la magie tantrique qui s’étaient interpénétrées, demeurèrent vivaces. Au Xllle siècle, le Bouddhisme tibétain fit néanmoins de l’apostolat et gagna aux doctrines hétéroclites du lamaïsme le petit-fils de Gengis Khan, Kubilaï, et ses Mongols, qui devaient bientôt conquérir la Chine et faire trembler tout l’Extrême-Orient. Vers la fin du XIV° siècle, surgit un pieux et puissant réformateur : Tsong-Kha-pa. Il fonda le monastère Galdan à Lha-sa, où les moines durent, pour leurs bonnets, revenir à la couleur bouddhique : le jaune, et dont la règle rétablit les anciennes austérités jeûne, abstinence d’alcool, célibat, mais non le voeu de pauvreté. La nouvelle secte dite des Gelug-pa (les Vertueux), prima bientôt par le nombre la secte des Ourzien-pa, fondée par Pamasambhava, mais ne la convertit point, et même en subit peu à peu la pernicieuse influence. Actuellement, si les Gelug-pa demeurent, par leur discipline, supérieurs aux Ourzien-pa, ils ne s’en distinguent guère au point de vue des pratiques de sorcellerie.

Tsong-Kha-pa, sans le vouloir, avait instauré une quasi-divinité de plus, sa sainteté l’ayant fait considérer comme une incarnation du Bodhisattva Padmapani-Avalokiteçvara (Chenrési, en tibétain), incarnation qui devait être le lot de chacun de ses successeurs, portant après lui le titre de Grand-lama du Tibet. L’influence toujours croissante du chef suprême des Congrégations lamaïques, aboutit, vers 1640, à la déposition du prince régnant alors à Lha-sa, et à la fusion des pouvoirs spirituel et temporel dans les mains vénérées du Grand-Lama qui devint à cette occasion: le Dalaï-Lama (Lama Océan. ou universel). Un roi mongol avait puissamment aidé à ce coup d’État qui fut ratifié par le suzerain du Tibet, l’empereur de Chine.

Depuis bientôt trois cents ans, le Bouddhisme tibétain a donc été complètement libre de donner la mesure de ce que ses méthodes peuvent réaliser pour le bien ou le malheur des hommes.

Plusieurs voyageurs, orientalistes ou missionnaires, nous avaient apporté déjà de précises indications sur le Tibet. Mais les notes de route et de long séjour récemment publiées par Mme Alexandra David Neel ont une particulière valeur ; nul ne pouvant soupçonner leur auteur de manquer d’information, ni de bienveillance envers son sujet d’étude, car elle se dit bouddhiste, dame-lama, et mère adoptive d’un lama authentique. Elle a interviewé le Dalaï-Lama, le Tachi-Lama, des lettrés, des philosophes, de grands mystiques et des magiciens; elle a vécu parmi le peuple. Elle a porté la robe, la toge et le bonnet des lamas jaunes, le collier de cent huit rondelles découpées dans cent huit crânes humains, et le poignard magique; elle a soufflé dans le kangling, trompette rituelle faite d’un fémur humain. Elle a recherché toutes les initiations accessibles, tous les entraînements aux pouvoirs "supernormaux" ; elle est même parvenue à créer un fantôme, dont un témoin constata l’existence, et qu’elle eut, après six mois de vie commune, grand peine à faire rentrer dans le néant. Nul voyageur occidental n’avait jamais, au " Pays des Neiges " accompli rien d’équivalent.
Et malgré toute l’indulgence dont les livres de cette intrépide bouddhiste sont pénétrés, l’image du Tibet qu’elle livre au public est profondément attristante et pauvrement spirituelle !

L’ignorance, la malpropreté, l’insondable superstition, la noire misère des sujets du Moine-roi, et l’exploitation éhontée de la crédulité de ces pauvres montagnards par leurs soi-disant instructeurs, les lamas, constituent l’un des plus navrants mélanges qui soient encore en ce monde.

On comprend que le souverain d’un tel Etat le cache derrière des barrières qu’il tente de rendre infranchissables. Mme David Neel les a héroïquement franchies et nous nous en rapportons à son témoignage. Elle ne parle pas d’hôpitaux, de crèches ou d’asiles de vieillards, mais de maîtres, presque illettrés, qui n’enseignent aux jeunes tibétains, à eux confiés, que des textes liturgiques dont eux-mêmes ignorent le sens. Dans les monastères, le programme de l’instruction des novices est au contraire assez chargé : avec des éléments de philosophie et de métaphysique, les Écritures sacrées, les règles monastiques et le rituel, ils étudient la magie et l’astrologie, principales sources de leurs futurs revenus. Mais, même pendant les offices, les novices enfants et aussi les moines sont pour la moindre dissipation exposés aux coups de fouet qu’ils reçoivent prosternés, le front touchant le col. Et c’est aussi avec de rudes lanières que ceux que Mme David Neel appelle " les frères fouetteurs " font circuler la foule pour dégager le chemin des processions. Au Tibet, la peine de mort n’est pas abolie mais appliquée parfois de terrible façon. Le Dalaï-Lama, depuis quelques années, mobilise l’or et l’argent pour acheter des armes; il permet qu’on lui dise que son royaume " est au-dessus de tous les pays du monde et que lui-même est le plus grand des monarques ", tandis qu’il laisse croire à ses sujets que le roi d’Angleterre n’est que son vassal. Presque toutes les terres sont aux mains des communautés monastiques et ceux qui les cultivent demeurent réduits à l’état de véritables serfs et d’esclaves. En s’emparant de toutes les récoltes, la polyandrie règne et le brigandage sévit, forçément. Il n’y a pas de compassion envers les humains, encore moins envers les animaux que l’on exploite, envers et contre les paroles du Bouddha. Les mourants qui appellent les lamas à leur chevet sont pieusement tourmentés jusqu’à leur dernier souffle. Elle dit aussi que les Dalaï-lamas du Tibet sont des dictateurs cruelles et sans pitié, qu’ils écrasent et broient le petit-peuple dans la misère et la souffrance par des superstitions savamment entretenues, qu’ils se préparent un mauvais Karma...

Les pratiques qu’il enseignent n’ont rien à voir avec le véritable bouddhisme. Ce sont de grossières parodies qui détournent l’attention et induissent les chercheurs de vérité dans une fausse direction. On devrait parler de Chamanisme ou de Lamaïsme Tibétain mais pas de "Bouddhisme Tibétain". C’est une usurpation de nom, car le Bouddhisme autentique n’a rien à voir avec la sorcellerie, avec des pratiques magiques manipulatoires qui cherchent a violer les Lois naturelles et spirituelles (comme celle de la réincarnation). Il n’a rien à voir avec le culte de la personnalité démesuré dont bénéficie les autorités religieuses. Ce culte abrutissant a pour but de garder les masses dans la crainte et l’ignorance pour satisfaire la soif de pouvoir et de possession. Le Bouddha est justement venu pour nous libérer de tout intermédiaires inutiles qui pourrait s’interposer en tant que maître, gourou, démon ou divinité quelconque. Ce modèle de chemin, soi-disant spirituel, exporté en occident, masque le véritable Bouddhisme et déroute les vrais chercheurs.

Ici, nous voulons reproduire deux croquis de Mme Neel :

" Le premier coin du lama assistant un mourant est de l’empêcher de s’endormir, de sombrer dans le coma. Il lui signale la perte graduelle de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher, de l’ouïe... Dans le corps maintenant insensible, la pensée doit demeurer active et attentive au phénomène qui s’accomplit. Il s’agit de faire jaillir l’esprit de son enveloppe par le commet du crâne, car s’il s’évadait par une autre voie, son bien futur se trouverait gravement compromis. Cette extraction de l’esprit est opérée par les cris rituels : Hik ! et Pet ! (difficiles à lancer comme il faut). Avant de les proférer, le lama doit se recueillir profondément, s’identifier avec celui qui vient d’expirer et faire l’effort qu’aurait dû faire ce dernier pour provoquer l’ascension de l’esprit au sommet du crâne, avec une force telle qu’il produise la fissure nécessaire pour lui livrer passage (1)".

" Dans les villages, le mort ficelé de manière à lui donner l’attitude des Bouddhas assis, est généralement posé dans un chaudron. Dès que le cadavre a été enlevé, ce chaudron contaminé par les liquides provenant de la putréfaction est sommairement lavé et l’on y prépare la soupe ou le thé offert à ceux qui assistent aux funérailles. Les cadavres conservés huit jours et même davantape répandent une odeur infecte. Ce détail ne coupe pas le moins du monde l’appétit aux trapas (religieux), qui continuent à prodiguer leurs conseils au défunt, lui signalant les chemins à suivre et ceux à éviter dans l’audelà. Ils prennent leurs repas en face du mort (2)".
(1) et (2) A. David Neel. Mystiques et Magiciens du Tibet, p. 27 et 30.

Dans la crainte de déformer quoi que ce soit en résumant les notes de Mme Neel, nous nous bornerons encore à citer textuellement les précisions suivantes :
"L’éducation cléricale tibétaine produit une petite élite de lettrés, un grand nombre de fainéants, plus quelques mystiques... De nos jours, mystiques et magiciens doivent être cherchés hors des monastères. Pour fuir leur atmosphère trop imprégnée de préoccupations matérielles, ils ont émigré vers des lieux plus difficilement accessibles... A très peu d’exceptions près, tous les anachorètes ont pourtant commencé leur vie comme novices dans l’ordre religieux... L’école de rituel magique est presque partout la plus somptueusement logée des instituions scolastiques du monastère et ses membres gradués, dénommés Gyud’pas, sont tenus en haute estime. C’est à eux qu’est confié le soin de protéger la gompa (monastère) à laquelle ils appartiennent, d’en assurer la prospérité et d’en écarter les calamités. Les membres des deux grandes écoles de Gyud qui existent à Lhassa remplissent le même office en faveur de l’Etat et de son souverain le Dalaï-Lama. Les Gyud’pas sont aussi chargés d’honorer et de servir les dieux autochtones et les démons dont l’amitié ou la neutralité ont été acquises par la promesse de leur rendre un culte perpétuel".

Les sujets d’élite, les jeunes moines désireux de conquérir par le plus court chemin l’état spirituel le plus élevé et les pouvoirs supernormaux des mystiques, vont trouver ces ermites dans leur retraite et, tout en leur rendant quelques services matériels, s’exercent sous leur direction à franchir ce que ces maîtres appellent : " le sentier direct ". Ce sentier est rude et ceux qui n’ont pas l’esprit fortement trempé y font des chutes lamentables dans la mort, la folie ou l’indéracinable superstition ; il comporte, même pour les mieux doués, des étapes de longue durée. Les procédés de formation varient selon les maîtres et les dispositions des disciples. Mme David Neel décrit les plus classiques. Au début de cette culture spéciale se trouvent des séances d’isolement dans des sites où la nature se montre particulièrement dramatique et auxquels lés plus terrifiantes légendes sont attachées. Le novice doit s’y rendre seul, s’y lier à un arbre ou à un rocher et là, sans dormir ni manger durant soit une nuit, soit trois jours consécutifs, soit plus, y appeler les déités sanguinaires les plus féroces, celles qui " sucent la cervelle des hommes et dévident leurs entrailles ". Au cours de cet exercice préliminaire, il arrive que des novices soient dévorés par des panthères ou des léopards ; d’autres, ainsi autosuggestionnés, ont de terribles hallucinations, des visions d’épouvante; les rares esprits forts constatent l’inefficacité de leurs appels.
Mme David Neel signale d’autres exercices mystiques en usage dans les thébaïdes bouddhiques de l’Himalaya: la méditation nocturne dans l’attitude des images du Bouddha assis, mais avec une petite lampe posée sur la tête de l’étudiant et que le moindre mouvement ferait choir; la récitation d’un même Mantra, répétée cent mille fois et accompagnée d’un nombre égal de prosternations en heurtant le sol avec le front qui bientôt se tuméfie et forme une plaie ; la méditation dans la solitude et l’obscurité, durant des mois et sur un même sujet au point de s’identifier à lui. Exemple: méditer sur un yak et arriver à être persuadé, à sentir qu’on a des cornes. D’autres disciples sont entraînés, pendant des années, à essayer de se représenter leur Yidam (dieu tutélaire) avec une telle concentration de pensée qu’ils doivent en arriver à le voir, à l’animer, à le toucher, à lui parler, à l’entendre et à se mouvoir avec lui. Au cours des étapes de cet exercice, certains de ceux qui parviennent à le réussir, s’arrêtent, ravis de posséder ainsi leur dieu tutélaire, et retournent avec lui aux occupations ordinaires des lamas. Leur maître, paraît-il, les laisse aller sans chercher à les détromper. Mais ceux qui vont jusqu’au bout de l’expérience et découvrent enfin que le Yidam est un produit de leur imagination, sont approuvés par le même maître qui poursuit, par d’autres épreuves, l’initiation de ces disciples plus avisés. Parmi ces épreuves est le Tcheud, " rite fantastique si savamment combiné pour terrifier les novices qui s’y exercent que certains sont frappés de folie ou de mort pendant sa célébration ", dit Mme Neel, qui a elle-même pratiqué ce rite et en a observé les phases sur de jeunes sujets dont elle évoque ainsi l’aspect: " amaigris par les austérités, vêtus de guenilles, le visage sale, éclaré par des yeux extatiques, volontaires et durs".

Nous n’entreprendrons pas de décrire entièrement, à la suite de l’auteur, le Tcheud, longue scène à un seul personnage qui se joue dans des cadres sauvages et nécessite une initiation. Il faut savoir réciter des mantra, danser en mesure "des pas dessinant des figures géométriques, virevolter sur un pied, brandir; suivant les règles divers instruments rituels, jouer du tambourin et souffler dans la trompette faite d’un fémur humain". Nous citerons seulement cette description d’une phase d’un Tcheud, célébré près d’un cadavre en putréfaction et auquel Mme David Neel assista, dissimulée dans une fissure de montagne :

" Je paie mes dettes ! Repaissez-vous de moi, hurlait le trapa. Venez, démons affamés ! Dans ce banquet; ma chair se transformera en l’objet quelconque de votre désir.
" Le jeune exalté souffla furieusement dans son kangling, poussa un cri horrible et sauta sur ses pieds si brusquement que sa tête heurta le toit de la tente qui s’effondra sur lui. Il s’agita pendant quelques instants sous la toile puis en émergea avec la face grimaçante, effroyable d’un aliéné, hurlant convulsivement et gesticulant comme en proie à d’atroces douleurs... Sans aucun doute ce malheureux sentait la morsure des goules qui le dévoraient vivant. (A. David Nell, Mystiques et magiciens du Tibet, p. 142.)

L’exploratrice apitoyée quitta sa cachette et vint au pauvre égaré pour essayer de le calmer; mais son apparition redoubla les transports de l’halluciné qui vit en elle une furie de plus. Alors elle s’en fut demander secours au maître de ce disciple éperdu. Le grand mystique ne s’émut point et refusa d’intervenir en rappelant à l’initiée occidentale que l’illumination spirituelle, délivrance suprême, vaut les souffrances qui conduisent à l’acquérir et que celui qui la recherche s’engage à en accepter les risques : "maladie, folie ou mort". Sur ce, le maître reprit le cours de sa méditation transcendante.

La méditation transcendante des mystiques tibétains, et les exercices affolants de leurs disciples, conduisent les mieux doués à Tharpa, l’illumination spirituelle. Celle-ci paraît consister à penser que "dieux, démons, l’univers tout entier, est un mirage" ; à reconnaître le vide universel et l’absence d’Ego. Cet état d’esprit, est-il dit, livre, à ces gâcheurs de pouvoirs normaux, des pouvoirs "supernormaux". Mais ils ne s’en servent pas pour tenter d’améliorer le lamentable état matériel - et moral de leurs compatriotes, ils préfèrent créer des fantômes de ce rien que, pour eux, est l’homme; asservir les démons dont ils ont nié l’existence; produire des doubles d’eux-mêmes et toutes sortes d’actions qui, même si elles n’étaient pas seulement rêvées, ne sembleraient guère enviables... Depuis l’origine du Bouddhisme, les bouddhistes de partout ont subï la hantise des pouvoirs occultes dont il est si souvent question dans les Sûtras canoniques du Nord et du Sud.

En réponse à l’une des questions que lui a posées Mme David Néel, le Dalaï Lama a écrit: "Un Bodhisattva est la base d’où peuvent surgir d’innombrables formes magiques. La force, qu’il engendre par une parfaite concentration de pensée lui permet d’exhiber simultanément, un fantôme semblable à lui dans des milliers de millions de mondes. Il peut, non seulement créer des formes humaines, mais n’importe quelle autre, même des objets inanimés tels que maisons, enclos, forêts, routes, ponts, etc... Il peut produire des phénomènes atmosphériques aussi bien que le breuvage d’immortalité qui étanche toute soif. En fait, son pouvoir de créer des formes magiques est illimité (1)". Cela, c’est une note de théorie mahâyâniste orthodoxe. Voici maintenant un aperçu des pratiques du Dalaï-Lama : " la plus haute autorité religieuse du Tibet " : Le Moine roi, au cours du premier mois de chaque année, " fait interroger le sort, afin d’en déduire ce que celui-ci réserve à l’État et surtout à son Chef. Trois tentes sont plantées, dans chacune est enfermé un animal - une chèvre, un coq et un lièvre - qui portent, attachées au cou, de amulettes consacrées par le Dalaï-Lama. Des hommes tirent à balle sur les tentes. S’il arrive que l’une des bêtes soit tuée ou blessée, cela signifie que le pays est menacé de calamités et que la santé ou même la vie du souverain sont en danger (2) ". Aussitôt de nombreuses cérémonies sont organisées pour neutraliser les redoutables influences.(1), (2) A. David Neel. Mystiques et Magiciens du Tibet, p. 115.

" Lorsque je me trouvais à Lhassa, écrit Mme Neel, les hommes tirèrent une vingtaine de coups sur les tentes. Aucun des animaux ne fut touché, ce qui parut du plus heureux augure. Par contre, l’un des fusils tibétains éclata, blessant grièvement le tireur qui mourut le lendemain. Au lieu d’être déploré, ce malheur ajouta à la valeur de l’oracle qui fut considéré comme tout à fait favorable au Dalaï-Lama. Un danger qui le menaçait venait d’être conjuré. Le démon ennemi avait satisfait sa férocité sur l’infortuné sujet du souverain et, maintenant repu, n’était plus à craindre." (A. David Neel. "Voyage d’une Parisienne à Lhassa", p. 304.)

De toute façon, le Dalaï-Lama n’a pourtant rien à redouter, car il est assuré de retrouver sa situation religieuse et politique à travers ses renaissances successives... En effet, après la mort de tout Dalaï-Lama, les grands voyants officiels de l’État tibétain recherchent soigneusement et toujours découvrent l’enfant en lequel le récemment disparu s’est réincarné, et s’empressent de rendre à cette nouvelle forme humaine du Dhyâni Bodhisattva Avalekiteçvara son trône de Lhassa et toutes ses prérogatives.Il en est d’ailleurs de même à propos de la succession du second lama du Tibet, celui de Tachilhumpo, qui est dit incarner Amitâbha (Odpagmed en tibétain), et encore pour celle des supérieurs des principaux monastères du royaume qui tous sont aussi des "tulkous" (émanations ou corps magiques de personnages semi-divins).
Mme David Neel a eu la fortune d’assister, dans un monastère de Koum-Boum, à l’installation d’un Tul-kou-lama qui était un enfant de huit ans, reconnu après enquête comme incarnant l’esprit du dernier supérieur défunt, le Tulkou-lama Agnai-Tsang. Elle a vu et entendu le jeune moine réclamer, avec de minutieuses précisions, touchant sa forme, ses couleurs, et sa place, un bol à thé ayant appartenu à celui auquel il succédait et qui, seul, disait-on, connaissait son existence, ou, tout au moins, l’endroit anormal où il se trouvait alors. La voyageuse constata, avec les lamas enthousiasmés, que le merveilleux petit supérieur ne se trompait point, que le bol était bien là, où il l’avait dit, et tel qu’il l’avait décrit. Il est vrai que le contrôle de cette expérience et de toutes celles qui semblent avoir fortement impressionné Mme Neel, n’était peut-être pas aussi scientifique que celui qu’on pratique à l’Institut métapsychique, dont les dirigeants, néanmoins, furent tant de fois victimes d’habiles mystificateurs et de fins manipulateurs...

Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...