Dessin de Maurice Henry
(1907-1984), poète et ami d'André Breton.
L'attitude du surréalisme à l'égard
de la nature est commandée avant tout par la conception initiale
qu'il s'est faite de l' « image » poétique. On sait qu'il y a vu
le moyen d'obtenir, dans des conditions d'extrême détente bien
mieux que d'extrême concentration de l'esprit, certains traits de
feu reliant deux éléments de la réalité de catégories si
éloignées l'une de l'autre que la raison se refuserait à les
mettre en rapport et qu'il faut s'être défait momentanément de
tout esprit critique pour leur permettre de se confronter. Cet
extraordinaire gréement d'étincelles, dès l'instant où l'on en a
surpris le mode de génération et où l'on a pris conscience de ses
inépuisables ressources, mène l'esprit à se faire du monde et de
lui-même une représentation moins opaque. Il vérifie alors,
fragmentairement il est vrai, du moins par lui-même, que « tout ce
qui est en haut est comme ce qui est en bas » et tout ce qui est en
dedans comme ce qui est en dehors. Le monde, à partir de là,
s'offre à lui comme un cryptogramme qui ne demeure indéchiffrable
qu'autant que l'on n'est pas rompu à la gymnastique acrobatique
permettant à volonté de passer d'un agrès à l'autre. On
n'insistera jamais trop sur le fait que la métaphore, bénéficiant
de toute licence dans le surréalisme, laisse loin derrière elle
l'analogie (préfabriquée) qu'ont tenté de promouvoir en France
Charles Fourier et son disciple Alphonse Toussenel. Bien que toutes
deux tombent d'accord pour honorer le système des « correspondances
», il y a de l'une à l'autre la distance qui sépare le haut vol du
terre-à-terre. On comprendra qu'il ne s'agit point, dans un vain
esprit de progrès technique, d'accroître la vitesse et l'aisance de
déplacement mais bien, pour faire que les rapports qu'on veut
établit tirent véritablement à conséquence, de se rendre maître
de la seule électricité conductrice.
Sur le fond du problème, qui est des
rapports de l'esprit humain avec le monde sensoriel, le surréalisme
se rencontre ici avec des penseurs aussi différents que Louis-Claude
de Saint-Martin et Schopenhauer en ce sens qu'il estime comme eux que
nous devons « chercher à comprendre la nature d'après nous-mêmes
et non pas nous-mêmes d'après la nature ». Toutefois ceci ne
l'entraîne aucunement à partager l'opinion que l'homme jouit d'une
supériorité absolue sur tous les autres êtres, autrement dit que
le monde trouve en lui son achèvement — qui est bien le postulat
le plus injustifiable et le plus insigne abus à mettre au compte de
l'anthropomorphisme. Bien plutôt à cet égard sa position
rejoindrait celle de Gérard de Nerval telle qu'elle s'exprime dans
le fameux sonnet « Vers dorés ». Par apport aux autres êtres
dont, au fur et à mesure qu'il descend l'échelle qu'il s'est
construite, il est de moins en moins à même d'apprécier les vœux
et les souffrances, c'est seulement en toute humilité que l'homme
peut faire servir le peu qu'il sait de lui-même à la reconnaissance
de ce qui l'entoure. Pour cela, le grand moyen dont il dispose est
l'intuition poétique. Celle-ci, enfin débridée dans le
surréalisme, se veut non seulement assimilatrice de toutes les
formes connues mais hardiment créatrice de nouvelles formes — soit
en posture d'embrasser toutes les structures du monde, manifesté ou
non. Elle seule nous pourvoit du fil qui remet sur le chemin de la
Gnose, en tant que connaissance de la Réalité suprasensible, «
invisiblement visible dans un éternel mystère ».
André Breton « Manifestes
du surréalisme ».
A propos de l'état humain, Breton
précise : « On n'a rien dit de mieux ni de plus définitif que
René Guénon, dans son ouvrage « Les États multiples de
l'être » : il est absurde de croire « que l'état humain
occupe un rang privilégié dans l'ensemble de l'Existence
universelle, ou qu'il soit métaphysiquement distingué par rapport
aux autres états, par la possession d'une prérogative quelconque.
En réalité, cet état humain n'est qu'un état de manifestation
comme tous les autres, et parmi une indéfinité d'autres ; il se
situe, dans la hiérarchie des degrés de l'Existence, à la place
qui lui est assignée par sa nature même, c'est-à-dire par le
caractère limitatif des conditions qui le définissent, et cette
place ne lui confère ni supériorité ni infériorité absolue. Si
nous devons parfois envisager particulièrement cet état, c'est donc
uniquement parce que, étant celui dans lequel nous nous trouvons en
fait, il acquiert par là, pour nous, mais pour nous seulement, une
importance spéciale ; ce n'est là qu'un point de vue tout relatif
et contingent, celui des individus que nous sommes dans notre présent
mode de manifestation ». Par nous une telle opinion n'est,
d'ailleurs, nullement empruntée à Guénon, du fait qu'elle nous a
toujours paru ressortir au bon sens élémentaire (quand il serait
sur ce point la chose du monde la plus mal partagée). »