Le
livre du biologiste Michel Georget, « Vaccinations, la vérité
indésirable », éclaire de façon incontestable certaines
zones obscures de ce qui touche, en nous, l'essentiel : notre santé.
De nos
jours, en plus de l'odieux darwinisme social, les individus subissent
une sorte de sélection biologique imposée par les multinationales
qui détruisent la nature et empoissonnent nos cellules (industrie
agroalimentaire, laboratoires pharmaceutiques, centrales atomiques,
entre autres). Prochainement, seuls ceux qui disposeront de facultés
exceptionnelles de réparation de l'ADN pourront survivre. Les
responsables de cette situation œuvrent-ils à l'instauration d'un
ordre « contre-traditionnel » ? Cette expression de
René Guénon désigne le régime totalitaire qui à l'instar du
nazisme supplantera la république en déliquescence.
Dans
cette dictature, en raison de la perversité scientifique, la
sélection des travailleurs les plus résistants y sera pire que le
système esclavagiste qui a perduré jusqu'au milieu du 19e siècle.
Dans
l'ancien système prédominait une sorte de tri biologique « venant
s'ajouter à une série d'épreuves vitales imposées aux esclaves,
rappelle Grégoire Chamayou, à commencer par celle de la traversée
: soumettre tous les individus à l'assaut de la maladie, y compris
dans des conditions défavorables pour eux, afin de sélectionner les
plus résistants, et de conjurer le danger — économique — de
perdre des effectifs importants à l'improviste, lors d'une épidémie
imprévue.
Ici, on
n'est ni dans le modèle de l'assistance, ni dans celui du châtiment,
ni non plus dans le modèle biopolitique de la métropole. On a
affaire à une autre forme du pouvoir d'expérimenter, liée à
l'exercice d'une autre forme de
gouvernement. L'objectif n'est pas en effet ici de
maximiser la vie et la santé de la population servile en évitant
autant que possible les pertes. Le principe d'économie des vies
humaines ne s'applique pas dans la logique négrière, qui fonctionne
non pas sur un principe de conservation de la vie, mais de sélection
des vies les plus résistantes, un tri macabre qui suppose la mort
d'une grande partie de l'effectif. Dans cette logique de
sélection par la mort, mieux vaut surcharger par exemple les bateaux
négriers, quitte à sacrifier une partie de la cargaison humaine,
plutôt que chercher à faire diminuer le taux de mortalité à bord.
Seul compte le chiffre absolu de vies résistantes qui en
réchapperont : ayant franchi cette épreuve, elles pourront endurer
les conditions de travail sur les plantations. Le pouvoir négrier a
pour principe la sélection de la force de travail par l'exposition
constante à la mort. Il s'agit avant tout de sélectionner des
moyens de production, qui, par ailleurs, sont vivants.
Les
esclaves sont de l'ordre des non-personnes, des non-sujets de droit.
Biens meubles attachés au maître, leur existence sociale est prise
tout entière dans cette relation d'appartenance. Entre les maîtres
et les esclaves, point d'essence commune, puisque les uns sont des
personnes et les autres des choses. La modalité de la domination
implique, relation de propriété oblige, la chosification des
dominés. Chosification en un sens précis : ils sont des biens
aliénables et transférables, pouvant être détruits. Ni sujets, ni
patients, ni assistés, ce sont des biens, des objets de possession,
des instruments vivants sur lesquels s'exerce sans limite le pouvoir
du maître, y compris le pouvoir de les détruire.
Orlando
Patterson a analysé cette forme extrême de domination, en montrant
que l'esclave vivait dans un état de mort sociale.
Patterson rappelle notamment à l'appui de cette thèse que le droit
d'esclavage a été conçu historiquement comme un substitut à la
mort, et à la mort violente en particulier — toutes les situations
instituant l'esclavage étaient de celles dont il aurait normalement
résulté, socialement ou naturellement, la mort de l'individu.
Typiquement, dans le droit antique, l'esclavage se présentait comme
une alternative à la mise à mort de l'ennemi capturé à la guerre,
mais aussi à l'exécution d'un condamné. L'esclavage apparaît
alors de façon essentielle comme une « commutation conditionnelle »
d'une mise à mort indéfiniment suspendue, niais constamment
applicable. L'esclave se définir comme un être biologiquement
vivant mais socialement mort. »
Grégoire
Chamayou, Les corps vils.
Les
corps vils
Expérimenter
sur les êtres vivants aux XVIIIe siècle et XIXe siècle.
Ecoutez
Diderot justifier la vivisection des condamnés à mort, devenus
inhumains par leur déchéance civique. Écoutez Pasteur demander à
l'empereur du Brésil des corps de détenus pour expérimenter de
dangereux remèdes. Écoutez Koch préconiser l'internement des
indigènes auxquels il administrait des injections d'arsenic. "
On expérimente les remèdes sur des personnes de peu d'importance ",
disait Furetière en 1690 dans son Dictionnaire
universel.
Ce
sont les paralytiques, les orphelins, les bagnards, les prostituées,
les esclaves, les colonisés, les fous, les détenus, les internés,
les condamnés à mort, les " corps vils " qui ont
historiquement servi de matériau expérimental à la science
médicale moderne. Ce livre raconte cette histoire ignorée par les
historiens des sciences. À partir de la question centrale de
l'allocation sociale des risques (qui supporte en premier lieu les
périls de l'innovation ? qui en récolte les bénéfices ?), il
interroge le lien étroit qui s'est établi, dans une logique de
sacrifice des plus vulnérables, entre la pratique scientifique
moderne, le racisme, le mépris de classe et la dévalorisation de
vies qui ne vaudraient pas la peine d'être vécues. Comment, en même
temps que se formait la rationalité scientifique, a pu se développer
ce qu'il faut bien appeler des " rationalités abominables ",
chargées de justifier l'injustifiable ?
Cette
étude historique des technologies d'avilissement appelle ainsi à la
constitution d'une philosophie politique de la pratique scientifique.