Notre religion n'est pas à vendre !
par Mary Brave Bird-Crow
Dog
Partout aux États-Unis, et quelle que
soit leur tribu, les Indiens sont en colère parce que les Blancs
vendent nos cérémonies comme un passe-temps à la mode qui,
peut-être, leur permettra de trouver un sens à leurs vaines
existences. Notre religion est donc colportée et commercialisée par
de faux hommes-médecine qui s'attribuent des noms indiens
fantaisistes tels que Bison-qui-broute-sur-le-flanc-de-la-montagne,
Aigle-d'or-s'élevant-dans-le-ciel ou encore
Âme-libre-enveloppée-de-brume-matinale. Un gamin de dix ans vivant
sur la réserve de Rosebud ne s'y laisserait pas prendre, mais il y a
de quoi impressionner les crédules wasichus (blancs). À cause du
New Age, le nombre de ces prétendus hommes (ou femmes)-médecine est
en constante augmentation ; c'est un créneau qui peut rapporter
gros, d'autant que les Indiens sont à la mode. Après la
macrobiotique et le Zen, c'est au tour du « pauvre Indien en voie de
disparition » d'alimenter les conversations de salon.
Ainsi, une Blanche prétend posséder
des pouvoirs surnaturels que lui aurait transmis une femme-médecine
et organise d'importantes conférences où, pour plus de trois cents
dollars par personne, elle enseigne la sagesse et la spiritualité
indiennes. Imaginez l'argent que se fait cette femme ! Des individus
comme elle peuvent encaisser jusqu'à un million de dollars par an
en vendant notre religion.
Cette exploitation ne date pas d'hier.
Dans les années 1880 et 1890, de grosses compagnies patentées
lançaient sur le marché de fausses potions indiennes censées
guérir tous les maux. Je pense, entre autres, à la Great
Oregon Indian Medicine Company, dont « les clients se
comptaient par millions et les témoignages de reconnaissance par
milliers ».
La Kickapoo
Indian Medicine Company était la plus importante
d'entre elles et prônait l'usage de l'« huile de serpent kickapoo
», potion miraculeuse contre le ver solitaire, et de la fameuse
sagwa, remède à toutes les maladies humaines connues à ce
jour : « Existe-t-il quoi que ce soit qui puisse retarder, peut-être
de plusieurs années, ce dernier moment avant qu'une main décharnée
n'écrive votre nom sur le registre froid de la mort ? Eh bien, oui,
Mesdames et Messieurs ! Prenez de la SAGWA DES INDIENS KICKAPOOS.
C'est un remède infaillible. »
Cette compagnie avait installé des
villages indiens publicitaires composés de douzaines de wigwams
(tentes) où le public pouvait assister à la préparation du
breuvage magique. Ses représentants de commerce étaient tous
d'anciens éclaireurs renommés pour avoir combattu les Indiens et
qui, « par leur courage en temps de guerre avaient acquis un tel
ascendant sur l'Homme Rouge, qu'il leur avait bien volontiers cédé
toute autorité ». La plupart des « acteurs indiens » participant
au spectacle n'étaient pas kickapoos, certains étaient même
d'origine péruvienne. La réserve des Kickapoos, en fait désertée
et d'une extrême pauvreté, y était représentée comme un «
véritable jardin d’Éden habité par une race primitive,
bienveillante et noble, capable de sonder les secrets de la nature ».
Pendant des années, la sagwa et l'huile de serpent kickapoo ont fait
gagner des millions de dollars à cette compagnie. Aujourd'hui, la
situation n'est pas très différente de ce qu'elle était alors.
La religion indienne est au centre de
ma vie, elle représente le côté spirituel de mon être et fait
partie intégrante de mon héritage. Elle m'a aidé à survivre. D'où
ma colère lorsque je la vois profanée, exploitée, interprétée de
façon erronée, vendue et achetée. Ces imposteurs trahissent nos
croyances, falsifient nos traditions et donnent une représentation
caricaturale et grotesque de nos rituels. Pour préserver notre foi
de la souillure, on devrait interdire aux Blancs d'organiser des
cérémonies indiennes. Afin de les mettre à l'abri des regards
hébétés ou moqueurs, nous devrions également récupérer les
sacs-médecine et autres objets sacrés qui nous ont été dérobés
il y a des années et qui sont exposés aujourd'hui dans des musées
ou dans des collections privées.
Avant les années trente, nous avions
l'interdiction de prier dans notre langue et nos rites étaient
proscrits. D'après la législation en vigueur, nous pouvions être
emprisonnés pour avoir participé à l'inipi ; malgré cela, nos
croyances survivaient dans la clandestinité et, dans des endroits
cachés, loin du regard des missionnaires, notre peuple continuait à
« danser face au soleil ».
Mais la situation actuelle est bien
pire que toutes ces tentatives de destruction systématique. Les
Blancs avaient essayé en vain de tuer notre foi en proclamant d'un
ton triomphant la « Mort du Grand Esprit ». Mais, aujourd'hui, ils
atteindront peut-être leur objectif en vendant notre religion, la
pipe, la loge à sudation et en donnant au monde extérieur une
fausse image de nos coutumes. Bientôt, ils vont s'imaginer pouvoir
nous enseigner nos traditions et nous apprendre à utiliser le peyotl
; peut-être iront-ils jusqu'à affirmer qu'il est trop bon pour
nous, stupides primitifs, et qu'ils se l'accapareront pour faire du
profit en nous le revendant.
L'argent, encore l'argent, toujours
l'argent ! Il n'y a pas si longtemps, on pouvait aller dans un parc
national et se voir offrir gracieusement un crâne de bison pour nos
cérémonies. Aujourd'hui, il faut payer car, avec le New Age, c'est
devenu un objet de décoration recherché. Certains hommes-médecine
bidons, dont des Indiens, vont jusqu'à demander sept cent cinquante
dollars par personne pour un bain de vapeur, mille pour une quête de
vision et deux mille cinq cents pour, en un week-end, transformer un
Blanc crédule en homme-médecine lakota. D'autres vous déposeront
en haut d'une colline, pourvu d'une pipe tape-à-l'œil et d'une
plume d'aigle dans les cheveux et vous prendront jusqu'au dernier
centime, alors qu'un véritable homme-médecine ne vous fera jamais
rien payer. Nos cérémonies ne sont pas à vendre et,
malheureusement, tous ces gens qui aiment l'argent facile portent
atteinte à l'honneur de nos tribus.
Une fois, j'avais accepté de diriger
une cérémonie de sudation à Santa Fe, mais j'ai aussitôt fait
marche arrière lorsque l'on m'a demandé combien je prenais. Cette
ignorance souille nos traditions : un bain de vapeur est bien plus
qu'une simple expérience ; c'est un rite sacré qui nous relie au
Créateur. Nombreuses sont les situations aberrantes auxquelles nous
sommes confrontés si, à Los Angeles, vous pouvez prendre des cours
collectifs de « sexualité indienne sacrée » en échange de
plusieurs centaines de dollars, certains vont même jusqu'à utiliser
notre médecine pour retenir un amant ou en guise d'aphrodisiaque.
Ils veulent vivre de « véritables orgies indiennes ». Notre
religion est alors réduite à peu de chose et devient simple objet
d'échange.
Je me souviens également d'un film
européen présentant la Danse du Soleil à travers le regard malade
et enfiévré d'un Blanc : un seul danseur était suspendu à deux
crochets de boucher avec, en guise de cache-sexe, une simple feuille
de vigne. Je m'insurge contre ces profanations qui renvoient une
image fausse et déformée de notre cérémonie la plus sacrée. Il
n'y a là qu'exploitation par le biais du sexe et du sensationnel. Il
est urgent d'y mettre un terme !
De telles situations abondent à
travers le pays et chez nos voisins mexicains.
Ainsi, au Texas, une Blanche d'un
certain âge est l'exemple même de la façon dont les wasichus
s'immiscent dans notre médecine. Elle n'est que gentillesse et
sincérité mais le fait d'avoir assisté à certaines de nos
cérémonies lui est monté à la tête : elle s'imagine que Crow Dog
est son grand-père et qu'« il lui a transmis un don » ; elle
se croit donc habilitée à diriger des bains de vapeur, à emmener
des gens en haut de la colline pour une quête de vision et à
enseigner les coutumes lakotas. Avec cette éternelle rengaine : «
Réservez dès maintenant. Pour cent cinquante dollars, vous pourrez,
etc. Parking inclus. » Cette femme croit véritablement à ce
qu'elle fait ; elle a bon cœur et fait preuve de générosité à
notre égard. Mais il ne suffit pas d'avoir assisté à nos rituels
pour devenir femme-médecine ou même Indienne. Des gens bien
intentionnés peuvent nous faire autant de mal que nos adversaires
les plus acharnés. Ce n'est pas le fait de passer quelques jours sur
une réserve ou d'étudier nos traditions pendant quelques heures qui
autorise qui que ce soit à organiser des simili-rites sioux.
J'ai même un ami qui, ayant assisté
plusieurs fois à la Danse du Soleil, a soudain découvert son
attachement à nos valeurs spirituelles et, du jour au lendemain,
s'est mis à porter un nom indien. À croire que c'est une maladie
contagieuse. Sans parler de ce danseur de ballet originaire de Grèce
et du Proche-Orient qui se disait Indien et s'était doté d'un nom à
l'avenant : pendant un temps, les Blancs l'ont considéré comme le
grand porte-parole des tribus indiennes et il était devenu le chéri
des médias. Lorsqu'il a fini par être dénoncé, il a simplement
répondu aux journalistes qui l'interrogeaient : «Je suis indien
parce que je vous le dis ! »
Tous ces gens appartiennent à la tribu
des « Qui-Veulent-Être Indiens » et, souvent, ils font un mauvais
usage de nos objets sacrés alors que ceux-ci doivent intervenir de
façon très précise au cours de nos cérémonies.
L'hiver dernier, alors que je rendais
visite à des amis californiens, j'ai fait la connaissance d'une
femme blanche qui avait acheté une pipe lors d'un powwow (fête
traditionnelle) et voulait s'en servir. Elle avait déjà accompli
certains de nos rites mais souhaitait aller plus loin. J'ai eu
l'impression qu'elle n'avait plus toute sa tête et j'ai tenté de
lui expliquer combien il était important de connaître nos
traditions à la perfection avant de faire usage de la pipe. Je ne
voulais pas être agressive avec elle mais elle m'a fait une scène
et je me suis aperçue qu'elle ignorait tout de la signification de
cet objet sacré, le comparant à une espèce de cristal qui lui
servirait d'intermédiaire pour communiquer avec les esprits. Je lui
ai alors raconté l'origine de la pipe, ce qu'elle représentait à
nos yeux et lui ai conseillé d'assister aux cérémonies en simple
observatrice ; ainsi, en écoutant nos Anciens, elle apprendrait bien
mieux. Je lui ai proposé de confier sa pipe à l'un d'entre eux, à
qui elle pourrait parler lors de ses éventuelles visites et,
finalement, elle a accepté.
Depuis des générations, nous versons
sang, sueur et larmes pour défendre notre religion. Les Blancs
veulent la découvrir à leur façon, sans écouter ce que nous
pourrions avoir à leur dire.
Certains ont perdu leurs propres dieux
et leurs âmes se sont égarées ; ils ont du mal à affronter la
réalité et la mort et sont inquiets face à la dégradation de
leurs villes remplis de sans-abri et à l'effondrement de leurs
propres valeurs. Alors, devant toutes ces questions, ils attendent de
nous une réponse que nous ne pouvons leur donner et désirent que
nous remplissions le vide qui les habite.
J'aimerais dire à ces Blancs combien
il est dangereux de jouer avec nos cérémonies : leur ignorance
risque de leur faire du tort car les rites sacrés ont une force
extraordinaire. L'attitude de ces wasichus prédit la fin prochaine
de leur civilisation et je prie simplement pour que celle-ci ne nous
entraîne pas avec elle.
Mary Brave Bird-Crow Dog,
« Femme sioux envers et contre tout ».
Envers et contre tout
Un proverbe cheyenne
l'affirme : « Une nation n'est pas conquise tant que le cœur de ses
femmes n'est pas à terre ». Mary Brave Bird-Crow Dog nous en
apporte une nouvelle fois la preuve. Après la parution de Lakota
Woman qui fut saluée comme un événement d'importance aux
Etats-Unis, en France et dans le monde entier, Femme sioux envers
et contre tout nous donne, en effet, un bel exemple de
résistance. Résistance spirituelle, mais aussi résistance active
d'une Indienne et de son peuple face aux dangers qui menacent les
réserves dans l'Amérique d'aujourd'hui.
Reprenant le récit de sa
vie au moment des événements de Wounded Knee, Mary Brave Bird-Crovv
Dog raconte son militantisme au sein de l'American Indian Movement,
son action en faveur de la tradition et son combat en tant que femme,
mère et indienne. Elle retrace également la période de sa vie
partagée avec Leonard Crow Dog, homme-médecine et traditionaliste
lakota. Avec franchise, elle conte les jours heureux et les périodes
difficiles d'une existence mouvementée. Mais avant tout, c'est le
destin d'un peuple à la conquête de ses droits qu'elle nous dépeint
— et plus encore, les constantes difficultés des femmes indiennes
à se faire reconnaître. Par l'hommage qu'elle rend au courage et à
la volonté de celles-ci, par sa dignité et sa force de conviction
inébranlable, Mary Brave Bird-Crow Dog confirme qu'elle est porteuse
d'une voix unique et majeure dans la littérature indienne.