samedi, août 25, 2012

Les moines de Shaolin




Le monastère bouddhiste de Shaolin, situé au pied du mont Song Shan dans la province du Hénan, fut édifié en 477 par l'empereur Hsiao-wen (Xiaowen) de la dynastie des Wei du Nord. Le moine indien Bodhiruchi vécut dans le monastère au début du VIe siècle ; c'est là qu'il effectua ses nombreuses traductions de sutras en chinois. C'est également en ces lieux, durant la première moitié du VIe siècle, que se retira Bodhidharma, le patriarche du Ch'an venu lui aussi d'Inde.

Les moines de Shaolin ont mis au point des exercices permettant de fortifier l'esprit et le corps. Puis ils ajoutèrent des mouvements issus d'une vieille boxe indienne afin que les moines puissent se défendre contre les brigandages incessants de l'époque. Ainsi naquit le « wu-shu » (accomplissement de l'homme), dont la partie combative (le kung-fu) reste la plus connue.

Cependant les moines de Shaolin ne sont jamais considérés comme des combattants ou des soldats. « Leur but est avant tout de maîtriser le flux énergétique du corps, qu'ils appellent le Qi, afin de pouvoir le canaliser dans n'importe quelle partie de leur corps et devenir ainsi insensible à la douleur. Ils peuvent se casser une barre de fer sur le crâne ou se briser un bâton sur le corps sans jamais avoir mal, ni se blesser. En 1500 ans d'existence le monastère a subi de nombreuses transformations et les moines-soldats de Shaolin servirent quelquefois d'unités d'élite aux empereurs chinois. Le monastère lui même fut détruit et reconstruit à de nombreuses reprises. Mais les moines conservèrent toujours le même principe de vie, fondé sur la défense et non l'attaque ! Le monastère devint le plus important centre spirituel de la Chine et la province du hénan le centre culturel de l'Empire du Milieu avec plus de quatre-vingts monastères, dont la plupart sont actuellement en cours de rénovation ou de reconstruction. » (Bouddhisme actualités)

« Shaolin Kungfu ® »

L'histoire récente du temple de Shaolin et de ses arts martiaux est emblématique de l'histoire chinoise dans son ensemble. En 1966, en pleine Révolution culturelle, les gardes rouges attaquent le monastère et emprisonnent les moines après les avoir humiliés en public. Le gouvernement vide le monastère et le laisse à l'abandon pendant des années. Pour autant, dans les années 1970, le cinéma hong-kongais et la télévision américaine s'emparent du mythe de Shaolin : la série télévisée Kung Fu et les films La 36e Chambre de Shaolin, Retour à la 36e chambre et Les Disciples de la 36e chambre, parmi bien d'autres, exportent la légende dans le monde entier. En 1981, le monastère rouvre officiellement. Une démonstration de kungfu Shaolin s'y tient, la première depuis près de vingt ans. Si le style Shaolin commence de se reconstituer, le bâtiment est en très mauvais état et ne compte plus alors que treize moines âgés qui ont survécu à la Révolution culturelle.

Cette année-là, un certain Shi Yongxin, âgé d'à peine vingt-quatre ans, prononce ses vœux et entre au monastère. Jeune homme ambitieux, travailleur infatigable et politicien habile, il prend en 1987 la tête de la commission administrative du monastère. Il organise alors des démonstrations d'une grande perfection technique, fait déposer la marque « Shaolin Kungfu » et parvient ainsi à rassembler. en une dizaine d'années, l'équivalent de quinze millions d'euros qui lui permettent de rénover entièrement les bâtiments de Shaolin. « Le cinéma nous a beaucoup aidés », concède-t-il. Signe des temps, le gouvernement s'associe au développement de la « marque » : un festival biennal est organisé à Shaolin par le gouvernement afin de promouvoir la culture chinoise et d'encourager les investissements économiques en Chine.

Cyrille J.-D. Javary, Les trois sagesses chinoises.


Les trois sagesses chinoises
taoïsme, confucianisme, bouddhisme

Jadis lointaine, exotique, inaccessible, la Chine, en moins d'une génération, a pris dans notre vie quotidienne une place imposante. Des mots chinois comme « yin » et « yang », sans être pour autant toujours compris dans leur signification originale, sont devenus tellement familiers que des éditorialistes politiques de renom n'hésitent pas à les employer. Qu'ils soient utilisés comme parures nouvelles posées sur des idées anciennes est moins grave que ne le pensent les puristes. On peut toujours se réjouir du fait que ces noms exotiques aient acquis droit de cité, rendant les idées qu'ils expriment acceptables pour l'esprit français.

Il en va de même pour les arts physiques chinois comme le tai ji quan, le qi gong et surtout l'acupuncture : bien peu se hasarderaient aujourd'hui à railler ces pratiques qui prennent en compte l'ensemble énergétique constitué par l'union constante de l'esprit et du corps, ou même à ricaner d'une technique de soin consistant à enfoncer dans la peau des aiguilles en métal. Bien entendu, il ne s'agit pas de se convertir aux enseignements chinois, mais rien n'interdit de se demander comment nous pourrions aujourd'hui, en Occident, nous enrichir de l'expérience chinoise.

Le scientifique et humaniste Albert Jacquard explique par exemple que l'humain n'est pas seulement un individu biologiquement isolé, mais aussi et surtout une personne qui s'insère dans un réseau de relations interpersonnelles. Ses réflexions de généticien l'amènent à conclure que la responsabilité morale qu'implique la notion de personne « ne tombe pas du ciel, mais émerge simplement de l'ensemble des règles qui systématisent la finalité » de l'évolution de l'homme, idée qui se rapproche beaucoup de l'« enseignement » chinois — ce qui m'a conduit à le qualifier amicalement de « confucéen qui s'ignore »...

Comme le dit l'académicien François Cheng, « le Chinois est un être de relations ». Un regard global sur l'enseignement des trois sagesses chinoises fait apparaître leur profonde convergence : elles sont une invite à accroître notre responsabilité, à développer notre capacité à répondre par une attitude appropriée aux situations auxquelles nous sommes chacun, chaque jour, confrontés.

Ce qui les différencie apparaît alors simplement comme une question de domaine d'application : le confucianisme, en mettant l'accent sur la responsabilité au niveau social, incite à une attitude bienveillante envers autrui ; le taoïsme, plus porté sur la responsabilité au niveau vital, se manifeste d'une manière yin par une attitude accueillante envers son corps et d'une manière yang par une attitude respectueuse envers la nature ; le bouddhisme, en soulignant l'importance de la responsabilité individuelle des actes et la nécessité d'acquérir des mérites, favorise une attitude de compassion envers toutes les formes vivantes.

Sans doute est-ce cette « répartition des tâches » qui a permis à ces trois sagesses de cohabiter si durablement et de s'enrichir mutuellement, malgré les épisodes mouvementés qui les ont opposées. Et sans doute aussi est-ce bien parce qu'il s'agit d'enseignements, de manières de vivre plutôt que de croyances absolues, que même leurs affrontements, parfois violents, n'ont jamais pris la forme de guerres de religion. Il est remarquable que la pensée traditionnelle chinoise antique, dont les versants confucéen et taoïste se répondent l'un l'autre comme yin et yang, n'ait pas éclaté à l'arrivée du bouddhisme, dont la pratique sociale et la perspective spirituelle bousculaient pourtant toutes ses valeurs traditionnelles. Alors que l'Empire romain, dans des circonstances politico-religieuses analogues (affaissement de l'autorité centrale, invasions de peuples étrangers et développement d'une religion exogène), s'est irrémédiablement effondré, la Chine a su puiser, à chaque tournant de son histoire, dans chacun des trois enseignements ce qui pouvait contribuer à sa pérennité. On peut acquérir une vue d'ensemble de cette complémentarité à travers le tableau de la page suivante.

Sortie du cauchemar de la pauvreté et des excès idéologiques du maoïsme, ayant retrouvé sa dignité dans le concert des nations, c'est toujours en s'appuyant sur sa culture millénaire que la Chine entre maintenant dans la modernité. Fang Dongmei, un philosophe contemporain, l'exprimait ainsi : « Je suis un confucéen par tradition familiale ; un taoïste par tempérament ; un bouddhiste par inspiration religieuse et aussi un Occidental par formation. » Les trois enseignements de sa vieille culture — la rectitude confucéenne, la sensibilité taoïste, l'apaisement bouddhiste —, tout en prenant des formes nouvelles, restent au cœur de son identité. Au-delà de ce qu'ils peuvent nous apporter personnellement, leur compréhension ouvre la voie à des échanges constructifs avec la singularité chinoise.



Écrivain et conférencier, formateur en entreprise, Cyrille J.D. Javary est un « passeur d'Asie ». Peu de Français connaissent comme lui la Chine où il s'est rendu une cinquantaine de fois pour ses recherches sinologiques et aussi comme accompagnateur de voyages. Il a publié une quinzaine d'ouvrages culturels et thématiques sur ce pays. Sa passion est née du Yi Jing, le « Classique (Jing) des Changements (Yi) », fondement du mode de pensée Yin/Yang, dont il a publié une traduction chez Albin Michel en 2002.

Il a également publié Le Discours de la tortue. Découvrir la pensée chinoise au fil du Yi Jing et 100 Mots pour comprendre les Chinois.

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