mardi, juillet 17, 2012

Les médicaments ont-ils été le progrès que l'on croit ?





Médecins et pharmaciens ont toujours eu le talent de se faire passer pour les bienfaiteurs de l'humanité. En particulier, depuis le XXe siècle, en raison des progrès scientifiques accomplis : la découverte des antibiotiques, les sulfamides en 1935, la pénicilline en 1941 et la streptomycine en 1943 ; mais également de la cortisone (1949), des psychotropes (1952), du facteur VIII – pour soigner l'hémophilie – (1958), de la pilule contraceptive (1960), des antihypertenseurs (1964), de l'héparine (1974), des trithérapies du sida (1996)... Les pasteuriens vantent les mérites des sérothérapies et des vaccinations, qui auraient permis d'éradiquer la variole, peut-être un jour prochain la poliomyélite. On rappelle à qui veut l'entendre les incroyables avancées du diagnostic, la traque de la maladie.

Après l'invention du stéthoscope, en 1816, par Théophile R. M. H. Laennec (1781-1826), une accumulation exponentielle de nouvelles techniques a doté le médecin d'outils merveilleux et sans cesse plus perfectionnés, d'abord la radioscopie, puis les tests biologiques, chimiques, immunologiques, les techniques d'imagerie (scanner, caméras à positon, résonance magnétique), enfin le robot caméra miniature que l'on avale comme une pilule : celui-ci est un médicament diagnostique d'un genre révolutionnaire, il inaugure l'ère future des nanotechnologies thérapeutiques. Il ne faut tout de même pas désespérer de la science, nonobstant ses erreurs et les défauts de ceux qui la font.

Les chirurgiens ne déméritent pas non plus, depuis qu'Ignace F. Semmelweiss (1818-1865) leur a appris à se laver les mains. Ils opèrent maintenant avec des automates ultra-précis et effectuent des prouesses à faire pâlir d'envie le Dr Frankenstein —, greffes de visage, de jambes, etc. Elles n'auraient pas été possibles sans la découverte de la cyclosporine, un médicament antirejet « immunodépresseur » ; le tacrolimus (FK-506) est plus récent.

Dans l'inconscient collectif contemporain, toutes ces avancées auraient permis à l'humanité de sortir des âges barbares des grandes épidémies. Elles auraient repoussé l'âge de la retraite finale de 43 ans à 85 ans en à peine cent ans ; et multiplié le nombre des humains par trois et des poussières, de deux milliards au début du XXe siècle, à plus de six milliards à sa fin.

Cette légende dorée de la médecine contemporaine est pourtant contestée, parfois avec vigueur, par deux catégories de critiques, celle des déclinistes et celle des détracteurs, la plus ancienne. La première ne remet pas en cause le progrès médical. Elle admet volontiers ce qui vient d'être décrit, mais doute du futur. Philippe Pignarre en fait partie. Pour cet ancien de l'industrie (il a travaillé chez Synthélabo), le rendement de la créativité pharmaceutique se serait inversé à partir de 1975. Le déclin se serait accéléré depuis. Aucune nouvelle molécule véritablement novatrice n'aurait été découverte depuis, à quelques exceptions près comme les trithérapies ou l'anticancéreux Glivec (hercéptine). Son analyse montre que la courbe du coût de la R&D (Recherche et Développement) a augmenté moins vite que celle de la découverte de nouveaux traitements entre 1935 et 1975. Ensuite les pentes se sont inversées : l'augmentation des coûts est devenue exponentielle tandis que le nombre de découvertes a décru abruptement. Pignarre appelle ce renversement « l'effet ciseau ». Sa conséquence est que l'on paie de plus en plus cher le développement de médicaments de moins en moins innovants. « Le nombre de molécules intéressantes s'est considérablement réduit ces dernières années [...] dans toute l'industrie pharmaceutique, confirme le Pr Silvio Garattini. Cette industrie a beaucoup de difficultés à trouver de nouveaux remèdes et ne fait plus que des copies de médicaments existants. »

La tendance est particulièrement préoccupante en ce qui concerne les antibiotiques. Depuis une dizaine d'années, l'apparition de streptocoques résistants à la fois à la méthicilline et à la vancomycine, par exemple, limite l'efficacité de l'antibiothérapie. Les alternatives sont rares et incertaines à défaut de nouvelle découverte décisive. La peur de se retrouver dépourvu de munitions contre les agents pathogènes est à l'origine de l'une des rares campagnes de santé publique ne servant pas l'intérêt des firmes « Les antibiotiques ? C'est pas automatique ! »

À l'opposé des déclinistes, les détracteurs de la médecine ne croient pas aux « très riches heures de la science médicale ». Pour eux, les médecins sont des vantards, ils s'attribuent le mérite des autres, dans le meilleur des cas. Sinon, ce sont des policiers imposant leurs normes à la population avec froideur au nom d'une idéologie hygiéniste sans fondement scientifique réel. Parmi les plus virulents, il faut d'abord mentionner le prêtre catholique et philosophe autrichien Ivan Illich (1926-2002). Il est le théoricien du monopole radical. Quand une technique fait la preuve de sa supériorité (ou le prétend), elle s'érige inévitablement en monopole. C'est le cas de l'automobile. Mais ce monopole, fondé sur la liberté, finit par devenir une prison, et l'on met maintenant plus de temps à traverser Paris en voiture qu'à bicyclette, on sacrifie une part immense de sa vie à gagner l'argent nécessaire aux traites et aux frais de réparation du sacro-saint véhicule. Pour Illich, il en est allé ainsi du christianisme, théologie libératoire au commencement, devenu catholicisme, un « universalisme » qui impose ses normes. La médecine moderne a suivi le même chemin. Son monopole l'a rendue contre-productive et dangereuse.

Son livre Némésis médicale s'ouvre sur une phrase paradoxale « L'entreprise médicale menace la santé. » En s'appuyant sur des données chiffrées et des tableaux statistiques, Illich affirme que la médecine n'a pas tellement amélioré l'état de santé de l'humanité. Au contraire, elle a créé de nouvelles maladies, des iatrogènes, en s'alliant à l'industrie pharmaceutique notamment. Elle a privé les individus de leur liberté, de leur autonomie, a rendu la mort inacceptable de même que la vieillesse et la souffrance. Dans un article écrit deux ans avant sa mort, le philosophe revient sur sa Némésis publiée vingt-quatre ans plus tôt : « Aujourd'hui, je commencerais mon argumentation en disant : "La recherche de la santé est devenue le facteur pathogène prédominant." » Il y constate à quel point notre société médicalisée est minée par la contradiction ; la santé objective, définie par des courbes de mortalité et de morbidité en baisse, prétendument grâce à la médecine, s'y oppose à une santé subjective, quant à elle déclinante : « Plus grande est l'offre de "santé", plus les gens répondent qu'ils ont des problèmes, des besoins, des maladies, et demandent à être garantis contre les risques [...] » La propagande de l'industrie pharmaceutique n'y est sans doute pas étrangère.

Après la publication de son livre, Ivan Illich s'était attiré la foudre de nombreux médecins et non-médecins « qui le consid[éraient) comme dominé par ses a priori et ses passions qui le portaient à voir uniquement les côtés négatifs de la médecine ». Il n'est pourtant pas le seul à avoir contesté l'autosatisfaction médicale et les dérives de la médecine. Michel Foucault (1926-1984) avait ainsi, quatorze ans plus tôt, décrit l'asile psychiatrique inventé sous l'Ancien Régime, comme un lieu d'enfermement et un moyen de traiter par une forme de répression des problèmes avant tout de nature sociale : système médicalisé de domination.

C'est à un professeur de médecine sociale de Birmingham, Thomas McKeown, que revient le mérite d'avoir tenté de contester scientifiquement l'hybris (orgueil démesuré) médicale. Dans deux articles abondamment commentés, il s'est interrogé sur les raisons de la baisse de mortalité due aux maladies contagieuses transmises par l'air, notamment la tuberculose, au XIXe et au XXe siècle. Après avoir éliminé toutes les autres causes possibles, il est arrivé à la conclusion que seule l'augmentation du niveau de vie, plus particulièrement la meilleure alimentation, pouvait l'expliquer. L'aération des logements, la ségrégation dans des sanatoriums, l'éradication de la tuberculose bovine et même les antibiotiques, aucun de ces facteurs n'aurait joué un rôle déterminant.

Sa thèse a fait l'objet de vives critiques, non seulement de la part des médecins cliniciens, mais aussi des partisans des campagnes sanitaires (Public Health Campaigns) auxquelles McKeown était hostile. On lui a opposé de nombreux arguments, comme la diminution spontanée de la virulence des fièvres scarlatines à streptocoques au XIXe siècle, indépendamment des ressources alimentaires ou du niveau social des populations. On lui a aussi fait le reproche d'avoir confondu les morts par pneumonie et ceux par tuberculose, rendant inexploitables certaines de ses données. Des travaux plus récents ont encore essayé de discréditer la thèse de McKeown quant au rôle des antibiotiques.

Le tableau est moins clair avec les vaccins, plus pour des questions de santé publique, d'ailleurs, que d'efficience. La fréquence et la mortalité de la plupart des maladies virales ont en effet très nettement diminué généralement bien avant l'introduction du vaccin préventif. La rougeole par exemple, était devenue une maladie très rarement mortelle aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Elle ne tuait plus que 20 enfants par an en France en 1983, année de l'introduction du vaccin, contre 3 754 en 1906. La variole avait perdu une grande partie de sa virulence au milieu du XIXe siècle. La pertinence des grandes campagnes de vaccination ainsi que le caractère impératif de certains vaccins sont en conséquence discutables. Le simple fait que le BCG ne soit plus obligatoire alors qu'il l'a été pendant presque un siècle en relativise a posteriori l'intérêt. Ce vaccin n'a pas empêché le retour de la tuberculose, observé depuis une vingtaine d'années. De plus, un examen détaillé des certificats de décès des morts de la tuberculose a montré que la plupart des patients avaient pourtant été vaccinés.

En conclusion, il faut concéder aux antibiotiques, en premier lieu, d'avoir été un incontestable progrès médical, de même que les nouveaux traitements antiviraux. Le cas des psychotropes a été traité ailleurs. Pour le reste, l'hygiène, l'alimentation, l'éducation et le niveau de vie ont certainement été, de loin, la principale cause de l'augmentation de l'espérance de vie. Concernant les médicaments « plus ou moins efficaces » du métabolisme destinés à traiter ces nouvelles maladies du siècle que sont l'obésité, le diabète de type 2 qui en est la conséquence fréquente, l'hypercholestérolémie, leur bilan est controversé. Quelle est la cause de ces maladies? Malbouffe, chômage, sédentarité, pollution chimique ?

Corinne Lalo, Patrick Solal
Le livre noir du médicament


Le livre noir du médicament

Chaque année, les médicaments font quatre fois plus de victimes que les accidents de la route. Et dire que nous croyions qu'ils étaient destinés à soigner et pas à nuire ! L'affaire du Mediator a créé un véritable électrochoc. L'enquête inédite de ce livre montre que nous ne savions pas tout...

Le Mediator serait-il l'arbre qui cache la forêt ? Il n'est ni le premier ni le dernier. Pourquoi ? Parce que les liens incestueux entre les laboratoires, certains médecins et les pouvoirs publics ne sont pas près de changer en dépit des dernières réformes. La toxicité de certains médicaments, anti-inflammatoires, antidiabétiques et autres, a déjà été révélée. Mais combien sont-ils encore sur le marché? Anticholestérol, antidépresseurs, bêtabloquants, vaccins, antidouleurs, sirops contre la toux, etc. Ils sont légion à encombrer les tiroirs de nos officines.

Cette enquête nous permet de décrypter les stratégies mises en œuvre par les laboratoires pour augmenter leur clientèle. Elle décrit la pénétration du secteur public par le privé. Les autorités sanitaires deviennent parfois les colporteurs de maladies inventées de toutes pièces ou de pandémies imaginaires comme celle de la grippe A (H1N1), sur laquelle cette enquête jette un regard neuf. Ce livre nous fait prendre conscience que, en réalité, cette situation dure depuis toujours et qu'elle fait partie de l'histoire même de notre médecine. Combien de morts faudra-t-il encore pour que nous arrêtions enfin de jouer à l'apprenti sorcier ?


Dessin :

La guerre contre l’Islam est-elle une phase de la guerre ultime : la Guerre contre le Christ ?

La doctrine de la « démocratie libérale et des droits de l’homme » est une crypto-religion, une forme extrême, hérétique de judaïsme christ...