dimanche, février 04, 2024

Le citoyen paysan





La démocratie

Au siècle de Périclès, Athènes est une démocratie directe où tous les citoyens participent dans l'Assemblée (ecclésia) au gouvernement de l’État. En effet, si les Anciens n'ont pas ignoré complètement le gouvernement représentatif, tel qu'il est pratiqué dans les États modernes (la constitution de la Confédération béotienne, telle qu'elle fonctionne entre 447 et 386, dans la mesure où nous la connaissons, semble un cas typique de gouvernement représentatif ), la plupart des cités antiques ont été gouvernées directement par l'ensemble de leurs citoyens, et l'Assemblée était la source de tous les pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. Évidemment, une telle forme de gouvernement n'est possible que dans les États d'étendue restreinte, et seules les assemblées locales des cantons suisses peuvent nous donner aujourd'hui quelque idée des ecclésiaï des républiques antiques.

Pour être citoyen, pour avoir le droit de siéger à l'assemblée du peuple, deux conditions étaient nécessaires : il fallait être né de père athénien, et, à partir de la loi de Périclès de 451, il fallait aussi que la mère fût athénienne; en second lieu, il fallait être majeur; on l'était à dix-huit ans, mais, comme on faisait deux ans de service militaire, on n'accédait pas à l'Assemblée avant vingt ans. Les Athéniens pouvaient, par décret, concéder le droit de cité à un étranger, et ils pouvaient aussi retirer ce droit à l'un des leurs en le frappant d'atimie, c'est-à-dire de déchéance civique.

La vie quotidienne du citoyen athénien était dominée par le soin qu'il prenait des affaires de l'État, au moins en principe, car il est évident que les campagnards de l'Attique — les Strepsiade, Dicéopolis et Trygée avant leur établissement forcé en ville — ne pouvaient sans cesse délaisser leurs fermes et les travaux de la terre, surtout à l'époque des labours et à celle des moissons, pour venir siéger à la Pnyx, et c'est là ce qui explique que, sur un total approximatif de 40000 citoyens athéniens, il ait suffi d'un quorum de 6000 votants pour les décisions considérées comme les plus graves. Mais cet absentéisme inévitable était, autant que possible, limité, et c'est la raison, sans doute, pour laquelle toute convocation de l'assemblée devait être proclamée, ainsi que son ordre du jour (programma), quatre jours d'avance : ainsi les campagnards étaient prévenus à temps.

L'opinion publique est très sévère pour quiconque paraît se désintéresser des affaires de l'État, et il faudra attendre la fin du IVe siècle, après la perte de l'indépendance athénienne à Chéronée (338), pour qu'une école philosophique, celle d'Épicure, ose conseiller au sage de s'occuper exclusivement de ses affaires personnelles, de son propre bonheur. Au temps des « Marathonomaques », on ne concevait pas que le bonheur de l'individu pût être dissocié de la prospérité de l'État. L'institution d'une indemnité pécuniaire pour les citoyens présents à l'Assemblée (misthos ecclésiasticos), après la guerre du Péloponnèse, ne fut pas seulement une mesure démagogique, comme on le dit souvent à tort : sans cette indemnité, comment les thètes, c'est-à-dire les Athéniens salariés, les prolétaires, auraient-ils pu assister aux séances, qui parfois duraient une journée entière et se tenaient quatre fois par mois au moins, et, en fait, beaucoup plus souvent ?

Si l'on retraçait la vie quotidienne d'un Européen du XXe siècle, on pourrait négliger de parler du devoir électoral, qu'il n'a l'occasion d'accomplir que de loin en loin. L'Athénien de la ville, lui, non seulement participait à ces assemblées fréquentes, mais encore il pouvait être nommé pour un an magistrat ou membre du Conseil des Cinq-Cents (bouleute) ou juge, et c'était alors la plus grande partie de son temps, certainement, qui se trouvait accaparée par les affaires publiques. Il paraît donc indispensable de décrire ici, au moins sommairement, les rouages de la machine politique d'Athènes.

L'assemblée de la Pnyx n'était pas la seule à laquelle un Athénien libre dût prendre part. Il y avait aussi les assemblées des phratries, des dèmes et des tribus, qui assuraient l'administration locale. Clisthène, en 508, avait fait disparaître les anciennes divisions de l'Attique, un peu à la manière dont la Révolution française remplacera les provinces par les départements, et il avait réparti les citoyens en dix tribus (phylaï) dont chacune avait pour « patron » un héros de l'Attique et en portait le nom : Erechthéis (d'Erechthée), Egéis (d'Egée, le père de Thésée), Pandionis (de Pandion), etc. Chaque tribu possédait des terrains et élisait des magistrats pour administrer ses biens. Et l'on peut en dire autant des dèmes, qui étaient une subdivision de la tribu (à l'origine, il y avait cent dèmes, à raison de dix par tribu, mais, par la suite, il y en eut davantage). Le Céramique, Collytos, Mélitè, Scambonidaï étaient des dèmes urbains ; Acharnes, Marathon, Décélie, des dèmes ruraux. Chaque citoyen athénien était désigné officiellement par trois noms : le sien propre, le nom de son père (patronyme) et le nom de son dème (démotique) : Périclès, fils de Xanthippe, du dème de Cholarges; Alcibiade, fils de Cleinias, du dème de Scambonidaï ; Démosthène, fils de Démosthène, du dème de Péanie. Le chef du dème ou démarque avait des fonctions un peu analogues à celles d'un maire d'aujourd'hui ; il tenait la liste des membres de son dème, c'est-à-dire, si l'on veut, un état civil, ou plutôt une liste électorale; il était élu pour un an par ses concitoyens.

Enfin la phratrie est une subdivision du dème, dont nous ne connaissons pas l'organisation. Son nom même évoque un groupe de familles apparentées par le sang, car il a certainement la même origine que le latin frater.

Les assemblées des tribus, des dèmes, des phratries enserraient donc le citoyen athénien dans tout un réseau d'obligations et de droits, mais elles se réunissaient moins fréquemment que les assemblées de la cité. [...]

L'autarcie

On reprochait aux sophistes de faire payer leurs leçons, et cette critique est profondément révélatrice de l'état d'esprit des Grecs anciens à l'égard des professions et des métiers. Nous disons aujourd'hui que « tout travail mérite salaire », et la rétribution du service rendu nous paraît chose non seulement naturelle, mais juste. Il n'en était pas de même au temps de Périclès, où les idées concernant l'organisation sociale remontaient à l'époque archaïque et n'avaient guère varié depuis Hésiode.

Or, pour le poète des Travaux et Jours, le meilleur genre de vie, très pénible certes, mais le seul qui assure pleinement la dignité de l'homme, est celui du paysan propriétaire, qui trouve sur son domaine de quoi nourrir et vêtir lui-même et les siens, de quoi satisfaire à tous les besoins de sa famille. Dépendre d'un autre pour sa subsistance quotidienne paraît au Grec épris de liberté une servitude intolérable. L'homme vraiment libre doit être entièrement son maître ; comment le serait-il s'il reçoit d'autrui un salaire ? Pour Homère déjà, la pire des conditions humaines était celle de l'ouvrier agricole, du thète, c'est-à-dire du prolétaire que la misère contraint à louer le service de ses bras. L'idéal est donc celui de l'autarcie individuelle ou du moins familiale, qui ne peut guère se pratiquer totalement qu'à la campagne. Hésiode fabrique lui-même sa charrue et tous les instruments dont il se sert. Quant aux vêtements, ce sont les femmes de la maison qui filent la laine, puis la tissent. Le paysan des Travaux et Jours peut être contraint à faire quelques transactions, mais, en principe, il y répugne ; le commerce maritime l'effraie.

Robert Flacelière



Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...