samedi, septembre 22, 2012

Laïcité intégrale & identité nationale





Dans un contexte de tensions suscitées par Innocence of Muslim, le film anti-islam, et les caricatures de Charlie-Hebdo, Marine Le Pen a fait une rentrée fracassante la veille du lancement de l'université d'été du Front National à La Baule (Loire-Atlantique).

Dans un entretien au journal Le Monde publié vendredi, la présidente du FN a réclamé l'interdiction du port du voile et de la kippa dans les espaces publics « dans les magasins, les transports, la rue ». Au pouvoir, Marine Le Pen assure qu'elle prendrait des mesures pour un respect strict de la loi de 1905, pas de financement des lieux de culte, « plus de prières de rue, plus de spécificités alimentaires dans les écoles publiques », casher ou hallal. Marine Le Pen annonce également qu'elle modifierait la Constitution pour y écrire que « la République ne reconnaît aucune communauté » (http://www.rewmi.com). 

La « laïcité intégrale » de Marine Le Pen fait dire à l'historien et sociologue de la laïcité Jean Baubérot : « C'est aller vers une société totalitaire qui dicte aux gens une manière de s'habiller dans la rue et là, il n'y a plus de limite ». 

Mais, c'est le calcul politique de Marine Le Pen (18 % des suffrages à la présidentielle de 2012), la peur du fanatisme musulman renforcera l'identité nationale, le cheval de bataille du FN.

L'identité française et le FN

par Gérard Noiriel

Entre 1981 et 1984, le parti socialiste au pouvoir abandonne la référence à la lutte des classes au profit d'une stratégie centrée sur la défense des « valeurs républicaines ». C'est à ce moment-là que les « travailleurs immigrés » disparaissent de l'espace public, au profit d'un nouveau système de représentations, privilégiant l'origine des personnes et non plus leur position sociale, système avalisé tant par la droite que par la gauche. La « deuxième génération d'origine maghrébine », désignée aussi par le terme « beurs », est ainsi brutalement placée sur le devant de la scène publique et devient le jouet des affrontements politiques. A partir de ce moment, il n'est plus possible d'espérer gagner les élections sans produire un discours dénonçant le « communautarisme » islamiste. La gauche exalte les « valeurs républicaines » en vantant les mérites de la « laïcité » à la française et de l'intégration républicaine ; la droite dénonçant, pour sa part, la menace islamiste et l'incompatibilité de l'islam avec l'identité française. Le consensus droite/gauche sur cette question apparaîtra clairement au moment de I'« affaire du voile islamique », ce qui explique certainement l'incroyable durée de cette affaire : quatorze ans !

L'effondrement des organisations qui représentaient auparavant les classes populaires et la désignation de ces dernières à partir du critère de l'origine, au détriment du Critère social, a ouvert un espace politique dans lequel s'engouffre le Front national à partir de 1983. Pour comprendre les raisons qui expliquent le retour de l'extrême droite dans le jeu politique français, il faut abandonner les références au fascisme des années 1930. À la différence de l'Action française, qui voulait supprimer la République pour rétablir la monarchie, le parti de Jean-Marie Le Pen affiche son respect pour les institutions républicaines. De même, alors que l'ancienne extrême droite privilégiait l'action violente, agressant quotidiennement les militants de gauche, le Front national s'est adapté au contexte pacifié dans lequel nous vivons aujourd'hui (ce qui n'empêche pas les comportements agressifs de certains de ses militants). Enfin, il faut préciser que le programme que défend ce parti ne peut pas être qualifié d'« antisémite,) ou de « raciste ». Ces termes ont été forgés entre les années 1880 et les années 1930 pour dénoncer des discours ou des pratiques politiques qui désignaient les « Juifs », les « Noirs » ou les « Jaunes » comme les responsables des malheurs du peuple français et qui prônaient des mesures destinées à les éliminer. Ce type de discours politique est désormais interdit par la loi. Il ne s'agit pas, évidemment, de minimiser la gravité des propos qui ont valu à certains responsables du Front national d'être condamnés par la justice. Mais il est important de mieux les caractériser pour comprendre leur efficacité par rapport aux enjeux de notre temps.

La raison principale de son succès tient au fait qu'il a été le premier parti à s'adapter aux nouvelles règles du système politico-médiatique. Dans un tel univers, il faut « faire le spectacle » en multipliant les provocations calculées. C'est pourquoi l'extrême droite ne défend plus un programme politique explicitement raciste mais procède par jeux de mots ou par petites phrases qui ne font que suggérer le sens du message. Le soin est laissé aux commentateurs de l'actualité d'achever le travail, en expliquant au public ce que les dirigeants des partis d'extrême droite ont vraiment voulu dire. La percée politique de Jean-Marie Le Pen tient au fait qu'il a axé sa stratégie de communication sur la réception des messages, conformément aux canons de la publicité. II a compris que l'information était devenue une véritable industrie de masse, qu'il fallait alimenter chaque jour, en donnant du grain à moudre aux entreprises de sondages et aux commentateurs de l'actualité.

Mais pour faire le spectacle il fallait franchir une ligne rouge (en s'efforçant toutefois de ne pas tomber sous le coup de la loi) en rompant avec les normes de la bienséance politique que les professionnels de la parole publique avaient fixées collectivement depuis la Seconde Guerre mondiale. Le rejet de la xénophobie et du racisme étant la principale de ces normes, c'est sur ce thème que Le Pen a centré sa propagande. Seul un « outsider » pouvait prendre ce genre de risques. Mais il a été servi par son long passé de militant nationaliste. Comme tous les spécialistes de cette question, il savait que les préjugés xénophobes étaient restés vivaces dans la société française. La marginalisation du discours sur la lutte des classes, dans un contexte de désenchantement à l'égard de la gauche, ne pouvait que faciliter une stratégie réhabilitant l'exaltation du « nous » français contre les immigrés.

Mais pour réussir, il était indispensable que ce discours soit largement diffusé par les médias. Alors que, dans les décennies précédentes, les journalistes avaient ignoré la propagande xénophobe de l'extrême droite, désormais ils lui accordent une large place. Davantage que les élections municipales de mars 1983, qui ont permis aux candidats du Front national de réaliser des scores honorables ici et là, le moment-clé dans l'ascension de Le Pen, c'est le 13 février 1984. Invité à rémission de la chaîne Antenne 2, Le Pen réalise ce jour-là le meilleur score à l'audimat pour ce genre d'émissions. Grâce à ce résultat médiatique, le leader de l'extrême droite s'impose dans le « paysage audiovisuel français ». La concurrence féroce qui oppose les chaînes et les organes de la presse écrite oblige désormais les journalistes à parler de lui et donc à relayer ses thèses, même si c'est sur le mode réprobatif. À partir de ce moment-là s'effondrent les auto-contraintes que les élites s'étaient imposées depuis 1945 pour ne plus exploiter les réflexes nationalistes dans l'espace public.

Le simple fait que les arguments de Le Pen, considérés jusque-là comme indignes d'une démocratie, aient été présentés à la télévision a été perçu par beaucoup de Français comme la preuve qu'ils étaient légitimes. En dénonçant le « racisme anti-français », Le Pen a pu ainsi flatter l'identité majoritaire, libérant du même coup la mauvaise conscience de ceux qui considèrent, depuis toujours, que les immigrés sont la cause de leurs problèmes. Pour la fraction la moins politisée de l'électorat, celle qui possède le plus faible capital scolaire, le fait que les partis républicains et les journalistes aient constamment dénoncé le « racisme » de l'extrême droite a été un argument supplémentaire en sa faveur. Le Front national a réussi ainsi à récupérer à son profit la « fonction tribunicienne » du PCF en captant les suffrages de ceux qui cherchent des moyens radicaux pour exprimer leur rejet d'une société qui ne leur fait pas de place, ceux qui soutiennent, en conséquence, les candidats qui leur paraissent les plus éloignés du discours dominant.

Le programme du Front national s'inscrit dans le prolongement direct du discours nationaliste construit sur l'idée que l'identité française est menacée par l'afflux des étrangers. « L'immigration massive que nous subissons porte atteinte à notre identité et par voie de conséquence à l'existence de la France. » On ne saurait dire les choses plus clairement. Mais désormais, le clivage entre « nous » et « eux » est désigné en opposant les « Européens » et les « musulmans ». Les partisans de Jean-Marie Le Pen affirment aujourd'hui que les immigrants venus d'Europe dans la première moitié du ne siècle se sont intégrés facilement, alors que l'immigration actuelle « détruit » l'identité française car les nouveaux venus pratiquent une religion, l'islam, qui est « une théocratie incompatible avec notre civilisation ». Selon eux, les réseaux islamistes s'activent dans l'ombre pour encourager la ghettoïsation communautaire et empêcher l'assimilation. Ces « colonies de peuplement [...] sont pour notre identité nationale une menace
mortelle : [elles] modifient en profondeur la substance du peuple français. La formation de communautés fermées, constituées sur des bases ethniques, s'oppose évidemment à toute l'histoire de la société française ».

L'actualité terroriste a donné la possibilité à l'extrême droite de réactiver le discours qu'elle avait développé contre les « Arabes » pendant la guerre d'Algérie, un peu comme l'actualité des années 1930 avait permis à l'Action française de donner une nouvelle jeunesse au discours antisémite des années 1880. L'« affaire Kelkhal » (ou plus récemment l'affaire Mohamed Merah) est mentionnée comme une preuve que les jeunes issus de l'immigration maghrébine sont de plus en plus attirés par le terrorisme, et l'« affaire du voile islamique » démontre que les musulmans refusent d'accepter « nos valeurs » et la laïcité. Le Front national appelle donc les Français à combattre énergiquement le « communautarisme » en refusant l'« islamisation de la France ».

Une bonne partie des mesures qu'il propose dans son programme ont pour but d'éradiquer la menace. Il prône l'abrogation du regroupement familial, l'interdiction de la double nationalité, l'application effective de la loi sur la déchéance de la nationalité, tout en exigeant que l'État accorde la priorité aux nationaux dans le domaine de l'emploi, du logement et de l'aide sociale. Le parti de Jean-Marie Le Pen demande aussi une politique énergique afin de « démanteler les ghettos ethniques », « interdire la subversion islamiste », « expulser les condamnés étrangers », « supprimer la carte de séjour de dix ans tacitement reconductible ». Il précise toutefois qu'il n'a rien contre les immigrés, car ils sont eux-mêmes des victimes de l'immigration. Il prône donc une nouvelle politique de « co-développement » avec les pays ceux-ci sont originaires, de façon à ce qu'ils restent chez eux.

Gérard Noiriel, A quoi sert  « l’identité nationale », Editions Agone, Marseille, 2007. L’auteur est un fondateur du Comité de vigilance face aux usages publics de l’Histoire et membre démissionnaire du Conseil scientifique de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

Exclusion, intégration...
Gérard Noiriel

Les migrations ont toujours joué un rôle essentiel dans la diffusion des techniques, des religions et des cultures, permettant le développement des contacts entre les hommes, le brassage des peuples et les métissages. Aujourd’hui, c’est l’immigration qui a pris une dimension centrale. En effet, l’Etat-nation devenu peu à peu, d’abord en Europe, puis dans le monde entier, la « cellule de base » de la société moderne, fait de l’immigration une dimension fondamentale des relations internationales. Cet atlas est centré sur l’histoire de l’immigration en France de 1789 à nos jours afin de comprendre comment cette logique s’est progressivement mise en place et quelles sont ses conséquences économiques, sociales et culturelles. Trois parties présentent les vagues d’immigration successives depuis le XIXe siècle, les caractéristiques sociales, culturelles et religieuses des populations issues de l’immigration. Qui se fait naturaliser ? Quelles sont les formes de métissage ? Quelles sont les formes de mobilité sociale et géographique ? Les problèmes posés par l’immigration sont également abordés de front ; d’abord le rejet de l’autre : xénophobie, racisme, antisémitisme, mais aussi les « pathologies » propres aux milieux sociaux ayant connu le déracinement. Parmi ces questions, souvent à la une de l’actualité, dominent les conflits entre les valeurs des parents marqués par leur culture d’origine et leurs enfants désireux de se conformer aux normes véhiculées par la jeunesse du pays dans lequel ils vivent ; le problème de la violence comme mode d’expression de ceux qui se sentent rejetés par la société d’accueil. Grâce à ses nombreux graphiques et cartes et à son approche historique, cet atlas propose une image nouvelle du phénomène d’immigration. Image qu’il convient de prendre en compte puisque tout le monde s’accorde à penser que, comme par le passé, la prospérité des pays les plus développés nécessitera le recours à de nouveaux groupes d’immigrants.

Révélations d'un lama dissident

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