jeudi, juillet 12, 2012

Un pauvre hère





Quand Claude Duneton se penche sur l'origine de certaines expressions, il nous fait découvrir des pratiques chrétiennes pas très catholiques.

Un pauvre hère

Dans la même série des parias (du « tamoul parayan homme de la dernière caste des Indiens, qui est un objet de mépris et d'exécration ») « le pauvre hère » a sa place assurée.

Quittez les bois, vous ferez bien,
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères et pauvres diables
dit le gros chien de La Fontaine au loup maigre et affamé.

Deux hypothèses sont en présence pour ce hère unique. Traditionnellement on le fait venir de l'allemand Herr, « seigneur », employé par dérision, mais pour Bloch & Wartburg « il n'est pas impossible qu'il se rattache plutôt à haire », et ce serait alors un pèlerin, un moine mendiant ou autre pénitent de choc portant la « haire ».

Un usage bien oublié que cette chemise en crin ou poil de chèvre, appelée aussi cilice, mise à même la peau pour se faire mal, pour se torturer, s'écorcher l'épiderme en marchant, dans la plus pure tradition masochiste appelée gaiement « esprit de mortification »... Certains y ajoutaient même des clous pour être bien sûrs de leur effet ! Saint Louis, monarque passablement réactionnaire et confit en dévotion, était friand de ces plaisirs — d'où son grade posthume : « En l'abeïe du Lis sont les heres que St Loys portait, une faite à la manière de gardecors longue jusque desouz la ceinture, et l'autre faite à la manière de ceinture... »

Pourtant la haire était un objet décrié depuis longtemps et le symbole de l'hypocrisie religieuse de celui qui « en fait trop ». Molière a repris cette notion-là dans Tartuffe : « Laurent donnez-moi ma haire avec ma discipline », mais la plaisanterie comme le personnage étaient traditionnels depuis des siècles. En 1225, alors que Saint Louis était encore un gamin, le Roman de la Rose présente Papelardie, l'hypocrite, la bigote, la fausse marmiteuse toujours occupée :

De fere Deu prieres faintes
et d'apeler et sainz et saintes
...
fu par samblant ententive (appliquée)
don tôt a bones ovres faire,
et si (et aussi) avoit vestue haire.

En tout cas, c'est bien dans le sens de pèlerin, de moine errant, et faux dévot, que Rabelais emploie le mot. Il défend l'entrée de son abbaye de Thélème à beaucoup de gens, mais en tout premier lieu il est écrit sur la porte :

Cy n'entrez pas, hypocrites, bigots
Ny Ostrogotz, precurseurs des magotz (singes hypocrites)
Haires, cagotz, caffars empantouflez,
Geux mitouflez, frapars escorniflez (moines mendiants),
Befflez, enflez, fagoteurs de tabus, etc.
(Gargantua, chap. XXII.)

Il est vrai qu'il emploie aussi ailleurs « pauvre haire » pour désigner un pénis ! Panurge ayant manqué d'être rôti à la broche par les Turcs raconte : « Une jeune Tudesque [...] regardoit mon pauvre haire esmouché, comment il s'estoit retiré au feu : car il ne me alloit que jusques sur les genoulx » (Pantagruel, chap. II). A moins que justement, son zizi, avec son capuchon, ne lui fasse penser à un moine !...

Enfin le pauvre hère est un minable. A la même époque Bonaventure Des Périers parle d'un « renard qu'il avait fait nourrir petit ; et lui avait-on fait couper la queue, et pour cela l'appelait-on le hère ».

Remarque pratique, qui peut rendre service à certains : « Here, est aussi un jeu de cartes, où l'on ne donne qu'une carte à chaque personne. On la peut changer contre son voisin, et celui à qui la plus basse carte demeure perd le coup. Le here est le jeu des pères de famille, parce qu'ils y font joüer jusqu'aux plus petits enfans » (Furetière).

Claude Duneton, La puce à l'oreille.



La puce à l'oreille

Qui irait soupçonner que mener une vie de bâton de chaise, sous son apparence bon enfant, cache probablement une gauloiserie des plus vertes ? Ou qu'avoir la puce à l'oreille eut pendant des siècles un sens uniquement érotique ? Que casser la graine est parti d'une plaisanterie de vignerons, que le rapprochement des vessies et des lanternes (qu'il ne faut pas confondre !) remonte à l'époque romaine ? L'histoire des expressions est une véritable boîte à surprises. Après vingt-cinq années de recherches et de publications diverses sur le sujet - parmi les plus récentes dans la rubrique " Le plaisir des mots " du Figaro - Claude Duneton, auteur du Bouquet des expressions imagées (Le Seuil), dévoile ici les doubles fonds des images qui parlent.

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