mardi, août 28, 2012

Contrôle de la population




La campagne de lancement de la puce électronique sous-cutanée VeriChip vient de démarrer aux USA. Cette puce, qui est implantée très rapidement sous anesthésie, permet la radio-identification (RFID de l'anglais radio frequency identification) du porteur, même par satellite.


Vidéosurveillance, fichage, empreintes génétiques, écoutes, puces RFID... les différentes techniques d'intrusion dans la vie quotidienne des individus se multiplient.

A l'époque où Gilles Deleuze proposait le concept de « sociétés de contrôle », en 1990, la configuration sociopolitique qui prévalait dans les années 1970, lorsque Foucault tentait son archéologie de la société de sécurité comme émanation de la société libérale, avait déjà changé. Au seuil du millénaire, cette configuration a de nouveau subi une mue importante. La sécurité s'est muée en obsession sécuritaire. Et la société globale a laissé transparaître sa face globalitaire, à force de vouloir s'immiscer dans tous les espaces de la vie collective et individuelle. Les sociétés de contrôle articulées sur le mode de gestion managérial sont toujours bien en place, confortées qu'elles sont par les impératifs du capital financier. L'autonomie, la créativité, la réactivité, l'adaptabilité se sont installées comme éléments cardinaux du nouveau régime de vérité. Son envers : la grille des objectifs et la culture du résultat, l'intensification du travail, l'implication contrainte ou la servitude volontaire, la précarité, la propension à la culpabilisation du salarié puisque intégrant lui-même l'objectif qu'il se propose d'atteindre. Une sorte d'autocontrainte qui se combine avec les nouveaux systèmes de surveillance en permanence et à distance basés sur la puissance d'inquisition de l'informatique. Ce qui a changé dans la dernière décennie, c'est que désormais ces sociétés de contrôle se doublent de sociétés de suspicion. Des sociétés qui se prémunissent structurellement contre l'« insurgent ». Un terme qui permet d'échapper à l'histoire de haine charriée par la langue contre-insurrectionnelle, mais qui, à la différence de l'anglais et d'autres langues latines, n'est plus usité en français.

L'exception a éclairé la normalité. Les attentats ont distillé leurs effets. Les zones grises, hostiles, espaces de non-sécurité et de non-stabilité, se sont accrues, parasitant l'économie globale. Le projet ultralibéral de nouvel ordre mondial par l'entremise de la technologie informationnelle a basculé des stratégies du soft power vers la guerre sans quartier comme « guerre juste », au mépris des acquis du droit international et de l'idée même de civilisation. La logique d'intégration des sociétés singulières au tout mondial, que l'euphorie post-Guerre froide avait refoulée à grand renfort de mythes comme celui de la fin de l'histoire, s'est donnée d'évidence. Son accomplissement est indissociable de l'exercice des stratégies de force et de contrainte. Le mirage de la décomposition de l'État-nation s'est estompé en même temps que la croyance en la fin inexorable des logiques d'empire, au bénéfice d'acteurs privés voyant croître leur capacité d'autonomisation.

Devant l'incapacité du capitalisme sauvage, discriminant et destructeur de vie à remplir ses promesses d'un nouvel universalisme, les vents rebelles se sont remis à souffler en ce début de XXIe siècle, après plus d'une décennie de retrait de la mobilisation sociale et de la réflexion critique sur le pouvoir. Révoltes du désespoir, émeutes, frondes, contestations, pacifiques ou violentes, dans les urnes ou dans la rue, à l'échelle locale, nationale comme planétaire. Des contre-feux se sont allumés, vacillants, tâtonnants, mais suffisants pour troubler le projet de globalisation trop vite auto-institué horizon indépassable. La propension à les criminaliser s'est amplifiée à mesure qu'ils gagnaient en visibilité. Symptomatique est la décision prise lors du sommet de Gênes, deux mois avant les attentats du 11 septembre 2001, par le groupe des pays les plus industrialisés (G7) de convertir en camp retranché ses réunions annuelles. Une décision prise alors que, dans la rue, les forces de l'ordre réprimaient violemment les manifestants altermondialistes qui protestaient contre la prétention des pays riches à régenter les affaires de la planète.

Au regard de l'évolution de la démocratie, si débat il y a autour de la problématique singulière des nouveaux dispositifs de contrôle, celle-ci est toutefois encore loin de faire l'objet d'une appropriation massive de la part des citoyens. Les initiatives qui cherchent à relever ces défis doivent le plus souvent aller à contre-courant. Dispositif acquis en 1978 grâce à la mobilisation des organisations citoyennes et considéré comme un parangon au niveau international, la loi française « Informatique, fichiers et libertés » s'est vu restreindre ses compétences en 2004, et cette modification est passée inaperçue, au dire même des collectifs qui ont donné de la voix. « Du fait du paradoxe soulevé entre protection de la vie privée et atteinte à la vie privée, relève le Comité consultatif national d'éthique, on assiste à une sorte de confiscation consentie de liberté. Subrepticement, notre société, au nom du paradigme sécuritaire, s'habitue à l'usage de ces marqueurs biométriques et chacun accepte finalement et même avec quelque indifférence d'être fiché, observé, repéré, tracé. » Au niveau des mentalités collectives, une sorte d'accoutumance s'est créée qui a élargi les seuils de tolérance et a fait que beaucoup consentent, sans même parfois s'en apercevoir, des abandons importants de leur sphère privée et de leurs droits fondamentaux. Et ce non seulement à l'égard des techniques de surveillance et de fichage mais aussi des instruments de mesure et de captation des savoir-vivre individuels par le complexe médiatique et publicitaire. Au sein même des secteurs démocratiques et progressistes, la prégnance reste forte des visions instramentalistes de l'information, de la communication et de la culture. Un retour à l'« âge de la pédagogie », souhaité par Deleuze et Guattari, serait d'autant plus pertinent que la culture du Réseau des réseaux tend à cultiver la croyance prométhéenne en l'avènement de l'ère non seulement de la science infuse mais aussi de la résistance, devenue seconde nature de l'internaute. C'est là l'effet pervers de son offre encyclopédique. Or les technologies, fussent-elles interactives, ne sont pas en soi démocratiques. Seul leur mode d'agencement social les fait entrer dans un projet d'« insurgence » face aux « règles établies ». L'effervescence de la navigation dans le cyberespace ne peut occulter le fait que les comportements individualistes sont au fondement du Réseau et que sa contribution à une culture de l'espace public est loin d'être un donné.

Les actions contre les dérèglements de l'ordre sécuritaire demeurent le fait majoritaire des syndicats de magistrats, d'avocats et de juristes démocrates ; des ligues de défense des droits humains ; des collectifs de défense des droits et des libertés face à l'informatisation de la société ; des acteurs de l'Internet militant ; des médias libres et indépendants ainsi que de la critique et de l'observation des médias ; des groupes d'intervention qui dénoncent le développement liberticide de la biométrie ou des nanotechnogies. La diversification de l'espace public international depuis les débuts du millénaire a fort heureusement contribué à la mise en commun de ces thématiques. On en veut pour preuve la création de réseaux transnationaux d'études et de recherches sur la tension entre sécurité et retrait des libertés, l'essor de réseaux militants multinationaux comme Indy-media, ICAMS (International Campaign Against Mass Surveillance) ou CRIS (sigle anglais de la Campagne pour le droit à la communication dans la société de l'information), la mobilisation des acteurs sociaux et professionnels lors des sommets de la société de l'information organisés par l'Union internationale des télécommunications en 2003 et 2005, à Genève puis à Tunis, ou lors des débats qui ont abouti à l'adoption, en 2005) par l'Assemblée générale de l'Unesco, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Cette nouvelle configuration bigarrée de collectifs s'est ainsi exprimée d'une seule voix, sans limer toutefois les différences. Des questions structurelles ont été soulevées sur le caractère ségrégatif du projet de « Nouvel ordre mondial de l'information », annoncé en grande pompe par le G7 en 1995. Une réflexion de caractère juridique s'est amorcée sur les droits à la communication qui, garantissant la liberté, l'accès, la diversité et la participation à l'espace public, prémuniraient les citoyens contre la raison d'État et la concentration des industries médiatiques et informationnelles. La décentration d'un débat formaté à l'origine par la problématique de la « fracture numérique » vers ce qui l'explique, les fractures socio-économiques, a donné à voir ce que la perception sécuritaire des réseaux évacue d'emblée.

Les gouvernements résistent à prendre acte de l'émergence de ces nouveaux acteurs citoyens et se refusent à élargir la composition des instances (quand elles existent) chargées de veiller à l'équilibre entre les avancées de l'informatique et la préservation du droit à la vie privée et des libertés, et à leur allouer les moyens pour remplir leur mission de médiation publique. Or, ou bien va s'accomplir un saut qualitatif dans la participation des citoyens à la gestion de la société, ou bien on va vers un exercice chaque fois plus autoritaire du pouvoir et vers une négation des droits.

Un triple constat s'est progressivement imposé qui donne sens à l'impératif de la vigilance démocratique à l'égard des dispositifs d'intrusion. Tout d'abord, le capitalisme dit post-industriel ou de l'immatériel, en valorisant à des fins d'exploitation marchande les structures de subjectivation, de production de connaissance, de culture et de socialité, a ouvert un nouveau champ de luttes tout à la fois culturelles, sociales et économiques. Ensuite, il importe de tenir les deux bouts de la chaîne : le quotidien et la structure, le local et le global. La critique de l'ordre sécuritaire n'est intelligible qu'à travers la contestation des dogmes sur lesquels se fonde le projet hégémonique de nouvel ordre informationnel : la gouvernance unilatérale du Réseau, les logiques d'appropriation privée ou de patrimonialisation de l'information, de la connaissance et du savoir de la part les grandes unités de l'économie globale, le pouvoir des seuls opérateurs du marché à définir des normes techniques. Enfin, une des façons de soustraire la problématique de la « culture de la sécurité » à la seule vision de la statistique policière est d'intégrer le droit à la sécurité au nombre des droits sociaux qui conditionnent sa réalisation : le droit au travail, à l'éducation, au logement, à la santé, à la communication. Tous droits en l'absence desquels il ne peut y avoir de dignité humaine.

Armand Mattelart

Armand Mattelart

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