lundi, janvier 21, 2013

Identité et chamanisme des Sioux




Danièle Vazeilles, professeur d'ethnologie à l'université Paul Valéry-Montpellier III, a séjourné à plusieurs reprises dans des réserves sioux.

Quelle identité ?

« Il ressortait de mon travail, explique Danièle Vazeilles, que les Sioux, entre 1969 et 1973, ont vécu une période critique de leur vie. En effet, les deux premières années de mon séjour chez eux, je constatai qu'ils faisaient montre d'une attitude très négative envers eux-mêmes. Cette auto-dépréciation de leur identité ethnique et culturelle était due à la manière dont ils ont été perçus et traités par la société euro-américaine globale et par certains métis ayant des postes d'autorité dans les gouvernements tribaux. Les Euro-Américains leur ont toujours imposé une identité caractérisée par des attributs négatifs : « sauvages sanguinaires, arriérés, sales, paresseux, sans religion, superstitieux, quasi analphabètes, etc. ».

Cette intériorisation négative de soi-même et de son groupe a engendré une culture de refoulement caractéristique des réserves nord-américaines et d'une volonté d'en échapper en abandonnant tout pour changer, non de classe sociale, mais plutôt de « race sociale », d'où révoltes et rébellions armées, résistance passive, mouvements messianiques. Ces mouvements de révolte et de contestation du passé ont souvent conduit les Indiens à l'échec. Mais ces différentes formes de résistance ont néanmoins entretenu une mémoire collective tribale et pan-indienne. C'est cette mémoire collective traditionaliste qui a contribué à la continuation des valeurs indiennes, au maintien, d'une part d'une conscience ethnique, tribale et culturelle, et d'autre part à la formation d'une conscience pan-indienne.

Mais, répétons-le, et les Indiens eux-mêmes en sont conscients, les sociétés indiennes nord-américaines sont toujours très menacées. Elles peuvent espérer se défendre grâce à des rencontres et à des échanges à l'échelon continental et international au nom d'une solidarité pan-indigène. Les sociétés amérindiennes revendiquent leur spécificité ethnique, tribale ou culturelle. Le père du tribalisme amérindien est sans aucun doute l'écrivain et polémiste sioux Vine Deloria, Jr., auteur de « Custer Died for Your Sins : an Indian Manifesto et de God Is Red ». Si les anthropologues ont toujours quelques hésitations avant d'utiliser le terme « tribu », il n'en est pas de même dans l'optique populaire nord-américaine et en particulier indienne. Vine Deloria croit que si la société américaine globale « peut s'en sortir », ce sera en écoutant les « peuples tribaux » (tribal people). Selon lui, et les Indiens en général partagent cette opinion, une société tribale est une entité chaleureuse et humaine, qui contraste vivement avec les froides bureaucraties commerciales que sont les sociétés occidentales. Pour la conscience populaire amérindienne, une tribu est une population unie qui « parle le même langage », au sens le plus large du terme, qui fait remonter sa généalogie à des ancêtres communs, qui partage la même économie fondée sur l'entraide, et surtout qui participe à la même religion, celle des Ancêtres.

Cette prise de conscience de leur indianité tribale et pan-indienne est une expression politique, mais surtout un processus social dynamique qu'il appartient aux Indiens de définir Les divers mouvements indiens ne s'y sont pas trompés. Ils visent tous à revaloriser leurs cultures dépréciées pendant si longtemps ; ils cherchent aussi à relancer la pratique des langues amérindiennes. En ce qui concerne les Sioux, ce dernier effort n'a eu à notre avis que relativement peu de succès et peu de résultats pratiques dans les réserves et les quartiers sioux des villes du Dakota du Sud. Le lakota est un langage très différent de la langue anglaise, tant du point de vue de la syntaxe que de la prononciation. Et les jeunes Sioux, trop préoccupés de leur bien-être immédiat et de leur appartenance pan-indienne, refusent de faire les efforts continus nécessaires pour acquérir la pratique quotidienne de la langue parlée de leurs ancêtres. Et pourtant, d'après les Sioux âgés, la langue sioux encore parlée actuellement s'est simplifiée et est devenue nettement moins gutturale.

Le deuxième point important de ces revendications actuelles est la préservation des terres des réserves et éventuellement la récupération d'une partie des terres perdues. Les associations indiennes s'efforcent donc de persuader le gouvernement fédéral de maintenir le système des réserves, et de continuer à fournir des aides financières et techniques pour permettre éventuellement d'arriver à un réel état d'autonomie interne dans les réserves. Or, malheureusement, il est bien évident que le gouvernement américain actuel pencherait pour l'optique inverse. [...]

Les Indiens de l'Amérique du Nord, et tout particulièrement les Sioux, sont conscients que, pour préserver leur identité, il leur faut être très vigilants. Ils ne veulent plus accepter les schémas proposés par les gouvernements fédéraux successifs, schémas constamment fondés sur une politique d'assimilation qu'ils rejettent. Par ailleurs, au niveau idéologique pan-indien, de nombreux Indiens se sont rendu compte, depuis qu'ils font partie des instances internationales, qu'il leur faut aussi se méfier des schémas proposés par les appareils de gauche souvent inadaptés parce que trop pragmatiques. C'est aussi un des constats établis par les chercheurs du « Centre interdisciplinaire d'études latino-américaines » de Toulouse dans leur ouvrage collectif, « Indianité, ethnocide, indigénisme en Amérique latine » (C.N.R.S.).

Pour préserver leur identité culturelle et tribale, les Sioux ont opté pour l'utilisation, en les réinterprétant quelque peu, de certaines formes d'organisation traditionnelle et surtout des croyances religieuses de type chamanique [...].

Chamanisme

Si nous définissons comme visionnaire quiconque a eu des visions à l'état de veille ou en rêve, on peut dire que les Sioux ont été un peuple de visionnaires acharnés, à tel point qu'il est difficile de repérer ceux dont les fonctions et les pouvoirs peuvent être qualifiés de chamaniques.

En effet, jusqu'au 19ème siècle, vers l'âge de dix ans, les garçons devaient participer à leur première quête des visions en jeûnant et en priant. De leur côté, les filles pouvaient entrer en contact avec le surnaturel pendant leur période de retraite solitaire (isnati) au moment de leurs menstruations. Par la suite, tous les individus sioux avaient la possibilité de solliciter directement les Esprits, au cours de rituels précis, quêtes des visions (hanbleceya), loge à transpirer (inipi), Danse du Soleil, pour résoudre leurs problèmes personnels et familiaux.

Ainsi […], selon les Esprits contactés et les pouvoirs par eux octroyés, s'opérait une hiérarchisation des visionnaires. Certains Sioux devenaient des ihanblapi, des rêveurs : ils rencontraient dans leur sommeil ou pendant un rêve éveillé des animaux wakan (wanbli oyate « la nation aigle », mato oyate « la nation ours », etc.) qui leur communiquaient des messages surnaturels. Grâce à ces alliés surnaturels (le loup, le coyote, le bison, le cerf à queue noire, le wapiti, etc.), les rêveurs acquéraient des talents particuliers qui leur permettaient d'accomplir des prouesses à la guerre, à la chasse, mais aussi en tant que danseur, musicien, et chanteur. De leur côté, les femmes lakota pouvaient devenir des spécialistes des broderies en piquants de porc-épic, des spécialistes du tannage et de la préparation des peaux. Certaines des rêveuses fabriquaient des charmes de protection pour la guerre destinés aux hommes ; certaines devenaient, grâce à leur vision, les détentrices de la fécondité et de la bonne moralité des tiyospahe (communautés) sioux.

Le contenu des messages surnaturels et les talents ainsi acquis augmentaient le prestige des rêveurs et leur donnaient la possibilité d'entrer dans les associations de rêveurs, telle hehaka ihanblapi kin, les rêveurs du wapiti, et dans les sociétés guerrières et policières qui regroupaient surtout les rêveurs du loup, du coyote et du chien. On peut dire que l'animal vu en rêve correspond en fait à l'Esprit de l'espèce.

Quant aux quelques Indiens qui échouaient dans leurs tentatives pour entrer en contact avec les Esprits, ils risquaient ainsi d'être voués au manque de pouvoir et donc de succès. En fait, il existait une solution, ceux qui avaient une nombreuse parentèle pouvaient acheter, grâce à la contribution financière de leurs parents, une partie du contenu du sac-médecine (wopiye) d'un visionnaire puissant.

Actuellement, les sociétés guerrières et les associations de rêveurs n'existent plus. Toutefois, des efforts sont entrepris depuis peu par quelques jeunes Sioux traditionalistes pour recréer certaines sociétés masculines, en grande partie à partir de documents ethnographiques, ce que les Sioux concernés ne veulent pas avouer pour le moment.

Par ailleurs, nous avons recueilli des témoignages montrant que des Sioux rencontrent toujours Deer Woman, sous la forme d'une très belle femme, très bien habillée, qui, nous l'avons montré, n'est autre qu'un des avatars d'Anog Ite, Femme au Double Visage, un des personnages centraux des mythes lakota. Si les femmes sioux choisissent les objets féminins que leur présente l'Esprit, elles deviendront des spécialistes en travaux féminins. Mais si elles décident d'imiter l'aspect femme fatale de Deer Woman, ces femmes deviendront des « femmes de mauvaise vie ». Par contre, si un jeune homme rencontre cette entité ambiguë, il peut tomber malade, voire en mourir, ou alors devenir un winkte, un homme-femme, un berdache selon la terminologie des spécialistes des Amérindiens.

Les Esprits pouvaient d'eux-mêmes décider d'entrer en contact avec des hommes et femmes lakota sans que ceux-ci aient cherché volontairement cette rencontre. Le plus souvent, il semble que les individus sioux ainsi contactés devenaient des voyants-guérisseurs, des wicasa wakan, des saints hommes. »

Danièle Vazeilles


de Danièle Vazeilles

Les symboles ethniques sont un lien puissant pour mieux rattacher une culture à son passé, mais aussi pour mieux se reconnaître dans les sociétés pluriethniques et multiculturelles que sont devenues les sociétés contemporaines.

Les Sioux sont un peuple de visionnaires acharnés : simples rêveurs, medecine-man, clowns-contraires, guerriers rêveurs du loup, chef de guerre, etc... On ne peut comprendre la situation contemporaine sans étudier le passé. Les sources écrites américaines sont analysées ici avec rigueur et souci méthodologique. Le travail de terrain et les témoignages recueillis par l'auteur montrent que pour les Lakotas contemporains, les rêves et les visions font encore partie de la vie quotidienne car ils sont porteurs de pouvoir ; les pensées sont formulées en des termes qui font intervenir les forces de la nature.

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