vendredi, octobre 19, 2012

Coluche & le Coluchisme





Représentation unique au Gymnase. Le 30 octobre 1980, Coluche donne une « matinée » exceptionnelle, pour un parterre choisi. Il vient de s'asseoir derrière un guéridon posé sur le devant de la scène. Il porte sa salopette, mais pas le nez rouge. Il a ajouté à sa tenue une chemise à carreaux jaunes et noirs, un foulard et des mocassins jaunes. Coluche est en civil.

Il ne propose pas non plus son spectacle habituel. Ce qu'il a à dire aux journalistes, aux équipes de télévision qui occupent les premiers rangs, tient en peu de mots. Il est officiellement candidat à l'élection présidentielle. Il vient « semer la merde ». Précipiter sa « plaisanterie à caractère social » dans le débat national. (...)

A partir de la mi-octobre, la presse a publié les premières déclarations de Coluche. Trop caricaturales encore pour être tout à fait crédibles. « Les hommes politiques, c'est quatre mousquetaires des cinq doigts de la main : un pour tous, tous pourris ! » Le 29 octobre, Cavanna a fait paraître dans Charlie un entretien dans lequel le futur candidat expose ses motivations. « Je me présente pour tous ceux, affirme-t-il, qui subissent la politique, qui bossent toute leur vie, sont exploités jusqu'à la moelle, et n'ont que le droit de regarder de loin comment ça se passe (...). » Son programme ? « Faire un bras d'honneur à tous, aux malfrats de la droite, aux rigolos de la gauche. » Pour l'avoir trop attendue, il en veut d'ailleurs plus à la gauche qu'à la droite. Cavanna s'inquiète qu'on puisse détecter dans la croisade coluchienne des relents poujadistes. Coluche ignore toujours le sens de ce mot, et apprend l'existence, à cette occasion, de Pierre Poujade, parti en guerre, en 1956, contre l'impôt et l’État, avec, précise Cavanna, « un paquet de petits commerçants et de vieux fachos ». Leurs deux noms seront souvent réunis, dans les semaines à venir. Celui du gosse de Montrouge et celui du papetier de Saint-Céré.

« J'en ai rien à foutre, répond Coluche, j'étais pas né. J'ai pas besoin de Poujade pour savoir qu'en France, on ne demande qu'à bosser, mais (...) qu'on en a marre de payer des impôts pour nourrir des flics qui nous regardent comme si on était des étrons de chien et qui nous tapent sur la gueule. » Suit un rêve étrange : « Un flic, ça devrait être un pote qui te ramène à la maison quand il te trouve bourré dans la rue. (...) On devrait se dire : chouette, voilà le gars (...) qui va me dépanner, qui va me sourire et sécher mes larmes. Un flic, ça devrait être la Providence. » Cavanna opine, quand même dubitatif.

Coluche réaffirme qu'il s'adresse aux abstentionnistes, aux non-inscrits, aux mal-aimés du système électoral et social. Il devrait réaliser un score supérieur à 2 %. Au second tour, il conseillera à ses électeurs « d'aller tirer un coup ou d'aller à la pêche ». Il ne se désistera pas. Pas même pour le candidat socialiste. Cavanna s'inquiète encore : ne dit-on pas que cette candidature de la dérision serait « un moyen de diversion, un pipe-voix manipulé en sous-main » ? « Leurs magouilles, rien à foutre, tonne le candidat. Mon seul objectif : leur fourrer le doigt dans le cul à tous ! »

C'est encore un peu court. En dernière page de son numéro, Charlie publie l'appel solennel du candidat. Un « avis à la population », sur fond jaune, encadré de tricolore. « J'appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les tau-lards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s'inscrire dans leur mairie et à colporter la nouvelle. Tous ensemble pour leur foutre au cul avec Coluche ! » Un peu juste, toujours. Plusieurs journaux ont donné l'information, mais cette déclaration tonitruante et très libertaire fait, pour quelques heures encore, figure de blague.

Juste pour quelques heures, car le jeudi 30 octobre 1980, vers 15 heures, Coluche provoque le brusque réveil de la campagne électorale. Il est arrivé dans sa Buick 1956 — l'année du poujadisme — rouge et blanc. Paul Lederman a réuni la presse, des journalistes incongrus au théâtre : les spécialistes de la politique. Chez lui, sur sa scène, l'artiste s'est assis derrière le guéridon qui supporte quelques notes. « Je sais ce que vous voulez savoir: c'est sérieux ou c'est pour rigoler ? Aura ou aura pas les cinq cents signatures ? » Dès son entrée, Coluche fait rire la plus difficile des salles. En coulisses, Paul se frotte les mains. Ça prend !

« Je m'adresse à ceux qui ont voté à gauche pendant trente ans pour rien (...) Je m'adresse aussi à ceux qui ont voté à droite pendant trente ans pour rien non plus. Vous en connaissez, des promesses tenues ? » Il se présente pour « rappeler qu'on existe aux marchands d'espoir et de courants d'air ». Il invite à peu près tous les exclus à le rejoindre. Il sera le candidat « des faiseurs de patins à roulettes, des pédés, des nègres, des vieux qui ont une retraite de merde, des chômeurs qui sont un million et demi, des crasseux, des chevelus, des consommateurs de politique, ceux qui la subissent et pour qui on ne fait rien ». Comme prévu, Coluche brasse au plus large, à gauche, et à droite, loin derrière les partis de gauche et ceux de droite. Effectivement néo-libertaire et populiste, démagogue et généreux. Il renvoie, ce jour-là, tous les camps dos à dos. (...)

La plupart des commentateurs profitent du coup d'éclat de Coluche pour critiquer l'usure des institutions elles-mêmes, la rigidité de ce système présidentiel qui exclut de plus en plus de citoyens, les condamnant à des « candidatures de fantaisie ». Ces dernières sont déjà près d'une trentaine, dûment déclarées, dont celles de Michel Debré et de Marie-France Garaud. Aucune n'a soulevé le moindre intérêt. Le « coluchisme » naît, spontanément, parce que, comme le notera L'Express, « Coluche doit avoir une tête de symptôme ». Il a pointé son gros doigt sur la première tare de la démocratie formelle : son cynisme mathématique. (...)

Comme il est plus représentatif, plus percutant que l'ensemble des « petits candidats » réunis, Coluche sert de pôle à une analyse sans complaisance pour cette Ve République apparemment exsangue. Tous les titres, quelle que soit leur tendance, y vont de leurs éditoriaux. « L'exécutif règne sans partage, écrit Edmond Bergheaud dans Le Figaro. Si bien que le citoyen moyen estime n'avoir d'autre moyen de contester l'omnipotence du pouvoir que de rechercher d'autres intermédiaires, quitte à tomber sur un Coluche. » Dominique Jamet, dans Le Quotidien de Paris : «Malheur aux petits partis en voie de constitution ou d'extinction ! Malheur aux pauvres ! Malheur aux individus ! Est désormais décrété marginal dans la vie politique tout ce qui n'appartient pas aux grandes formations. Tout a été délibérément, froidement, cyniquement organisé pour assurer la perpétuation de la bande des quatre .» (...)

Les experts en communication politique assurent désormais que Coluche, malgré l'intervention du C.I.C. (le Centre d'Intervention Civique hostile à la candidature de Coluche), et les inévitables pressions préfectorales, n'aura aucun mal à recueillir ses cinq cents signatures. D'autant qu'il a été rejoint, dès le début du mois de novembre, par une poignée d'intellectuels et que cela fait aussi quelque bruit dans Landerneau. Maurice Najman a ramené, un soir, rue Gazan, Félix Guattari, l'homme de l'antipsychiatrie, l'auteur, avec Gilles Deleuze, de L'Anti-Œdipe. Le philosophe de l'après-68, sympathisant des « autonomes » italiens jusqu'à l'assassinat d'Aldo Moro, favorable à la dépénalisation du haschisch, trouve immédiatement, à travers Coluche, l'exutoire de ses dernières désillusions politiques. En adhérant spontanément à un phénomène confus, que Coluche croit être encore une plaisanterie, l'intellectuel ne peut s'empêcher de parer cette campagne au nez rouge d'une dimension dialectique.

« Dans ce que j'appelle la révolution moléculaire, explique-t-il, les luttes de désir, comme on voudra, les gens ne se séparent pas forcément en droite et gauche. Les chauffeurs de taxi, le bistrot sont pour Coluche? Le degré zéro du politique n'est pas forcément stupide. Il révèle quelque chose. Déjà, du temps de la gauche prolétarienne, au début des années soixante-dix, les petits commerçants et les révolutionnaires s'étaient retrouvés. Coluche est un homme de média, un professionnel. A côté de lui, Marchais et Mitterrand sont des amateurs. Ce mouvement un peu populiste, il vaut mieux le voir à gauche qu'à droite. Autrement, c'est le fascisme. Aider Coluche, c'est ce qu'on peut faire de moins con. » Les copains de Coluche comprennent de ce raisonnement un peu hautain que le psychanalyste se dévoue pour faire contrepoids à Gérard Nicoud. Renvoyer le plateau de la balance à gauche. Ils sont plutôt pour. Coluche n'a rien à y redire : il est, comme il le répète, « une boîte vide », et la remplit à peu près qui le souhaite. Mais sa première rencontre avec l'intellectuel laissera quelques souvenirs amusés, rue Gazan. « Je pige pas tout ce que tu dis, a répondu Coluche, mais je suis d'accord. Amène tes potes. »

Félix Guattari amène ses potes. Gilles Deleuze, bien sûr, mais aussi le sociologue Pierre Bourdieu, les universitaires Gérard Soulier et Jean Chesneaux ; Maurice Nadeau, Jean-Pierre Faye. Un soir, Yves Lemoine, membre du syndicat de la magistrature, vient dîner lui aussi. « Je n'en reviens pas, lâche Coluche, un juge... qui condamne. » Le juge se lance dans un beau discours : « Coluche, comme d'autres, a vocation de représenter le pays. Tout le problème avec sa candidature est de savoir si le pays réel l'emportera ou non sur le pays légal tel qu'on le trouve notamment dans la réglementation qui préside à l'élection du président de la République .» Les copains, à table, se regardent. Coluche devrait s'énerver, ou pousser son fameux « cri du cochon ». Or, le candidat ne bronche pas. Il opine, gravement, de la tête. Pour l'ironie, il sera toujours temps. Il a décidé de respecter tous ceux qui viennent à lui. Mais les plissements de son front laissent deviner un gros rire intérieur.

Il est aussi flatté, au fond. Lui, l'exclu du certif, le théoricien de l'anticulture, reçoit à sa table le Gotha de l'intelligentsia parisienne. Il vient de s'offrir des conseillers bardés de diplômes, des auteurs de livres qu'il ne lira jamais. Ces déçus des utopies refont, rue Gazan, la révolution, pour se consoler de la défection de Michel Rocard, de l'agonie du P.S.U., de leur jeunesse perdue. Il faut fédérer les comités, assurent.ils, lancer un journal, organiser un gala au Larzac. Pourquoi ne pas servir, clés en main, à Coluche un groupuscule néo-gauchiste ? Celui-ci refrène leur fougue d'adolescents retrouvée.

Philippe Boggio, Coluche.


C'est l'histoire d'un môme né en 1944. Déjà, en classe, il fait rire les copains parce qu'il tient tête à l'instituteur.
Ensuite, c'est l'histoire d'un mec qui tire sur tout ce qui dépasse, bouscule les tabous, ridiculise les bourgeois, les beaufs et les princes.
C'est, aussi, l'histoire d'un acteur qui nous fait pleurer avec Tchao Pantin. Bouleversant de vérité, il offre au personnage de Lambert sa propre fragilité, sa souffrance de la drogue et de l'alcool.
C'est, enfin, l'histoire d'un homme qui luttera sans relâche contre l'intolérance et la bêtise. Avec la plus efficace des armes : la dérision. Et parce qu'il n'oublie pas qu'il a connu la dèche, il se lance dans la plus généreuse des aventures : les Restos du Cœur...
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