lundi, avril 30, 2012

Regard sur l'utopie




Fictions historiques et conjonctures utopiques

Toute réflexion sur l'utopie butte inévitablement sur un problème préliminaire et incontournable, celui de sa définition. Comme cela arrive souvent dans les sciences humaines, l'ennui consiste non pas dans le manque de définition mais dans leur trop-plein. En proposer une nouvelle, n'annule guère celles qui existent d'ores et déjà ; en quelque sorte, nous sommes condamnés d'accepter le terme utopie avec sa polysémie notoire. Car le phénomène n'est pas uniquement sémantique ; l'utopie est un phénomène culturel protéiforme. La polysémie, voire la confusion terminologique, traduit, à sa manière, les multiples aspects de l'utopie ainsi que de multiples fonctions que les utopies ont assumées au long de l'histoire. Quel rôle revient aux utopies dans la vie collective, dans l'histoire sociale, politique et culturelle ? Quel est leur impact sur les mentalités, l'imaginaire social en particulier, sur les projets politiques ? Exercent-elles un rôle déterminant, représentent-elles le «moteur de l'histoire » (pour reprendre le titre pompeux d'un colloque sur les utopies) ? Seraient-elles assez puissantes pour accéder au pouvoir (pour paraphraser le titre d'un ouvrage sur l'histoire de la ci-devant Union Soviétique) ? Ou représentent-elles uniquement des textes littéraires, parmi tant d'autres, qui se distinguent par leurs structures et paradigmes narratifs spécifiques ? L'histoire des utopies est-elle essentiellement culturelle et sociale (comme le proposait Mannheim, dans le sillage de Marx et de Lukacs), ou bien serait-elle surtout une histoire littéraire ? Ou peut-être ces deux approches ne s'excluent pas mais se complètent ? Certaines époques, autant de «moments historiques », offrent-elles aux utopies un vaste champ d'action, tandis que dans d'autres conjonctures leur rôle est beaucoup plus restreint et leur champ d'action beaucoup plus réduit ? Pour contourner ces incontournables questions de définition et de méthodologie, j'ai choisi de prendre comme point de départ un livre de Roy Lewis, The Extraordinary Reign of King Ludd, traduit en français sous le titre La véritable histoire du dernier roi socialiste. C'est un récit autobiographique, à la première personne, sorte de mémoires, du roi George Akbar Ier, dernier roi d'Angleterre et roi des Indes, né le 4 août 1914 (aucun coup de canon n'a pourtant marqué cette date, une journée comme les autres !), et qui régna de 1929 à 1949. Progressivement, nous découvrons l'histoire de l'Europe et du monde pendant un siècle, de 1848 à 1948, ouvert par une révolution socialiste et achevé par une contre-révolution libérale.

En effet, tout se joue en 1848-1849, période charnière marquée par la conjonction des idées nouvelles et des bouleversements politiques. À cette époque, la réunion de quatre grands courants de pensée a rendu possible, voire inévitable, l'instauration de nouvelles institutions sociales. D'abord, le luddisme, du nom de Ned Ludd, ouvrier qui, à la fin du XVIIIe siècle, lança des mouvements des artisans, en particulier des drapiers et des tisserands, contre les machines et leur conséquences : la paupérisation, le chômage, etc. Deuxième facteur : le socialisme, réaction contre le capitalisme et le système industriel, imaginé par Owen, Fourier et John Stuart Mill, comme réforme sociale juste, mettant fin à l'exploitation de l'homme par l'homme, il trouva sa forme militante dans le Manifeste communiste de Marx et Engels, tandis que d'autres formules d'idée socialiste furent avancées par les mouvements chartistes et coopératifs. Troisième composante : le romantisme, ses craintes prémonitoires à l'encontre de la science et de la technologie qui vont séparer l'homme de Dieu et de la nature, craintes qui s'expriment notamment à travers le renouveau religieux, en réaction à la Révolution française. De ces mêmes craintes est également révélateur le roman Frankenstein ou le Prométhée moderne de Marie Shelley (1817). Finalement, le quatrième facteur : la théorie de l'évolution. Formulée dans les années 1840 par Darwin, elle a connu une large diffusion, après la mort prématurée de son auteur, suite à la publication posthume de ses manuscrits. Les espèces, affirme Darwin, naissent et évoluent en fonction de leur aptitude à survivre dans des écosystèmes où les populations croissent toujours plus rapidement que les réserves alimentaires. Presque aussitôt cette théorie fut jugée applicable à l'évolution des machines à vapeur et des techniques nouvelles d'automatisme (Herbert Spencer,Thomas Henry Huxley). Quelques éminents mathématiciens ont démontré la possible accession des machines à la faculté de penser, ce qui entraînerait, inévitablement, l'asservissement des hommes aux machines et à leurs capacités croissantes. Les hommes, disaient-ils, ont inventé une espèce nouvelle qui risque de les supplanter. Alors, suite à ces découvertes capitales, un groupe d'hommes clairvoyants fonda le Mouvement pour le contrôle de l'évolution mécanique. C'était là une philosophie systématisée, une vision de l'avenir qu'attendaient les luddistes, les chartistes, les socialistes et les mouvements coopératifs confier à un trust universel, composé des meilleurs savants, mathématiciens, etc., la propriété exclusive, au nom de l'humanité, de toutes les découvertes scientifiques et innovations technologiques, à charge de ne les mettre en circulation que lorsqu'elles produisent des emplois et des améliorations des conditions d'existence, sans entraîner aucun désastre social : ni chômage ni destruction de l'environnement naturel. Ainsi est née l'idée de l' Inpatco, International Patent Convention, sur laquelle nous aurons à revenir.

Ces idées et visions de l'avenir n'auraient pas marqué le cours de l'histoire, si elles n'étaient pas inscrites dans un contexte révolutionnaire. Mais la révolution de 1848 n'aurait-elle pas sombré dans l'oubli, comme tant d'autres révoltes, si les révolutionnaires ne l'avaient parachevée par des institutions donnant corps aux nouvelles idées et représentations ? Rappelons rapidement les événements. L'année 1848 s'est ouverte sur une Europe affamée, déchirée par les contradictions sociales, marquée par un chômage galopant et par la misère urbaine. En février, éclatent les premiers troubles Paris s'embrase et l'insurrection populaire fait tomber la monarchie de Louis-Philippe. Le sort de la révolution restait pourtant fort incertain ; il se joua en Angleterre. Dirigée par les chartistes, à Londres, une énorme manifestation populaire pacifique est réprimée par l'armée ; des femmes et des enfants meurent écrasés. Mais les vaillants soldats (les Redcoats) refusent de tirer sur le peuple et retournent leurs armes contre les officiers. Londres est en flammes, le West End brûle ; les maisons des riches sont saccagées. L'insurrection se propage dans le pays entier ; les aristocrates résistent dans leurs châteaux mais, après d'âpres combats, ils sont vaincus. Victorieux, le peuple anglais vole au secours des révolutionnaires en France et, ensuite, partout en Europe. La bataille décisive a lieu en Hongrie, à Vilagos, entre l'armée russe, support de la contre-révolution, et les armées révolutionnaires coalisées. Une célèbre charge de la Brigade légère anglaise contre les cosaques de Paskievitch emporte la victoire. Le tsar abolit le servage et entame des réformes démocratiques : c'est l'ère de la perestroïka et de la glasnost. La Pologne retrouve son indépendance ; en Italie, après la prise de Naples par des volontaires, commandés par Garibaldi, les Autrichiens se retirent ; une république unifiée est proclamée sous la double souveraineté de Mazzini et de Pie IX qui s'est hâté de revêtir les idées libérales de sa jeunesse. Les révolutionnaires allemands, Marx et Engels en tête, libèrent l'Allemagne, elle aussi réunifiée (d'ailleurs, la monarchie et les Habsbourg sont conservés). Ainsi, comme l'avaient prévu Marx et Engels, la révolution prolétarienne et socialiste triomphe d'abord dans le pays le plus industrialisé et le plus urbanisé, en Angleterre. Partout, le capitalisme se retire et le nouvel ordre social s'installe : en Europe, d'abord, et, par la suite, aussi aux États-Unis (épisode historique assez complexe : conséquence de l'aide apportée par l'Europe socialiste aux États nordistes qui, sous la présidence de Lincoln, combattaient les esclavagistes sudistes).

Instaurées dans la deuxième moitié du XIXe siècle, quelles sont ces nouvelles institutions politiques et sociales ? Démocratie socialiste et coopérative, telle est leur caractéristique globale. Pour des raisons d'opportunité, en particulier afin de conserver des rapports privilégiés avec l'Inde, sur l'instigation de Disraeli, la monarchie anglaise est conservée, mais le roi.— pour être plus exact : le camarade roi — ne dispose plus d'aucune prérogative. Le gouvernement est représentatif, le suffrage est universel et, en particulier, les femmes ont le droit de vote et jouissent de tous les droits civiques. Le régime est laïc, mais la liberté de conscience est assurée et, en particulier, sont préservés les droits de chacune des trois grandes religions : le christianisme, l'islam et l'humanisme. Responsable devant le parlement, le gouvernement a pour chef un premier ministre (vers 1948 c'est un certain Lloyd-Georges). Malgré les pressions des marxistes, socialistes fondamentalistes, la propriété privée est conservée. Tout le monde travaille, et les travailleurs sont organisés et représentés par des guildes de métier ainsi que par des conseils de coopératives (il existe un Comité central des coopératives, avec lequel le gouvernement doit compter et cultive des rapports assez délicats et complexes). Le socle et le pivot de tout le système socio-économique exerce un contrôle rigoureux sur le progrès technologique : grâce à l'Inpatco, qui régente les brevets, la technique n'a guère dépassé le niveau atteint dans les années cinquante du XIXe siècle. Ainsi, le socialisme en vigueur est solidaire de la civilisation du charbon, de la fonte et de la machine à vapeur. Le pays reste essentiellement agricole ; la croissance urbaine est contrôlée ; l'industrie est artisanale ou coopérative. Roulant à une quarantaine de kilomètres à l'heure comme au milieu du XIXe siècle, les trains relient les grandes villes ; il existe aussi de rares voitures à vapeur, lourdes et peu maniables, roulant à la même vitesse sur des routes étroites et défoncées. Toutefois, dans les villes, on se déplace à bicyclette, ou en coche à cheval. Entre les producteurs, entre les pays, il n'existe aucune concurrence : l'autarcie maximale forme le principe de base de l'économie, à tous ses niveaux. La vie est heureuse et harmonieuse ; le système est communément accepté par la population ; à l'école primaire, le jeune roi, avec tous les enfants, chante joyeusement, souvent en dansant la ronde, l'hymne Nous allons co-co-coopérer, ainsi que la Marseillaise. Évidemment, l'existence et le bon fonctionnement de cette société heureuse tiennent à l'efficacité du contrôle du progrès technologique. Or, l'International Patent Convention, l'Inpatco, l'assure sans faille. Comme nous l'avons observé, cet organisme a la propriété exclusive de tous les brevets d'innovation technique et ne les délivre qu'a condition que leur mise en application n'entraîne pas de conséquences négatives sur l'environnement, l'emploi, l'égalité sociale, etc. L'Inpatco est une institution internationale qui forme un second gouvernement : ses membres se recrutent parmi les gens les plus talentueux en sciences et en techniques (on appelle ces élites des Incas). L'Inpatco dispose de réserves, villes et territoires, dont l'accès est interdit aux non-Incas, où il réalise et teste les brevets. Ainsi, en 1948, anniversaire centenaire du Pacte, grâce notamment aux travaux d'un certain Edison, on y trouve de l'électricité (hors réserves, on en est toujours à l'éclairage à gaz ou aux lampes à pétrole), des voitures rapides équipées d'un moteur à essence, même des avions. Or, en ce mi-vingtième siècle, s'élèvent des voix contestant l'Inpacto et son monopole. Parmi les contestataires se distinguent, en particulier, des femmes. Ce socialisme, protestent-elles, est un système qui profite aux hommes et exploite les femmes. Certes, elles jouissent des droits civiques. Mais elles sont toujours assujetties à cuisiner avec des casseroles, salissantes et crasseuses, à récurer sans cesse ; elles blanchissent le linge à la main, avec du mauvais savon qu'elles fabriquent elles-mêmes, elles décapent la graisse avec de la pierre ponce, bref, en plus de leur travail, elles assurent tous les travaux domestiques les plus pénibles. Or, des rumeurs circulent selon lesquelles, dans les réserves de l'Inpatco, il existe de meilleurs savons et de meilleures lessives, des fours électriques, des réfrigérateurs, des machines qui lavent automatiquement le linge, bref, des inventions qui soulageraient la vie des femmes, et que les Incas ne mettent pas en circulation. Cette contestation n'est pas exclusivement féminine : dans le pays se forme un mouvement clandestin et subversif, LNF, Laissez-nous faire, qui s'inspire des idées d'un certain docteur Popek, philosophe viennois. Dans des brûlots qui circulent sous le manteau, il demande la libération de toutes les nouveautés techniques, la suppression de l'Inpatco et la liberté pour les initiatives individuelles.

Arrêtons-nous là : suivre les péripéties de la révolution libérale pacifique qui a mis fin à un siècle socialiste, instaurant une société de consommation, de concurrence et de progrès technologique, nous éloignerait de nos interrogations initiales.

L'utopie, ou, si l’on veut, l'anti-utopie, de Roy Lewis abonde en allusion et en clins d’œil à ses antécédents classiques: Swift (les savants fous et dominateurs), Orwell (le «parti intérieur»). Elle va nous servir à dégager quelques particularités et fonctions de l’utopie. Ainsi, dans ce récit d’une histoire-fiction, l’utopie socialiste s’affirme d’abord comme critique radicale de la société existante, machiniste, urbaniste et individualiste, de ses contradictions et effets néfastes, injustices et malheurs. A partir de cette critique et dans ses prolongements, l’utopie élabore un projet positif, imagine de nouvelles institutions politiques et sociales qui remédieraient au mal et assureraient une vie en commun plus heureuse. L’utopie ne se contente pas de réformes partielles ; elle avance un projet global de transformation sociale, impliquant la transformation du système politique et socio-économique, voire un changement de culture et de civilisation. Remarquons que dans l'histoire-fiction de Lewis ces mènes caractéristiques sont communes à la fois à l’utopie socialiste et à l’utopie libérale, celle qui critique la société collectiviste et promet une société d’abondance, de consommation, de progrès technique et d’essor de l'initiative individuelle. Remarquons finalement que dans cette histoire fictive, les deux utopies, chacune à sa manière, ont tenu leurs promesses: l’une et l’autre ont réussi à installer un nouvel ordre social et culturel. Cependant, une fois leurs projets respectifs mis en pratique, toutes les deux ont des effets pervers, imprévus et déplorables. La société socialiste assure la paix, préserve l'environnement et supprime le paupérisme, au prix de son immobilisme et de son conservatisme. La société libérale apporte le progrès technique et libère les énergies individuelles, mais au prix de l'inégalité, de la pollution et d’une concurrence déchaînée. Émancipées de leurs pénibles labeurs domestiques, les femmes ne passent-elles pas leur temps libre dans les cabinets cosmétiques et autres salons de beauté ?

Le pastiche de Lewis offre également un modèle des rapports entre utopie et histoire. Toute seule, l’utopie n’oriente pas le cours de l'histoire : en fonction de son contexte, elle répond aux attentes et espoirs collectifs, ou bien cesse d’y répondre. Toutefois, aucune utopie ne comporte en elle le scénario historique à la réalisation duquel elle a éventuellement contribué : aucune utopie ne prévoit son propre destin historique, son propre avenir. Évidemment, l’histoire contée par Roy Lewis est une histoire fictive, un jeu intellectuel. D'ailleurs, dans sa préface, Lewis annonce d'emblée qu'il va raconter une histoire possible, un scénario élaboré par un gigantesque ordinateur qui, à partir de données réelles, reconstruit toutes les histoires possibles, tous les scénarios que l'histoire n'a pas réalisés. Aujourd'hui, à titre d'hygiène intellectuelle, les historiens eux-mêmes font parfois appel à des « histoires hypothétiques », remède préventif contre un finalisme dissimulé sous un déterminisme trop rigide. Ainsi ont-ils imaginé, par exemple, des scénarios historiques hypothétiques à partir des événements contingents et pourtant lourds en conséquences : l'invention du chemin de fer retardée d'un quart de siècle ; le refus du gouvernement anglais d'entrer en guerre en août 1914 ; la mort de Staline retardée d'une dizaine d'années, etc. L'histoire comporte toujours sa part d'aléatoire et d'imprévisible. De toute façon, ce sont autant de jeux intellectuels ; mais la représentation utopique d'une société imaginaire comporte également un élément de jeu. À l'imagination sociale, l'utopie offre un espace ludique et, depuis Thomas More, la fiction utopique est inséparable de sa fonction ludique sur laquelle nous aurons à revenir. Toutefois, les rapports entre l'utopie et la politique se nouent également par le truchement de l'imaginaire : les utopies ont amplement contribué à la formation de l'imaginaire politique moderne et, à leur tour, elles s'en sont abondamment nourries. En effet, en politique, l'utopie « met au jour une relation particulière entre fiction et action : elle est d'une part projection imaginaire dans l'espace fictif institué par le texte du récit, d'autre part projet de réalisation qui tend à passer dans l'expérience historique, projet qui, en même temps, doit se nourrir de fiction ».

Entre histoire-fiction et récit utopique s'installe facilement un jeu de miroirs et de complicité dont Roy Lewis tire magnifiquement profit. Dans une histoire fictive, les rapports entre les multiples facettes de l'utopie et les événements imaginés sont indéfiniment modulables, en quoi consiste précisément l'un des plaisirs de ce jeu intellectuel. Dans l'histoire réelle, où nous sommes confrontés à des scénarios qui se sont effectivement réalisés, dégager la part de l'utopie et, en particulier, l'impact de celle-ci sur la politique, est une affaire autrement plus complexe et beaucoup moins amusante. Avec regret, j'abandonne donc le domaine ludique et je passe à une conjoncture historique réelle, à savoir celle dans laquelle se trouvait l'imaginaire utopique il y a deux cents ans, à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles. Choix qui s'explique, elle autres, par l'attraction, d'ailleurs assez mystérieuse, que les dates « rondes » exercent sur notre imagination. Après un temps de purgatoire, l'utopie ne revient-elle pas aujourd'hui à la mode en raison de ce nouveau siècle et ce nouveau millénaire dans lesquels nous entrons ?

En 1800, année qui clôt le XVIIIe siècle, l'utopie offre le paysage d'un champ de ruines.

En 1797, après un interminable procès, le plus long de toute la décennie révolutionnaire, Babeuf, condamné à mort, rate son suicide et il est guillotiné. La « conjuration pour l'égalité » qu'il dirigeait constituait une tentative désespérée de réunir une nostalgie politique à un rêve social : une petite minorité militante se proposait de renverser le régime directorial, de rétablir la dictature révolutionnaire, à l'instar de celle de l'an II, et d'instaurer une société égalitaire et collectiviste.

La conjuration, dont une cinquantaine de membres sont jugés avec Babeuf, est le produit de la décomposition de la mouvance sans-culotte et du personnel terroriste de l'an II. La revanche est la grande passion thermidorienne. Les conjurés se recrutent parmi les victimes de la revanche thermidorienne qui, après avoir croupi dans les prisons, brûlent de prendre, à leur tour, leur revanche sur les revanchards. La Révolution les a d'abord propulsés dans la carrière politique ; elle a éveillé leur enthousiasme et leur a fait connaître le goût grisant du pouvoir, pour, par la suite, les exclure et les enfermer dans une marginalité politique et sociale. Ainsi se sentent-ils trahis : si la Révolution n'a pas tenu ses promesses initiales, si elle a débouché sur un régime où une aristocratie des riches et des politiciens a remplacé les ci-devant nobles, c'est qu'elle a été détournée de ses buts ; c'est que, au détriment de l'action directe du peuple, l'exigence démocratique a été réduite au simple déroulement des épisodes électoraux. Il revient donc aux patriotes avancés de poursuivre la révolution et de l'amener à bon port. Pour une partie des conjurés, le recours à la terreur se combina avec un rêve social : la prise du pouvoir ouvrirait au peuple la voie de l'« égalité réelle » et du « bonheur commun ».

Déjà avant la Révolution, le jeune Babeuf a été séduit par les écrits sur la régénération du genre humain et le moyen d'assurer son bonheur. Lors de son procès, il se réfère constamment au Code de la nature de Morelly (à l'époque, ce texte était attribué à Diderot) ainsi qu'au Discours sur les origines de l'inégalité de Rousseau. Tout le mal vient de l'inégalité ainsi que de la division des biens en un «mien » et un «tien ». Une organisation collective de la société, la suppression de la propriété privée et la distribution égalitaire de richesses mettraient donc fin à la misère populaire et amèneraient nécessairement la justice et la félicité publique. L'expérience de l'année révolutionnaire prouve qu'une telle vie en commun est praticable puisque, à une échelle jusqu'alors inédite dans l'histoire, la République a réuni des centaines de milliers de citoyens-soldats, dont les moyens d'existence et le mode de vie sont assurés par l'État et qui, tous ensemble, dignes émules de la Nation, offrent le modèle d'une communauté vertueuse et héroïque.

Le coup d'État du 18 brumaire (9 novembre 1799) sonne le glas de la démocratie et, partant, relègue aux oubliettes l'utopie citoyenne. Depuis quatre-vingt-neuf l'imaginaire révolutionnaire accorde une place de choix aux représentations d'une cité nouvelle à construire. Multiples et diverses, elles réservent une importance particulière à l'image idéale du « citoyen », figure emblématique à la fois de l'espace démocratique et du processus révolutionnaire. La Nation régénérée doit être une communauté de citoyens éclairés, connaissant leurs droits et leurs devoirs, aptes à faire des choix en matière publique et décidés à sacrifier leur vie à la patrie. À l'égard d'elle-même, de la génération présente et des générations futures, la Nation a également le devoir de former les citoyens, en particulier par l'intermédiaire de son système d'éducation publique.

Être citoyen, c'est d'abord être homme libre, jouir pleinement de ses droits inaliénables, notamment de la sécurité de sa personne et de ses biens ainsi que de la liberté d'opinion et de parole. Quelles que soient ses origines, aristocratiques ou démocratiques, tout pouvoir qui porte atteinte à ces droits est despotique et illégitime. Toutefois la liberté citoyenne ne se limite pas à la jouissance des droits individuels ; elle comporte encore d'autres dimensions. Être citoyen, c'est aussi, voire surtout, faire partie intégrante du peuple souverain et, par conséquent, participer pleinement à la formation et à l'exercice de sa volonté. Il est donc du devoir du citoyen de s'engager dans la vie publique et dans l'action politique ; on est citoyen ensemble, avec d'autres agissant solidairement afin de promouvoir l'égalité et la justice sociale. Être citoyen, c'est encore affirmer la Nation contre ses ennemis, déclarés et dissimulés, et contre leurs complots néfastes. Multiples et divers, les modèles révolutionnaires du citoyen ont en commun une valorisation du politique et du civique, de l'implication de l'individu dans la chose publique. Ils divergent cependant pour ce qui est des formes de ce civisme, qui connaît ainsi une version jacobine et une version libérale. L'une insiste sur la prééminence de l'intérêt public, sur l'identification de l'individu à la Nation, sur le rôle centralisateur et formateur de l'État, sur l'enthousiasme révolutionnaire et sur les pratiques militantes ; l'autre met l'accent sur l'autonomie et les droits fondamentaux de l'individu ainsi que sur la diversité des opinions, condition de la liberté, sur la formation de l'opinion publique et le bon fonctionnement des institutions représentatives, sur la liberté de la presse et sur les suffrages électoraux.

La forme la plus complète et la plus rationaliste de l'utopie citoyenne se trouve certainement dans les écrits politiques et pédagogiques de Condorcet, en particulier dans son ouvrage posthume publié en 1795, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain. La Cité nouvelle est celle de la raison citoyenne, héritière des progrès des Lumières ; le citoyen est une construction à la fois politique et culturelle : la démocratie comporte en elle des exigences culturelles tandis que l'instruction a une vocation pédagogique.

Déjà pendant les dernières années du Directoire, l'utopie citoyenne a été fort malmenée : les coups d'État et la fraude électorale non seulement délégitimaient le pouvoir en place, mais jetaient le discrédit sur les institutions républicaines elles-mêmes. Après le 18 brumaire, le régime consulaire demeure formellement une république et, pour un temps, dans les rapports officiels, le titre de citoyen est de rigueur. Néanmoins, de plus en plus autoritaire, le nouveau pouvoir n'a guère besoin de l'utopie citoyenne : c'est un fatras qui ne peut que le gêner. Du civisme républicain Bonaparte ne garde que le sens de l'État, le seul élément qu'il juge réutilisable. La Révolution terminée, le pays souffre d'un déficit d'ordre public et non pas d'activisme politique. Les acquis de la Révolution se résument au droit de propriété, aux garanties en matière de sécurité individuelle ainsi qu'a l'égalité devant la loi ; tout le reste n'est que galimatias et chimère.

Ainsi, tout se passe comme si, à l'issue de la Révolution, tout un paradigme utopique, réunissant dans un même discours l'éloge de la modernité, la volonté de rationalisation de la vie publique et la confiance dans la perfectibilité de l'homme, avait épuisé ses ressources. Le livre phare qui ouvre le nouveau siècle n'est pas une utopie niais le Génie du christianisme. Le Concordat et le retour de l'Église dans la vie publique contribuent, certainement, au succès retentissant de l’œuvre. Cependant, tout en exaltant les beautés du christianisme et en affirmant avec force le retour du religieux, Chateaubriand répond aussi à un autre besoin profond : il appelle au retour de la tradition. Au-delà de la déchirure révolutionnaire, il rétablit les continuités ; au temps éclaté de la tourmente, il oppose la durée ; contre le goût pernicieux de l'innovation, il exalte les valeurs consacrées par la succession des siècles ; contre une raison critique et tourmentée, il défend les certitudes de la foi et le sens intime de l'infini. Les anticipations du futur sont abstraites, chimériques et stériles ; privé de sa mémoire, aveugle, l'homme se perd dans sa vie ; fidèle à son passé, un peuple retrouve ses ressources vitales. Au-delà du XVIIIe siècle, celui de la modernité sceptique et de Voltaire, le siècle qui s'annonce va renouer avec le XVIIe, le siècle de Bossuet et de Racine, de la foi et de la grandeur nationale.

Brossé à traits trop rapides, ce tableau demanderait à être complété, nuancé et relativisé. La perception de tout paysage, en particulier d'un paysage historique et culturel, dépend beaucoup de la position de l'observateur, de la distance à laquelle il se campe, ainsi que de l'attention qu'il prête respectivement aux détails et à la vue d'ensemble. Le temps apporte du recul. Plus on s'éloigne du XVIIIe siècle, moins sa fin se présente comme une home et plus elle rappelle une passerelle qui réunit les rivages du temps. La conspiration babouviste marque la réunion de l'utopie et de l'action révolutionnaire, et, de ce fait, annonce l'avènement des révolutionnaires, ces acteurs politiques nouveaux qui allaient peupler le XIXe siècle. Avec le 18 brumaire, la Révolution n'est guère terminée ; au-delà de l'épisode napoléonien, elle s'impose comme modèle de changement social, global et radical, tandis que le républicanisme ne cesse de rechercher ses sources dans l'utopie citoyenne. L'ombre projetée par des utopies en mines occulte les utopies qui s'annoncent : en 1797, Saint-Simon publie La lettre d'un habitant de Genève, et, en 1808, Fourier fait paraître sa Théorie des quatre mouvements, livres à peine remarqués sur le moment.

En guise de conclusion enjambons deux siècles, et risquons quelques interrogations sur le statut de l'utopie aujourd'hui. Nous manquons, évidemment, du recul que seul le temps apporte. Comment savoir à quelle distance réussir la bonne prise de vue ? Comment être assuré que nous ne prenons pas un gros plan, centré sur un détail, pour une vue panoramique? La comparaison avec le début du XIXe siècle est certes séduisante, à condition toutefois d'éviter les anachronismes : entre les époques, au-delà des analogies apparentes ressortent des différences essentielles ; à travers les âges, l'identité même de notre objet n'est guère acquise : son évolution tourmentée ainsi que ses configurations capricieuses font problème.

Dans le paysage culturel et idéologique de ce début d'un nouveau siècle se retrouvent également des ruines des utopies ; toutefois, les débuts de siècles se succèdent mais ne se ressemblent pas. Dans leur chute, les régimes totalitaires entraînent également les utopies qui exaltaient leur avenir, pages les plus noires dans l'histoire séculaire des utopies... Les utopies fascistes et l'utopie nazie n'ont pas survécu à la fin de la deuxième guerre mondiale tandis que l'implosion de l'empire soviétique a sonné le glas de l'utopie communiste. Grand vainqueur de la guerre froide, le système libéral ne favorise guère l'imagination utopique. L'idéologie libérale se distingue en effet par sa méfiance à l'égard du volontarisme politique et de tout projet social global. Flexibles et pragmatiques, les sociétés libérales se refusent à planifier leur avenir, leur régime de temporalité valorise très fortement le présent. À condition de laisser les individus agir librement, selon leurs intérêts et dans le respect réciproque de leurs droits, donc dans le cadre de l'État de droit, l'interaction des agents sociaux, à l'instar de la «main invisible » de l'économie de marché, est censée assurer la répartition équitable, selon les performances individuelles, des richesses et des prestiges. Il revient au pouvoir public de faire respecter les règles du jeu économique, de préserver les conditions favorables à la reproduction du système et de tâcher de corriger, le cas échéant, les effets sociaux négatifs de ses déficiences. Comme la recherche du bonheur, droit individuel inaliénable, l'avenir est surtout une affaire personnelle. Derrière les constructions sociales appelées à aménager le futur se cacherait toujours l'État, l'accroissement de ses interventions et réglementations, toujours suspect de dérive totalitaire. Autrefois, au XIXe siècle, cette forte valorisation du présent se mariait à une certaine idéologie productiviste ainsi qu'à la foi dans le progrès civilisateur : le travail industriel et l'invention technologique seraient ainsi créateurs de sens et de valeurs morales positives. D'une époque à l'autre, les sociétés libres, de plus en plus performantes, feraient également progresser la civilisation, et, de ce fait, ne cesseraient de s'améliorer. Aujourd'hui, débarrassé de ce bagage idéologique, le libéralisme, le plus souvent, s'accommode des prévisions conjoncturelles à court ou à moyen terme. Au début du XXe siècle, en 1914, « le monde n'était certainement, ni plus juste ni plus humain, qu'a la fin de ce même siècle. Il l'était peut-être même moins mais il espérait dans un avenir meilleur, car il avait globalement confiance dans le Progrès. Aujourd'hui, en dépit des innombrables découvertes scientifiques et techniques, nous ne croyons plus en ce dernier. » Le temps où nous vivons souffre d'un singulier déficit d'avenir.

L'essor de la société de consommation accentue cette dévalorisation du futur. Le consommateur est incité à profiter le plus largement et le plus rapidement des biens et des services offerts par le marché : les campagnes publicitaires aiguisent ses désirs et curiosités, le poussant à les satisfaire immédiatement, à ne pas remettre à demain ce qu'on peut acheter aujourd'hui. L'abondance des produits et l'innovation permanente provoquent la reproduction élargie des besoins, l'effet de la mode rend rapidement obsolète les modèles anciens tandis que le progrès technologique crée des besoins inédits. Le consommateur est censé vivre dans un éternel présent immédiat. Par ailleurs, la révolution informatique a converti les représentations utopiques ainsi que les scénarios imaginaires de l'histoire, du passé et de l'avenir, en autant d'objets de consommation courante. De cette mutation, d'ores et déjà, l'imagination utopique subit les conséquences. Depuis toujours, avons-nous signalé, l'utopie a cultivé des liens secrets avec le ludique et le fantastique. En témoigne, en particulier, le texte paradigmatique de Thomas More, récit d'un voyage imaginaire et de la découverte d'une terre inconnue, jeu intellectuel et érudit. Nous avons beaucoup perdu de la dimension ludique de l'utopie. À ses amis humanistes, Thomas More offrait en effet un livre divertissant, voire franchement drôle. Il en est ainsi du déchiffrement de la toponymie utopique : Amaurote, la capitale des Utopiens, serait la Ville-mirage ? le fleuve Anydre, c'est le Fleuve-sans-eau ; le vocable clé du texte, Utopie, désigne à la fois une terre de nulle part et le pays du bonheur.

À leur tour, la littérature fantastique et la science-fiction cultivent leurs rapports avec l'utopie. Ainsi, la science-fiction réunit souvent l'extraordinaire à l'utopique. Les voyages dans le temps et dans l'espace font découvrir des mondes étranges, voire des civilisations extraterrestres. Ces sociétés imaginaires disposent de connaissances et de technologies extraordinaires, et de ce fait, elles affrontent des défis inédits, en particulier, les conséquences morales et sociales perverses de l'essor des sciences et des techniques. La révolution informatique, de son côté, fait basculer les représentations de l'altérité sociale et les scénarios du futur dans le domaine du jeu et du virtuel : lors d'un jeu interactif chacun est libre d'aménager, de construire et de démolir des civilisations et des empires virtuels, de refaire des batailles anciennes et de livrer des guerres nouvelles. Sur le marché et sur la Toile, on trouve le tout, le meilleur et le pire, des jeux qui stérilisent l'imagination sociale et d'autres qui la stimulent. Pourtant, résorbé dans le virtuel, l'imaginaire utopique se voit ainsi réduit à ses aspects purement ludiques.

Sur les rapports entre l'utopie et les conséquences culturelles de la révolution informatique, une dernière observation. Nous assistons, semble-t-il, à deux phénomènes simultanés : d'une part, la mondialisation de la communication et de l'économie et, d'autre part, l'éclatement de l'utopie en tant que représentation globale, voire totale, de l'altérité sociale. Le contrecoup de la mondialisation n'est pas une représentation d'une antimondialisation globale, sorte de réédition moderne de l'utopie conservatrice et romantique, mais plutôt, la prolifération des revendications et des utopies partielles : air propre, agriculture saine, égalité pour telle ou telle catégorie d'exclus ou de laissés pour compte de la grande mutation, etc. Il suffit, en effet, d'observer les manifestations contre les effets pervers de la mondialisation on n'y revendique pas l'Égalité mais des égalités, non pas la Justice mais des justices. Ces utopies partielles ne fusionnent pas en une représentation globale, mais se mettent en réseau, plus ou moins passagèrement, en configuration variable, sans hiérarchie ni ordonnance évidente. Tout se passe donc comme si l'imagination utopique recherchait pour elle de nouvelles formes de sa présence dans un monde en mutation. Quel sera donc l'avenir de l'utopie? À son seuil, aucun siècle ne livre les secrets de son devenir. Même pas aux utopistes.

Bronislaw BACZKO

Regards sur l'utopie

Un tabou pèse sur l'utopie, qu'il soit résumé par la célèbre phrase de Margaret Thatcher : " There is no alternative ", ou qu'il soit conforté par l'échec des premières tentatives historiques de sortie du capitalisme. A l 'âge de l'utopie aurait ainsi succédé celui du désenchantement plus ou moins résigné. Cependant, l'utopie n'a-t-elle pas un fondement anthropologique et ne naît-elle pas du pouvoir dont l'homme dispose pour se dégager de l'immédiat et du factuel afin d'inventer de nouveaux possibles ? Et plutôt que d'opposer utopie et désenchantement, ne convient-il pas, comme l'a suggéré Claudio Magris, de les convier à cheminer ensemble comme Don Quichotte et Sancho Panza ? Le désenchantement serait une forme d 'ironie apte à protéger l'utopie en la retenant de s'abîmer dans de fatales illusions. Inversement, l'utopie tiendrait le désenchantement à l'abri du nihilisme désabusé et du cynisme. Si l'utopie est le " savoir de l'espérance ", comme le disait Ernst Bloch, elle renvoie aussi à la nécessaire ouverture du sujet aux tendances et latences de l'être, aux affects de l'attente, à tout ce qui, en nous, refuse l'absolutisation du présent et " le faux réalisme qui prend la surface de la réalité pour la réalité tout entière ".




La véritable histoire du dernier roi socialiste

Imaginons : en 1848, une révolution socialiste a imposé au monde civilisé un paradis égalitaire où les citoyens vivent depuis à l'abri des dangers d'une industrialisation débridée et de progrès corrupteurs. Dans certains pays comme l'Angleterre, le nouveau régime n'a cependant pas renoncé à... la royauté. C'est le destin de ces étranges souverains, dont le règne devait durer un siècle - jusqu'à la contre-révolution de 1949 qui signa l'avènement du progrès technique et de la consommation à outrance -, que raconte ici le dernier monarque socialiste, George Akbar I, roi d'Angleterre et empereur des Indes à la verve irrésistible.

Une fable philosophique pleine d'humour, d'humanisme et de sagacité, qui examine les mérites et les désastres comparés des utopies communisantes, du progrès et du libéralisme effréné.








La guerre contre l’Islam est-elle une phase de la guerre ultime : la Guerre contre le Christ ?

La doctrine de la « démocratie libérale et des droits de l’homme » est une crypto-religion, une forme extrême, hérétique de judaïsme christ...