dimanche, février 21, 2010

Exorcisme & possession


Le Lalitavistara est le texte biographique du Bouddha décrivant ses deux dernières existences jusqu’au premier sermon.

Ce livre sacré décrit l'assaut de Mara contre le Bodhisattva rédempteur Shâkyamuni :

Le démon Papiyan (Mara), n'ayant pas fait ce qu'avait fait Sârthavana, fit préparer sa grande armée de quatre corps de troupe, très forte et très vaillante dans le combat, formidable, faisant dresser les cheveux, comme les dieux et les hommes n'en avaient pas vu auparavant ni entendu parler; douée de la faculté de changer diversement de visage et de se transformer de cent millions de manières ; ayant les mains et les pieds et le corps enveloppés dans les replis de cent mille serpents; tenant des épées, des arcs, des flèches, des piques, des masses, des haches, des fusées, des pilons, des bâtons, des chaînes, des massues, des disques, des foudres; ayant le corps protégé par d'excellentes cuirasses; ayant des têtes, des mains et des pieds contournés; des yeux et des visages flamboyants; des ventres, des pieds et des mains difformes; des visages étincelants d'une splendeur terrible; des visages et des dents difformes; des dents canines énormes et effroyables; des langues rugueuses comme des nattes, des yeux rouges et étincelants comme ceux du serpent noir rempli de venin. Quelques-uns vomissaient du venin de serpent, et quelques-uns, après avoir pris avec leurs mains du venin de serpent, le mangeaient. Quelques-uns comme des garoudas, ayant retiré de la mer de la chair humaine, du sang, des mains, des pieds, des têtes, des foies, des entrailles, des ossements, etc. les mangeaient. Quelques-uns avaient des corps flamboyants, livides, noirs, bleuâtres, rouges et jaunes; quelques-uns avaient les yeux déformés, creux comme des puits enflammés, arrachés, ou regardant de travers; quelques-uns avaient des yeux contournés, étincelants et difformes; quelques-uns portant des montagnes enflammées, s'approchaient fièrement, montés sur d'autres montagnes enflammées. Quelques-uns, après avoir arraché un arbre avec ses racines, accouraient vers le Bodhisattva. Quelques-uns avaient des oreilles de bouc, des oreilles de porc, des oreilles d'éléphant, des oreilles pendantes de sanglier. Quelques-uns n'avaient pas d'oreilles. Quelques-uns ayant le ventre comme des montagnes, avec des corps débiles, formés d'un amas d'ossements, avaient le nez cassé; d'autres avaient le ventre comme une cruche, les pieds pareils à des crânes, la peau, la chair et le sang desséchés, les oreilles, le nez, les mains et les pieds, les yeux et la tête coupés. […] Quelques-uns ayant des poils de bœuf, d'âne, de sanglier, d'ichneumon, de bouc, de bélier, de carabha, de chat, de singe, de loup, de chacal, vomissaient du venin de serpent, avalant des boules de feu, exhalant des flammes, répandant une pluie de cuivre et de fer brûlant, faisant naître des nuages noirs, produisant une nuit noire, faisant du bruit, couraient vers le Bodhisattva...

La biographie du Bouddha fut conçue durant la période de transition entre le Hînayâna et le Mahâyâna, entre le 2ème siècle avant et le 2ème siècle après J.-C. ; elle fut remaniée ultérieurement dans l’optique mahayaniste.

Le Lalitavistara est le texte sacré des différentes écoles du bouddhisme (Hînayâna, Mahâyâna, Vajrayâna). Tous les moines bouddhistes lisent ce texte et savent que le démon, « Mara » en sanscrit, représente ce qui fait obstruction à l’accomplissement de la libération ou de l’illumination.

Le psychiatre Jacques Vigne, adepte de la méditation depuis des décennies, a étudié les obstructions provoquées par la déviation pathologique de l’énergie (Kundalini) qui peut s’éveiller durant la méditation, il écrit :

« Il y a des similarités intéressantes entre les variations d’humeur d’un aspirant dont la Kundalini est en train de s’éveiller et la cyclothymie. Certains patients en état hypomaniaque ou maniaque présentent des signes de Kundalini éveillée ; c’est ce que j’ai pu observer en retournant, après cinq ans en Inde, faire une visite dans un hôpital psychiatrique à un patient maniaque avec des idées mystiques, qu’un ami psychiatre m’avait dit d’aller voir. Les signes communs étaient une joie irrépressible, une sympathie avec l’univers entier, un sens de l’humour aiguisé, la générosité, le don des associations rapides, une volonté d’entreprendre de grandes actions pour le bien du monde. Mais contrairement au sadhaka, le patient maniaque ne réussissait pas à maîtriser les aspects négatifs de cette excitation. »

Un bouddhisme hybride, mélange de scientisme et de New Age, cherche à promouvoir la méditation en faisant l’impasse sur les obstructions et les problèmes pathologiques liés à la pratique méditative. Un lama, en accord avec les enseignements traditionnels du bouddhisme, rappelle les principaux obstacles (démons) que rencontrent les méditants :

« Il existe quatre principaux types de démons : le démon des perturbations mentales, le démon des agrégats contaminés, le démon de la mort incontrôlée, et les démons Dévapoutra. Seuls les derniers sont des êtres sensibles », précise le lama Kelsang Gyatso en accord avec le passage du Lalitavistara cité plus haut. Ce lama, maître de méditation reconnu, ajoute : « De même que les guerriers utilisent des armures pour se protéger pendant les batailles, ainsi les méditants ont besoin d’une armure pour se défendre contres les obstacles et les entraves ». « Revêtir l’armure » est un moyen de protection psychique utilisé avant la pratique méditative. Il est connu des moines Bönpo.

Par ailleurs, les véritables maîtres de méditation ont toujours dénoncé le risque de se polariser sur le Délice (bde ba), la Clarté (gsal ba) et la Non-discursivité (mi rtog pa) émergeant au cours du recueillement méditatif et pouvant générer ainsi un attachement à des sensations physiques et spirituelles qui ne sont en réalités que des fabrications de l’esprit.

Contrairement aux idées que répandent les lamas de laboratoire, qui font la promotion du néo-bouddhisme et de la méditation-panacée, la démonologie est bien au cœur du bouddhisme tibétain. Les exorcismes sont souvent pratiqués par les lamas. En outre, des médiums se laissent posséder par des entités afin de pouvoir délivrer des prophéties. Le Dalaï-lama et les hiérarques de Dharamsala sont particulièrement attentifs aux présages du médium de Néchung et d’autres oracles. « En ce moment il y a surabondance d’oracles à Dharamsala. Outre les deux oracles d’état, on trouve la divinité Dorjee Yudonna, l’une des douze déesses Tenma, dont le médium est une amala (femme âgée) à l’air doux. Il y a également l’oracle Lamo Tsangba, une divinité locale protectrice de Lhasa. Son médium, un monsieur un peu corpulent, était joueur de trombone dans l’orchestre militaire chinois à Lhasa. » (1)

Il est utile de préciser que les « divinités » protectrices sont souvent des démons subjugués par la magie des maîtres tantriques d’autrefois.

Les Tibétains sont hantés par l’idée de la présence continuelle des démons. « Les écarter, les empêcher de nuire est l’objet d’une lutte constante. On cherche à les attirer dans des pièges puérils : des cages faites de bâtonnets et de fils de laine entrelacés. La puissance des formules magiques récitées par un officiant dûment initié à la célébration de ce rite, force le démon à entrer dans la cage. Ensuite avec force vociférations la cage et son prisonnier sont jetés dans un brasier. D’autres fois, au lieu de cette cage, c’est dans une torma, un gâteau de forme pyramidale fait de farine pétrie avec du beurre, que le démon est capturé. Certaines de ces tormas sont de très grande taille, surtout celle qui figure, chaque année, dans les cérémonies du Nouvel An à Lhasa où je l’y ai vu jeter au feu, débarrassant ainsi le pays de ses ennemis démoniaques. » Alexandra David-Néel.


(1) Jamyang Norbu, « Shadow Tibet : Selected Writting », cité dans « Une Grande Imposture ».

Livres consultés :







Photo : l'oracle de Néchung

Déclaration d’un prêtre exorciste




Moins drôle, les exorcistes officiels de l’Eglise sont débordés. Au 21ème siècle, beaucoup de personnes se disent victimes du démon. C’est ce qu’a révélé le reportage Chasseurs de démons de l’émission Enquête inédite diffusé sur Direct 8 au début du mois de février 2010.







Révélations d'un lama dissident

Le lama tibétain Kelsang Gyatso (1931-2022) était un enseignant important parmi les guélougpa restés fidèles à des pratiques proscrites ...