vendredi, décembre 12, 2008

La convivialité

Les prêtres chrétiens et les lamas tibétains s’opposent rarement au capitalisme.

Depuis quelques temps, des prélats catholiques expriment une timide contestation. Mgr André XXIII, l'Archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France (CEF), a déclaré : "L'évolution du travail dominical est malsaine".

Vidéo de Mgr André XXIII interviewé par Jean-Michel Aphatie de RTL :
http://www.rtl.fr/fiche/2750738/mgr-andre-vingt-trois-l-evolution-du-travail-dominical-est-malsaine.html

La curie n’ira pas jusqu’à exhumer les travaux d’un prêtre catholique apôtre de la contre-productivité. Dès le début des années 1970, le père Ivan Illich (4 septembre 1926 – 2 décembre 2002) dénonça les perversions du monde moderne. Dans l’introduction de son livre "La convialité", traduction française de "Tools for Conviality", publié par Harper & Row en 1973, il écrit :

" Cela fait plusieurs années que je mène une recherche critique sur le monopole du mode industriel de production et sur la possibilité de définir conceptuellement d’autres modes de production post-industriels. Dans un premier temps, j’ai centré mon analyse sur l’outillage éducatif ; les résultats, publiés dans "Une société sans école", établissaient les points suivants :


1. L’éducation universelle par l’école obligatoire est impossible.

2. Conditionner les masses grâce à l’éducation permanente ne soulève guère de problèmes techniques, mais cela reste moralement moins tolérable que l’ancienne école. De nouveaux systèmes éducatifs sont sur le point d’évincer les systèmes scolaires traditionnels, dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Ces systèmes sont des outils de conditionnement puissants et efficaces qui produiront en série une main-d’œuvre spécialisée, des consommateurs dociles, des usagers résignés. De tels systèmes rentabilisent et généralisent les processus d’éducation à l’échelle de toute une société. Ils ont de quoi séduire. Mais leur séduction cache la destruction : ils ont aussi de quoi détruire, de façon subtile et implacable les valeurs fondamentales.

3. Une société qui voudrait répartir équitablement le savoir entre ses membres et leur donner de se rencontrer réellement, devrait assigner des limites pédagogiques à la croissance industrielle, la maintenir en deçà de certains seuils critiques.

Le système scolaire m’est apparu comme l’exemple-type d’un scénario répété en d’autres domaines du complexe industriel : il s’agit de produire un service, dit d’utilité publique, pour satisfaire un besoin, dit élémentaire. Mon attention s’est alors portée sur le système de soins médicaux obligatoires et sur celui des transports qui, passé un certain seuil de vitesse, deviennent aussi, à leur façon, obligatoires. La surproduction industrielle d’un service a des effets seconds aussi catastrophiques et destructeurs que la surproduction d’un bien. Nous voici confrontés à un éventail de limites à la croissance des services d’une société : comme dans le cas des biens, ces limites sont inhérentes au processus de croissance et donc inexorables. Aussi pouvons-nous en conclure que les limites assignables à la croissance doivent concerner les biens et les services produits industriellement. Ce sont elles qu’ils nous faut découvrir et rendre manifeste.

J’avance ici le concept d’équilibre multidimentionnel de la vie humaine. Dans l’espace tracé par ce concept, nous pourrons analyser la relation de l’homme à son outil. En chacune de ces dimensions, cet équilibre correspond à une certaine échelle naturelle. Lorsqu’une activité outillée dépasse un seuil définit par l’échelle ad hoc, elle se retourne d’abord contre sa fin, puis menace de destruction le corps social tout entier. Il nous faut déterminer avec précision ces échelles et les seuils qui permettent de circonscrire le champ de la survie humaine.

Au stade avancée de la production de masse, une société produit sa propre destruction. La nature est dénaturée. L’homme déraciné, castré dans sa créativité, est verrouillé dans sa capsule individuelle. La collectivité est régie par le jeu combiné d’une polarisation exacerbé et d’une spécialisation à outrance. Le souci de toujours renouveler modèles et marchandises – usure rongeuse du tissu social – produit une accélération du changement qui ruine le recours au précédent comme guide de l’action. Le monopole du mode industriel de production fait des hommes la matière première que travaille l’outil. Et cela n’est plus supportable. Peu importe qu’il s’agisse d’un monopole privé ou public : la dégradation de la nature, la destruction des liens sociaux, la désintégration de l’homme ne pourront jamais servir le peuple.

Les idéologies régnantes mettent en lumière les contradictions de la société capitaliste. Elles ne fournissent pas le cadre qui permettrait d’analyser la crise du mon industriel de production. J’espère qu’une théorie générale de l’industrialisation sera un jour formulée avec assez de vigueur et de rigueur pour supporter l’assaut de la critique. Pour fonctionner adéquatement, cette théorie devra forger ses concepts, fournir à toutes les parties en présence un langage commun. Les critères conceptuellement définis seront autant d’outils à l’échelle humaine : instruments de mesure, moyens de contrôle, guides pour l’action. On évaluera les techniques disponibles et les différentes programmations sociales qu’elles impliquent. On déterminera les seuils de nocivité des outils, lorsqu’ils se retournent contre leur fin ou qu’ils menacent l’homme ; on limitera le pouvoir de l’outil. On inventera les formes et les rythmes d’un mode de production post-industriel et d’un nouveau monde social.

On a du mal à imaginer une société où l’organisation industrielle serait équilibrée et compensée par des modes de production complémentaires, distincts et de hauts rendement. Nous sommes tellement déformés par les habitudes industrielles que nous n’osons plus envisager le champ des possibles ; pour nous, renoncer à la production de masse, cela veut dire retourner aux chaînes du passé, ou reprendre l’utopie du bon sauvage. Si nous voulons élargir notre angle de vision aux dimensions du réel, il nous faut reconnaître qu’il existe non pas une façon d’utiliser les découvertes scientifiques, mais au moins deux, qui sont antinomiques. Il y a un usage de la découverte qui conduit à la spécialisation des tâches, à l’institutionnalisation des valeurs, à la centralisation du pouvoir. L’homme devient l’accessoire de la méga-machine, un rouage de la bureaucratie. Mais il existe une seconde façon de faire fructifier l’invention, qui accroît le pouvoir et le savoir de chacun, lui permet d’exercer sa créativité, à seule charge de ne pas empiéter sur ce même pouvoir chez autrui.

Si nous voulons pouvoir dire quelque chose du monde futur, dessiner les contours théoriques d’une société à venir qui ne soit pas hyper-industrielle, il nous faut reconnaître l’existence d’échelles et de limites naturelles. L’équilibre de la vie se déploie dans plusieurs dimensions ; fragile et complexe, il ne transgresse pas certaines bornes. Il y a certains seuils à ne pas franchir. Il nous faut reconnaître que l’esclavage humain n’a pas été aboli par la machine, mais en a reçu figure nouvelle. Car, passé un certain seuil, l’outil, de serviteur, devient despote. Passé un certain seuil, la société devient une école, un hôpital, une prison. Alors commence le grand enfermement. Il importe de repérer précisément où se trouve, pour chaque composante de l’équilibre global, ce seuil critique. Alors il sera possible d’articuler de façon nouvelle la triade millénaire de l’homme, de l’outil et de la société. J ‘appelle "société conviviale" une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil.

Je suis conscient d’introduire un mot nouveau dans l’usage courant de la langue. Je fonde ma force sur le recours au précédent. Le père de ce vocable est Brillat-Savarin, dans sa "Physiologie du goût : Méditations sur la gastronomie transcendantale". A moi de préciser, toutefois que, dans l’acceptation quelque peu nouvelle que je confère au qualificatif, c’est l’outil qui est convivial et non l’homme.

L’homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l’emploi de l’outil convivial, je l’appelle austère. Il connaît ce que l’espagnol nomme la "convivencialidad", il vit dans ce que l’allemand décrit comme la "Mitmenschlichkeit". Car l’austérité n’a pas vertu d’isolation ou de clôture sur soi. Pour Aristote comme pour Thomas d’Aquin, elle est ce qui fonde l’amitié. En traitant du jeu ordonné et créateur. Thomas définit l’austérité comme une vertu qui n’exclut pas tous les plaisirs, mais seulement ceux qui dégradent la relation personnelle. L’austérité fait partie d’une vertu plus fragile qui la dépasse et qui l’englobe : c’est la joie, l’eutrapelia, l’amitié. "



Lisons et relisons le père Illich car les prochaines convulsions sociales pourraient réveiller de vieux démons. Déjà la City de Londres appelle à la dictature mondiale. Pour en savoir plus : http://www.solidariteetprogres.org/article4912.html

"And now for a world government" by Gideon Rachman :
http://www.ft.com/cms/s/0/7a03e5b6-c541-11dd-b516-000077b07658.html


VIDEO : Le souhait de "l'expert" Jacques Attali d'un gouvernement mondial
http://www.youtube.com/watch?v=OGOKe6fwGyw

Hommage à Jacques Ellul par Ivan Illich et une vidéo de Jacques Ellul s’exprimant sur la propagande : http://bouddhanar-9.blogspot.com/2008/12/hommage-jacques-ellul.html


Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...