lundi, juillet 18, 2011

Evola & la révolte totale prônée par les traditionalistes




...Les traditionalistes - nous parlons ici de ceux qui jugent encore nécessaire d'exercer une action politico-culturelle dans la société - étaient passés à côté de Chevaucher le tigre, (écrit par Julius Evola), ne l'avaient pas compris. Vingt ans plus tard, donc aujourd'hui, ces mêmes milieux ne le comprennent pas plus. 


Héritiers conscients de tout le courant de pensée contre-révolutionnaire qui a procédé, après 1789, à une critique systématique des idéologies modernes, les traditionalistes s'arrêtent presque toujours à la phase défensive de cette critique, oubliant ainsi qu'elle est passée à l'offensive avec Nietzsche, qui parle déjà pour ce qui viendra après le monde moderne, mais sans le moindre espoir de changer quoi que ce soit au présent état de choses. Près d'un siècle avant Chevaucher le tigre, le « philosophe au marteau » avait en effet compris que la subversion moderne ne devait pas être freinée, mais accélérée, afin de laisser l'espace libre à la restauration d'un véritable Rangordnung : « O mes frères, suis-je donc cruel ? Mais je vous le dis : ce qui tombe, il faut encore le pousser. Tout ce qui est d'aujourd'hui tombe et succombe : qui voudrait le retenir ? Mais moi, je veux encore le pousser. » ( Friedrich Nietzsche) L'impasse du traditionalisme se résume à une attitude viscéralement passéiste, qui confond constamment l'attachement illégitime à des formes traditionnelles, par définition sujettes au devenir et à la mort puisque manifestées, et le rattachement légitime et indispensable au noyau interne, purement doctrinal, intangible et indestructible, de la Tradition.

Cette confusion engendre à son tour une compréhension pessimiste de la doctrine des cycles - interprétée sur un plan exclusivement horizontal, temporel et historique -, qui débouche sur une sorte de « catastrophisme historique » totalement paralysant. De fait, il est peu de milieux aussi profondément désespérés que celui des traditionalistes dont nous parlons. Leur situation ressemble à celle d'un homme qui, voyant un ami très cher sur le point de se noyer, chercherait bien sûr à le sauver, mais sans disposer d'aucun moyen pour y parvenir. Les meilleurs d'entre eux sont voués, s'ils ont quelque talent, à jouer le seul rôle qui leur ait été assigné, semble-t-il : celui de Cassandre, et à rabâcher que tout va mal et que tout ira de plus en plus mal si on ne les écoute pas. Par la haine même qu'ils vouent au monde moderne, et qui est trop passionnelle chez eux pour ne pas receler un conditionnement, ils prouvent qu'ils lui accordent ce qu'il ne mérite pas du tout : une réalité absolue. Ils oublient ainsi au passage - ce qui est logique chez des gens qui passent en réalité plus de temps à suivre l'actualité qu'à lire des traités de métaphysique - l'enseignement de ceux qu'ils ont élus, un peu rapidement peut-être, leurs maîtres à penser. Le « point de vue » ultime, en effet, bannit toute crainte : « ….si l'on veut aller jusqu'à la réalité de l'ordre le plus profond, on peut dire en toute rigueur que la "fin d'un monde" n'est jamais et ne peut jamais être autre chose que la fin d'une illusion » (René Guénon) ; « ...le destin du monde moderne n'est nullement différent ni plus tragique que l'événement sans importance d'un nuage qui s'élève, prend forme et disparaît sans que le libre ciel puisse s'en trouver altéré ». (Julius Evola)

Ces virtuoses du dégoût - état qui n'est pas forcément mauvais en soi, mais qui n'est qu'une étape - ressemblent en fait étrangement à un personnage que Nietzsche avait imaginé : celui que le « peuple » avait appelé le « singe de Zarathoustra », car il avait dérobé à ce dernier « quelque chose du ton et du rythme de son discours ». Ce « fou écumant » se plaçait toujours aux portes de la Grand-Ville pour y faire entendre ses imprécations furieuses contre la pourriture environnante, mais Zarathoustra, le jour où il le rencontra, le fit taire et lui lança : « Pourquoi t'es-tu arrêté au bord du marécage jusqu'à devenir toi-même grenouille ou crapaud ? N'as-tu pas dans tes propres veines le sang putride et spumeux des marécages, pour avoir si bien appris à coasser et à blasphémer ? (...). Ton mépris, je le méprise ; et puisque tu m'as averti, que ne t'es-tu plutôt averti toi-même ? » Et en guise d’adieu, Zarathoustra lui laissa la maxime suivante, que bien des traditionalistes devraient méditer : « Où il n'y a plus rien à aimer, passe ton chemin ! »

Paradoxalement, on pourrait dire, pour employer un langage religieux, que les traditionalistes cherchent à tout prix à « sauver » des gens qui ne demandent désormais qu'a être « perdus ». C'est notamment le cas d'un certain nombre de traditionalistes italiens qui se sentent une vocation que nous qualifierons de « franciscaine ». Ils manquent en somme de détachement et d'une forme particulière de « cynisme » ; un cynisme qui, malgré les coupes d'amertume qu'il faut boire, a appris, devant les innombrables illusions du monde moderne, non seulement à ricaner, mais aussi à rire.

Cependant, il y a plus grave. Quand les « franciscains » s'aperçoivent un peu tard que le monde mauvais les rejette ou les ignore purement et simplement, ils tombent parfois dans l'excès inverse du nihilisme. La société actuelle, que leur imagination non bridée a transformée en une sorte de monstre qui les hante jour et nuit, devient alors l'objet de leur rage destructrice. Seulement, c'est le combat du pot de terre contre le pot de fer, dont l'issue ne fait pas le moindre doute. Pour ceux qui n'ont vu dans Chevaucher le tigre qu'une sorte de manuel de la révolte totale - alors que son seul objet est la mise à nu du problème existentiel et sa résolution -, le malentendu a pesé très lourd. En Italie - puisque c'est dans ce pays qu'est apparu le phénomène en question -, il s'est traduit par une répression impitoyable qui a jeté en prison des centaines de traditionalistes, dont ils ne sont pas prêts de sortir, car on sait que de nos jours tous ceux qui sont taxés, à tort ou à raison, de « fascisme », n'intéressent aucunement, quel que soit leur sort, les bonnes âmes de la conscience universelle et les professionnels de la pétition.

Dès l'apparition de ces formes d'« anarchisme de droite », Evola avait d'ailleurs pris position d'une manière claire et d'autant plus chargée de sens qu'elle ne faisait aucune concession « modératrice ». Au sujet des possibilités de « révolution », il affirmait : « Il se s'agirait pas de "contester" et de polémiquer, mais de tout faire sauter : ce qui, à l'époque actuelle, est évidemment fantaisie et utopie, n'en déplaise à un anarchisme sporadique. » Sur un activisme d'inspiration vaguement traditionnelle, il portait le jugement suivant : « Certes, si l'on pouvait organiser aujourd'hui une sorte de Sainte-Vehme agissante, capable de tenir les principaux responsables de la subversion contemporaine dans un état d'insécurité physique constant, ce serait une excellente chose. Mais ce n'est pas une chose que des jeunes puissent faire ; par ailleurs, le système de défense de la société actuelle est trop bien construit pour que de semblables initiatives ne soient pas brisées dès le départ et payées à un prix trop élevé. »

Certains affirment pourtant de façon péremptoire que, pour un type humain actif qui a fait siennes les valeurs de la Tradition, il n'est d'autre moyen, aujourd'hui, d'être « cohérent » avec soi-même que de lutter ouvertement contre toutes les expressions - y compris les expressions politiques – du monde contemporain, quelles qu'en soient les conséquences. Ce point de vue terriblement limitatif fait donc du courage le seul critère de la valeur d'un individu, ce qui est une façon bien romantique de voir les choses, car on ne peut pas nier que certains représentants des courants modernes les plus subversifs sont aussi capables de faire preuve d'un grand courage. La vérité, c'est que, passé un certain stade, l'obstination aveugle, si « héroïque » soit-elle, confine à la bêtise. Il faut donc répondre à ceux qui, affectés d'une mentalité un peu inquisitoriale, voient dans tout refus de l'action extérieure l'alibi de la peur et de la faiblesse, que la voie de la connaissance, elle aussi, n'est pas une fuite : « ...quand on s'est assimilé certaines vérités, on ne peut ni les perdre de vue ni se refuser à en accepter toutes les conséquences ; il y a des obligations qui sont inhérentes à toute connaissance, et auprès desquelles tous les engagements extérieurs apparaissent vains et dérisoires ; ces obligations, précisément parce qu'elles sont purement intérieures, sont les seules dont on ne puisse s'affranchir. » (René Guénon)

Un dernier point qu'il importe de souligner. parce qu’il est une des raisons de l'incompréhension témoignée par les traditionalistes devant un livre comme Chevaucher le tigre, c'est le conformisme de ces milieux. Autant leurs idées sont effectivement à contre-courant par rapport aux dogmes de notre temps, autant leur comportement dans la vie de tous les jours possède souvent les caractères de l'existence petite-bourgeoise, comme n'a pas manqué de le leur reprocher Evola : « ...si l'on parle d'anticonformisme, de rejet du système bourgeois, très fréquemment j'ai pu relever, chez les jeunes, une singulière inconséquence : alors qu'ils prônent, politiquement et idéalement, une attitude révolutionnaire, trop souvent, sur le plan existentiel, dans la vie pratique individuelle, ils finissent par succomber de façon désolante aux routines de la vie bourgeoise détestée (pour donner un exemple : en se mariant bien tranquillement), se trouvant par-la même encore plus obligés de "s'installer" dans la société actuelle, et ainsi de suite. Franchement, le type du beat authentique (...) bien qu'inférieur, me semble à cet égard plus cohérent. Et j'apprécie beaucoup la cohérence. »

S'arrêtant trop souvent à une réaction qui dégénère en crispation, nostalgiques des formes traditionnelles appartenant au passé, conformiste à l'égard des structures résiduelles du monde bourgeois, les traditionalistes sont donc mal placés pour saisir le sens et la portée de Chevaucher le tigre.

L'esprit encombré de notions et de pseudo-certitudes agissant comme un poids mort, il leur est difficile d'accéder au dénuement intérieur de l’« homme différencié », qui a su se débarrasser à jamais de l'accessoire pour ne s'appuyer que sur l'essentiel, et qui s'est délibérément interdit de regarder en arrière (et « en avant », doit-on ajouter, car la perspective d’Evola est résolument étrangère à tout messianisme, à toute téléologie, et ne s'intéresse qu’à l’« ici et maintenant »). Prisonniers d'un style comportemental rigide. les traditionalistes ne possèdent pas la « souplesse » existentielle nécessaire pour « passer leur chemin » parmi les décombres de cette fin de cycle.

Philippe Baillet, préface de l'édition de 1982 de "Chevaucher le tigre".


Chevaucher le tigre



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