jeudi, février 24, 2011

B comme bouddhisme





La popularité dont le bouddhisme jouit en Occident depuis une cinquantaine d’années repose sur une série de contresens et de malentendus intéressants à relever. […]


Le premier malentendu à propos du bouddhisme (on songe à la boutade de Ionesco : quand je n’avais aucun succès, c’était un malentendu ; maintenant que j’en ai, c’en est un autre !) tient au fait qu’il est symbolisé (littéralement incarné) par un homme (le dalaï-lama) qui ne représente qu’une branche très minoritaire et historiquement très particulière du bouddhisme. Le lamaïsme – autre nom sous lequel on désigne le bouddhisme tibétain – est une sorte de syncrétisme entre la religion bön indigène, spécifiquement tibétaine, et le bouddhisme venu de l’Inde. Loin de représenter le bouddhisme, le lamaïsme (encore appelé « véhicule de diamant») n’est que l’une de ses trois formes, la moins représentée de toutes – quelques millions de fidèles. Le véhicule de diamant est un développement du bouddhisme mahayana, du « grand véhicule » ainsi appelé par opposition au bouddhisme hinayana, du « petit véhicule ».


Mais il y a plus grave encore, en fait de malentendus. Alors que le bouddhisme balaie de manière radicale l’illusion du moi, l’Occidental va y chercher un moyen de réaliser son moi – donc, du point de vue bouddhiste, de renforcer l’illusion au lieu de la détruire ! De manière corollaire, la réincarnation bouddhiste est prise en Occident complètement à contresens : dans le cadre de la religion bouddhiste, cette roue des réincarnations successives est une épouvantable malédiction dont il convient, en éteignant les désirs en soi, de se débarrasser. L’idée de réincarnation, en revanche, est de nature à plaire à l’Occidental qui y verra flatté son narcissime et croira ainsi pouvoir disposer d’une seconde chance, puis d’une troisième, etc. en cas de vie ratée, un peu à la manière d’un tirage de loterie idéale, où l’on pourrait gratuitement disposer de tous les tickets un par un !


Autre contresens, lié au précédent : la nature du nirvana (sur laquelle le Bouddha lui-même a toujours refusé de se prononcer) est assimilée à celle du paradis chrétien alors même que, du point de vue bouddhiste, un lieu de béatitude ne saurait être qu’une illusion suscitée par la soif d’exister. Le nirvana correspond bien à une délivrance mais pas à un état de béatitude, il est la cessation du désir d’exister, et des douleurs qui s’ensuivent.


Il est probable qu’aucune autre religion n’a été aussi mal comprise que le bouddhisme. C’est à tous ces malentendus et contresens qu’il doit sa formidable popularité. Force est donc de constater que le bouddhisme de l’Occident (dont Nietzsche il y a plus de cent ans prophétisait déjà le succès) est un bouddhisme imaginaire.


Christian Godin, « Petit lexique de la bêtise actuelle ». 


Petit lexique de la bêtise actuelle 


D'Acharnement (thérapeutique) à Volonté en passant par le Colonialisme, la Dignité, la Femme et le Scandale, les 130 articles de ce Petit lexique de la bêtise actuelle évoquent et analysent les lieux communs qui traînent dans l'espace public et font croire qu'il y a de la pensée là où il n'y en a que des slogans. Un essai d'impertinence systématique, pour ne pas croire les mots sur parole !


Biographie de l'auteur :


Philosophe et maître de conférences de philosophie à l'université de Clermont-Ferrand, Christian Godin est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont la Totalité en sept volumes (Champ Vallon, 1997-2003), et La Philosophie pour les Nuls (First Editions, 2006). Aux éditions du temps, il a notamment publié le Dictionnaire de philosophie (coédité avec Fayard, 2004) et La Guerre (2006).








Dessin : http://mykaia.fr/blog/2008/10/24/quand-dalai-lama-fache-dalai-lama-faire-ca/

Révélations d'un lama dissident

Le lama tibétain Kelsang Gyatso (1931-2022) était un enseignant important parmi les guélougpa restés fidèles à des pratiques proscrites ...