samedi, août 18, 2012

Alan Watts





Décembre 1973, « le ferry-boat centenaire S.S. Vallejo, ancré dans la baie de Sausalito, à quelques kilomètres de San Francisco, est déserté. Alan Watts n'y dormira plus entouré de ses chats, n'y réunira plus de séminaires sur les philosophies et les religions orientales, n'y écrira plus de livres. La maison bibliothèque, qu'il avait installée depuis quelques années dans les collines de Mill Valley pour pouvoir travailler sans être dérangé par les amis, les disciples en quête d'une parole, d'un signe, d'un réconfort, est aussi fermée. Alan Watts est mort brusquement, pendant son sommeil, dans la nuit du 17 au 18 novembre dernier.

Avec Herbert Marcuse, Norman Brown, Allen Ginsberg, Paul Goodman, il a été l'un des maîtres à penser du mouvement hippie. Entre 1967 et 1970, à l'époque où une partie de la jeunesse américaine, généreuse et malheureuse, était massivement concentrée à New York autour de Washington Square, à San Francisco dans le quartier de Haight-Ashbury, les journaux underground de la côte est, comme The Village Voice, ou de la côte ouest, comme The Oracle, sollicitaient presque chaque semaine ses analyses, ses commentaires, ses réflexions. Dans leurs colonnes, il dialoguait avec Buckminster Fuller, dont il partageait souvent les points de vue bien que leurs démarches intellectuelles fussent différentes, et Hermann Kahn, dont il réfutait les positions et les affirmations. Le phénomène hippie a été constitué de mouvements convergents. Certains étaient convaincus par les froides analyses politico-philosophiques de Marcuse ; d'autres étaient sensibles aux incantations poétiques de Ginsberg. Watts a réuni tous ceux qui aspiraient à un renouveau de la spiritualité, tous les esprits religieux et mystiques, tous les partisans de la non-violence non seulement entre les hommes, mais aussi à l'égard de l'univers, tous les contestataires des dualismes enracinés au cœur de la pensée et de la philosophie occidentales.

Il avait été un des leaders de la Beat Generation, derrière Kerouac et Ginsberg. Il a été l'initiateur des recherches spirituelles — sauvages et désordonnées parfois — qui se développent aux États-Unis. Il a été mêlé au mouvement psychédélique au côté de Timothy Leary et y a joué un rôle modérateur (à propos des drogues telles que le L.S.D., il a écrit maintes fois qu'elles sont comparables au téléphone et qu'il faut savoir raccrocher quand on a eu la communication). Il a contribué à la naissance des centres pour le développement du potentiel humain, tels que l'Institut Esalen, à Big Sur. Il a été également l'initiateur du mouvement écologique avant que le mot soit passé dans le langage commun.

Alan Watts est mort — ou, plus exactement, il s'est fondu dans le grand univers dont, affirmait-il dans ses causeries et ses livres, il ne s'est senti à aucun moment distinct. Avant lui, le mouvement hippie était mort — ou peut-être seulement s'était-il fondu dans la masse américaine en en imprégnant profondément la pâte. Ce mouvement, qui marqua sans doute le sommet de sa célébrité, ne l'avait pas changé, pas plus qu'il ne l'avait fabriqué. A la fin des années 60, une certaine jeunesse américaine s'était reconnue en lui et l'avait choisi. Lui, il était en route depuis longtemps ; il venait de très loin ; il avait avancé « à sa manière », selon le titre de l'autobiographie qu'il a publiée en 1972 : ln my own Way, an Autobiography .

Alan Watts était né en 1915 à Chislehurst (Grande-Bretagne) d'un père qui s'est défini lui-même comme pétri de tradition victorienne et d'une mère pour qui la Bible était la vérité, et la seule vérité. Il avait été élevé dans le strict respect de l'esprit et des principes religieux. S'il s'était écarté de la lettre des principes qui lui avaient été inculqués dans son enfance, il n'avait rompu jamais avec leur esprit.

Très jeune, il étouffe au sein de l'anglicanisme familial. Sa curiosité se tourne vers l'Orient et, à 16 ans, il assiste déjà aux réunions d'une loge bouddhiste. Dans son domaine, Watts a été un enfant prodige, constate Theodore Roszak dans son livre Vers une contre-culture. En effet, à 19 ans, il est rédacteur en chef de la Voie du Milieu, une revue anglaise d'études bouddhistes. A 23 ans, il est codirecteur d'une collection d'ouvrages intitulée Sagesse de l'Orient ». Quand il émigre aux États-Unis, A la veille de la guerre, il est docteur en théologie et docteur en philosophie. Il a déjà publié plusieurs livres, dont l'Esprit du zen (1936). Il s'installe en 1939 aux États-Unis, parce que c'est le seul pays, estime-t-il, où un individu peut se déclarer philosophe et vivre de la philosophie sans s'intégrer au inonde universitaire.

Alan Watts vit de ses écrits, de ses conférences, de cours, aussi, qu'il donne sur l'histoire des religions et sur les religions comparées, mais sans chercher A faire carrière dans la hiérarchie universitaire américaine, sans être rattaché à une université particulière. En 1945. il est ordonné prêtre anglican et exerce son ministère pendant cinq ans dans la banlieue de Chicago, sur le campus de la Northwestern University. Mais, reconnaît-il dans son autobiographie, il ne s'est jamais senti à l'aise dans ce rôle.

Dès 1950, Man Watts s'installe à Sausalito, sur un ferry-boat déjà occupé par le peintre Janos Varga et qui dresse sa carcasse noire dans le ciel lumineux de Californie. Il enseigne d'abord pendant quelques années à San Francisco, à l'Académie des Études asiatiques, mais bientôt il réalise son rêve : être un philosophe libre, c'est-à-dire sans obligations professionnelles.

Il publie, il voyage dans le monde entier, en particulier au Japon, il donne des conférences. Un extraordinaire talent de conférencier et d'écrivain a fait de lui le vulgarisateur de la pensée orientale aux États-Unis. Nul ne lui conteste d'avoir révélé le zen aux intellectuels américains, grâce, en particulier, à un sens du verbe, de la formule, de l'image qui frappent. Dans sa bouche, sous sa plume, les idées les plus abstraites deviennent claires, prennent vie, s'animent comme un poème. Parce qu'il en fait sa vie et non un simple objet d'étude.

Les spécialistes de la philosophie ou des religions ont critiqué parfois les analyses et les présentations qu'il faisait des questions les plus ardues. Ils lui ont reproché de manquer de rigueur. Watts n'en avait cure, car son but était d'éveiller, d'enthousiasmer, de faire participer. Il aspirait moins à enseigner telle ou telle discipline qu'à faire saisir aux Occidentaux, en leur dévoilant le mode de pensée oriental, qu'ils avaient perdu le sens de la vie en se fiant trop à la technique. Il voulait raviver leur sensibilité, les réconcilier avec le cosmos dont ils vivaient séparés. Watts souriait également lorsque certains s'étonnaient de le voir fumer tant de petits cigares, boire de l'alcool avec délice et, parfois, abondance, faire la cuisine avec gourmandise, parler de la femme comme d'une source de plaisirs sensuels. Il connaissait ses contradictions. Il s'en accommodait, plus préoccupé de vivre ses pensées que de les mettre toutes en accord entre elles, plus soucieux de se vivre que de se connaître. Il n'a jamais prétendu être un saint ni un sage. « Je ne suis que le porte-parole de la sagesse », répondait-il à ceux qui voulaient le prendre en flagrant délit de contradiction.

Dans la nuit du 17 au 18 novembre 1973, à plusieurs milliers de kilomètres de San Francisco, mourait également Mlle Mira Alfassa, de nationalité française, fille d'un banquier d'origine égyptienne. Mlle Mira Alfassa était connue et vénérée dans toute l'Inde, et en Occident, comme « la Mère » de l'Ashram fondé naguère à Pondichéry par Sri Aurobindo. La sagesse et son porte-parole s'éclipsaient au même instant : à cette coïncidence, Alan Watts aurait trouvé un sens.

J'avais dîné à Paris en sa compagnie deux semaines avant sa mort, et il n'était sûrement pas désireux de nous quitter. Il n'était las de rien, sauf peut-être de la lassitude qui use quand on lutte toute une vie à contre-courant. »

Jacques Mousseau


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