vendredi, novembre 30, 2012

La mondialisation





La mondialisation, aujourd'hui, c'est surtout la suppression des entraves au libre-échange et l'intégration des économies nationales grâce à l'action d'une série d'institutions conçues pour amener la croissance économique à tous. Cette mondialisation-là est la fille d'un libéralisme dogmatique. Ce que nous voulons, c'est une économie respectueuse. Ce libéralisme-là est obsédé par la croissance, on a vu les dégâts. Comme le dit Riccardo Petrella : « Le résultat de la mise en pratique des principes de la Sainte Trinité de la Libéralisation des marchés, de la Déréglementation et de la Privatisation de l'économie est très clair : partout on démantèle ou on réduit significativement le pouvoir d'orientation et de contrôle des acteurs publics, à commencer par les parlements, expression centrale de la représentation politique des citoyens en régime démocratique. Les parlements ne fixent plus l'ordre du jour et des priorités de leur pays. L'ordre du jour est fixé par les acteurs privés et en particulier par les marchés financiers mondiaux. » « Dès lors, le mot-clé est « adaptation ». Il faut — dit-on — s'adapter à la mondialisation. Ceux qui ne s'adaptent pas seront éliminés. D'où l'impératif de la compétitivité mondiale de tous contre tous. » « Cette conception se base sur l'idée selon laquelle le sens actuel de l'histoire des sociétés contemporaines est celui de l'évolution nécessaire, inexorable et inévitable vers la constitution d'un grand marché mondial unique, intégré, autorégulateur. »

Dans cette logique-là, on veut mettre l'État de côté et laisser faire les forces financières. Encore une erreur majeure. C'est vite oublier que le rôle de l'État, c'est préserver l'intérêt général alors que les financiers s'attachent logiquement à leur intérêt propre. C'est pourquoi on invoque très souvent les progrès technologiques ou la concurrence internationale pour expliquer et justifier les destructions des tissus économiques et sociaux de régions entières, l'abandon des villes, régions et pays qui ne parviennent pas à réaliser à temps et avec compétitivité la reconversion de leur économie en adaptation aux changements sur l'échiquier économique mondial.

La traduction essentielle de la mondialisation, c'est donc la mise en place d'un immense marché mondial.

La question « numéro un » est cela est-il bénéfique ou néfaste au bien-être durable ?
C'est néfaste, sauf des avantages à court terme pour des Asiatiques disciplinés.

Qui a décidé cette mondialisation ?
Les grandes entreprises dont le souci majeur n'est pas l'intérêt général, ce n'est pas leur fonction.

Peut-on faire autrement ?
Oui, c'est une question purement politique. En effet, le FMI (Fonds Monétaire International), la Banque Mondiale et l'OMC sont les maîtres d’œuvre de cette mondialisation. Pour qu'un pays obtienne un financement du FMI, il doit écouter ses « experts ». Le problème, c'est que ces « experts » sont obsédés par la croissance et le libre-échange. Même si tout n'est pas condamnable, il faut trier, réfléchir : la mondialisation n'améliore pas le sort de ceux qui ont le plus besoin des bienfaits qu'elle promet. Les Occidentaux estiment que les emplois mal payés chez Nike relèvent de l'exploitation mais, pour de nombreux habitants du monde en développement, travailler en usine vaut mieux que rester désœuvré. L'ouverture du marché jamaïcain aux exportations de lait des États-Unis, en 1992, a été néfaste pour les producteurs laitiers locaux, mais elle a permis aux enfants pauvres d'avoir du lait meilleur marché.

En 1997 et 1998, la crise asiatique a menacé l'ensemble de l'économie mondiale. La mondialisation et l'introduction d'une économie de marché n'ont pas produit les effets promis en Russie, ni dans la plupart des autres économies engagées dans la transition du communisme au marché. L'Occident avait dit à ces pays que le nouveau système économique allait leur apporter une opulence sans précédent. Il leur a apporté une pauvreté sans précédent. À bien des égards, et pour la grande majorité des habitants, l'économie de marché s'est révélée encore pire que leurs dirigeants communistes ne l'avaient prédit. On ne saurait concevoir plus frappant contraste qu'entre la transition de la Russie, mise en œuvre par les institutions économiques internationales, et celle de la Chine, conçue par elle-même. En 1990, le PIB de la Chine représentait 60 % de celui de la Russie. Dix ans plus tard, c'est l'inverse, comme le démontre Stiglitz dans La Grande Désillusion. La pauvreté a augmenté en Russie, diminué en Chine. Si les bienfaits de la mondialisation ont été moindres que ne l'affirment ses partisans, le prix à payer a été lourd : l'environnement a été saboté, la corruption a gangrené la vie politique et la rapidité du changement n'a pas laissé aux pays le temps de s'adapter culturellement. Les crises, qui ont apporté dans leur sillage le chômage de masse, ont légué des problèmes durables de dissolution sociale — de la violence urbaine en Amérique latine aux conflits ethniques dans d'autres régions du monde comme l'Indonésie. On a créé le FMI parce qu'on estimait nécessaire une action collective au niveau mondial pour la stabilité économique. Le FMI est une institution publique, qui fonctionne avec l'argent que versent les contribuables du monde entier. Les grands pays développés mènent le bal, et un seul, les États-Unis, a un droit de veto effectif. Un demi-siècle après sa fondation, il est clair que le FMI a échoué dans sa mission. Le FMI a échoué dans sa mission initiale, promouvoir la stabilité mondiale. La plupart des pays industriels avancés ont édifié leur économie en protégeant judicieusement et sélectivement certaines de ses branches, jusqu'au moment où elles ont été assez fortes pour soutenir la concurrence étrangère. Concernant les contrôles sur les flux de capitaux, les pays européens ont interdit leur libre circulation jusqu'aux années soixante-dix. On pourrait dire qu'il est injuste d'exiger des pays en développement, dont le système bancaire fonctionne à peine, qu'ils se risquent à ouvrir leurs marchés financiers. Quand les institutions financières mondiales entrent dans un pays, elles peuvent écraser la concurrence intérieure. Elles seront plus généreuses quand il s'agira de consentir des prêts aux multinationales que pour faire crédit aux petites entreprises et aux agriculteurs locaux. La libéralisation des marchés des capitaux a mis les pays en développement à la merci des impulsions rationnelles et irrationnelles de la communauté des investisseurs, de leurs euphories et abattements irraisonnés. Keynes était tout à fait conscient de ces changements d'humeur qui semblent sans fondement. Nulle part ces errements n'ont été plus clairement à l'œuvre qu'en Asie. Peu avant la crise, le taux d'intérêt des bons d'État thaïlandais ne dépassait que de 0,85 % celui des bons les plus sûrs du monde : on les considérait donc comme extrêmement sûrs. Le FMI pèse lourd sur les questions de développement. Les pays en développement affrontent, à bien des égards, des difficultés beaucoup plus graves que les pays développés. C'est que, dans les premiers, les marchés font souvent défaut ; trop souvent, malheureusement, la formation des macroéconomistes ne les prépare guère aux problèmes qu'ils vont rencontrer dans les pays en développement. Les éléments extérieurs peuvent être utiles s'ils font connaître les expériences d'autres pays et proposent plusieurs interprétations possibles des forces économiques à l'œuvre. Mais le FMI voulait la place centrale dans la détermination de la politique. Et il pouvait l'occuper parce que sa position était fondée sur une idéologie — le fanatisme du marché — qui s'intéresse fort peu, voire pas du tout, aux situations et aux problèmes réels. Les économistes du FMI peuvent ignorer les effets immédiats de leurs mesures sur un pays : ils se contentent de se déclarer convaincus qu'à long terme il sera en meilleure posture. Pourtant, les plans et mesures ne peuvent être imposés, ils ne réussiront que si les pays se les approprient ; élaborer un consensus est essentiel ; les politiques et stratégies de développement doivent être adaptées à la situation du pays.

En Côte d'Ivoire, le service téléphonique a été privatisé. Une société privée a procédé à des hausses de tarifs d'une ampleur telle que, par exemple, les étudiants du supérieur ne pouvaient s'offrir la connexion à Internet, essentielle si l'on veut empêcher que l'écart, déjà énorme, dans l'accès au monde numérique entre les riches et les pauvres ne s'accroisse encore davantage. Le FMI soutient que le plus important, c'est de privatiser vite. Les problèmes de concurrence et de réglementation se régleraient ensuite. Le problème, c'est que, une fois que l'on a créé un intérêt privé, il a la motivation et les moyens financiers de maintenir sa position de monopole en étouffant réglementation et concurrence tout en semant au passage la corruption dans le milieu politique.

Les pays en développement qui ont le mieux réussi en termes de croissance, ceux d'Asie, se sont ouverts au monde extérieur, mais progressivement. Ils ont profité de la mondialisation pour augmenter leurs exportations, et leur économie en a bénéficié. Mais ils n'ont levé leurs barrières protectionnistes qu'avec précaution et méthode : seulement après avoir créé de nouveaux emplois. Ces États ont fait en sorte qu'il y ait des capitaux disponibles pour de nouvelles créations d'emplois et d'entreprises ; et ils ont même joué un rôle d'entrepreneur en lançant de nouvelles firmes. La Chine commence seulement à lever ses entraves au commerce, vingt ans après avoir entamé sa marche vers le marché — période où son développement a été très soutenu. C'est parce que la libéralisation du commerce a si souvent déçu — par la montée du chômage par exemple — qu'elle suscite une telle opposition.

Le système du marché exige des droits de propriété clairement établis et des tribunaux pour les faire respecter. Ce système suppose la concurrence et l'information parfaites, mais ce n'est pas le cas. Le « droit » est rare. Réformer sur un point sans réforme d'accompagnement sur les autres, risque en fait d'aggraver la situation. C'est un problème de calendrier. L'idéologie ignore ces questions, car elle veut passer le plus vite possible à l'économie de marché. Manifestement, la croissance n'améliore pas la vie de tout le monde. Quelques cas de développement réussi ont été précédés d'une réforme agraire — en Corée du Sud et à Taïwan par exemple. Réalisée correctement — en veillant à ce que les travailleurs n'obtiennent pas seulement la terre, mais aussi l'accès au crédit et à des services rapprochés de vulgarisation agricole qui leur enseignent l'usage des nouvelles semences et techniques de plantation, la réforme agraire pourrait être déterminante. Mais elle constitue un changement radical dans la structure de la société, et ce bouleversement ne plaît pas forcément à une certaine « élite ». Le débat croissance/pauvreté est une question de stratégie de développement. Il faut comprendre les causes et la nature de la pauvreté. Beaucoup sont prisonniers d'une série de cercles vicieux. Les problèmes d'alimentation entraînent des problèmes de santé qui diminuent les possibilités de gagner de l'argent, ce qui dégrade encore plus leur santé. Ayant à peine de quoi survivre, ils ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l'école, et ceux-ci, sans éducation, sont contraints à une vie misérable. La pauvreté se transmet d'une génération à l'autre. Les paysans pauvres ne peuvent pas s'offrir les engrais et les semences qui augmenteraient leur productivité. Ce n'est que l'un des nombreux cercles vicieux auxquels sont confrontés les pauvres. Partha Dasgupta, de l'université de Cambridge, en signale un autre. Dans des pays déshérités comme le Népal, ils n'ont souvent d'autre source d'énergie que les forêts voisines. Mais quand ils déboisent pour se chauffer et cuire les aliments, cela provoque l'érosion des sols, et cette dégradation de l'environnement les condamne à une existence toujours plus pénible. Si les habitants des pays développés s'alarment des insuffisances de l'assurance-maladie, ceux des pays en développement n'ont aucune assurance — ni chômage, ni maladie, ni retraite.

Depuis Keynes, il existe un « protocole », dirait votre médecin, pour un pays confronté à une grave récession économique : l'État doit stimuler la demande globale soit par la politique monétaire, soit par la politique budgétaire : réduire les impôts et accroître les dépenses, ou détendre la politique monétaire.

Cette politique économique est logique si on part du principe que la croissance est indispensable au bien-être et qu'elle est possible indéfiniment. Le problème n° 1, c'est que ces deux postulats sont faux ; le problème n° 2, c'est que les maîtres de la planète veulent que l'organisation mondiale repose là-dessus, le problème n° 3, c'est que ces maîtres du monde sont riches à titre individuel lorsqu'ils sont décideurs, mais leurs pays sont au bord de la banqueroute. Et, lorsqu'il n'y a plus d'avoine, les chevaux qui ont faim se battent. Les forts finissent par manger, les faibles crèvent. Est-ce une évolution juste du genre humain ? Les expériences communistes des pays de l'Est ou de Cuba démontrent que leur système est incompatible avec la réalité et qu'il se maintient au prix de la liberté. Mais les expériences libérales occidentales démontrent aussi des tares inacceptables où l'intérêt personnel sabote l'intérêt général et le long terme.

La mondialisation doit s'effectuer dans le cadre d'une économie respectueuse où l'État, garant de l'intérêt général, est fort. N'en déplaise aux ultra-libéraux. Mais la Russie, qui aura donc expérimenté en un siècle communisme forcené et libéralisme borné, prouve qu'un État fort est dangereux s'il est corrompu (par l'argent et/ou la soif de pouvoir) et/ou incompétent. Si la Russie n'était pas truffée de matières premières, la faillite serait inévitable. Elle a considérablement augmenté le nombre de pauvres, fait la fortune d'un tout petit nombre, et a ravagé les classes moyennes.

Les moyens de communication, de transport, rendent inévitable une certaine mondialisation et c'est bien car le monde est notre village. C'est bien car les différences sont enrichissantes.

Qu'il s'agisse du peuple français ou du peuple congolais, il doit assurer son rôle de contre-pouvoir par rapport à son gouvernement. Aujourd'hui, l'ignorance règne. Les résultats électoraux l'attestent. Dans certains pays, l'action du FMI est déterminante : en Russie, son opération de sauvetage de 1998 a été dictée par le souci de maintenir Boris Eltsine au pouvoir. Les décisions du FMI clans ce domaine ont été inextricablement liées aux jugements politiques de l'administration Clinton.

La mondialisation telle qu'elle est pratiquée est néfaste pour les pauvres du monde, pour l'environnement, pour la stabilité de l'économie mondiale. La transition du communisme à l'économie de marché a été si mal gérée que partout, sauf en Chine et dans quelques rares pays d'Europe de l'Est, la pauvreté est montée en flèche. Pour certains, la solution est simple : abandonnons la mondialisation. Ce n'est ni possible ni souhaitable. La mondialisation a apporté aussi des bienfaits. C'est sur elle que l'Asie orientale a fondé son décollage, notamment sur les échanges commerciaux et le meilleur accès aux marchés et aux technologies. C'est elle qui a permis certains progrès en matière de santé (chirurgie), et qui contribue à l'émergence d'une société civile mondiale dynamique luttant pour plus de démocratie et de justice sociale. Le problème n'est pas la mondialisation. C'est la façon dont on l'a pervertie. En particulier par les institutions économiques internationales, le FMI, la Banque mondiale et l'OMC. Elles agissent trop souvent en fonction des intérêts des pays industriels avancés — et d'intérêts privés en leur sein — et non de ceux du monde en développement. Mais la question n'est pas seulement qu'elles ont servi ces intérêts : trop souvent, elles ont eu de la mondialisation une vision étriquée, due à une idée dogmatique de l'économie et de la société. Laurence Benhamou auteure du Grand bazar mondial montre que le système ainsi perverti est absurde.

Le problème est dans les esprits, pas seulement dans les institutions. Prendre soin de l'environnement, faire en sorte que les pauvres puissent dire leur mot dans les décisions qui les touchent, promouvoir la démocratie et le commerce équitable : tout cela est nécessaire pour permettre les bienfaits potentiels de la mondialisation. Mais les institutions reflètent l'état d'esprit de leurs dirigeants. Le gouverneur de banque centrale s'inquiète des statistiques de l'inflation, et non de celles de la pauvreté. Le ministre du Commerce, des chiffres des exportations, pas des indices de pollution.

Jean Marc Governatori, Vivre c'est possible.



Vivre c'est possible.

Changer le monde, changer sa vie, c'est possible sans révolution. L'auteur dresse l'état des lieux de notre planète et crée une véritable "dynamique de l'espoir" nourrie de solutions concrètes.

L'auteur exprime une vision novatrice et crédible sur l'éducation, l'emploi, la santé, la justice, la protection de l'écosystème et de l'animal... Respect et responsabilité sont père et mère du "bien-être durable", idéal cher à Jean Marc Governatori. Ce défi pour une nouvelle société, dégagée de l'obsession "croissantielle", s'inscrit dans le sillon d'une Europe qui deviendra exemplaire pour les autres pays. Perpétuer les clivages entre la droite et la gauche, l'écologie et l'économie, la femme et l'homme, le fonctionnaire et le non fonctionnaire, l'entreprenant et le non entreprenant est suicidaire. Opposer les pays, les religions, aussi.

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