vendredi, juillet 13, 2012

A quoi croyons-nous ?





Les civilisations et les empires s'écroulent de l'intérieur. C'est ainsi que Rome finit, c'est ce qui nous arrive.

Le 24 août 410, le barbare wisigoth Alaric entra dans Rome inviolée depuis huit cents ans avec 40 000 hommes armés pour un sac qui dura trois jours. Il fut désormais certain pour les habitants du plus grand empire du monde que celui-ci était mortel. « La lumière la plus éclatante de la Terre s'est éteinte, la Terre entière a péri avec cette seule ville », s'écrit Jérôme en Italie, tandis que sur l'autre rive de la Méditerranée, en Afrique du Nord, Augustin, évêque d'Hippone, sous le choc, écrit La Cité de Dieu, la première histoire du monde et de ses civilisations disparues.

Certes, Rome se releva de cette catastrophe, bien que la moitié de sa population fût tuée, emmenée en esclavage ou en fuite, sans parler des viols et du pillage. Évidemment, l'empire ne devint pas «gothique», comme l'espérait l'ambitieux Alaric. Généralissime romanisé adoubé par l'empire, chrétien arien, Alaric mourut bientôt et l'empereur Honorius, protégé par les marais qui entouraient Ravenne, resta empereur. Bien sûr, à Rome, on rétablit les jeux dans l'arène et les combats de gladiateurs, signes avérés de la « civilisation » romaine. Il y eut même quarante années de paix avant les invasions d'Attila puis l'éclatement politique de l'empire romain d'Occident vers 477. Mais, après le sac de Rome, rien ne fut plus jamais comme avant.

Cette première convulsion fut pour l'ensemble du monde civilisé le signe de la fin de la civilisation gréco-romaine qui avait conduit la destinée du monde de Gibraltar à la lointaine Syrie et de la Germanie à l'Afrique du Nord pendant un millénaire. Quel mystérieux ressort s'était alors cassé ?

Fondamentalement, le drame de 410, et Augustin l'a compris le premier, montrait que nulle civilisation, aucun empire humain, n'est promis à une survie éternelle. Rome avait cru à ses dieux, à son destin, à la piété civique, au culte quotidien des ancêtres divinisés qui assurait le lien des générations. Mais ces croyances n'étaient pas éternelles et l'empire avait péri avec elles.

S'ensuivirent quinze siècles de christianisme.

En quoi tout cela nous concerne-t-il ? Que signifient pour nous la crise et la fin de la civilisation antique voilà quinze siècles ?

Nous nous trouvons aujourd'hui au terme de la civilisation qui a suivi celle de Rome, que l'on peut identifier comme la chrétienté. Dissipons un malentendu. Lorsque je parle de chrétienté, il ne s'agit pas de « l'Église » mais de la nébuleuse de croyances et des mentalités engendrées par les croyances juives et leur « post-scriptum » chrétien. Comme Rome, la civilisation judéo-chrétienne, la chrétienté donc, a imposé une hégémonie militaire et culturelle fascinante pour les peuples qui la composaient. Mais elle se distingue surtout par le prodigieux développement économique, unique dans l'histoire des civilisations, qu'elle a créé. Les continents qui ont lancé le capitalisme mondialisé, l'Europe et les États-Unis, sont d'abord des parties du monde ayant des racines culturelles judéo-chrétiennes. Comme nous le verrons, le développement de la civilisation du capitalisme se confond avec celui de la chrétienté et de ses croyances. Il en est la partie visible.

Ensuite nous sommes concernés parce que cette civilisation à laquelle nous appartenons doute de plus en plus d'elle-même. Pas seulement parce qu'un nouvel Alaric, lui aussi formé militairement par l'empire, un certain Ben Laden, l'a frappé en son cœur économique le 11 septembre 2001. Mais surtout parce que c'est maintenant la croyance dans le capitalisme lui-même qui est en crise. Comme si celui-ci implosait de l'intérieur.

En effet, la crise du capitalisme globalisé que nous traversons n'est pas qu'un aléa de la croissance économique mondiale. C'est une crise plus profonde - économique, politique, sociale et morale - de la civilisation occidentale arrivée peut-être à ses limites. C'est la crise de nos valeurs fondamentales. C'est la crise de l'hypercapitalisme né dans les années 1980, stade ultime du développement de la civilisation du capitalisme. Véritable culte du marché appliqué à toute l'existence humaine, l'hypercapitalisme s'écroule sous nos yeux. Enrichissant les riches et ne laissant aux plus pauvres que les miettes du festin, il fonctionnait sur un espoir d'hyperconsommation des classes moyennes, à l'infini. La vie à crédit devait financer la bulle. Le krach du crédit en 2008, brusque retour à la réalité, a brisé ce rêve. Il révèle l'inéluctable appauvrissement des classes moyennes, piliers de la démocratie, invitées à passer à la caisse pour refinancer le système.

Plus grave, l'hypercapitalisme a trahi cette « passion pour l'égalité » qui, selon Tocqueville et les philosophes des Lumières, était la marque des peuples démocratiques. Il entraîne dans sa chute la démocratie et ses valeurs qu'il a privatisées avant de les vider de leur sens. Or, si la démocratie a besoin du capitalisme, le capitalisme n'a pas forcément besoin de la démocratie pour survivre. Et d'autres empires piaffent d'impatience de montrer leur hégémonie sur le devant de la scène mondiale.

Qu'adviendra-t-il après la chrétienté, après la démocratie, après l'hégémonie de l'Occident ? Que faire?

Pour répondre, nous devons tout d'abord comprendre la nature religieuse du capitalisme, puis analyser en quoi l'hypercapitalisme constitue un détournement des valeurs de la civilisation chrétienne avant d'identifier les lignes de force qui conditionneront en grande partie notre avenir.

Si nous voulons sauver la démocratie et nous réapproprier la politique, si nous voulons réinventer un capitalisme à visage humain, si nous voulons sauver l'écosystème de notre planète pour simplement survivre, nous devons répondre dans l'urgence à une seule question : « À quoi croyons-nous ? »

Didier Long, Capitalisme et christianisme.




Né dans les années 1980, l'hypercapitalisme s'écroule sous nos yeux.

II n'est pourtant pas inévitable que la civilisation du capitalisme se termine dans le chaos. Cette civilisation a une histoire. Née du rêve d'égalité des citoyens d'Athènes, elle fusionne avec le christianisme et apparaît concrètement dans les monastères au Moyen Age. Ces World Companies seront les premières sociétés de production capitalistes. Au XIIle siècle, les ordres mendiants nés avec les villes en pleine expansion seront les premiers théoriciens de l'économie moderne, réfléchissant à la manière de mettre la richesse au service du bien commun. La révolution industrielle portée par l' " esprit du capitalisme " de la Réforme, la liberté d'entreprendre et les Lumières poursuivront cet élan. L'idéal de liberté, d'égalité et de fraternité chrétienne est donc fondateur de la civilisation du capitalisme. Sans le judéo-christianisme ces valeurs n'existeraient pas.

A la lumière de cette histoire, la cupidité et le cynisme n'ont rien à voir avec le capitalisme. Ils n'en sont que la perversion. Si nous voulons sauver la démocratie et réinventer un capitalisme à visage humain, nous devons donc répondre à une seule question : A quoi croyons-nous ? La fraternité ou l'argent ?

L'auteur :

Didier Long a été moine bénédictin, éditeur et artiste pendant dix ans à l'abbaye de la Pierre-Qui-Vire avant de devenir consultant McKinsey. Il dirige aujourd'hui un cabinet de conseil en stratégie Internet. Auteur de plusieurs livres dont Défense à Dieu d'entrer (Denoël, Prix Maisons de la presse 2005) et Pourquoi nous sommes chrétiens (Cherche Midi) Didier Long a publié en 2008 Jésus le rabbin qui aimait les femmes chez Bourin.

Site de Didier Long

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