jeudi, novembre 18, 2010

Le retour de Shiva-Dionysos


Le Shivaïsme représente l’héritage d’expériences religieuses et humaines accumulées depuis les origines de l’humanité. Sa codification, telle que nous la connaissons, n’est apparue nécessaire que lorsque se développèrent des civilisations urbaines importantes qui pouvaient menacer l’équilibre de l’ordre naturel.

Selon la doctrine des Tantras, le culte de Shiva-Dionysos et les pratiques du Tantrisme sont les seules voies ouvertes pour l’humanité dans l’Âge des Conflits où elle se trouve à présent. Sans un retour au respect de la nature et à la pratique des rites érotico-magiques, qui permettent l’épanouissement de l’être humain et son harmonisation avec les autres formes d’êtres, la destruction de l’ensemble de l’espèce humaine ne saurait tarder. Seuls les fidèles du dieu pourront survivre et donner naissance à une humanité nouvelle.

Toutes les religions qui se sont opposées au Shivaïsme, au Dionysisme, aux sectes mystiques, ont accentué les tendances qui mènent à la destruction de l’harmonie du monde. Chaque retour à des conceptions shivaïtes – même lorsqu’il ne s’agit que d’une tendance – équivaut à une ère nouvelle d’équilibre et de créativité. Les grandes périodes de l’art, de la culture, sont toujours liées à un renouveau érotico-mystique.

Tout au long de l’histoire, le Shivaïsme est resté dans l’Inde la religion du peuple. Il reprit graduellement une place très importante dans la vie religieuse des hautes castes grâce au Tantrisme. Il s’infiltra également dans le monde bouddhiste sous la forme du Mahayana (1). Il apparaît revivifié, vers la même époque, dans le monde égyptien, dans le Moyen-Orient, en Grèce et en Italie. Le culte de Dionysos, comme le dieu, renaît toujours de ses cendres.

Maintes fois au cours des âges, la tradition éternelle, liée au culte de Shiva-Dionysos, a été vaincue par les religions nouvelles, issues des ambitions et des illusions des hommes. Pourtant, elle est toujours réapparue, est née à nouveau de ses cendres, comme elle doit renaître dans l’âge moderne.

De nos jours, les conditions semblent favorables pour un retour vers les conceptions traditionnelles du Shivaïsme. Même dans le monde occidental dans lequel les survivances dionysiaques ont été sauvagement persécutées, un retour instinctif vers les valeurs shivaïtes est apparent. Un instinct de survie dans un monde menacé se manifeste sous des formes velléitaires telles que l’écologie, la réhabilitation de la sexualité, certaines pratiques du Yoga, la recherche extatique par les drogues. Ces velléités, généralement dévoyées et perverties, sont toutefois les indices d’un besoin profond pour retrouver une approche du monde, de l’homme, de la vie, qui soit fondée sur des valeurs réelles, soit conforme à la nature véritable de l’homme et à son rôle dans la création. Ces formes d’expérience ne trouveront leur logique et leur épanouissement que dans un retour au Dionysisme. Ce retour exige la reconnaissance de certains principes fondamentaux, car c’est avec leur aide qu’il peut être possible de retrouver les bases d’une civilisation véritable et de contribuer à limiter les désastres d’un anthropocentrisme aberrant. […]

D’après les textes orphiques et pythagoriciens, c’est durant la deuxième partie de l’Âge de Fer, du Kali Yuga, que doit reparaître la suprématie de Dionysos et que seule la forme de religion que représente son culte reste valable. Cela est également l’affirmation du Shivaïsme. Seules les méthodes du Yoga tantrique sont efficaces dans cet âge où les valeurs se confondent et les rites, l’ascétisme et les vertus des autres âges sont sans effet. Nous pouvons observer que les découvertes récentes des sciences humaines, de la psychologie, des sciences naturelles, de l’écologie, suggèrent des approches à des problèmes humains et universels que le Shivaïsme a toujours préconisé. « Il n’est pas exclu que notre époque passe à la postérité comme la première qui ait redécouvert les « expériences religieuses diffuses », abolies par le triomphe du Christianisme… On pressent que tous ces éléments préparent l’essor du nouvel humanisme qui ne sera pas la réplique de l’ancien, car ce sont surtout les recherches des orientalistes, des ethnologues, des psychologues des profondeurs, des historiens des religions, qu’il s’agit maintenant d’intégrer pour arriver à une connaissance totale de l’homme. » (M. Eliade, « Méphistophélès et l’Androgyne ») Cette reconnaissance de l’homme implique celle de la place qu’il occupe dans la création, la reconnaissance de ses limites, du rôle qu’il peut jouer dans la hiérarchie des êtres. Le retour à la sagesse shivaïte apparaît comme la seule voie qui puisse assurer un répit à une humanité qui court vers sa perte à un rythme sans cesse accéléré.

Alain Daniélou, "Shiva et Dionysos".



(1) Alain Daniélou semble ignorer la profonde misogynie ascétique du bouddhisme (mahayaniste et hinayaniste), codifiée dans le Vinaya (le réglement monastique), qui s’oppose radicalement à l'hédonisme shivaïte :
Bouddhisme et sexualité

Shiva et Dionysos


Pour Alain Daniélou, l'Occident a perdu sa propre tradition et éloigné l'homme de la nature et du divin. Il nous y fait découvrir ici que les rites et les croyances du monde occidental ancien sont très proches du Shivaïsme et très aisément expliqués à l'aide des textes et des rites préservés dans l'Inde. Ce sont les religions relativement récentes du monde aryen et sémitique, Judaïsme, Christianisme, Islam et Communisme qui ont éloigné l'homme du reste de la création et de l'expérience religieuse et mystique multimillénaire dont la tradition s'est préservée dans l'Inde jusqu'à nos jours et que l'Occident, s'il veut survivre, devra retrouver.


Illustration :
Picasso, « Bacchanale », 1962.

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