jeudi, avril 19, 2012

Au-delà du cerveau




Une lobotomie néo-spiritualiste



Le spiritualisme de Jill Bolte Taylor est-il liberticide ? Selon cette scientifique, rescapée d'un accident vasculaire cérébral, pour parvenir à la quiétude il faut « faire taire la voix de notre hémisphère gauche ». Or museler le cerveau gauche permet de supprimer l'indignation devant l'injustice et son corollaire la révolte ainsi que la capacité d'analyser et de réformer, car pourquoi réformer puisque les hommes seraient censés vivre dans le meilleur des mondes possibles ? Pourquoi vouloir contester ceux qui les dirigeraient puisque tout sens critique aurait disparu ? Leurs gouvernants ne seraient-ils pas alors perçus comme les plus beaux, les plus gentils, les plus compétents, les plus aimants ? dit Rastignac dans une pertinente critique des idées de Jill Bolte Taylor (conférence ci-dessous) sur le site du Figaro.



Voyage au-delà de mon cerveau


Le jour où Jill Bolte Taylor, chercheuse en neurosciences à Harvard, est victime à trente-sept ans d'un accident vasculaire cérébral, sa vie bascule : elle assiste à la dégradation de ses facultés au point qu'en l'espace de quelques heures elle ne peut plus marcher, parler, lire, écrire, ni même se rappeler à quoi sa vie ressemblait jusque-là. Il y a quelque chose de Christophe Colomb chez cette femme qui a découvert et exploré les territoires les plus reculés de son cerveau. A travers son récit, elle nous confie avec autant de précision que d'humanité ses observations, ses émotions et ses techniques pour se réapproprier le monde durant les huit années qu'il lui a fallu pour retrouver toutes ses facultés. Expérience scientifique unique, cette fascinante exploration des rouages du cerveau se double d'un guide précieux à l'usage des victimes d'un accident cérébral, mais aussi d'un témoignage profondément émouvant sur la paix intérieure à laquelle chacun de nous peut accéder.

Extraits :

Notre empathie, notre capacité à nous mettre à la place d'autrui, prend naissance dans notre cortex frontal droit.

Notre hémisphère gauche traite l'information d'une manière en tous points différente. Il rattache les uns aux autres, selon un ordre chronologique, les instants riches de sensations dont nous prenons conscience dans notre hémisphère droit. Il ne cesse de comparer les particularités de tel moment donné à celles du précédent. En retraçant l'évolution au fil du temps de ce qui a caractérisé un instant ou un autre, notre hémisphère gauche nous donne une idée du passé, du présent et du futur. Leur succession dans le cadre d'une structure établie nous permet de comprendre qu'il faut accomplir telle action au préalable à telle autre. […]
Tandis que notre hémisphère droit pense par images, en se formant une vue d'ensemble de l'instant présent, notre hémisphère gauche, lui, s'attache aux détails, à une infinité de détails.

Je dois avouer que la nécessité d'admettre que notre vision du monde extérieur et notre relation à lui découlent de notre « câblage » neurologique, m'a libérée tout en me posant un défi de taille. Jusque-là, je n'étais donc que le pur produit de mon imagination ! […]

La cérébralité de mon hémisphère gauche, pour l’heure en veilleuse, ne refoulait plus ma conviction innée d'incarner une force de vie à l'état pur. Je gardais conscience d'un changement en moi mais pas une seule fois mon hémisphère droit ne m'a laissé entendre que je valais moins qu'avant. Me voilà devenue un être de lumière dont l'énergie se diffusait dans le reste du monde !  […]

Depuis que mon hémisphère droit régnait en maître sur ma conscience, je débordais d'empathie. [...]

Imaginez-vous, si vous le voulez bien, privé petit à petit de l'ensemble de vos facultés mentales. […] Votre incapacité à vous rendre compte des variations de température ou de la position de vos membres, modifie votre perception de votre corps. Votre énergie se diffuse à tous ceux qui vous entourent. Voilà que vous atteignez les dimensions de l'univers ! La petite voix dans votre tête, qui vous rappelle qui vous est et où vous habitez, se tait. Vous oubliez les émotions qui vous ont façonné au fil des ans. La plénitude de l'instant présent vous absorbe tout entier. Tout, y compris la force vitale à l'œuvre en vous, rayonne d'énergie à l'état pur. Mû par une curiosité enfantine, votre esprit découvre la possibilité inédite de baigner dans une mer d'euphorie et votre cœur connaît enfin la paix. Demandez-vous alors : seriez-vous vraiment motivé pour renouer avec les contraintes d'une routine établie. […]

Au cours du long processus de ma guérison, je me suis efforcée de parvenir à un équilibre harmonieux entre les deux hémisphères et surtout de déterminer quelles tendances prendraient le pas à tel moment donné. Cela me tenait à cœur dans la mesure où une profonde inquiétude mêlée de compassion pour le reste de l'humanité habite mon hémisphère droit. Plus nous mobilisons les réseaux de neurones qui suscitent en nous sérénité et sympathie pour autrui, plus notre entourage le ressentira et plus la paix s'étendra par contagion, si je puis dire, sur notre planète.

D'un point de vue neuroanatomique, la paix intérieure a envahi mon hémisphère droit quand le centre du langage et l'aire associative pour l'orientation de mon hémisphère gauche ont cessé de fonctionner. […]

En tant que créature biologique, nous disposons d'une emprise extraordinaire sur nous-mêmes. Nos neurones communiquent entre eux en fonction de circuits établis, ce qui rend au final leur activation assez prévisible. Plus nous nous concentrons sur un réseau de cellules en particulier, c'est-à-dire plus nous passons de temps à entretenir telle ou telle pensée, plus notre influx nerveux aura tendance à suivre le même parcours à l'avenir.
En un sens, nos esprits ressemblent à des programmes de recherche sophistiqués qui se concentrent presque exclusivement sur l'objet de leur quête. Si je prends plaisir à voir du rouge autour de moi, je ne tarderai pas à en repérer un peu partout. Peut-être pas tant que ça au départ mais, plus je me focaliserai sur mon envie de rouge, plus j’en distinguerai dans mon environnement.

Chacun de mes deux hémisphères voit les choses sous un angle différent. Mon hémisphère droit ne se soucie que de l'ici et maintenant. Il sourit sans cesse et se montre très amical.  Mon hémisphère gauche s'attache quant à lui aux détails en organisant mon quotidien. C'est lui qui me pose des limites et juge de ce qui est bon ou pas, juste ou non.

Mon cerveau droit se concentre sur la plénitude de l'instant présent. Il jouit de ce qui fait la richesse de ma vie au quotidien. Éternellement satisfait, il ne renonce jamais à son optimisme. Il ne juge pas en termes de bien ni de mal ; tout existe de son point de vue dans un continuum ; tout est relatif.

C'est dans mon hémisphère droit que résident les tendances mystiques, ma sagesse, mes facultés d'observation, d'intuition, de clairvoyance. Mon cerveau droit en perpétuel éveil se laisse happer par l'écoulement du temps. Mon cerveau droit (d'autant plus libre qu'il ne s'attache à aucune limite) affirme que j'appartiens à un tout qui me dépasse. […]

Non content d'échafauder des contes à dormir debout qu'il prenait ensuite pour argent comptant, mon cerveau gauche manifestait une fâcheuse tendance à la redondance, c'est-à-dire à ressasser sans arrêt les mêmes idées. Beaucoup d'entre nous voient leurs pensées s'enchaîner sans répit et se surprennent plus souvent qu'à leur tour à imaginer les scénarios catastrophes. Hélas ! Notre société n'apprend pas aux enfants à cultiver le jardin de leur esprit.

J'ai décidé de tirer une croix sur la partie de mon hémisphère gauche qui m'incitait à la mesquinerie, aux tracasseries incessantes et au dénigrement de moi-même et des autres. Mieux valait renoncer aux circuits neuronaux qui ravivaient en moi des souvenirs douloureux. La vie me paraît trop courte pour que je me soucie encore des souffrances qui appartiennent au passé.

Certains programmes de notre système limbique (à l'origine de nos émotions) se déclenchent par automatisme en libérant des substances chimiques qui se diffusent dans l'ensemble de notre organisme, mais disparaissent en moins d'une minute et demie de notre circulation sanguine. Prenons l'exemple de la colère : il nous arrive de nous emporter comme par réflexe dans certaines circonstances. Des substances chimiques qui perturbent notre équilibre physiologique nous envahissent alors pendant une minute et demie. Elles se dissipent ensuite et notre réaction automatique n'a plus lieu d'être. En résumé : ma colère ne persiste plus d'une minute et demie que lorsque je laisse le circuit neuronal correspondant activé en boucle. Je n'en reste pas moins libre à tout moment d'attendre que ma réaction se dissipe en me concentrant sur l'instant présent plutôt que de me laisser happer par le fonctionnement répétitif de mes neurones. 

Le « câblage » de notre système limbique a tellement tendance à programmer nos réactions que nous avançons souvent dans la vie en pilotage automatique. J'ai découvert que, plus les cellules de mon cortex supérieur se montraient attentives à ce qui se passait au sein de mon système limbique,mieux je maîtrisais mes pensées et mes sentiments. La surveillance des cellules responsables de mes réactions automatiques m’aide à maintenir mon emprise sur moi-même en m’amenant à prendre conscience des décisions de mon organisme. À long terme, j'assume ainsi la responsabilité de ce à quoi ressemble ma vie au quotidien.

Rien ne m'a plus donné confiance en moi que de me découvrir enfin libre, de ne plus ressasser des pensées génératrices de souffrance.

Quelle délivrance que de me convaincre qu'il ne dépendait que de moi de me laisser envahir par l'amour et la quiétude « de mon hémisphère droit », peu importe ce qui m'arrivait ! Il me suffisait de « virer à droite » en me focalisant sur l'instant présent. […]

Si je veux échapper aux idées noires que mon hémisphère gauche prend un malin plaisir à ressasser, il est impératif que je les identifie au plus vite.

Dès que je repère un circuit cognitif en train de s'activer dans mon cerveau, je me concentre sur ce que je ressens au plus profond de moi-même. Comment qualifierais-je mon état ? Mes pupilles se dilatent ? Le souffle me manque ? Mon cœur se serre ? La tête me tourne ? Mon estomac se noue ? L'anxiété me gagne ? Toutes sortes de stimuli sont susceptibles de mettre en branle le circuit de nos neurones qui suscitent en nous la crainte ou la colère, en provoquant une réaction physiologique type qu'il nous est par ailleurs loisible d'étudier. […]

Quand j'éprouve une douleur quelconque, je me tais le temps de panser les plaies en cédant à ma souffrance, ce qui lui permet de se dissiper plus rapidement. La douleur avertit notre cerveau qu'une partie de notre organisme vient de subir un traumatisme et qu'il ferait bien d'en prendre note. Une fois parvenue à ma conscience, ma douleur a joué son rôle et si elle ne disparaît pas complètement, du moins elle s'estompe.

Si je me fie à mon expérience, la paix intérieure provient d'un circuit de neurones dans le cerveau droit qui, parce qu'ils ne se reposent jamais tout à fait, restent susceptibles de prendre le pas sur les autres à tout moment. Notre sentiment de quiétude s’ancre dans l'instant présent. Il ne nous vient pas d'un souvenir du passé ni d'une projection dans l'avenir. Pour atteindre la paix intérieure, il me semble impératif de se laisser absorber par l'ici et maintenant.

Il ne faut pas s'en étonner : nos sociétés occidentales attachent plus de valeur aux facultés actives de notre hémisphère gauche que celle du droit, plus contemplatif. S'il vous semble malaisé de laisser s'exprimer votre hémisphère droit, c'est sans doute parce que vous avez trop bien retenu ce que l'on vous a enseigné toute votre enfance.

Ce qui me met sur la voie de la paix intérieure, c'est d'abord de me rappeler que j'appartiens à un tout qui me dépasse, un flot d'énergie éternelle dont je ne saurais me dissocier. Cela me rassure de me dire que je me rattache au flux cosmique de l'univers tout entier. Il me semble alors que le paradis m'attend sur terre. Mon hémisphère gauche me considère comme un individu fragile qui risque fatalement, à un moment ou un autre, de perdre la vie. Mon hémisphère droit s'attache au contraire à l'essence éternelle de mon être. Peu importe si je meurs. Mon énergie se diluera dans le vaste monde qui m'environne. [...]

Un moyen d'échapper à la rumination de notre hémisphère gauche consiste à le prier tout bonnement de chasser les pensées nocives qui nous perturbent. On ne saurait sous-estimer l'efficacité des incantations répétitives telles que les mantras (un terme qui signifie littéralement « lieu de repos de l'esprit »). Il me suffit de respirer à pleins poumons en répétant « Je déborde d'allégresse » « Je ne désire rien de plus que ce que je possède » ou encore « Je suis l'un des merveilleux enfants de notre mère la terre » pour basculer aussitôt dans la conscience de mon hémisphère droit.
Le retour à la méditation (qui me conduit à un enchaînement d'idées riches en émotions) me fournit encore un autre moyen d'éloigner de ma conscience les pensées dont je ne veux pas. La prière, par laquelle nous substituons un ordre de réflexion à un autre, nous permet aussi d'échapper aux pièges du ressassement au bénéfice de notre tranquillité d'esprit.










Le Dr Jill Bolte Taylor, née en 1957, est neuro-anatomiste affiliée à l'université de l'Indiana et porte-parole de la Banque des cerveaux de Harvard.





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