lundi, juillet 30, 2012

Une psychothérapie rénovée





Si l'on écarte les gourous, les hiérarques lamaïstes, les déviations cultuelles, scolastiques et culturelles, le bouddhisme, notamment dans ses formes essentielles (ch'an, dzogchen, mahamoudra...), peut être utile au monde occidental.

Les lignes qui suivent sont extraites du livre d'Alan Watts, « Psychothérapie orientale et occidentale ». Elles pourraient être comme le manifeste spirituel d'une psychanalyse et d'une psychothérapie rénovées, enrichies, enfin pleinement lumineuses parce que ayant découvert la dimension qui, paradoxalement, leur manquait : celle de l'esprit.

Si nous examinons de près des règles de vie comme le bouddhisme et le taoïsme, le vedanta et le yoga, nous sommes bien obligés de constater qu'il ne s'agit nullement de philosophies ou de religions, au sens où nous l'entendons en Occident. Elles seraient plutôt comparables à notre psychothérapie. Cela peut sembler surprenant, car nous pensons à cette dernière comme à une forme de la science, c'est-à-dire une démarche pratique et matérialiste, tandis que nous regardons les disciplines orientales comme des religions extrêmement ésotériques et en rapport avec des régions de l'esprit presque entièrement extérieures à ce monde. Cela vient de ce que notre méconnaissance des cultures orientales, jointe à leur habituelle falsification, les entoure d'une aura de mystère où nous projetons nos propres fantasmes. Pourtant, le but fondamental de ces règles de vie est d'une simplicité presque stupéfiante, auprès de laquelle toutes les complexités de la réincarnation, des pouvoirs psychiques, des mahatmas surhumains et des écoles de technologie occulte forment un écran de fumée où l'observateur crédule peut s'égarer définitivement. Ajoutons, pour être franc, que cet observateur crédule peut être un Asiatique aussi bien qu'un Occidental, encore que le premier atteigne rarement le degré de crédulité de l'amateur occidental d'ésotérisme. La fumée commence à se dissiper, mais son épaisseur a longtemps caché l'importance réelle des contributions que la pensée orientale a apportées à la connaissance psychologique.

Les états multiples de la conscience

La principale ressemblance entre les règles de vie orientales et la psychothérapie occidentale réside dans un but commun, qui est d'opérer certains changements de conscience, changements dans notre manière de ressentir notre propre existence et dans nos relations avec la société humaine et le milieu naturel. Certes, la plupart du temps, le psychothérapeute se donne pour tâche d'agir sur la conscience d'individus particulièrement perturbés, alors que les disciplines du bouddhisme et du taoïsme se préoccupent de changer celle de gens normaux et socialement adaptés. Mais les psychothérapeutes ont de plus en plus nettement tendance à penser que l'état de conscience normal, dans notre culture, est à la fois le contexte et le terrain nourricier des malaises mentaux. Un ensemble de sociétés jouissant d'une grande prospérité matérielle et acharnées à leur destruction mutuelle ne saurait favoriser la santé sociale.

L'aberration psychologique de Freud

Néanmoins, le parallèle entre la psychothérapie et ce que j'ai nommé les « moyens de libération » orientaux ne peut être complet, et l'une des différences essentielles est suggérée par le préfixe psycho-. D'un point de vue historique, la psychologie occidentale s'est appliquée à l'étude de la psyché ou de l'esprit en tant qu'entité clinique, tandis que les cultures orientales ignorent les catégories de l'esprit et de la matière, de l'âme et du corps, telles du moins que les a établies l'Occident. Mais la psychologie occidentale a, dans une certaine mesure, dépassé ses origines historiques, au point de ne plus se satisfaire du terme même de « psychologique» pour désigner ce domaine essentiel du comportement humain. Non qu'il soit devenu possible, comme Freud lui-même l'avait espéré à un moment donné, de réduire la psychologie à la neurologie et l'esprit au corps. Non que l'on puisse substituer à l'entité « esprit » l'entité « système nerveux ». Le fait est, plutôt, que la psychologie ne peut se tenir à l'écart du bouleversement qui a affecté l'ensemble des définitions scientifiques au cours de ce XXe siècle, bouleversement à la suite duquel les concepts d'entités et de « substances », mentales ou matérielles, sont tombés en désuétude. Qu'il s'agisse de décrire les transformations chimiques ou les formes biologiques, les structures nucléaires ou le comportement humain, c'est tout simplement l'avènement de nouveaux systèmes de relations qui caractérise le langage de la science moderne.

Le bouddhisme est-il une psychothérapie ?

Bien que les cultures asiatiques anciennes n'aient jamais atteint, dans le domaine de la connaissance physique, l'exactitude rigoureuse qui est celle de l'Occident moderne, elles ont saisi beaucoup de choses que nous abordons tout juste maintenant. L'hindouisme et le bouddhisme ne se laissent qualifier ni de religion, ni de philosophie, ni de science, ni de mythologie, ni d'amalgame de toutes ces diverses catégories, dont la notion même leur est étrangère jusque sous une forme aussi élémentaire que la distinction de l'esprit et de la matière. L'hindouisme, comme l'islam et le judaïsme, constitue en réalité une culture complète. On ne peut en dire autant du bouddhisme, qui a ceci de commun avec des aspects de l'hindouisme tels que le vedanta et le yoga, et avec le taoïsme chinois, qu'il n'est pas une culture mais une critique de la culture, une révolution pacifique et permanente, ou encore une « opposition loyale » à l'égard de la culture où il se trouve impliqué. C'est ce qui donne à ces moyens de libération un aspect commun avec la psychothérapie, outre l'intérêt de transformer les états de conscience. La tâche du psychothérapeute est en effet d'opérer une réconciliation entre le sentiment individuel et les normes sociales, sans toutefois sacrifier l'intégrité de l'individu. Il essaie d'aider l'individu à être lui-même et à suivre sa voie propre sans se heurter inutilement à sa communauté, à être dans le monde (celui de la convention sociale), mais non pas du monde.

Répression sociale, liberté spirituelle

Depuis Freud, la psychothérapie se préoccupe de la violence faite à l'organisme humain et à ses fonctions par la répression sociale. Si le psychothérapeute prend le parti de la société, il envisagera son travail comme une tentative d'adapter l'individu et de dériver ses « tendances inconscientes » de manière à les faire rentrer dans les normes de la respectabilité sociale. Mais cette « psychothérapie officielle » manque d'intégrité et devient un instrument au service des puissances armées, des bureaucraties, des Églises, des corps constitués, et de toute organisation requérant le lavage de cerveau individuel. Au contraire, un thérapeute qui cherche en toute sincérité à aider l'individu sera nécessairement amené à la critique sociale. Cela ne signifie pas qu'il doive s'engager directement dans la révolution politique ; cela signifie qu'il doit aider l'individu à se libérer lui-même des diverses formes de conditionnement social, et par conséquent aussi de la haine de ce conditionnement — celle-ci étant encore une forme d'asservissement à l'objet haï. Mais de ce point de vue, les troubles et les symptômes auxquels le patient cherche un soulagement — et derrière eux les facteurs inconscients — cessent d'être purement psychologiques. Ils s'inscrivent dans le système entier des relations du patient avec autrui, et plus particulièrement dans les institutions sociales qui gouvernent ces relations : les règles de communication utilisées par la communauté culturelle ou par le groupe. Celles-ci incluent les conventions du langage et de la loi, celles de l'éthique et de l'esthétique, celles du rang, de la fonction et de l'identité, celles de la cosmologie, de la philosophie, de la religion. C'est en effet ce complexe social tout entier qui fournit à l'individu sa conception de lui-même, son mode de conscience, le sentiment même de son existence. Qui plus est, il est à l'origine de l'idée que l'organisme humain se fait de son individualité, cette même idée pouvant prendre un certain nombre de formes très différentes.

Le psychothérapeute doit donc se rendre compte que sa science, ou son art, porte un nom impropre, car l'objet en est beaucoup plus vaste qu'une psyché et ses troubles privés. C'est justement cela que tant de psychothérapeutes sont en train de reconnaître et qui, en même temps, rend si appropriés à leur tâche les moyens de libération orientaux. Car ils ont affaire à des gens dont la détresse provient de ce qu'on peut désigner du nom de maya, mot hindou-bouddhiste dont la signification exacte n'est pas seulement « illusion », mais englobe toute la conception du monde que se fait une culture, conception envisagée comme illusoire, au sens strictement étymologique du mot qui vient du latin ludere (jouer). Le but de la libération est non de détruire la maya, mais de la voir pour ce qu'elle est, d'en dépasser l'apparence. Un jeu ne doit pas être pris au sérieux, ou, en d'autres termes, une idée du monde et de soi-même qui n'est qu'une convention et une institution sociale ne doit pas se confondre avec la réalité. Les règles de la communication ne sont pas nécessairement celles de l'univers, et l'homme n'est pas la fonction ou l'identité que la société lui impose. En effet, dès qu'un homme cesse de se confondre lui-même avec la définition que les autres donnent de lui, il devient à la fois universel et unique. Il est universel en vertu du lien indissoluble de son organisme au cosmos. Il est unique en ce qu'il est précisément cet organisme et non un quelconque stéréotype de la fonction, de la classe ou de l'identité assumées pour la nécessité de la communication sociale.

L'idée occidentale de « communauté »

L'idée juive et chrétienne du salut implique l'appartenance à une communauté, la Communion des Saints. Idéalement et théoriquement, l’Église est le corps du Christ, c'est-à-dire l'univers entier, et puisque en Christ « il n'y a ni Grec, ni Juif, ni esclave, ni homme libre », l'appartenance au Christ pourrait signifier la libération de la maya et de ses catégories. Elle pourrait signifier que la définition et la classification conventionnelles de quelqu'un ne sont pas son moi réel, que « Je vis, » bien que je ne vive plus ; c'est Christ qui vit en moi. » Mais dans la pratique, elle ne signifie rien de tel et, sur ce point, il est même très peu question de la théorie. Dans la pratique, elle signifie que le sous-groupe chrétien doit accepter la religion ou la soumission, et considérer son système particulier de conventions et de définitions comme les réalités les plus sérieuses. Une des conventions chrétiennes essentielles est la conception de l'homme en tant que « moi enfermé dans sa peau », pour reprendre une expression que j'ai déjà utilisée, l'âme indépendante et son enveloppe de chair constituant par leur assemblage une personnalité unique et suprêmement précieuse aux yeux de Dieu. Cette conception représente sans aucun doute la base historique du modèle occidental de l'individualité, conception qui nous donne le sentiment de nous-mêmes comme îles de conscience isolées, confrontées avec des expériences objectives que l'on peut définir sous le nom d'« autrui ». Nous avons porté ce sentiment à un degré particulièrement aigu. Mais le système de conventions qui nous inculque ce sentiment exige également, de ce moi définitivement isolé, qu'il se comporte en membre d'un corps et qu'il se soumette sans réserve au système social de l’Église.

Faut-il absolument vivre dans un monastère zen ?

Jusqu'ici, nous avons donc vu que la psychothérapie et les moyens de libération spirituelle ont en commun deux points d'intérêt : d'abord, la transformation de la conscience, du sentiment interne de l'existence personnelle ; ensuite, l'affranchissement de l'individu par rapport aux formes de conditionnement que lui imposent les institutions sociales. Quels sont les moyens d'explorer utilement ces ressemblances afin d'aider le psychothérapeute dans sa tâche ? Doit-il tirer des enseignements de la pratique du yoga ou faire un séjour dans un monastère zen du Japon — ajoutant à cela de nombreuses années d'études dans une école médicale, un institut psychiatrique ou d'entraînement à l'analyse ? Je ne crois pas du tout que ce soit là une solution. Je dirai plutôt que même une connaissance théorique d'autres cultures nous aide à comprendre la nôtre, parce que nous pouvons acquérir une certaine clarté et une certaine objectivité dans l'examen de nos propres institutions sociales en les comparant à d'autres. Nous distinguons ainsi plus facilement entre les fictions sociales d'une part, et les systèmes de relations naturels d'autre part. Enfin, s'il existe dans d'autres cultures des disciplines comparables en certains points à la psychothérapie, une connaissance théorique de leurs méthodes, de leurs buts et de leurs principes peut amener le thérapeute à une meilleure appréciation de sa propre tentative.
Il a, de cette meilleure appréciation, un besoin urgent.

La psychothérapie peut-elle se développer ?

S'il doit y avoir une voie de développement fructueux pour la science de la psychothérapie, aussi bien que pour la vie de ceux qu'elle entend aider, il lui faut s'affranchir des obstructions inconscientes, des principes non examinés, des faux problèmes non démasqués, qui résident dans son contexte social. Là encore, un des instruments les plus efficaces est la comparaison interculturelle, en particulier avec des cultures hautement complexes comme celles de la Chine et de l'Inde, qui au cours de leur évolution sont restées relativement isolées de la nôtre, et surtout avec les tentatives qui ont été faites à l'intérieur de ces cultures pour atteindre l'affranchissement de leurs propres structures. On ne peut guère imaginer une entreprise plus constructive pour le psychothérapeute que l'occasion ainsi fournie. Mais pour en tirer profit, il doit surmonter l'idée, qu'il entretient couramment, de n'avoir rien à apprendre de disciplines « préscientifiques », car dans le cas de la psychothérapie une telle attitude pourrait rappeler celle de la fourmi qui trouve le ciron trop petit. En tout cas il n'est pas question ici qu'il adopte des pratiques bouddhistes ou taoïstes, au sens d'une conversion religieuse. Pour l'Occidental qui veut tant soit peu comprendre et utiliser les moyens de libération orientaux, il est d'une extrême importance de conserver ses réflexes scientifiques ; faute de quoi, c'est le marécage du romantisme ésotérique qui attend le non-initié.

Alan Watts

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