La
personnalité du professeur Choron, « a marqué son temps d'une
indélébile empreinte, nul historien sérieux ne le contestera, en
tout cas pas devant moi et pas s'il est tout seul », écrit
Cavanna . […] « Il n'avait pas six ans quand son sublime
Traité des surfaces poisseuses lui valut d'enthousiasme la
chaire de mathématiques pathologiques à la Sorbonne. L'année
suivante, le prix Nobel de la Guerre Froide couronna son désormais classique De l'attentat à la pudeur considéré comme une science exacte.
Se succédèrent alors une série de chefs-d'œuvre dont nous ne
citerons que ceux-ci, dont l'influence sur la marche triomphale de
l'humanité vers les lendemains où l'on rase gratis fut décisive :
Du rôle de la clef anglaise numéro huit emmaillotée de
chatterton dans la répartition équitable des richesses.
Augmentez vos revenus sans sortir de chez vous par l'élevage des
escargots comestibles dans le tiroir de votre table de nuit. Dieu
existe, je me le suis fait dans une pissotière. Atlas des
maladies répugnantes (en couleurs). Abrégeons... »
(Cavanna)
Sans
le génial professeur Choron, serait-il possible de comprendre la
pensée d'Élisée Reclus qui, dans une lettre adressée à Jean
Grave et insérée dans Le Révolté du 11 octobre
1885, déclare : « voter,
c'est abdiquer » ?
« Compagnons,
écrit Élisée Reclus,
Vous
demandez à un homme de bonne volonté, qui n'est ni votant ni
candidat, de vous exposer quelles sont ses idées sur l'exercice du
droit de suffrage.
Le
délai que vous m'accordez est bien court, mais ayant, au sujet du
vote électoral, des convictions bien nettes, ce que j'ai à vous
dire peut se formuler en quelques mots.
Voter,
c'est abdiquer ;
nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue,
c'est renoncer à sa propre souveraineté. Qu'il devienne monarque
absolu, prince constitutionnel ou simplement mandataire muni d'une
petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône ou au
fauteuil sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui sont
au-dessus des lois, puisqu'ils se chargent de les rédiger et que
leur mission est de vous faire obéir.
Voter,
c'est être dupe ; c'est croire que des hommes comme vous
acquerront soudain, au tintement d'une sonnette, la vertu de tout
savoir et de tout comprendre. Vos mandataires ayant à légiférer
sur toutes choses, des allumettes aux vaisseaux de guerre, de
l'échenillage des arbres à l'extermination des peuplades rouges ou
noires, il vous semble que leur intelligence grandisse en raison même
de l'immensité de la tâche. L'histoire vous enseigne que le
contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlotage a
toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité
prévaut fatalement.
Voter
c'est évoquer la trahison. Sans doute, les votants croient à
l'honnêteté de ceux auxquels ils accordent leurs suffrages
— et peut-être ont-il raison le premier jour, quand les
candidats sont encore dans la ferveur du premier amour. Mais chaque
jour a son lendemain. Dès que le milieu change, l'homme change avec
lui. Aujourd'hui, le candidat s'incline devant vous, et peut-être
trop bas ; demain, il se redressera et peut-être trop haut. Il
mendiait les votes, il vous donnera des ordres. L'ouvrier, devenu
contre-maître, peut-il rester ce qu'il était avant d'avoir obtenu
la faveur du patron ? Le fougueux démocrate n'apprend-il pas à
courber l'échine quand le banquier daigne l'inviter à son bureau,
quand les valets des rois lui font l'honneur de l'entretenir dans les
antichambres ? L'atmosphère de ces corps législatifs est
malsain à respirer, vous envoyez vos mandataires dans un milieu de
corruption ; ne vous étonnez pas s'ils en sortent corrompus.
N'abdiquez
donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément
incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de
confier vos intérêts à d'autres, défendez-les vous-mêmes ;
au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d'action futur,
agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon
vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite,
c'est manquer de vaillance.
Je
vous salue de tout cœur, compagnons »
Sous
forme ludique, dans son magistral Les jeux de con du professeur
Choron, le génial exégète révèle la signification de
« Voter, c'est
abdiquer » :
Un
jeu pour jouer avec le suffrage universel
Procurez-vous,
chez un apiculteur, une bonne vingtaine d'abeilles bien vivantes,
enfermez-les dans une petite boîte en fer, percez quelques trous
dans le couvercle et rangez le tout dans votre poche. Allez jusqu'à
votre mairie en courant de façon à bien secouer les abeilles. Cela
les rendra méchantes. Dès que vous êtes dans la mairie, agissez
exactement comme pour aller voter. Toutefois, pendant votre passage
dans l'isoloir, vous prenez l'enveloppe contenant votre bulletin de
vote et vous videz dedans toutes les abeilles de la boîte. Vite,
vous cachetez. Déchirez alors un coin de l'enveloppe, bouchez
l'ouverture que vous venez de faire en pinçant tout simplement les
deux bords entre le pouce et l'index. En maintenant ainsi
l'enveloppe, vous allez la déposer dans l'urne.
Attendez
que l'on vous dise « A voté » et partez sans vous retourner.
Arrêtez-vous quand même à la porte de la salle commune pour
regarder. La première abeille qui sortira de l'urne va causer une
certaine surprise, mais dès que toutes les autres vont montrer leurs
têtes et se mettre à virevolter, la panique deviendra générale.
Quand tout le monde se sera sauvé, prenez quand même le risque
d'aller voler l'urne, des fois que les abeilles auraient eu le temps
d'y faire un peu de miel...
Professeur
Choron